Cet article, le deuxième d’une série de trois, présente neuf interviews au format de vidéo animée avec des résidents de la bande de Gaza.
Produites sous le titre Murmuré depuis Gaza (Whispered in Gaza) par le Center for Peace Communications, une organisation à but non lucratif de New York, ces interviews sont publiées par le Times of Israel parce qu’elles représentent une occasion rare pour les habitants ordinaires et courageux de Gaza de dire au monde à quoi ressemble la vie sous le régime du Hamas. Nous présentons les documents avec des sous-titres en anglais et en français, parallèlement à leur publication en arabe par Alarabiya, en persan par Kayhan London, en espagnol par Infobae et en portugais par RecordTV.
Toutes les interviews ont été menées durant l’année 2022 et les personnes interrogées vivent actuellement à Gaza.
Pour des raisons de sécurité, les intervenants communiquent par le biais d’une technologie de modification de la voix et sont représentés par des animations vidéo au lieu de montrer leur visage réel. Le Times of Israel a visionné les images originales utilisées dans les clips animés, confirmant ainsi l’identité des intervenants et l’exactitude de la traduction de leur témoignage.
La semaine dernière, dans le premier volet, des hommes et des femmes de Gaza ont décrit la privation de leurs droits professionnels par le Hamas et la répression de leurs libertés personnelles. Ils ont parlé d’arrestations arbitraires, d’extorsion de fonds par le Hamas à l’encontre de petits commerçants et de la façon dont les journalistes sont réduits au silence. Exprimant leur soutien inconditionnel à l’autodétermination des Palestiniens, ils ont également dénoncé le fait que le Hamas nuise à cette cause en déclenchant contre Israël des guerres qu’il ne peut gagner, en se cachant dans des bunkers et en laissant les civils subir des pertes. En outre, ils ont fait comprendre que la guerre du Hamas était un jeu pour obtenir de l’aide financière que le groupe continue à piller.
Dans cet épisode, nous en apprenons davantage sur les griefs locaux, ainsi que sur une tentative locale d’y remédier : l’effort mené par environ 1 000 habitants de Gaza en 2019 pour défier l’autorité du Hamas par des manifestations de rue. Quatre acteurs de ce mouvement de protestation racontent leur expérience et expliquent comment elle a transformé leur vie et leurs perspectives.
Les participants ont accepté de répondre aux questions car ils sont désireux de faire connaître leurs idées et leurs vécus au monde. « Ils veulent que leurs histoires soient entendues », a souligné le président du CPC, Joseph Braude.
Découvrez les vidéos une par une ci-après, avec des éléments de contexte et des sources sur les phénomènes que les Gazaouis interrogés décrivent. (Vous pouvez également regarder la totalité des vidéos dans la playlist ici.)
Le népotisme est partout
« Le népotisme est partout ici », selon « Ashraf ». D’un côté, par exemple, il faut avoir des amis au sein de la compagnie d’électricité dirigée par le Hamas pour obtenir une réduction de votre facture. D’autres seront taxés de manière exorbitante – surtout s’ils font partie des 17 000 Gazaouis qui ont un permis de travail en Israël. D’un autre côté, Ashraf raconte qu’un jeune parent d’un responsable du Hamas, Yahya Musa, qui s’est moqué du Hamas et a maudit l’islam, était en liberté deux jours plus tard seulement, pour un délit qui aurait valu à un Gazaoui ordinaire d’être « en prison jusqu’à ce jour ».
La conviction que les institutions du Hamas sont corrompues, partagée par 73 % des Gazaouis selon une enquête de septembre 2022, découle d’un certain nombre de signes manifestes, dont le népotisme, selon une étude de 2022 d’Aman Transparency Palestine, est le plus courant. Les réseaux sociaux gazaouis ont vu naître l’été dernier une flambée de critiques à l’encontre des dirigeants « qui peuvent vivre à Gaza au summum du luxe et choisissent pourtant de l’abandonner pour les hôtels et les villas de Doha et d’Istanbul. » Lors de la tentative de relance du mouvement de protestation « Nous voulons vivre », l’été dernier, sous la forme d’une campagne sur les réseaux sociaux gazaouis, une femme a observé : « Tout le monde à Gaza souffre de la situation. Les seuls qui profitent de leur vie sont les fonctionnaires et leurs enfants ».
Ce dont je rêve pour mes enfants
« Amna » souhaite que ses enfants reçoivent une éducation décente, « pour penser rationnellement… et vivre une vie moderne ». C’est pour cette raison qu’elle dit craindre de les envoyer dans des écoles gérées par le Hamas – « parce que c’est là qu’ils endoctrinent les gens », en apprenant aux enfants « comment ils peuvent aller au paradis, par le martyre, et je ne veux pas que mes enfants soient exposés à cet endoctrinement. »
Dans les années qui ont précédé la sanglante prise de pouvoir du Hamas au Fatah en 2007, un nouveau débat sur la nécessité d’une réforme de l’éducation arabe a été lancé dans la région. Comme l’indique le Rapport arabe sur le développement humain 2002 de l’ONU, « le marché mondial de l’information d’aujourd’hui exige un type d’éducation différent, qui transmet les compétences, les attitudes et l’agilité intellectuelle propices à la pensée systémique et critique dans une économie fondée sur la connaissance. » Alors que certains pays arabes ont progressé dans cette direction, le Hamas a transformé l’éducation gazaouie en un système d’endoctrinement idéologique et de recrutement militaire. La ségrégation sexuelle est imposée non seulement aux élèves mais aussi aux enseignants. « Ils nous surveillent lorsque nous parlons à nos collègues masculins et ils nous humilient si on ne s’habille pas comme ils le souhaitent », a déclaré un enseignant gazaoui à The Atlantic. La « police des mœurs », qui est connue pour abuser des personnes sous sa garde, veille au respect de ces règles.
L’endoctrinement antisémite omniprésent et le négationnisme sont associés, dès le plus jeune âge, à l’apprentissage du maniement des armes et à l’encouragement à mener le « djihad » après la fin de leur scolarité.
Comme Amna l’explique clairement, elle veut un avenir différent pour ses enfants.
« Il est interdit de dire qu’on ne veut pas de la guerre »
La souffrance des Gazaouis sous le joug du Hamas est aggravée, dit « Yasmin », par le sentiment que les Arabes de la région ne comprennent pas ce qu’est réellement la vie sous le régime du Hamas. « Une grande partie des médias [arabes] travaillent pour le Hamas », explique-t-elle. « Ils présentent le Hamas comme un héros ». Mais « si vous êtes un citoyen gazaoui qui dit ‘Je ne veux pas la guerre’, vous êtes considéré comme un traître. »
Les narratifs favorables au Hamas ont prévalu dans les médias arabes. Une analyse quantitative des reportages d’Al Jazeera a révélé que la chaîne qatarie « a considérablement valorisé et privilégié » le Hamas « et le récit de la résistance dans sa couverture ». Al Jazeera a même reçu du Hamas lui-même un prix pour son « professionnalisme » pour sa façon de couvrir médiatiquement le Hamas. Dans le même temps, le mouvement bénéficie également du soutien inconditionnel de tous les médias détenus par le gouvernement iranien, avec plus de 210 points de vente dans 35 pays, ainsi que des médias soutenus par l’État russe, qui comptent parmi les plus influents des médias arabes actuels.
Le fait que le Hamas contrôle les médias et les reportages dans l’enclave côtière est un élément crucial dans l’élaboration de son discours. Il administre directement certains médias, comme l’agence de presse Shehab et la radio Al-Aqsa. Ibrahim Daher, directeur de la radio officielle Al-Aqsa, a déclaré au Washington Post : « Nous sommes la principale raison de la popularité du Hamas… Lors de toute action du Hamas, nous la faisons connaître et nous faisons cesser toute rumeur sur le parti. » Lorsque des nouvelles défavorables au Hamas surgissent, a-t-il expliqué, « notre politique a toujours été de garder le silence. »
Interrogé sur le coût des politiques du Hamas à Gaza, Daher a répondu : « Nous ne sommes pas intéressés à montrer d’autres choses, comme les succès des Israéliens ou la façon dont les entreprises ont été touchées par la guerre. » Les journalistes non gouvernementaux sont encadrés par d’autres moyens, notamment par des arrestations, des interrogatoires et des violences physiques. En 2019, après avoir fait un reportage sur un scandale de corruption impliquant le Hamas, la journaliste indépendante Hajar Harb a été arrêtée, « menacée de violences physiques et même accusé de collaborer avec Israël. » « Je paie le prix pour avoir fait un article d’investigation sur la corruption à Gaza », a-t-elle déclaré. « En quoi est-ce juste ? »
« Mon crime ? Recevoir des patients »
Face à la pression de la vie à Gaza, beaucoup ont besoin d’un exutoire pour exprimer et gérer leurs sentiments. C’est ainsi que « Layla » a ouvert un cabinet de conseil dans sa maison pour répondre aux besoins émotionnels des femmes et des enfants. « Résoudre leurs problèmes me rendait heureuse », dit-elle. Les autorités du Hamas ont toutefois exigé qu’elle ferme le cabinet ou qu’elle travaille sous leur surveillance, « pour que les problèmes soient contenus… [de peur] que les gens sortent et protestent contre ce que font les autorités ». Un jour, la police est arrivée et a encerclé sa maison de toutes parts.
Pendant quinze ans, le Hamas a laissé aux habitants de Gaza peu d’occasions d’exprimer des griefs non sanctionnés. Un rapport de Human Rights Watch note que « les autorités du Hamas arrêtent et torturent régulièrement et impunément les critiques et les opposants pacifiques. » Un autre rapport conclut que ces abus permanents peuvent constituer « des crimes contre l’humanité, étant donné leur caractère systématique depuis de nombreuses années. » Au cours de la même période, les abus et le harcèlement des femmes ont monté en flèche.
Selon Freedom House, le Hamas est « réticent à poursuivre ces affaires », de sorte que « les viols et les violences domestiques ne sont pas signalés et restent souvent impunis. » Malgré cela, une enquête récente a révélé que 37,5 % des femmes de Gaza avaient subi des violences au cours de l’année écoulée.
Si les femmes de Gaza étaient libres d’exprimer leurs doléances dans des forums comme celui de Layla, la véritable ampleur du problème – et le désintérêt des autorités pour y remédier – pourrait poser un défi aux dirigeants de la bande. Comme le Hamas l’a découvert en 2019, il y a beaucoup de jeunes courageux dans la région qui veulent du changement et ont le courage de l’exiger.
Le crime de vouloir vivre
En 2019, approximativement 1 000 Gazaouis étaient descendus dans la rue au cri de « Nous voulons vivre ». « Rana » était l’une d’entre elles. « Le peuple voulait faire entendre sa voix au gouvernement », explique-t-elle. « Mais comme vous l’avez sûrement vu, le Hamas a réagi à l’inverse de ce que nous espérions… avec toutes sortes de brutalités ».
Et en effet, des informations avaient laissé entendre, à l’époque, que la police avait ouvert le feu sur les manifestants, qu’ils étaient entrés de force dans les habitations dans toute la bande de Gaza et qu’ils avaient arrêté quiconque soupçonné d’être impliqué. Comme un responsable d’Amnesty International l’avait noté, « la répression sur la liberté d’expression et l’usage de la torture à Gaza ont atteint des niveaux alarmants… nous avons vu des violations aux droits de l’Homme choquantes de la part des forces de sécurité du Hamas contre des manifestants pacifiques, contre des journalistes et contre des activistes des droits de l’Homme. »
Il y avait eu parmi ces victimes Momen al-Natour, l’un des organisateurs du mouvement de protestation. Le Hamas avait pris d’assaut sa maison et il avait menacé ses parents, exigeant de savoir où leur fils se trouvait. Lui et d’autres avaient également été placés en détention et ils avaient été « torturés, humiliés et accusés de collaboration avec Israël et l’AP », raconte al-Natour. Les violences, ajoute-t-il, montrent « qu’il y a une police partisane qui lutte pour protéger le Hamas, pas pour protéger le peuple. » Un autre leader des manifestations dont la famille a connu des traitements similaires a indiqué que « le Hamas ne veut pas que nous puissions crier. Il veut que nous mourrions en silence ».
Avant, j’étais un rêveur
Un autre manifestant, « Walid », raconte avoir été emprisonné par le Hamas à sept reprises. Avant le mouvement de protestation, « j’étais un jeune rêveur, je rêvais de changement », se souvient-il. « Jamais je n’aurais pu imaginer qu’ils nous accuseraient d’être des traîtres… Après tout, nous ne voulions faire de mal à personne, » s’exclame-t-il. Et ce qui a définitivement changé son existence, dit-il, a été de regarder les bourreaux qui le torturaient dans les yeux.
Même si le Hamas affirme respecter le droit à la liberté d’expression des Palestiniens, son comportement montre assurément le contraire. En plus d’ouvrir le feu à balle réelle dans la foule, de mener des opérations dans les habitations et d’arrêter plus de 1 000 manifestants, le Hamas devait commettre des sévices innombrables sur les manifestants maintenus en captivité. Amir Abu Oun, 19 ans, avait été par exemple « emprisonné pendant cinq jours – giflé, frappé, privé de nourriture ».
Une partie de la réponse du Hamas au mouvement de protestation de 2019 avait été d’accuser les manifestants de traîtrise, et ce, de manière systématique. En 2019, les médias pro-Hamas de la bande et des autres pays arabes avaient été recrutés pour dépeindre les protestataires de Gaza comme des « collaborateurs » avec les forces de sécurité israéliennes. Un responsable de la sécurité de Gaza avait déclaré avec conviction que « ces manifestations sont entraînées par des parties étrangères, des parties qui s’efforcent de déstabiliser la bande de Gaza ».
Tandis que les médias pro-Hamas de différents pays arabes reprennent ces éléments de langage, ils renforcent le sentiment parmi les habitants de Gaza qu’un grand nombre de personnes, dans la région, font la confusion entre le soutien au Hamas et le soutien aux Palestiniens qui vivent sous le contrôle du groupe terroriste.
Le changement vient du peuple
« Safa, » une photojournaliste de Gaza, s’était efforcée d’apporter son soutien aux manifestations de 2019 en couvrant le mouvement de protestation pour les médias internationaux. La police avait écrasé sa caméra et sa main ; les membres de sa famille avaient été emprisonnés et torturés, et le groupe terroriste avait même menacé ses proches à l’étranger en leur disant que s’ils publiaient des informations sur les manifestations sur les réseaux sociaux, les membres de leur famille restés à Gaza seraient punis. Insoumise, Safa estime que « en fin de compte, il va survenir quelque chose qui les fera redescendre dans les rues ».
Selon la Fédération internationale des journalistes, 42 journalistes gazaouis ont été « ciblés » pendant les manifestations de 2019, et ont fait face à « des agressions physiques, des convocations, des menaces, des arrestations à domicile et des saisies de matériel. » Freedom House, qui attribue à Gaza une note de 0/4 pour la liberté des médias, rapporte que « les journalistes et blogueurs gazaouis continuent de faire face à la répression, généralement aux mains de l’appareil de sécurité interne du gouvernement du Hamas. » La Foreign Press Association a noté que la répression du mouvement « Nous voulons vivre » de 2019 n’était que « la dernière d’une série d’attaques effrayantes contre les journalistes à Gaza. »
La tactique du Hamas consistant à cibler les familles des détracteurs est le fil rouge de ces épisodes. En octobre 2022, un militant des médias gazaoui a publié une vidéo montrant un homme de main du Hamas menaçant ses parents dans le but de le faire taire. Lorsqu’Osama al-Kahlout, un journaliste indépendant, a publié la photo d’un manifestant portant une pancarte « Je veux vivre dans la dignité », le Hamas a fait irruption dans la maison de sa famille, a brisé ses meubles et l’a battu sur le chemin du poste de police. Là, on lui a « conseillé » de ne plus faire de reportage sur les manifestations. Mais comme il l’a dit plus tard, « je suis un journaliste. Je ne regrette pas de l’avoir couvert ».
Bien que plus de trois ans se soient écoulés depuis que les manifestations ont été réprimées, le politologue gazaoui Mikhaimar Abusada semble être d’accord avec Safa pour dire que le Hamas n’a pas fini d’entendre parler du mouvement « Nous voulons vivre ». Le fait qu’ils ne manifestent pas, observe-t-il, « ne signifie pas que les Palestiniens de Gaza sont satisfaits du Hamas. »
Leurs dirigeants sont riches
Selon Hisham, l’amertume des Gazaouis est en partie alimentée par le comportement ostentatoire des dirigeants du Hamas. « Aujourd’hui, ce n’est pas un occupant qui me tue », dit-il, mais plutôt le Hamas, qui impose des taxes écrasantes, laissant les Gazaouis dans une pauvreté abjecte, alors que ses responsables possèdent « des terres, des entreprises et de vastes sommes d’argent ».
Le Hamas impose une lourde charge fiscale en prélevant environ 30 millions de dollars par mois auprès de Gazaouis déjà accablés. Ces taxes financent un budget très opaque, dont même l’objet est secret. Pourtant, le Hamas « offre peu de services en échange, et la plupart des projets d’aide et de secours sont couverts par la communauté internationale », précise l’AP. Mohammed Agha, propriétaire d’une station-service, se plaint qu’avant « le Hamas, 1 000 shekels par mois suffisaient à une famille pour s’en sortir. Maintenant, 5 000 ne suffisent pas parce qu’ils taxent les citoyens ».
Parallèlement, bien qu’ils affichent un air d’austérité, les responsables du Hamas et leurs familles vivent dans un luxe relatif. En 2009, le président du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh, a déclaré avoir « les mains propres. Nous ne volons pas de fonds, ne détenons pas de biens immobiliers et ne construisons pas de villas. » Pourtant, ces dernières années, le fils de Haniyeh s’est fait connaître à Gaza sous le nom d’Abou al-Aqarat [Père de l’immobilier] pour ses importantes possessions immobilières rendues possibles par l’influence de son père.
Les jeunes Gazaouis réagissent parfois à ces informations avec un humour noir. L’année dernière, des activistes locaux ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux pour attirer l’attention sur les irrégularités financières du Hamas, intitulée « Nos mains sont propres ». Un récent sondage réalisé par le Washington Institute a révélé que non seulement une grande majorité de Gazaouis « sont frustrés par la gouvernance du Hamas », mais aussi que 84 % d’entre eux privilégient « les réformes politiques et économiques internes aux questions de politique étrangère ».
Une vie qui nous donne un sens
Pour la majorité des Gazaouis qui ne condamnent pas ouvertement le Hamas, il n’y a aucune garantie que le Hamas ne les condamnera pas. Dans un certain café de Gaza, Lubna et son petit ami se tenaient la main – jusqu’à ce que la police du Hamas remarque leur comportement, le signale et fasse fermer le café. Aujourd’hui, Lubna est mariée à ce même homme et, à chaque réunion de famille, les proches leur demandent quand ils auront des enfants. « Ce serait une erreur d’avoir un enfant dans les conditions que nous endurons », explique-t-elle. « Un enfant est innocent. Il ne mérite pas d’être forcé à aller dans des écoles publiques où l’on enseigne des leçons sans valeur et trompeuses. » Le jeune couple espère construire un avenir ailleurs.
Les efforts du Hamas pour imposer des mœurs sociales conservatrices se sont intensifiés après la prise du pouvoir par le groupe. Ils consistent notamment à imposer la ségrégation des sexes dans les écoles, à interdire des livres, à interdire aux femmes de faire du vélo et à encourager la polygamie. Les responsables du Hamas affirment que ces mesures reflètent la sensibilité conservatrice innée des habitants de Gaza, mais les militants locaux des droits de l’homme ne sont pas de cet avis. Zeinab al-Ghoneimi, défenseuse des droits des femmes basée à Gaza, a mis le groupe au défi d’être plus direct : « Au lieu de se cacher derrière les traditions, pourquoi ne disent-ils pas clairement qu’ils sont des islamistes et qu’ils veulent islamiser la communauté ? ».
Les craintes de Lubna concernant l’éducation de l’enfant sont fondées. Les écoles et les camps d’été gérés par le Hamas orientent les enfants vers une vie de conflit. Leurs programmes d’enseignement nient les compétences de base de l’esprit critique tout en inculquant l’antisémitisme et le négationnisme. Les enfants sont formés à l’utilisation des armes à feu et sont incités à poursuivre le « djihad » après avoir obtenu leur diplôme. Samir Zakout, un militant gazaoui des droits humains, estime que les méthodes éducatives du Hamas visent à « construire une culture militaire, à familiariser les garçons avec la résistance et à créer la prochaine génération de militants. » Mkhaimar Abusada, professeur adjoint de sciences politiques à l’université Al-Azhar dans la ville de Gaza, décrie les efforts du groupe : « Ils peuvent appeler cela des camps d’été, mais en réalité, cela fait partie de la socialisation islamique… Ils recrutent ces enfants pour qu’ils rejoignent les Brigades al-Qassam. Chaque fois qu’il y a un combat avec Israël ou qu’il y a un nouveau cycle de violence avec Israël, la plupart des garçons seront recrutés pour combattre comme kamikazes ou au moins pour rejoindre la résistance palestinienne. »