« Rehov Charlotte », ou la gastronomie secrète en Israël
Forte de ses études dans les meilleures écoles hôtelières d’Europe, la Française Charlotte Hadjaj renouvelle l'experience gastronomique, pour le plus grand plaisir de ses clients
On réserve sans connaître le menu ou l’emplacement des lieux.
Arrivé dans un vieil immeuble de Jaffa, on grimpe les escaliers étroits et un peu sombres pour arriver dans un endroit baigné de lumière, sur les toits, avec pour décor des graffitis et des roses.
Le vin de Bourgogne a été mis à décanter : des entrées méditerranéennes avec une touche française sont proposées.
L’odeur du pain fraîchement cuit fait parler ce groupe d’étrangers – qui sympathiseront rapidement –, à la fois confus et excités par le dernier événement pop-up de la cheffe Charlotte Hadjaj.
D’une humble table pour deux dans une petite ruelle à une expérience culinaire unique sur les toits – il y a souvent une longue liste d’attente – cette nouvelle façon de diner, apportée par cette immigrante française en Israël, s’est imposée en moins de deux ans.
Après avoir étudié et travaillé dans les meilleures écoles hôtelières et restaurants d’Europe, Hadjaj, qui a 30 ans, s’installe en Israël en 2019, emportant avec elle sa passion pour la gastronomie et les gens, et le désir de rénover la connexion entre les deux.
Durant ses premiers mois en Israël, elle travaille à l’hôtel de luxe Setai de Jaffa, où elle améliore son hébreu et crée des liens au sein de l’industrie hôtelière.
Avec la pandémie, la jeune femme se retrouve coincée dans son minuscule studio sans revenu stable.
Ces contraintes forcent Hadjaj à faire preuve de créativité, comme elle le confie elle-même, et l’aident à trouver l’idée de base de son entreprise, qui ouvre un nouveau chapitre passionnant de son existence.
« Tout ce temps libre m’a permis de réfléchir à ce que je voulais vraiment pour ma nouvelle vie. Je me suis concentrée sur mes rêves. J’ai expérimenté dans ma petite cuisine, en cuisinant pour moi et en prenant le temps de trouver ce que je voulais vraiment faire », explique Hadjaj au Times of Israel.
Elle teste ses recettes avec les produits du marché de Jaffa et les combine à des plats qu’elle préparait chez elle en France. Ainsi, elle dessine un menu qui met en valeur le meilleur des deux mondes.
Pour faire tester ses créations à des palais israéliens, elle sollicite dans un premier temps ses voisins et amis.
« Je vivais dans un très petit studio à Jaffa. Je mettais une petite table à l’extérieur pour mes voisins et amis pendant la pandémie, et je faisais à dîner pour les passants », explique Hadjaj.
« Jaffa est comme un petit village. Tout le monde se connaît et se parle. »
La nouvelle se répand rapidement.
« Cela a attiré l’attention. Mes voisins ont commencé à me demander ce que je faisais. Les gens pensaient que j’ouvrais un restaurant. C’est à ce moment-là que l’idée m’est venue à l’esprit de m’agrandir et d’en faire un travail », dit-elle.
Toujours physiquement confinée, Hadjaj propose des dîners pour deux à l’extérieur de son petit studio.
Les gens adorent.
« Cela a commencé comme un petit restaurant éphémère. Je faisais à dîner pour des couples : je cuisinais dans la cuisine de mon petit studio, qui était aussi ma chambre », dit-elle en riant.
« À l’époque, il n’y avait pas de travail sur l’ambiance, pas de musicien, rien que ma playlist en fond sonore. Comme tout se passait dans la rue, j’ai décidé de l’appeler ‘Rehov Charlotte‘. J’étais cette fille française dans la rue, alors j’ai utilisé mon nom français avec le mot hébreu pour ‘rue’, pour dire ce que je devenais, moitié israélienne et moitié française. »
Le bouche à oreille fait son travail et l’experience gastronomique à la fois simple et romantique que propose Hadjaj se fait connaitre.
Les réseaux sociaux font le reste. Quelques publications réussies sur Instagram et sur le groupe Facebook Secret Tel Aviv signent le grand départ et les réservations commencent à affluer.
Fusion franco-israélienne
Aujourd’hui, Rehov Charlotte propose deux types d’expériences : le dîner, souvent réservé pour des groupes (de 6 à 40 personnes) pour un événement (anniversaire, repas entre collègues) et l’« happy hour », qui met moins l’accent sur la nourriture et plus sur les boissons alcoolisées et le divertissement, pour permettre à des personnes de se rencontrer d’une manière originale.
Cette option plaît surtout aux audacieux, dit Hadjaj.
Très différentes, ces deux options reflètent la vision de Hadjaj et sa connaissance des cuisines française et israélienne.
Et chaque événement se déroule dans un lieu différent et passionnant.
Hadjaj dit de sa cuisine qu’elle est française, traditionnelle, avec des inflexions méditerranéennes. C’est le cas, par exemple, de la salade de figues au fromage de chèvre, de la salade de kaki aux échalotes et camembert, de la salade de courgettes, menthe et basilic à la feta, de la fondue de poireaux à la crème de noix de coco avec un filet de saumon et des épices secrètes ou encore du filet de dorade sauce Meunière.
Côté boissons, Hadjaj propose ce qu’elle appelle son apéritif méditerranéen, à savoir un Prosecco, un Aperol ou eau gazeuse, servis avec des olives vertes.
Le menu change d’un événement à un autre, mais il comprend généralement un poisson et des produits laitiers et reste fidèle à la fusion franco-israélienne.
« Je cuisine ce que j’aime manger », dit Hadjaj.
« J’aime que les gens se sentent chez eux. Même s’il s’agit d’un événement organisé, j’essaie toujours de créer cette atmosphère de maison d’hôtes, comme si les gens venaient chez moi et que j’étais leur hôte. »
Une expérience sur mesure, mais secrète
Tout en mettant en place un environnement confortable pour ses invités, Hadjaj garde le plus grand secret sur ses dîners.
Que ce soit pour l’option dîner ou « happy hour », les invités arrivent dans un lieu inconnu à Tel Aviv ou Jaffa (et depuis peu, à Jérusalem), où ils découvrent le menu et un musicien sélectionnés par Hadjaj et gardés secrets jusqu’au jour de l’événement.
Elle utilise généralement des produits de saison issus des marchés de Tel Aviv et de Jaffa, et fait travailler des artistes des environs, souvent inconnus, pour accompagner ses événements.
Les clients peuvent demander un certain style musical ou des saveurs particulières, mais Hadjaj fait en sorte de les surprendre à chaque fois.
À en juger par la demande, c’est la recette du succès.
Marine Ben Yeshaya, qui vit à Tel Aviv, travaille dans une start-up et est toujours à la recherche de nouvelles façons amusantes de motiver son équipe.
« Tous les trois mois, je cherche quelque chose de cool à faire en équipe. S’il y a de la nourriture, c’est encore mieux », explique-t-elle au Times of Israel.
« Nous sommes un groupe de 12 personnes très cosmopolite : Autriche, Argentine, Canada, États-Unis, France, Brésil et Grèce », ajoute-t-elle, notant qu’il est parfois difficile de trouver une activité qui plaise à tout le monde.
Ben Yeshaya, qui a quitté la France pour Israël il y a 10 ans, est tombé sur Rehov Charlotte sur Instagram et a décidé de tester.
« Charlotte a gardé le secret jusqu’au dernier moment », confie Ben Yeshaya.
« Nous nous sommes mis d’accord sur un thème oriental, mais je n’avais aucune idée de ce que cela allait donner. Mon équipe n’arrêtait pas de me demander où nous allions, et je ne pouvais rien leur dire. Cela a créé un certain suspense, qui a débouché sur une expérience vraiment spéciale et très différente. Je n’ai rien contrôlé, mais je lui ai fait totalement confiance pour faire quelque chose d’incroyable… et ça a marché. »
Hadjaj explique également vouloir aider les gens à sortir de leur zone de confort et faire des choses qu’ils ne feraient pas autrement.
« Nous avons tous parfois peur de sortir seuls. Présenter ces événements comme des voyages faits de surprises aide les gens à se défaire de leurs peurs et à suivre le mouvement », dit-elle.
Ben Yeshaya souligne également la touche personnelle et l’attention aux détails de Hadjaj.
« Quand nous sommes arrivés, il y avait des bougies partout. L’extérieur semblait très banal, mais quand nous sommes entrés, c’était un monde différent. C’était comme un mélange parfait entre Israël et l’Europe », dit-elle.
« La nourriture avait une âme. C’était fait maison, mais cuisiné par notre grand-mère. »
Hadjaj et son équipe sont présents tout le temps de la prestation, pour donner des explications sur les plats et s’assurer que les convives ont tout ce dont ils ont besoin, dit Ben Yeshaya.
Elle dit de ces événements qu’ils sont « très chaleureux », et les musiciens qui interprètent des airs du Moyen-Orient sur le oud, cet instrument de musique traditionnel persan, y sont pour beaucoup.
Ben Yeshaya ajoute qu’Hadjaj « a également pris le temps de préparer un gâteau pour notre manager, qui fêtait son anniversaire ce jour-là. Le musicien s’est joint aux célébrations de l’anniversaire. Notre manager ne s’y attendait pas. C’était vraiment un très bon moment. Mon équipe me parle encore de cette soirée. L’expérience nous a encore rapprochés. »
Rassembler les gens
Selon Danielle Garnel, qui travaille aux côtés d’Hadjaj depuis plus d’un an, Rehov Charlotte a donné des idées dans toute la ville.
« Charlotte a cette grande capacité à rassembler les gens. Tout a commencé pendant la pandémie. Aujourd’hui, on voit fleurir des expériences similaires, des ateliers interactifs et des dîners dans tout Tel Aviv. Je pense que ces événements ont inspiré d’autres personnes à ouvrir leur maison et cette merveilleuse renaissance offre d’excellents moyens de rencontrer de nouvelles personnes », dit-elle.
Originaire d’Austin, au Texas, Garnel pense que Jaffa et Tel Aviv ont également joué un rôle important dans le succès de Rehov Charlotte et des expériences similaires.
« Tel Aviv-Jaffa est un endroit génial où les gens peuvent se réunir. Il y a un tel sens de la communauté, une telle facilité pour rencontrer des gens », dit Garnel.
Elle poursuit : « À Tel Aviv, je me sens en sécurité et à l’aise. Si je vivais ailleurs, j’hésiterais certainement à inviter des étrangers chez moi. Il y a une confiance communautaire, d’une certaine manière, dans le sens où les gens font attention les uns aux autres. »
Garnel évoque la dynamique sociale unique qui émerge lors dévénements d’Hadjaj, qui réunissent Israéliens, expatriés et olim sous le même toit.
« Les gens disent des Israéliens qu’ils sont très directs, ce qui est un gage d’authenticité. Les expatriés, eux, sont dans la découverte et recherchent une communauté. Ainsi, lorsque les gens se montrent vulnérables et authentiques, tout le monde a la possibilité de s’entendre », conclut-elle.
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