JTA – Il y a plusieurs mois, avant qu’elle ne rencontre le pape et Elon Musk, avant que son foyer d’adoption ne soit précipité dans la guerre par une attaque brutale, avant qu’elle ne devienne l’un des visages les plus en vue d’une prise d’otages, Rachel Goldberg cherchait désespérément des valises.
C’était en mars et des centaines de personnes s’étaient envolées pour Israël dans le cadre d’un programme d’études auquel Goldberg, qui avait quitté les États-Unis avec sa famille il y a 15 ans et qui vit à Jérusalem, apportait son aide. Les gens étaient contrariés : les bagages n’arrivaient pas à l’endroit prévu.
« Rachel était vraiment sur le coup : elle passait des coups de fil, appelait les hôtels, les bus, contactait les gens, les réconfortait, en leur disant simplement : ‘Je vais trouver, on s’en occupe' », se souvient Rachel Kaufman, une éducatrice juive de Los Angeles qui faisait partie du voyage. « Je l’ai vue pleurer lorsque les gens ont retrouvé leurs bagages. »
Rachel Kaufman a repensé à cette expérience lorsqu’elle a appris que le fils de Goldberg, Hersh Goldberg-Polin, 23 ans, avait été pris en otage par des terroristes palestiniens du Hamas le 7 octobre au festival de musique auquel il assistait avec un ami et au cours duquel plus de 360 personnes ont été assassinées et des dizaines d’autres prises en otage. Au total, 1 200 personnes dans le sud d’Israël, pour la plupart des civils, ont été tuées et au moins 240 prises en otage.
Si Goldberg peut être aussi sensible à la douleur d’autrui pour une chose aussi insignifiante qu’un bagage, à quel point doit-elle souffrir de l’absence de son fils, s’est demandée Kaufman.
Goldberg a répondu à cette question quotidiennement, parfois plus d’une dizaine de fois par jour, depuis le 7 octobre, alors qu’elle est devenue l’une des porte-parole les plus visibles, en particulier en anglais, des otages d’Israël à Gaza. Chaque matin, elle colle sur son tee-shirt le nombre de jours écoulés depuis le 7 octobre, puis, avec un mélange de tendresse, de tristesse et de détermination, elle passe le reste de son temps à parler de Hersh au monde entier.
Dans le New York Times, cinq jours après qu’il a été enlevé, elle a décrit Hersh comme « doux et gentil et toujours en train de trouver des moyens créatifs d’améliorer les choses et d’entrer en contact avec d’autres êtres humains ». Elle a parlé à Anderson Cooper, de CNN, qui a été le premier à lui montrer une vidéo montrant que le bras de Hersh avait été arraché mais qu’il était vivant lorsqu’il a été chargé dans une camionnette du Hamas et emmené à Gaza. Elle et son mari Jon Polin ont fait la couverture du magazine Time.
Depuis le 7 octobre, elle s’est adressée à des centaines de milliers de Juifs américains lors d’une marche à Washington, au pape, à qui elle a rendu visite au Vatican, et à d’innombrables autres personnes sur les réseaux sociaux et lors de rassemblements aux États-Unis, en Israël et ailleurs.
Pourtant, alors que la tâche de sauver son fils l’occupe totalement depuis plus de deux mois, Goldberg se souvient de ce moment avec la valise. Elle a indiqué dans une interview cette semaine que le bagage manquant contenait un objet irremplaçable, un ensemble de tefillin – phylactères utilisés par les Juifs pour les prières du matin. Son propriétaire a retrouvé sa valise après que Goldberg et d’autres personnes eurent donné la tsedaka, la charité, au nom d’un sage juif du IIe siècle.
« Vous pouvez demander à Rabbi Meïr Baal Haness de vous rendre tout ce qui a été égaré et votre demande ne restera jamais sans réponse », avait affirmé Goldberg. La tradition veut que ce pouvoir soit particulièrement garanti le premier jour du mois juif de Tevet, qui a commencé cette semaine.
« Nous avons fait cette tradition à rosh hodesh Tevet pour le retour de notre précieux perdu nommé Hersh ben Perel Hana ve Yonatan Shimshon ; nous avons donné de la tsedaka en son nom », a déclaré Goldberg, en utilisant le nom hébraïque traditionnel de son fils.
« J’attends le retour de mon précieux perdu nommé Hersh ».
Goldberg s’est entretenue avec la Jewish Telegraphic Agency le 14 décembre, alors qu’Israël avait perdu tout espoir de conclure un nouvel accord de trêve susceptible de permettre la libération d’autres otages et que l’on apprenait la mort de trois otages en captivité. C’était un jour avant qu’Israël ne tue trois otages à Gaza après les avoir pris pour des terroristes du Hamas.
Cet entretien a été légèrement modifié dans un souci de clarté.
JTA : Cela fait 69 jours que Hersh a été capturé. Comment allez-vous, vous et votre famille, aujourd’hui ?
Rachel Goldberg : Il est impossible de décrire comment chacun d’entre nous se porte à ceux qui n’ont pas vécu cette expérience. Dieu merci, peu de gens ont vécu ce que nous, les familles d’otages, vivons. Nous nous levons tous les matins et nous devons faire semblant d’être des « gens ». Car pour les sauver, nous devons fonctionner. Et pour fonctionner, il faut faire semblant d’être une personne. C’est ce que nous faisons. Mais pour moi, j’ai l’impression qu’il y a 69 jours, quelqu’un m’a arraché le cœur et me l’a volé. Je traverse cette vie de manière très artificielle. J’essaie simplement de faire de mon mieux pour pouvoir fonctionner suffisamment pour être productive et essayer de sauver la vie de mon fils.
Vous êtes devenue une grande source d’inspiration pour les gens du monde entier, en particulier pour les femmes. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que beaucoup de gens s’efforcent d’éprouver de l’empathie ou de la sympathie pour nous. Et c’est ce qui leur parle. Cette histoire est très universelle, les gens peuvent directement se dire « Et si c’était mon fils, ma fille, ma mère, mon mari ? », et ainsi ils se sentent immédiatement concernés par la souffrance que nous traversons. Et nous apprécions cela. Nous apprécions que des personnes du monde entier nous tendent la main, des personnes de toutes les religions et de tous les milieux. C’est très utile en cette période où il faut parfois lutter pour tenir l’heure ou même un quart d’heure, et où parfois ces moments deviennent insupportables. Tout ce soutien, nous le ressentons et nous l’apprécions.
Pouvez-vous nous parler un peu plus de ces moments de lutte ? Où s’échappe votre esprit ? Que se passe-t-il ? Comment vous en sortez-vous ?
Depuis le premier jour, c’est un cauchemar en slow motion – au ralenti. Vous savez, parfois vous avez peur quand vous arrivez à un coin de rue et que vous ne saviez pas que quelqu’un était là, et vous avez ce moment où vous faites un bond en arrière et vous êtes comme, ô mon Dieu, et votre cœur bat la chamade dans votre poitrine. Je ne savais pas que c’était tenable. Mais c’est sans fin.
Les gens qui me serrent dans leurs bras – et je n’aime pas vraiment ça en ce moment – tout le monde réagit en disant : « Ô mon Dieu, ton cœur sort de ta poitrine ». Tous ceux qui me touchent de près peuvent le sentir. C’est permanent. Avant cela, j’étais très active. Je faisais de l’exercice tous les jours, sauf Shabbat. Aujourd’hui, je n’ai rien fait depuis 69 jours, mais mon cœur s’emballe sans cesse. Je suis donc dans un état de peur constante. Ce qui est difficile à gérer. C’est ce que nous vivons tous.
Et je pense que ce qui a vraiment aggravé la situation, c’est que mardi dernier, le cabinet de guerre a tenu une séance au cours de laquelle il a reçu des familles d’otages. En entendant le témoignage des otages libérés, tout le monde a été pris d’une crise de panique angoissante en entendant parler de la torture, de la famine, des conditions de vie, du traumatisme que subissent les otages, ce qui, quand on y pense, est presque insoutenable. Tout cela a été insupportable, c’est donc un autre niveau d’atrocité.
Savez-vous quelque chose des conditions dans lesquelles il se trouve ?
Pour être honnête, j’essaie de ne pas penser à la façon dont il est détenu. Cela ne m’aide pas et ne l’aide pas non plus. Parce que si je suis dévastée, si je suis terrifiée, je ne peux pas être aussi performante et efficace que je ne le suis. Je prie pour lui toute la journée. Et dans mes moments de pause, je lui parle toujours et je répète le mantra « Je t’aime, reste fort, survis. Je t’aime, reste fort, survis. » Je chante toujours les différentes chansons que nous chanterions. Cela m’aide à tenir le coup.
C’est Hanoukka. Si vous deviez dépeindre un tableau idyllique du prochain Hanoukka, à quoi ressemblerait-il ?
J’aimerais qu’il rentre très vite à la maison et qu’il ait le temps de se rétablir à tous points de vue, de recevoir tous les soins dont il a besoin, pas seulement un nouveau bras, mais aussi tous les traumatismes émotionnels, psychologiques et spirituels que tous ces otages ont subis. J’aimerais qu’il reçoive tout ce dont il a besoin et qu’il puisse partir en voyage pour Hanoukka. Il a un billet dans quinze jours, le 27 décembre, pour l’Inde ; il allait voyager pendant un ou deux ans autour du monde, un voyage qu’il planifie et dont il rêve depuis qu’il est en CP, avec des cartes et des plans détaillés, par ses propres moyens. J’espère donc qu’il pourra faire ce voyage et vous savez, il n’est pas nécessaire d’avoir ses deux bras pour sillonner le monde.
Que souhaiteriez-vous qu’Israël fasse en ce moment ?
Je pense que ce qui s’est passé il y a deux semaines avec la pause est un excellent cadre de référence. La population de Gaza souffre terriblement. Les civils de Gaza souffrent terriblement, à tous points de vue. Je pense qu’il est crucial de laisser entrer l’aide humanitaire. La libération de certains de nos otages est cruciale. Et même si ces négociations n’ont tenu qu’à un fil très fin et fragile, elles ont été couronnées de succès. Elles nous ont montré que nous avions la capacité de le faire – toutes les personnes présentes à cette table avaient la capacité de le faire, et toutes les parties en ont profité. J’aimerais que cela se reproduise.
Comment avez-vous réagi aux informations selon lesquelles le cabinet de guerre aurait empêché le chef [de l’agence de renseignement] du Mossad, David Barnea, de se rendre au Qatar pour négocier une nouvelle prise d’otages ?
Nous avons été dévastés. Nous ressentons un tel désespoir. Un désespoir que, pour être honnête, je ne sais pas si quelqu’un dans le cabinet de guerre peut vraiment imaginer parce que je ne pense pas que quelqu’un qui n’a pas été à notre place puisse vraiment ressentir l’agonie que nous vivons.
Nous devons être ouverts à l’idée d’entendre ce qui se dit. Nous devons être prêts à nous asseoir à la table. C’est la raison pour laquelle nous élisons des dirigeants afin qu’ils soient nos représentants – pour le meilleur et pour le pire. Nous savons que nos proches sont détenus dans des conditions atroces. Les otages qui ont été libérés nous ont dit qu’ils étaient torturés, affamés et qu’il y avait des bombardements. Le temps ne joue absolument pas en notre faveur. Pour tous ceux d’entre nous qui pensent que chaque heure est une heure de plus où notre proche est peut-être en réalité en train de mourir, entendre que notre cabinet ne souhaite même pas envisager une option est dévastateur. C’est terrifiant pour nous tous.
[Le 16 décembre, le site d’information Walla a rapporté que Barnea, avait rencontré le Premier ministre qatari, l’émir Mohammed bin Abdulrahman al-Thani, en Norvège, pour discuter des efforts à faire pour trouver un nouvel accord concernant les otages].
Selon certaines informations, l’Égypte aurait été approchée pour éventuellement négocier la question des otages. Qu’en pensez-vous ?
J’aimerais beaucoup qu’une telle chose se produise. Je pense que les Égyptiens ont toujours été là pour nous aider et qu’ils sont des partenaires très fiables, en réalité. J’aimerais donc que l’Égypte s’implique davantage. Le Qatar a évidemment été un partenaire très utile durant cette période. En fin de compte, je ne suis pas une politicienne. Je ne suis pas une stratège militaire. Je suis la mère d’un civil qui a été enlevé de manière très violente dans un endroit très neutre, lors d’un festival de musique. Et je veux qu’il me revienne.
Dans votre quête, vous avez rencontré et parlé avec certaines des personnes les plus influentes : le pape, Elon Musk et le président américain Joe Biden. À quoi cela a-t-il ressemblé ?
Je me suis sentie très chanceuse et privilégiée de rencontrer le pape. C’est une personnalité tellement importante et influente dans le monde, et pas seulement pour les catholiques. Depuis le 7 octobre, j’ai ressenti cette douloureuse approche de l’humanité, ce sentiment que les humains ont échoué. Nous avons cette dissonance cognitive entre ce que nous pensons être et ce que nous sommes réellement, et je perdais vraiment espoir en l’humanité. C’est lui qui m’a en réalité dit : « Ce que vous avez tous vécu, c’est du vrai terrorisme, et le terrorisme, c’est le manque d’humanité. » Et tout d’un coup, j’ai eu l’impression d’avoir un déclic et j’ai réalisé que ce que nous avions vécu était bel et bien le manque d’humanité. Ce n’est pas que les humains ne sont pas bons. C’est que c’était un moment où l’humanité n’était pas au rendez-vous.
Je l’ai trouvé très réconfortant et j’ai pensé qu’il était également très juste que lorsque nous sommes partis 15 minutes plus tard, il a fait entrer un groupe de Palestiniens,. Je pense que c’est important.
Le président Biden et [le secrétaire d’État américain] Anthony Blinken ont tous deux, dès la première semaine, été en contact avec nous et se sont montrés non seulement compatissants et empathiques, mais aussi très angoissés et motivés pour faire de leur mieux. Nous le ressentons.
Avec Elon Musk, tout d’abord, vous devez comprendre que je n’ai pas regardé les informations depuis 69 jours. Je respecte le fait qu’il ait pris le temps de venir ici. Il a dit vouloir comprendre ce qui se passe. Parce qu’il ne voyait qu’un côté des choses. Je comprends que le monde voit toutes ces images horribles en provenance de Gaza. Elles sont horribles. Je ressens également une douleur et une angoisse énormes en voyant ces images d’enfants innocents dans les décombres. Lorsqu’il était ici, Elon Musk a vu le film de 47 minutes [qu’Israël a produit à partir des images du 7 octobre]. La plupart de ces images ont été prises par le Hamas lui-même. Ce fut très marquant pour lui.
Je lui ai montré la vidéo de Hersh, le bras arraché, embarqué dans le camion sous la menace d’une arme. Il a semblé très ému et très concerné et a écouté les récits de chacun.
On me demande de prendre la parole dans différents endroits où je ne l’aurais jamais fait auparavant et je me demande si cela aide, si cela sert à quelque chose dans ce monde. Si cela aide les otages, si cela aide Hersh. Je n’en ai aucune idée.
À ce propos, vous avez dit dans une interview que vous vous couchiez le soir en pensant au mythe de Sisyphe. Y a-t-il un moment où vous vous dites que vous n’allez plus pousser ce rocher jusqu’en haut de la colline ?
Cela ne s’est pas encore produit. Et je me demande s’il y aura un jour où je me réveillerai et me dirai « laisse tomber ». Je ne pense pas que cela puisse arriver. Parce que je pense qu’il s’agit vraiment d’un instinct profondément motivé par la volonté de sauver mon enfant. Il s’agit en grande partie d’une réaction animale, primaire et innée au danger que court ma progéniture. Je me réveille chaque matin et je fais cette prière qu’il est de tradition de faire avant de se lever. Et je dis : « OK, Hersh, reste fort, survis, je vais venir te chercher ». Je sors du lit et je recommence. Souvent, je me dis de rester forte, de survivre, parce que j’ai besoin d’avoir la force de continuer à me battre. C’est comme un marathon qui ne se termine jamais, mais c’est un marathon. En réalité, Ruby [Chen], le père d’un des autres otages, a déclaré que c’était un marathon qu’il fallait parcourir en sprintant. C’est le pire des deux types de tests d’endurance.
Comment puisez-vous la force de votre foi ? Avez-vous des moments de désespoir total ? J’ai vu certains membres de la famille d’autres otages crier après Dieu.
Oui, c’est vrai. Mais cela fait partie de la relation avec Dieu. En réalité, je pense que c’est très sain. Quand je crie à Dieu, cela montre que je crois en cette idée de Dieu. Si ce n’était pas le cas, je ne crierais pas. Je prie tous les jours. Je le fais depuis des années, bien avant le 7 octobre. Il est certain que je lance des appels lorsque je prie, je prie comme ceci [geste vers le ciel]. Mes mains sont en l’air. Je dialogue. Je crie, c’est certain, et je pense que c’est le signe d’une relation. Je récite des Psaumes toute la journée et certains d’entre eux sont tellement pertinents : « Arrête de détourner ton visage de moi. Je veux que tu me répondes maintenant. » C’est un vrai désespoir. Et c’est très utile.
Il y a un psaume qui parle de la joie que nous éprouverons lorsque les captifs reviendront à Sion, qui est tout simplement magnifique et pertinent, et qui est tout à fait approprié. Et il y en a d’autres où David appelle du fond de l’obscurité de la grotte, en disant : « Sors-moi d’ici ». Et quand je dis cela, je le dis au nom de mon fils, et je le dis pour lui, comme si c’était lui qui appelait depuis l’obscurité de la caverne. J’en tire une force extraordinaire.
Je pense que ce serait beaucoup plus difficile si je n’avais pas ma foi pour m’aider à traverser cette épreuve.
Qu’avez-vous appris sur vous-même, sur votre mari Jon et sur vos filles pendant tout ce temps, et aussi sur Hersh ?
En ce qui concerne Jon, je remercie Dieu qu’il soit mon partenaire. C’est un combattant incroyable : intelligent, créatif, vif. Implacable. Je ne sais pas avec quel autre partenaire je pourrais traverser cette épreuve. Et nous sommes si respectueux l’un envers l’autre dans cette période de terribles tourments. Pour tout dire, j’ai été impressionnée par la résilience [des filles].
En ce qui me concerne, jamais je n’aurais pensé pouvoir endurer ce que je vis. Jamais. Avant le 7 octobre, je n’étais pas particulièrement forte et j’étais très émotive. C’est moi qui pleurais durant la publicité pour Kodak. Bien entendu, j’ai encore beaucoup de moments d’émotion aujourd’hui, mais j’avance un pied devant l’autre et j’essaie de faire ce qu’il faut pour que vous puissiez les sauver avant qu’il ne soit trop tard.
À propos de Hersh – ce qui est intéressant pour moi, et j’y pense beaucoup, c’est que mon amour pour lui a continué à grandir et à se développer en son absence. Ce qui est logique, mais ce n’est pas quelque chose dont je me rendais compte auparavant, lorsqu’il voyageait ou lorsqu’il partait en colonie de vacances, ou quoi que ce soit d’autre. Je n’en étais pas consciente avant. Maintenant, j’en suis beaucoup plus consciente quand je me réveille. C’est comme si je l’aimais plus que la veille. Et la relation que j’ai avec lui continue de se développer. J’en suis consciente et c’est peut-être dû en partie au fait que je lui parle beaucoup plus, parce que je lui parle toute la journée.
Lorsque j’étais à Rome, après avoir rencontré le pape, j’étais assise dans une salle où l’on ne parle pas beaucoup anglais. J’étais assise dans une salle remplie d’Italiens et quelqu’un m’a dit : « Vous avez l’air si calme, vous êtes assise là depuis 20 minutes, vous n’avez pas bougé », et je me suis dit que je parlais à Hersh pendant tout ce temps.
Y a-t-il quelque chose dont vous pensez avoir besoin de la part du monde en ce moment ? Et plus particulièrement des Juifs américains ?
Nous avons ressenti un énorme soutien de la part de la population juive américaine. En réalité, nous l’avons ressenti de la part de la communauté juive du monde entier.
Je pense que le fait d’appeler chaque jour la Maison Blanche reste essentiel, essentiel, essentiel. Les gens peuvent également appeler leurs élus locaux, s’ils le souhaitent. Nous avons ce site Internet One Min A Day qui rend les choses très faciles, vous pouvez simplement cliquer sur votre code postal et il vous indiquera vos élus locaux. Si vous préférez envoyer un SMS, c’est possible. Je pense qu’il est plus important d’appeler. Nous avons un SMS que les gens peuvent utiliser s’ils ne sont pas à l’aise avec l’improvisation, mais il s’agit d’un message de 20 secondes : « Bonjour, nous sommes le 69e jour. Nous avons toujours huit Américains à Gaza. C’est inacceptable. Et 122 autres ». Je pense que tout le monde peut appeler tous les jours. Tout d’abord, vous pouvez sentir que vous avez fait quelque chose au cours de la journée et je pense que dans des situations d’impuissance dans la vie, savoir que même si ce n’est qu’une minute, vous avez fait quelque chose, et c’est une minute et vous l’avez fait, et c’est faisable, et c’est programmé rituellement. Il suffit de le faire quand on se lève le matin, par exemple. Je pense que c’est très important.
Je pense que nous essayons d’universaliser le message des otages. Ce ne sont pas seulement des Juifs israéliens qui sont retenus. Il s’agit de personnes issues de plusieurs pays. L’otage qui souffre de diabète et qui a besoin de ses médicaments n’est peut-être même plus en vie. C’est un Arabe musulman. Cela devrait être affiché à l’extérieur d’une synagogue, d’une mosquée ou d’une église. Ce n’est pas une question juive. C’est une question humaine, et nous devons universaliser la question des otages pour qu’elle reste présente à l’esprit des gens.
Mais même la situation des otages a été politisée, comme vous le savez, avec des affiches arrachées. Aujourd’hui, l’attitude de la communauté internationale à l’égard d’Israël change à mesure que le nombre de morts augmente à Gaza. Qu’en pensez-vous ?
Je le comprends. Je comprends que lorsque des milliers de civils sont tués, le monde n’est pas à l’aise avec ça. Je ne suis pas à l’aise avec ça. Je pense que personne ici n’est à l’aise avec ça. Ce ne sont pas les résultats escomptés. C’est ce dont j’ai parlé aux Nations unies et à New York. Ce qui est terrible dans toute guerre, c’est que nous savons que les personnes qui souffrent le plus sont les innocents, les civils. Je comprends la frustration. Je la ressens également.
Dans votre discours aux Nations unies cette semaine, vous avez mentionné un poème que vous avez écrit à une femme de Gaza et qui s’intitule « One Tiny Seed » (« Une petite graine »). Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Je ne dors plus beaucoup. Au milieu de la nuit, j’écris souvent – je n’ai jamais été écrivaine et je ne suis pas très douée pour l’écriture. Mais je constate que je peux écrire de la poésie parce que c’est plus indulgent. Je ne sais même pas si c’était un poème. C’était une réflexion.
Je pense que nous allons devoir prendre beaucoup de risques si nous voulons avoir un avenir dans ce monde. Nos armes sont si sophistiquées, notre niveau de danger est si élevé, la colère est si ancrée. La douleur est si profonde. Nous allons devoir faire un véritable choix et décider si nous voulons trouver un moyen de vivre ensemble – ce qui sera effrayant et nécessitera de renoncer à des choses qui nous sont très chères pour pouvoir vivre – ou si nous allons dire, bon, vous savez quoi, nous ne sommes pas disposés à le faire et ce sera le début de la fin. Je pense que nous sommes vraiment à la croisée des chemins.
Je sais qu’il doit y avoir une femme à Gaza, qui est comme moi, qui a un fils comme le mien, et je prie pour qu’elle prenne soin de mon fils. Et je sais qu’il y a des femmes à Gaza qui ont exactement mon âge, qui me ressemblent et qui ont des enfants comme les miens. Et vous savez, je me suis vraiment adressée à cette femme en lui disant : « Pouvons-nous prendre de plus grandes risques ensemble, même si cette petite graine est enrobée de tant de douleur et de tant de peur. »
Nous avons entendu parler de certains otages qui avaient besoin de soins médicaux urgents. Quelqu’un vous a-t-il dit quelque chose à ce sujet ?
Nous étions tout à fait d’accord pour dire que les femmes, les enfants et les bébés auraient assurément dû être libérés en premier, et cela n’a donc pas été un obstacle pour nous. Nous savons que certaines familles [d’otages] étaient convaincues qu’il ne fallait pas faire de « selectzia » [sélection], que les gens étaient des gens et que cela ne devait pas avoir d’importance. Nous n’avons pas considéré cela, pour quelque raison que ce soit. Je ne les blâme pas. Nous avons dit qu’à un moment donné, nous pensions que les mutilés et les blessés graves devaient être traités en priorité. Hersh sera handicapé pour le reste de sa vie. Si Dieu le veut, il rentrera chez lui et vivra le reste de sa vie dépourvu d’un bras, son bras dominant. Je suis sûr que c’est extrêmement difficile pour lui parce que nous ne savons pas quel type de traitement il a reçu, le cas échéant, je ne sais pas quel type d’antibiotiques il a, le cas échéant, je suis sûr qu’il ne reçoit pas de médicaments contre la douleur. Il n’y a pas d’eau potable. Beaucoup d’otages libérés ont dit qu’au cours de leurs 50 jours de captivité, ils n’avaient pris aucune douche. Vous pouvez donc imaginer qu’en tant que mère, il est terrifiant de penser à cet enfant qui a subi une amputation d’un membre et qui n’a pas accès à l’eau potable.
Nous espérons vraiment et prions pour que, s’il était question de libérer des personnes dans un état critique sur le plan humanitaire – quel que soit leur âge -, cela fasse partie d’une catégorie à part entière.
Merci de m’avoir accordé cet entretien. Je prie pour que Hersh et les autres rentrent vite à la maison.
Continuez à prier, nous y croyons vraiment. Vous savez quoi, vous pouvez aussi lui parler. Plus il y a de gens qui lui parlent, plus je pense qu’il entendra. Qui sait lequel d’entre nous il peut entendre ?