Israël en guerre - Jour 494

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Le rabbin Shai Piron dans son bureau, à Lod, le 17 novembre 2024. (Gavriel Fiske/Times of Israel)
Le rabbin Shai Piron dans son bureau, à Lod, le 17 novembre 2024. (Gavriel Fiske/Times of Israel)
Interview

Un ex-ministre parle de la « crise profonde » de l’éducation et de la façon d’en sortir

Le rabbin Shai Piron, depuis peu doyen de l’Université professionnelle de Jérusalem, souligne l’importance de la formation professionnelle sur le marché du travail du 21e siècle

LOD – Pour que le pays continue à exceller et se développer au 21e siècle, il faut que les institutions éducatives israéliennes travaillent à la préparation des étudiants à l’emploi dans un paysage mouvant au sein duquel la capacité d’acquérir de nouvelles compétences et de changer de carrière est cruciale, au lieu de mettre l’accent sur l’apprentissage par cœur et d’apporter des solutions de type « pansement » à des problèmes plus profonds, explique le rabbin Shai Piron, professeur, auteur, anciennement ministre de l’Éducation et membre de la Knesset (dans les rangs du parti Yesh Atid).

Nombre de professeurs demandent, depuis longtemps, une remise à plat totale des établissements scolaires israéliens et de récents rapports attestent, entre autres, d’une baisse des résultats des universités israéliennes en mathématiques et en sciences et d’un manque de professeurs d’anglais, autant de facteurs susceptibles de remettre en cause le bon positionnement des Israéliens pour exceller dans un monde moderne technologique.

Pour résoudre ces problèmes, Piron a, entre autres fonctions, récemment pris le poste de président pro bono de l’Israel Professional College [Université Professionnelle d’Israël] (IPC), établissement privé de Jérusalem. Fonctionnant principalement en ligne, l’IPC ne délivre pas de diplômes mais des certificats professionnels dans des domaines tels que la conception Internet et graphique, la promotion numérique ou la programmation entre autres domaines liés aux nouvelles technologies. Elle offre des cours pour préparer les étudiants aux carrières d’agent immobilier, comptable ou encore conseiller hypothécaire agréé.

Selon son secrétariat, l’IPC compte actuellement 15 000 étudiants, avec 30 % d’inscriptions de plus depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas, l’an dernier.

Connu pour ses prises de positions publiques depuis son départ de la Knesset en 2015, Piron s’est entretenu il y a peu avec le Times of Israel dans les bureaux de Lod de Pnima, le groupe de réflexion politique qu’il dirige, pour évoquer le système éducatif israélien mais aussi son dernier livre et le rôle cardinal des institutions de formation professionnelle comme l’IPC.

L’entretien qui suit, qui s’est tenu en hébreu, a été traduit et remanié dans un souci de clarté.

The Times of Israel : C’est un plaisir de vous rencontrer. Tout d’abord, que pouvez-vous nous dire sur l’IPC et ce que vous y faites ? Vous avez été ministre de l’Éducation et avez travaillé au sein de nombreuses institutions : pourquoi celle-ci ?

Shai Piron : Je pense qu’il y a un phénomène général intéressant, un changement à l’oeuvre au sein de l’enseignement supérieur et des qualifications professionnelles, et l’IPC y apporte une réponse.

Les diplômés du Sami Shamoon College de Beer Sheva, le 1er juin 2023.

Autrefois, on apprenait un métier que l’on faisait durant 40 ou 50 ans. Aujourd’hui, non seulement les gens changent de lieu de travail, mais en plus ils veulent changer de carrière. Ils veulent faire plusieurs choses au cours de leur vie. Le goût des gens pour l’hybridité, au 21e siècle, apporte un vrai changement. Les cursus longs destinés à obtenir des qualifications professionnelles ne répondent plus aux besoins d’une grande partie de la population, pas davantage que d’une grande partie des métiers d’ailleurs.

Et si l’on s’arrête un temps sur le monde, on s’aperçoit que les cas de réussite professionnelle en dehors des sentires battus ne sont pas rares. On peut donc légitimement se demander si l’on a vraiment besoin d’aller à Harvard pour travailler dans l’une des 10 meilleures entreprises de haute technologie. Et la réponse est non.

Par ailleurs, avec la guerre, nombreuses sont les personnes qui ont eu besoin de générer rapidement une source de revenus. Les réservistes alternent les périodes de réserve depuis un an maintenant et il leur faut bien gagner leur vie. Ils ne peuvent pas attendre. Ils ont besoin de quelque chose de qualifiant, de pouvoir apprendre à distance et à leur rythme : en cela, je pense que l’IPC apporte une solution concrète.

Tout ceci génère un intérêt croissant pour la formation professionnelle. Pour la première fois, les gens se disent : « Je ne veux pas choisir un métier pour toute la vie, je veux choisir un métier pour les cinq prochaines années. »

Les cours de l’IPC sont avant tout des cours à distance, et aussi des études pratiques de terrain. Ce n’est donc pas exactement un endroit où vous venez en cours et où vous vous asseyez. Il semble que ce soit bon pour les jeunes, mais aussi pour quelqu’un qui change de profession à 40 ans.

C’est un aspect. Il y a des jeunes qui ont besoin d’un revenu rapide et qui veulent un métier, des adultes qui veulent changer de métier, mais aussi un troisième type : les gens qui ne peuvent pas entrer à l’université.

Même lorsque j’étais ministre de l’Éducation [2013-2014], je pensais que l’éducation professionnelle et technologique était très importante, et elle est relativement très faible en Israël. J’ai donc rejoint [l’IPC] pour aider, en particulier sur ce dernier point, pour aider la population qui n’est pas qualifiée à l’université.

Section du site Web de l’Israel Professional College, montrant certaines des options de cours. (Crédit : Capture d’image ; utilisée conformément à l’article 27a de la loi sur le droit d’auteur)

Parlons de l’état général du système éducatif en Israël. Les gens font de leur mieux, mais cela a été une année de guerre, de devoir de réserve, avec tout ce que cela implique. De plus, il y avait certainement des problèmes avant le début de la guerre. Comment voyez-vous les choses et que faut-il faire pour l’avenir ?

Tout d’abord, tout cela me fait très mal, mais je suggère de ne pas devenir hystérique. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes à résoudre, mais cela signifie qu’il faut comprendre que la crise que traverse le système éducatif est très naturelle.

Au-delà des dommages psychologiques bien sûr, [en particulier] pour les évacués du nord et du sud, je ne pense pas qu’il y ait une crise de l’éducation maintenant. Ce qui s’est passé a révélé la crise qui existait auparavant, et il y a une très, très grande crise dans l’éducation.

Lorsqu’il y a une crise, il y a deux options. L’une consiste à appliquer un pansement et l’autre consiste à faire un traitement de canal. Israël est spécialisé dans les pansements. L’histoire de ce qui nous est arrivé avec le Hamas et le Hezbollah, c’est aussi parce que pendant de nombreuses années, nous avons eu affaire à des pansements et non à la racine.

Que voulez-vous dire quand vous parlez d’une « très grande crise de l’éducation » ?

La discussion ne devrait pas porter sur ce qui se fait dans les écoles X ou Y ou les classes Y et Z, mais sur quelque chose de complètement différent : l’école dans son format actuel est-elle toujours pertinente ? Je pense que ce n’est pas le cas.

Le monde a changé. Par exemple, à l’école, chaque élève est testé seul et doit tout savoir par lui-même. Dans le monde de l’emploi, tout est en équipe et chaque membre doit se spécialiser dans une partie et ensuite travailler ensemble.

En tant qu’employé, le plus important est de poser des questions. À l’école, le plus important est d’avoir les bonnes réponses. Un bon employé est une personne qui pense hors contexte, sait défier les conventions et introduit une nouvelle idée. À l’école, les élèves doivent répéter ce que l’enseignant leur a dit.

Lycéens passant des examens finaux en mathématiques. Illustration (Crédit : Roy Alima/Flash90)

Aujourd’hui, les écoles doivent se concentrer sur des choses complètement différentes. Pour la première fois, ils doivent se concentrer sur les capacités de travail d’équipe. Ils doivent fournir des outils et se concentrer sur l’identification des compétences de chaque élève et de ses compétences clés. Les écoles devraient renforcer la curiosité et inculquer l’apprentissage comme mode de vie, [car] les compétences sont plus importantes aujourd’hui que les matériaux enseignés.

Les écoles doivent fournir des outils à leurs élèves pour qu’ils deviennent une personne capable de s’intégrer dans le monde du travail du 21e siècle. Je dis toujours, en plaisantant, que le système éducatif israélien prépare des élèves exceptionnels à un monde qui n’existe plus.

N’est-ce pas un problème mondial ? Et même si le système scolaire pouvait être changé à ce point, ne serait-il pas difficile de trouver des éducateurs pour le faire ?

Oui. Et c’est vrai : il y a une énorme pénurie d’enseignants dans le monde entier.

Tout est lié, et cela découle du même point que celui dont nous avons parlé. Une personne ne va plus étudier, obtenir son diplôme dans la vingtaine, travailler dans une école et prendre sa retraite à 67 ans. Nous n’avons pas encore compris qu’il faut chercher des enseignants pour des cycles de 10 ans.

Ensuite, il y a le manque de prestige, le statut des enseignants. Quand j’étais enfant, mes parents me disaient que le professeur avait toujours raison. Aujourd’hui, l’enfant moyen entend dire que l’enseignant est un idiot et qu’il n’a pas raison. Et, bien sûr, une autre chose, ce sont les bas salaires des enseignants.

Changeons de vitesse et parlons de votre dernier livre, Homesh Ofakim [Cinq horizons], un commentaire sur les cinq livres de Moïse, publié en septembre.

Ceci fait partie d’un commentaire sur la Torah, tous les chapitres du début à la fin. C’est mon septième livre, mais ce n’est pas fini. Je suis toujours en train d’écrire. J’ai terminé Joshua and Judges, et maintenant je suis au milieu de Samuel. C’est un projet à long terme.

Couverture de « Homesh Ofakim », par le rabbin Shai Piron, Yediot Books, septembre 2024. (Crédit: Autorisation)

Je suis un rabbin orthodoxe. J’écris, je suis fidèle à la tradition et je veux rendre la Torah profondément accessible à tous. Je ne m’occupe pas de l’interprétation des mots et des versets ou du niveau de compréhension du lecteur, mais d’une sorte de narration qui a un message qui peut vous accompagner dans la vie.

L’une des choses les plus fondamentales qui se passe dans la société israélienne est la question de l’identité et de qui nous sommes. Nous éludons largement cette question. Lorsque l’État d’Israël a été créé, Ben Gourion a compris que la Torah est un livre fondamental, et il a stipulé que chaque soldat [juif] qui s’engage dans l’armée israélienne, à la fin de sa formation de base, prête serment sur la Torah.

Au fil des ans, à la suite de problèmes de religion et de politique, la Torah est devenue un livre religieux pour un grand nombre de personnes. Les études bibliques se sont érodées… [et] ont perdu une partie de leur capacité à être un grand facteur d’inspiration dans la formation de l’identité de chaque garçon et de chaque fille en Israël, qu’ils soient religieux ou laïcs.

Je pense que l’une des plus grandes tâches aujourd’hui est de rendre le judaïsme à nouveau pertinent. Et je dis que mon travail est que tout le monde apprenne la Torah, mais aussi de donner à chacun l’occasion de l’interpréter de manière égale. Je ne dis pas qu’une école laïque doit apprendre la même Torah que celle apprise dans une yeshiva en termes d’interprétation, mais plutôt les textes.

Quelles sont les réponses ? Lisez et dites-moi quelle est votre réponse ! Je ne vais pas vous dire ce que c’est, mais je vais vous donner le contexte. C’est la vision.

Cela crée également une langue nationale. Le 7 octobre, nous avons vu comment les Juifs ont été faits prisonniers et comment ils ont été transportés dans les rues de Gaza, et nous avons vu des images pleines de gens debout dans la rue applaudissant et acclamant. Nous avons tous vu ces images.

Noa Argamani enlevée et emmenée dans la bande de Gaza, le 7 octobre 2023. (Capture d’écran : X)

Puis vous arrivez au Livre des Juges et vous lisez le chapitre 11 et soudain vous voyez qu’ils prennent Samson et l’emmènent à Gaza et le conduisent dans la rue de la ville et toute la ville applaudit. Donc, vous comprenez vraiment… Vous faites partie d’une séquence historique, vous faites partie de quelque chose, d’un peuple. Vous faites en fait partie d’une histoire beaucoup plus large.

Vous êtes un rabbin orthodoxe, vous faites partie d’un mouvement au sein du sionisme religieux, plus centriste. Mais en politique aujourd’hui, c’est l’aile la plus extrême du sionisme religieux qui est la plus influente.

Je ne parle pas de politique. Bien sûr, je ne peux pas m’identifier à une tendance séparatiste ou à une tendance qui crée des divisions. Je pense que beaucoup trop de politiciens pensent à des gains à court terme, qu’ils soient religieux ou laïcs, de droite ou de gauche. Trop peu pensent au long terme, et donc je pense que tous les politiciens en Israël sont nuisibles à Israël à long terme.

La pensée de pansement, comme dans les écoles.

Oui.

Le député Yesh Atid, Shai Piron, avec l’ex-ministre des Finances, Yair Lapid à la Knesset le 26 novembre 2014 (Crédit : Miriam Alster/Flash90)

Si c’est le cas, avez-vous l’intention d’essayer de changer cela, de revenir en politique ?

Non. Non. Il ne faut jamais dire jamais, mais… Je n’ai pas cette passion pour la politique. Je ne la regrette pas un instant et je pense que j’ai un héritage très fort, mais il faut avoir de la passion.
Si vous me demandez, qu’est-ce qui vous manque ? Je ne m’ennuie pas d’être ministre de l’Éducation. Être directeur d’école me manque, cela me manque encore plus. Ça, je pourrais encore le faire.

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