Une fuite de pétrole qui a entraîné le déversement de tonnes de goudron sur pratiquement tout le littoral d’Israël a obligé les autorités, dimanche, à fermer toutes les plages – de Rosh Hanikra, dans le nord, à Ashkelon, dans le sud – jusqu’à nouvel ordre.
Gila Gamliel, ministre de la Protection environnementale, a déclaré qu’elle espérait que les opérations de nettoyage se termineraient à temps pour permettre le lancement de la saison estivale à la date prévue, au mois de mai.
Toutefois, la réalité est que ni elle, ni qui que ce soit d’autre n’est encore en mesure d’évaluer avec certitude les dégâts à l’écosystème entraînés par ce désastre.
La fuite, qui a été qualifiée par un haut-responsable du ministère chargé de l’Environnement de « pire catastrophe » – de mémoire récente – à avoir frappé le sable et les roches côtières d’Israël en raison de son envergure géographique, a tué des tortues de mer, des poissons et elle pourrait être à l’origine de la mort d’un jeune rorqual, une baleine commune de Méditerranée, dont le cadavre a été découvert, jeudi, échoué sur la plage de Nitzanim, dans le sud du pays.
Une autopsie qui a été réalisée dimanche a permis de découvrir un liquide noir dans les poumons du mammifère, ce qui a surpris les vétérinaires qui avaient initialement pensé que la baleine était morte depuis deux semaines lorsqu’elle s’était égarée sur le sable. Une porte-parole de l’Autorité des parcs et de la nature (INPA) israélienne a souligné que personne ne savait pour le moment quand la fuite à l’origine de la marée noire avait eu lieu, et que les analyses pratiquées sur des échantillons prélevés sur le rorqual pourraient aider à clarifier les choses.
Les usines de dessalement du pays, qui fournissent environ 75 % de l’eau potable de la nation, n’ont pas été touchées, et le ministère de l’Agriculture a déclaré qu’il était prématuré d’évaluer les dommages essuyés par les poissons.
אכן הפקרות. דב חנין כהרגלו מדייק מה צריך לעשות
Posted by מיקי חיימוביץ' – Miki Haimovich on Saturday, February 20, 2021
Mais l’inquiétude portant sur des dégâts irréparables commis sur les écosystèmes proches de la côte est réelle. Un expert estime que pas plus de 10 % des espèces marines vivant dans les rochers pourront survivre après nettoyage du goudron qui s’est collé sur elles.
Les groupes de défense de l’environnement et l’INPA, si elles déplorent l’absence de planification et de financement pourtant nécessaires pour répondre de manière efficace à ce désastre, s’efforcent également d’utiliser cet événement pour mettre un point final à un programme controversé qui prévoit que l’Etat juif devienne un pont terrestre pour le pétrole du Golfe qui transite vers l’Europe – un projet qui, affirment-ils, pourrait potentiellement entraîner une catastrophe encore plus grave pour le tourisme israélien et pour Eilat et ses barrières de corail.
Déroulement d’une crise
Mercredi, la majorité des Israéliens étaient enfermés chez eux en raison d’une météo qui a amené des pluies torrentielles le long de la côte, et de la neige dans les régions en altitude. Le premier signe laissant penser à une anomalie survenue au large a été la découverte, sur la plage, de la baleine morte de 17 mètres par des surfeurs.
Puis le goudron a commencé à arriver sur les plages du nord du pays.
Ce sont les autorités côtières et les organisations à but non-lucratif, comme Ecoocean et Zalul, qui ont été les premières à passer à l’action, appelant à la rescousse des bénévoles pour nettoyer les dégâts.
Et, pendant le week-end, il est clairement apparu que cette pollution avait affecté la plus grande partie de la ligne côtière.
Certains bénévoles venus nettoyer les bandes noires et collantes de goudron, samedi, ont été hospitalisés après avoir inhalé des fumées toxiques.
Dimanche, environ 7 000 Israéliens sont venus pour tenter de dégager les plages, en remplissant des sacs en plastique de la boue poisseuse empoisonnant le sable. Quelques-uns ont posté des photos déchirantes de jeunes tortues de mer dont la carapace était engluée de matière noire et visqueuse.
Le vétérinaire en chef de l’Autorité de la nature et des parcs a fait savoir qu’une autopsie pratiquée sur la baleine avait révélé la présence d’un liquide noir suspect dans les poumons. Les ministres de la Protection environnementale et de la Santé ont demandé au public – exception faite des bénévoles officiellement enregistrés pour participer aux opérations de nettoyage – de se tenir à l’écart des plages jusqu’à nouvel ordre.
Jusqu’à confirmation de la cause, personne ne sait si le goudron provient d’une fuite de pétrole brut ou de carburant lourd pour les moteurs Diesel. Le ministère de la Protection environnementale a trouvé des images satellite en date du 11 février qui montrent une tache noire suspecte sur la surface de la mer à environ 50 kilomètres de la côte, ainsi que des images révélant la présence de dix navires dans le secteur à ce moment-là. Il coopère actuellement avec les autorités internationales pour approfondir ses recherches, avec l’espoir de trouver enfin le ou les bateaux susceptibles d’avoir déversé du carburant dans les eaux.
Deux facteurs combinés ont aidé à la décomposition du pétrole en
goudron : la distance par rapport au rivage et une météo particulièrement mauvaise.
Yoav Ratner, à la tête du Centre de préparation et de réponse aux pollutions marines au sein du ministère de la Protection environnementale, qui a consacré une grande partie de sa vie aux affaires environnementales, a déclaré au Times of Israel qu’il ne pouvait pas se souvenir d’une catastrophe ayant touché un aussi grand nombre de plages au même moment, même s’il a souligné que les dégâts auraient été bien plus importants si le pétrole avait touché la côte avant de se décomposer.
Quand les plages pourront elles-être enfin propres ? A cette question, il a répondu qu’il fallait pour le moment vivre les choses au jour le jour.
« Le meilleur moyen de nettoyer tout ça, c’est de le faire à la main », a expliqué Ratner. « On tente d’exploiter le moins possible les outils mécaniques ».
Les équipements et matériaux qui permettront de décomposer le goudron ne pourront être essayés qu’à l’issue de contrôles minutieux qui viseront à garantir qu’ils ne toucheront que le polluant et qu’ils ne détruiront aucun organisme vivant, a-t-il ajouté.
L’étendue des dommages causés aux écosystèmes marins qui se situent juste au-delà de la ligne de rivage, dans les crevasses et dans les bassins rocheux, est encore indéterminée.
Samedi, le ministère a annoncé que des plaques de goudron, situées entre 200 et 500 mètres de la côte, se dirigeaient vers Haïfa, dans le nord du pays. Il a annoncé dimanche que ce danger potentiel supplémentaire s’était éloigné.
Ce qui ne signifie pas pour autant que le pire est passé.
« La plus grande crainte, c’est qu’il y ait encore beaucoup plus de goudron dans la mer à l’heure qu’il est qui soit en train d’empoisonner la vie marine, une pollution qui n’est pas encore arrivée jusqu’à nous », a commenté Dor Adelist, scientifique spécialisé dans la vie marine à l’université de Haïfa, auprès du site d’information Walla.
Ruth Yahel, experte en écologie marine au sein de l’Autorité de la nature et des parcs, a déclaré au site en hébreu du Times of Israel, Zman Yisrael : « Imaginez que vous goudronnez un plafond pour le sceller. Imaginez un monde vivant tout entier scellé, qui suffoque sous l’effet du goudron ».
Pas plus de 5 % à 10 % des créatures minuscules qui vivent dans l’écosystème proche du rivage parviendront à survivre.
Pour le ministère de l’Agriculture, il est encore prématuré d’évaluer les dégâts – s’il y en a eu – faits aux poissons.
Les usines de dessalement, qui fournissent 75 % de l’eau potable dans le pays, n’ont pas été touchées, ont indiqué les responsables dans la journée de dimanche.
Une tragédie évitable ?
Il reste deux questions. Cette catastrophe aurait-elle pu être évitée ? Et qu’est-ce qui est actuellement fait pour empêcher qu’elle se répète à l’avenir ?
Aucune de ces deux interrogations n’a de réponse directe pour le moment. Mais ce qui a été clairement déterminé – une fois encore – c’est le statut misérable du ministère de la Protection environnementale dans la chaîne gouvernementale lorsqu’il s’agit de soutien et de législation.
En 2008, le gouvernement avait décidé de formuler un plan national de préparation et de réponse aux incidents de pollution pétrolière marine. Une décision prise par le cabinet au mois de juin 2008, quand Ehud Olmert était Premier ministre, avait ordonné que dans les trois à cinq années suivant la date du 1er janvier 2009, le ministère mette en place des postes particuliers et acquiert tous les équipements et navires nécessaires pour empêcher les pollutions au pétrole dans la mer.
Le ministère avait reçu pour instruction de discuter avec le Trésor de tous les financements indispensables dont il ne disposait pas encore au cours de la préparation du budget 2009. Et le ministre de la Protection environnementale (c’était Gideon Ezra, du parti Kadima, aujourd’hui disparu, qui occupait le poste) avait reçu l’ordre de garantir que ce plan allait être ancré dans la loi, ainsi que toutes les exigences incluses dans la Convention internationale sur la préparation, la réponse et la coopération face aux pollutions pétrolières marines, dont l’Etat juif est signataire.
Mais le plan ne devait jamais entrer dans la législation. Et le ministère des Finances avait, de son côté, bloqué le transfert des fonds supplémentaires.
La ministre de la Protection de l’environnement, Gamliel, a annoncé dimanche qu’elle avait convenu avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu de soumettre une proposition à l’approbation du gouvernement visant à dégager des fonds immédiats pour la remise en état des plages et visant également l’avancée de la législation qui aurait dû être adoptée il y a déjà des années.
Mais les financements d’urgence, comme l’ont noté les spécialistes qui ont évoqué la crise dimanche, ne remplaceront pas la mise en œuvre d’un processus organisé.
En 2015, le ministère chargé de l’environnement avait publié des propositions dont l’objectif était d’intégrer dans ses travaux des technologies de télédétection – comme, par exemple, des technologies satellites ou des drones. Il avait évoqué la manière dont le Canada avait su exploiter des images par satellite et des photographies aériennes pour identifier 183 fuites de pétrole, imposant ainsi des amendes aux responsables.
Des informations telles que celles-ci permettraient à Israël de créer des modèles en termes de distribution de pétrole en temps réel et dans l’urgence, avait noté le document. Mais ces propositions n’avaient jamais été financées.
L’Institut de recherche israélien océanographique et limnologique de Haïfa, dans le nord du pays, fournit des informations par satellite sur la température de la surface de la mer, la concentration en chlorophylle, la profondeur de pénétration de la lumière, mais pas sur le pétrole.
Est-ce que des images satellites appropriées auraient permis de détecter la marée noire, autorisant le ministère de l’Environnement à la prendre en charge et à limiter ses effets avant qu’elle n’atteigne la côte ?
A cette question, Yoav Ratner a répondu par la négative. Parce qu’Israël n’est pas membre de l’Union européenne, le pays n’a pas d’accès automatique à l’imagerie satellite de l’Agence de sûreté maritime européenne, a-t-il expliqué. C’est malgré tout le cas de Chypre, qui n’a pas remarqué d’informations pertinentes. Le Centre régional de réponse d’urgence aux pollutions marines (REMPEC), dont le siège est à Malte, transmet des alertes en Israël mais il ne s’est pas manifesté concernant cette pollution au goudron, a-t-il poursuivi.
Très peu de pays sont en capacité de surveiller ce qu’il se passe en mer au quotidien, a-t-il précisé. Dans certaines régions, comme les Balkans, les pays se sont accordés pour partager les informations réunies lors d’opérations aériennes ou de télédétection, mais l’Etat juif et ses voisins n’ont rien convenu de tel.
Jusqu’à présent, le pays n’a jamais été considéré comme un secteur présentant un risque élevé et immédiat, a souligné Ratner, même si les dangers se sont renforcés avec le temps.
La coopération et l’échange d’informations sont bons, a-t-il maintenu, entre la marine et l’Autorité du transport maritime, qui dépend du ministère des Transports.
Mais même avec des patrouilles, la mer reste un territoire immense et il est facile de manquer une marée noire en fonction de son intensité.
« Il y a beaucoup de choses que nous devons encore faire », a-t-il ajouté. « Nous avons besoin d’informations aériennes, de plus de personnels et de plus de bateaux, et nous avons aussi besoin d’une amélioration du système de coordination entre l’Etat et les autorités locales ».
Les organisations de défense de l’Environnement – un grand nombre d’entre elles se sont réunies via Zoom pour évoquer la crise dans la journée de dimanche – considèrent pourtant les choses de manière très différente.
Arik Rosenblum, directeur d’Ecoocean, a déclaré que le bateau de recherche de sa propre organisation était actuellement en mer pour contrôler la présence de pétrole dans les eaux, ajoutant que le groupe collaborait avec l’Institut de recherche océanographique et limnologique pour assurer également une surveillance aérienne.
תודה גדולה לעשרות החברות והארגונים שנרתמים למשימה. אסון חירום אקולוגי פוקד אותנו ושיתוף הפעולה מעלה אופטימיות…
Posted by Ecoocean – למען הסביבה הימית on Sunday, February 21, 2021
Il a indiqué qu’avant la catastrophe, son organisation avait fourni une formation de réponse d’urgence professionnelle à vingt personnes dans chaque autorité côtière, de manière à ce qu’elles puissent elles-mêmes former d’autres bénévoles en cas de crise et venir en aide aux autorités.
« Encore une fois, c’est le public qui fait le sale travail à la place du gouvernement », a commenté Yaara Peretz, responsable des questions marines au sein de Green Course, un groupe majoritairement constitué d’étudiants.
Une mise en garde pour Eilat ?
Rachel Azaria, qui préside l’organisation-cadre Life and Environment qui représente 130 ONGs « vertes », a qualifié le désastre de « promotion pour une catastrophe annoncée qui pourrait être 250 fois pire » si un accord conclu entre l’entreprise d’Etat Europe-Asia Pipeline Co. – ex-Eilat-Ashkelon Pipeline Co. – et MED-RED Land Bridge, une co-entreprise israélo-émirati, devait se concrétiser.
Cet accord controversé prévoit le transfert de pétrole et de produits dérivés du pétrole depuis le Golfe persique vers Israël, où il serait débarqué à Eilat, le port de la mer Rouge, avant d’être transporté par voie terrestre par un pipeline vieillissant à Askhelon, sur la côte sud de la Méditerranée. De là, le pétrole serait embarqué à nouveau sur des navires en direction des marchés du sud de l’Europe.
Les organisations environnementales ainsi que plus de 200 scientifiques ont supplié le gouvernement de renoncer à ce projet, inquiets d’une possible mise en danger des coraux d’Eilat, qui sont connus dans le monde entier, ainsi que de ceux d’Aqaba, dans la Jordanie voisine.
Pendant que se déroulait la conférence organisée sur Zoom, des dizaines de personnes ont fait part de leur opposition contre le plan pétrolier d’Eilat.
Et quelques heures avant, l’INPA a, elle aussi, émis un communiqué faisant part de son mécontentement face à l’accord MED-RED.
« L’Autorité de la nature et des parcs exprime sa réelle préoccupation sur la base de ses expériences passées, sur le fait que le transport de matériaux dangereux et en quantités importantes implique un danger environnemental, avec un risque d’accidents et de défaillances, techniques et humaines, qui peut potentiellement augmenter le volume du trafic maritime », a-t-elle noté.
Elle a ajouté que « l’Autorité rappelle que les erreurs humaines et les défaillances techniques dans les infrastructures de l’EAPC ont d’ores et déjà entraîné de graves dommages à l’environnement dans un passé lointain et dans un passé plus proche, comme cela a été le cas des fuites de pétrole dans le Golfe d’Eilat et à Evrona dans les années 1970, comme cela a été encore le cas à Evrona (dans le sud d’Israël) en 2014 et dans le lit de la rivière Zim en 2011 ».
Tami Ganot, membre de l’organisation de conseil juridique Adam Teva VDin, a lancé le même appel à ce qu’un plan national de préparation et de réponse à la pollution marine soit inscrit dans la loi lors de la conférence, de manière à ce que sa mise en œuvre soit facilitée et que des fonds soient alloués au programme. Une loi sur le Climat et une loi sur les Zones marines sont également indispensables, a-t-elle dit.
Cette dernière fait l’objet d’un blocage, depuis des années, entre les ministères de la Protection environnementale et celui de l’Energie. Le ministère de l’Energie utilise encore une loi sur le pétrole adoptée dans les années 1950 qui octroie des permis pétroliers et gaziers, sans implication du ministère de l’Environnement. La législation sur la Construction et la planification nécessite une contribution environnementale mais elle ne s’applique qu’à la terre et à quelques maigres kilomètres dans la mer.
« Il y a zéro prise de responsabilité. Des intérêts très étroits ont toute latitude d’action », a commenté Ganot auprès du Times of Israel. « Et il n’y a aucune supervision active ».
Aujourd’hui, affirme Maya Jacobs, qui dirige l’organisation Zalul, le manque de planification appropriée signifie que « nous avons une crise qui a fermé quasiment la totalité de notre côte méditerranéenne au public, une crise qui a entraîné des dégâts inestimables et – c’est le moins qu’on puisse dire – qui aurait pu être gérée de manière beaucoup plus efficace ».