Israël en guerre - Jour 369

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L'activiste israélien pro-ukrainien Victor Vertsner (Crédit : Facebook)
L'activiste israélien pro-ukrainien Victor Vertsner (Crédit : Facebook)

Ces militants juifs qui veulent que Jérusalem soutienne Kiev plutôt que Moscou

Peu d’Israéliens sont au fait de la guerre d’information féroce que se livrent les deux pays de l’est sur l’antisémitisme et Israël ; pour certains, l’État juif est du mauvais côté

Le 3 février, Yad Vashem, mémorial israélien de la Shoah, publiait des excuses inhabituelles. Deux semaines auparavant, Israël accueillait le cinquième Forum mondial sur la Shoah, qui a réuni les leaders du monde, pour commémorer le génocide et combattre l’antisémitisme.

Dans ses excuses, Yad Vashem expliquait avoir projeté, lors de l’événement, plusieurs films courts dont l’institution regrettait finalement la diffusion. Ces vidéos comportaient des « inexactitudes », indiquait Yad Vashem dans un communiqué, et présentaient « partiellement les faits » – ce qui pouvait entraîner une « impression de déséquilibre ».

Dans les semaines ayant précédé ces excuses, ces vidéos et d’autres aspects du Forum sur la Shoah avaient été âprement critiqués par des historiens et des survivants du génocide, qui avaient dénoncé un point de vue biaisé faisant écho au narratif russe sur le rôle tenu par l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. Les films, d’après les critiques, ne mentionnaient pas l’accord passé entre Joseph Staline et Adolf Hitler lors du pacte de Molotov–Ribbentrop (ou Pacte germano-soviétique), ni l’occupation par l’URSS de certaines parties de la Pologne.

Victor Vertsner, Israélien né en Ukraine et modérateur du groupe Facebook « Israël soutient l’Ukraine », explique au Times of Israel que le Forum mondial sur la Shoah et les excuses de Yad Vashem ont été un sujet brûlant qui a été abordé à de multiples reprises dans ce groupe privé au cours des derniers mois.

« On en a beaucoup discuté dans notre groupe. Je ne pense pas que Yad Vashem aurait créé ces vidéos mensongères sans l’approbation du gouvernement israélien », présume-t-il.

« Le but, c’était de satisfaire la Russie en politisant la Shoah ».

Un site d’information israélien russophone, Cursorinfo.co.il, propriété de l’homme d’affaires ukrainien Oleg Vyshniakov, avait également publié un article hautement critique de Yad Vashem.

« Les organisateurs du Forum ont apparemment eu tellement peur de décevoir le président russe Vladimir Poutine que le pacte de Molotov-Ribbentrop, signé entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique un mois avant la guerre, n’a même pas été mentionné dans la présentation vidéo », avait regretté l’article.

En réponse, un commentateur avait écrit que « cela fait longtemps que le musée de Yad Vashem se comporte comme une prostituée bas de gamme ! C’est écœurant ! ».

La plus grande partie des Israéliens, indique Victor Vertsner au Times of Israel, sont probablement incapables de situer l’Ukraine sur une carte et ignorent les différences culturelles et politiques entre les immigrants de l’ex-Union soviétique, qu’ils évoquent de manière inexacte en les rassemblant sous la forme d’un seul groupe homogène, sous l’étiquette de « Russes ».

« Il y a 400 000 citoyens d’origine ukrainienne en Israël », dit-il. « Et seulement 200 000 qui, eux, viennent de Russie ».

Il y a un nombre significatif d’Israéliens et de Juifs post-soviétiques, continue-t-il, qui sont pro-ukrainiens et pro-occidentaux et dont les voix se noient dans l’argent et les ressources que la Russie investirait dans les médias et sur les réseaux sociaux – en particulier dans les médias russophones au sein de l’État juif.

Un grand nombre de ces Juifs ukrainiens voudraient que le gouvernement israélien puisse avancer dans une direction plus pro-ukrainienne, en rejoignant, par exemple, le régime de sanctions contre la Russie ou en rejetant ce qu’ils considèrent être un narratif pro-russe concernant la Shoah et l’antisémitisme.

Le Times of Israel s’est entretenu avec plusieurs militants pro-ukrainiens qui ont indiqué qu’ils aimeraient un renforcement des liens entre Israël et l’Ukraine.

« Une guerre de l’information »

« La Russie dépense des sommes immenses dans les médias pro-russes, pour rémunérer des trolls pro-russes sur les réseaux sociaux et organiser des événements pro-russes pour leurs ‘compatriotes’ en Israël’, s’exclame Victor Vertsner. « Les pro-Ukrainiens ne peuvent pas rivaliser avec ça ».

Un rapport émis en 2018 par la Rand Corporation avait établi que la Russie était engagée dans une campagne de propagande active et mondiale, dépensant des milliards pour des médias traditionnels ou des interventions couvertes sur les réseaux sociaux, dans le but de gagner les cœurs et les esprits des russophones à l’étranger.

Le rapport avait évoqué de telles initiatives dans les Pays baltes, en Ukraine et dans d’autres États avoisinants, mais la question d’un potentiel interventionnisme russe et financé par le gouvernement de Moscou dans les médias et sur les réseaux sociaux russophones en Israël n’avait pas été étudiée, pas plus que son éventuelle ampleur.

Victor Vertsner fait l’équivalence entre pro-ukrainien et pro-occidental.

« Je pense que pour des raisons éthiques, Israël devrait soutenir l’Ukraine. Nous devons décider qui nous sommes. Nous, Israéliens, appartenons-nous au monde occidental ou désirons-nous nous aligner avec la Russie, la Corée du Nord et les régimes de ce genre ? », interroge-t-il.

Sergey Leivikov, un consultant en efficacité énergétique qui vit à Odessa, se décrit également auprès du Times of Israel comme un « Juif pro-ukrainien ».

Et à cause de cela, continue-t-il, il a le sentiment de devoir afficher une vigilance constante et de dénoncer la désinformation qui circule concernant les Juifs et l’antisémitisme.

Pendant les cinq années du conflit qui a opposé la Russie et l’Ukraine, des accusations portant sur un antisémitisme d’État largement répandu (et l’information concomitante portant sur un exode massif présumé de Juifs glacés d’effroi) ont été un fil rouge persistant dans les médias placés sous le contrôle du Kremlin, comme dans les communiqués du gouvernement de Moscou.

Sergey Leivikov (Crédit : Facebook)

Au mois de janvier, une série d’informations parues dans les médias israéliens et russes avaient indiqué qu’il y avait eu un « pogrom » dans la ville ukrainienne d’Ouman, à la suite duquel trois Juifs hassidiques avaient été hospitalisés.

Des informations qui s’étaient finalement révélées mensongères.

« Il y a eu de la désinformation. Il s’agissait bien d’une altercation mais seulement d’une bagarre survenue entre des Juifs hassidiques et d’autres gens », explique Sergey Leivikov.

La nouvelle avait été reprise par le site Theyeshivaworld.com, par celui de i24news.com et par le Jerusalem Post (qui avait plus tard supprimé l’article), ainsi que dans des médias pro-russes. La police ukrainienne avait rejeté l’information portant sur la réalité d’un pogrom, disant que si une bagarre avait eu lieu, elle n’était aucunement liée à des motifs antisémites, précisant que personne n’avait été hospitalisé.

Au cours d’un incident similaire survenu à la fin de l’année 2014, plusieurs médias russes avaient annoncé qu’une organisation ultra-nationaliste ukrainienne avait perpétré de multiples agressions dans la ville portuaire d’Odessa – un récit qui s’était avéré fabriqué de toutes pièces.

Cet incident n’avait été qu’une tentative, de la part des médias russes, visant à donner l’impression d’une haine anti-juive effrénée.

Dans un autre cas, le programme d’information russe Vesti avait cité une (fausse) lettre de protestation qui avait été écrite par une prétendue personnalité éminente juive européenne, un courrier qui dénonçait « la fermeture obligatoire des organisations et écoles juives » en Ukraine.

Sergey Leivikov pense que ces informations mensongères ne doivent rien au hasard et qu’elles sont intentionnellement propagées pour noircir l’image de l’Ukraine.

« L’antisémitisme entre dans le cadre d’une guerre de l’information en Ukraine. Les médias pro-russes font activement la promotion de l’idée qu’il y a de l’antisémitisme dans le pays. Ils font part constamment d’agressions ou d’actes de vandalisme, pour dépeindre un antisémitisme qui dominerait la vie ukrainienne. Mais ce n’est pas vrai », clame-t-il.

Il y a eu toutefois un grand nombre d’informations portant sur des actes de vandalisme dans les médias ukrainiens également.

Selon un rapport datant de 2018 réalisé par le ministère israélien des affaires de la Diaspora, l’Ukraine avait connu plus de 130 incidents anti-juifs – plus que le bilan total de ce type d’incidents dans l’entière ex-URSS – en 2017.

Certains groupes, comme l’Association des organisations et des communautés juives Vaad, avaient contesté ce chiffre tandis que d’autres, et notamment le Comité juif ukrainien, l’avaient jugé fiable.

Toutefois, cette année, au mois de janvier, un rapport émis par la Communauté juive unie d’Ukraine – un groupe affilié à Igor Kolomoisky, un milliardaire juif nationaliste lié au comédien juif devenu président Volodymyr Zelensky – a établi que les incidents antisémites avaient baissé de 27 % l’année dernière par rapport à l’année 2018.

Une révolution pro-occidentale

Victor Vertsner, pour sa part, dit que s’il y a eu, sans aucun doute, des groupes antisémites parmi ceux qui ont soutenu la révolution de Maïdan, en 2014 – qui avait entraîné la destitution du président ukrainien de l’époque, Viktor Ianoukovytch – il conserve la certitude que ce soulèvement s’est tout d’abord fait au nom des valeurs occidentales et de la démocratie.

« Bien sûr qu’il y a eu beaucoup d’antisémites dans la révolution de Maïdan. Il y a un degré certain d’antisémitisme en Europe dans son ensemble. Mais l’Ukraine ne figure même pas dans le Top 10 des pays européens concernés par le problème », affirme-t-il.

Au mois de novembre 2013, Viktor Ianoukovytch avait annoncé qu’il ne signerait pas un accord d’association prévu entre l’Europe et l’Ukraine. Il avait déclaré qu’il favoriserait plutôt un rapprochement avec la Russie.

Des milliers d’Ukrainiens étaient alors descendus dans les rues pour protester contre cette initiative, criant que « l’Ukraine est l’Europe ». Après des violences de la part de la police anti-émeutes à l’égard d’étudiants qui manifestaient, le mouvement s’était fortement élargi, attirant des centaines de milliers de personnes furieuses contre la brutalité et la corruption perçue du régime de Viktor Ianoukovytch.

Les manifestations avaient duré trois mois, avec une police anti-émeutes qui s’était montrée impitoyable lors d’affrontements qui devaient faire plus de 100 morts.

Une activiste pro-européenne pendant un rassemblement sur la place de l’indépendance à Kiev, en Ukraine, le 12 janvier 2014. (Crédit : AP Photo/Sergei Chuzavkov)

Le 22 février 2014, le chef de l’État Ianoukovytch contesté a fui vers la Russie. Rapidement après, la Russie envahissait la Crimée tandis que les séparatistes soutenus par Moscou avaient commencé à combattre les soldats ukrainiens dans la région du Donbass, un conflit qui continue depuis et qui a fait des milliers de morts du côté ukrainien.

Russie : nationalistes et néo-nazis en Israël

Le gouvernement russe, pour sa part, n’a pas cessé de dépeindre l’Ukraine comme un État baignant dans l’idéologie néo-nazie.

Un rapport émis en 2009 par le ministère russe des Affaires étrangères affirmait que « toute une série de manifestations et de signaux inhérents au néo-nazisme ont été enregistrés en Ukraine, avec notamment un blanchissement et une glorification constants, au niveau du gouvernement, du nazisme et des collaborateurs nazis de la période de la Seconde Guerre mondiale… avec une légitimation rapide des nationalistes radicaux et leur nomination à des postes gouvernementaux, des opérations de nettoyage punitives intégrant l’usage de la force contre ceux qui sont étiquetés comme étant engagés dans des ‘activités anti-ukrainiennes' ».

Décrivant les activistes pro-ukrainiens au sein de l’Etat juif, le rapport du gouvernement russe disait que « après les événements de 2014, divers activistes issus d’organisations nationalistes et néo-nazies ont commencé à arriver depuis l’Ukraine vers Israël avec pour seul dessein d’offrir une assistance financière, politique et d’information au nouveau régime pro-ukrainien, depuis Israël et de la part du lobby juif international en général. Il y a eu de nombreuses tentatives d’utiliser des immigrants russophones de l’ex-Union soviétique au cours d’événements divers organisés en soutien aux réformes ‘démocratiques’ en Ukraine, avec la volonté de condamner les ‘actions agressives » de la Russie. »

Se référant spécifiquement au groupe Facebook de Victor Vertsner, le ministère des Affaires étrangères russe avait ajouté que « l’organisation de droite non-commerciale ‘Israël soutient l’Ukraine’, qui a été établie en 2014 [son fondateur est un commandant à la retraite, V. Vertsner] s’est montrée particulièrement active au sein de la société israélienne. Ses activités ciblent habituellement les jeunes publics des réseaux sociaux ».

Concernant le site internet d’Oleg Vyshniakov, le gouvernement avait estimé que « certains sites d’information sont également connus pour leur caractère anti-russe, et c’est le cas en particulier de cursorinfo.co.il, dont les publications utilisent souvent les clichés anti-russes relayés par les autorités ukrainiennes actuelles et les médias ».

Y a-t-il une politisation des accusations d’antisémitisme en Israël ?

Sergey Leivikov, le militant originaire d’Odessa, accuse le gouvernement israélien de se placer souvent du côté russe dans la guerre d’information entre Moscou et Kiev – en publiant, par exemple, des communiqués condamnant l’antisémitisme ukrainien.

Le ministère des Affaires étrangères indique, pour sa part, que ses communiqués sont motivés par l’inquiétude réelle éprouvée face à la haine anti-juive, mais au moins un incident apporte toutefois une légitimité aux préoccupations des critiques.

Paul Manafort arrive à une audience devant une court de district américaine à Washington, le 15 juin 2018 (Crédit : AFP Photo/Mandel Ngan)

Dans un arrangement judiciaire conclu au mois de septembre 2018 et dans lequel il plaidait coupable, l’ancien chef de la campagne de Trump, Paul Manafort, avait admis que dans le cadre des pressions illicites qu’il avait exercées au nom de l’ex-président ukrainien Yanukovych, il avait aidé à propager une histoire, en coordination avec un responsable israélien, disant que les soutiens de son adversaire politique en Ukraine, Yulia Tymoshenko, encourageaient l’antisémitisme et qu’ils s’étaient alliés à un parti anti-juif.

« Manafort s’est entendu en privé avec un officiel du gouvernement israélien concernant l’émission d’un communiqué écrit qui médiatisait cette histoire », était-il noté dans l’acte d’inculpation. « Puis Manafort, qui savait que ce communiqué allait paraître, a œuvré à répandre l’histoire à travers tous les États-Unis ».

Victor Vertsner, pour sa part, souligne que le ministère israélien des Affaires étrangères, qui se trouvait alors sous l’autorité d’Avidgor Liberman, avait annulé un contrat de vente de drones à l’armée ukrainienne en 2014. Il affirme que Liberman a poussé Israël à se tourner vers la Russie et à ne pas exclusivement s’appuyer sur les États-Unis comme principal allié.

La réhabilitation des antisémites

Malgré les contacts unissant Manafort à un haut responsable israélien, les critiques, de l’autre côté, estiment qu’Israël a plutôt fait preuve de retenue à l’égard de Kiev jusqu’à une date récente.

En 2015, quand le Parlement ukrainien avait adopté une série de projets de loi qui réhabilitaient des ultra-nationalistes et autres collaborateurs nazis, donnant un coup d’envoi à une campagne nationale de blanchiment de l’histoire du pays pendant la guerre, Jérusalem ne s’était laissé aller à aucune protestation publique.

Des critiques de l’Ukraine en Israël ont été rares ces derniers temps – ce qui s’adapte bien à ce que des critiques ont clamé être une politique officieuse, de la part de Jérusalem, de retenue face à ses alliés d’Europe centrale et d’Europe de l’Est dans les questions relatives à la mémoire et à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

En fait et malgré la campagne historique menée par Kiev, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a publiquement salué, l’année dernière, « les efforts de l’Ukraine pour préserver la commémoration de la Shoah ». (Deux mois plus tard, le Premier ministre de l’époque, Oleksiy Honcharuk, et la ministre aux Affaires des vétérans, Oksana Koliada, étaient photographiés sur la scène d’un concert organisé au bénéfice des anciens soldats avec un groupe néo-nazi en tête d’affiche).

Certains éléments semblent néanmoins indiquer une amélioration de la situation. Au mois de septembre, l’administration de Zelensky a limogé Volodymyr Viatrovych, à la tête de l’Institut de la mémoire nationale et l’un des principaux architectes des politiques révisionnistes du pays.

À sa place, le gouvernement a nommé Anton Drobovych, un jeune éducateur impliqué dans un projet de mise en place d’un monument de commémoration de la Shoah à Babi Yar, qui a expliqué qu’il désirait recréer un équilibre dans la politique de commémoration mise en œuvre par Kiev.

« Israël n’est pas pro-russe, Israël est pro-Israël »

Oleg Vyshniakov, consul honoraire de l’État d’Israël en Ukraine occidentale, fait savoir au Times of Israel qu’il est souvent interpellé sur la relation entretenue par l’État juif avec l’Ukraine par rapport aux liens unissant Jérusalem et Moscou.

« Certaines personnes disent qu’Israël est un pays pro-russe. Je dis que
non : Israël est un pays pro-Israël. Bien sûr, l’État juif est dans l’obligation de se montrer flexible et de défendre ses propres intérêts. Israël est entouré par des ennemis. Il y a 100 000 roquettes, au Liban, qui sont dirigées vers Israël. Et l’Iran veut faire la même chose en Syrie. Israël ne le permettra pas », explique-t-il.

Selon lui, la présence des Russes en Syrie détermine une grande partie du positionnement adopté par Jérusalem vis-à-vis de Moscou.

Le consul honoraire israélien Oleg Vyshniakov aux côtés du président ukrainien Volodymyr Zelensky au mois de mai 2019 (Crédit : Facebook)

« Certains plaisantent en disant que l’Ukraine et Israël ont un voisin commun. Israël doit se montrer flexible et discuter avec les différentes parties pour empêcher une confrontation », ajoute-t-il.

Toutefois, continue Vyshniakov, Israël aide l’Ukraine « par tous les moyens qui sont mis à sa disposition ».

« Des groupes de psychologues militaires israéliens sont venus en Ukraine à de multiples reprises pour travailler avec des personnes atteintes de stress post-traumatique. Des médecins sont venus ici pour aider à rééduquer des soldats dans les hôpitaux militaires », note-t-il.

Oleg Vyshniakov rappelle que l’année dernière, Israël et l’Ukraine ont signé un accord de libre-échange. Les deux pays ont ainsi établi des partenariats dans les secteurs des technologies de l’information, dans l’agriculture et dans le commerce du métal – dans le cadre de conventions atteignant la somme d’environ un milliard de dollars. Il dit espérer que ces chiffres augmenteront encore à l’avenir.

Patriote… et corrompu

Victor Vertsner est né en Ukraine et a vécu en Russie quand il était enfant. Il s’est installé en Israël avec ses parents à l’âge de 13 ans.

« Je suis allé à sept reprises en Russie depuis que je suis adulte. Au fil des années, j’ai remarqué que l’ambiance changeait. De nombreux Russes pensent vraiment que le monde entier est contre eux, que le monde veut les détruire. C’est aussi le cas de Russes éduqués. Mais si vous parlez à des Américains, ces derniers ne savent même pas où se trouve la Russie sur une carte ».

En 2008, quand la Russie a envahi la Géorgie voisine, Victor Vertsner en a pris note.

« C’était tellement injuste. Je me suis dit que la Crimée viendrait très certainement après ».

C’est quand la Russie a envahi la Crimée, en 2014, qu’il a lancé le groupe Facebook « Israël soutient l’Ukraine ». Il a également commencé à collecter de l’aide humanitaire et de l’argent pour l’armée ukrainienne et pour les Ukrainiens déplacés dans leur propre pays.

Ce major de l’armée israélienne, aujourd’hui réserviste, a même aidé l’armée ukrainienne à améliorer son professionnalisme.

« Dans le système militaire soviétique, la planification s’effectue au niveau de la division. Mais que ce soit dans le système israélien ou dans celui de l’OTAN, elle s’organise au niveau du bataillon. On peut confier une mission à un commandant de bataillon et il s’occupera seul de la planifier. Le système de l’OTAN est bien meilleur », affirme-t-il.

Victor Vertsner dans son uniforme de l’armée israélienne (Crédit : Facebook)

Victor Vertsner a aussi aidé l’armée ukrainienne pendant deux ans, mais il a arrêté de le faire lorsqu’il a constaté la corruption des généraux.

« J’étais à l’est de l’Ukraine et un colonel nous a invités à un dîner très riche, très chic. Il y avait des jeunes femmes qui portaient des chemisiers brodés et qui nous servaient à table. Je leur ai demandé qui elles étaient et elles m’ont répondu qu’elles étaient soldates. C’était totalement inapproprié. J’ai vu également le népotisme, la corruption, des personnes absolument inadaptées aux rôles qui leur étaient confiés ».

Dans le même temps, il a assisté à des scènes émouvantes d’entraide et d’abnégation – il se souvient par exemple de cet homme d’affaires d’une quarantaine d’années qui s’était présenté à un check-point de l’est de l’Ukraine au volant d’une Maserati.

Il avait apporté avec lui un uniforme et avait dit : « Prenez-moi avec vous, je suis volontaire ».

« Les Ukrainiens sont des amoureux de la liberté »

« Les Ukrainiens et les Russes sont similaires, quoique différents », dit Victor Vertsner.

« En Russie, il y a eu le servage jusqu’au 19e siècle. Je pense que la mentalité ukrainienne est plus amoureuse de la liberté. En Ukraine, des millions d’étudiants et autres sont descendus dans les rues et y sont restés pendant de nombreux mois. Ce n’est pas quelque chose qui arriverait en Russie – à moins que la population n’ait rien à manger. Là, ils descendraient dans les rues », clame-t-il.

Il pense toutefois que l’Ukraine ne connaîtra pas la prospérité tant que le pays ne luttera pas contre la corruption.

« Le changement doit commencer en bas de l’échelle. Si vous ne versez pas de pot-de-vin à un policier, il ne vous en demandera pas un. Une fois que vous avez payé cet argent, comment pouvez-vous prétendre être contre la corruption ? », interroge-t-il.

« Si les étrangers investissent, la corruption va baisser »

Andrey Adamovskiy, magnat ukrainien de l’immobilier et co-président du groupe Vaad en Ukraine, une organisation caritative laïque, dit pour sa part au Times of Israel qu’il pense que la majorité des Juifs ukrainiens sont pro-ukrainiens.

« Je pense qu’une très grande partie des Juifs d’Ukraine, qui soutiennent l’Ukraine, croient en la renaissance de notre idée nationale », ajoute-t-il.

Il explique que depuis la révolution de Maïdan et la guerre de l’Ukraine contre la Russie, de plus en plus d’Ukrainiens ont un sentiment fort de ce qu’est l’identité nationale et qu’ils nourrissent le désir de définir ce que sera leur propre destinée.

Andrey Adamovskiy à son bureau de Kiev (Crédit : Simona Weinglass/The Times of Israel)

« L’Ukraine n’est pas la Russie », continue-t-il. « C’est le nom d’un livre de l’ancien président ukrainien Leonid Kuchma. »

« Nous sommes des pays totalement différents avec des populations totalement différentes. Nous avons nos intérêts propres. Le fait que nous nous exprimions dans la même langue n’est pas pertinent », estime-t-il.

Andrey Adamovskiy précise ne pas être aussi enthousiaste que certains autres concernant les réformes anti-corruption.

« Les conversations au sujet de la corruption sont un peu exagérées. On parle plus de corruption qu’il n’y en a véritablement. Le gouvernement a connu de grandes réussites avec ses initiatives anti-corruption et, en tant qu’homme d’affaires, je le ressens personnellement, » affirme-t-il.

Andrey Adamovskiy pense que les débats autour de la corruption en Ukraine sont susceptibles, in fine, d’éloigner les investisseurs étrangers.

« Si des capitaux américains viennent ici, ils se protégeront. Ce serait la meilleure manière de lutter contre la corruption. Si un homme d’affaires américain, qui a grandi avec des valeurs basées sur l’anti-corruption, vient ici, alors ces valeurs pourront se propager également en Ukraine », déclare-t-il.

La démocratie peut-elle survivre aux réseaux sociaux ?

Aujourd’hui, les actions militantes pro-ukrainiennes de Victor Vertsner portent largement sur la lutte dans la guerre de l’information qui agite les réseaux sociaux.

« J’ai récemment rencontré un soldat démobilisé, un oleh hadash [nouvel immigrant en Israël] de Russie. Je lui ai demandé, si dans l’hypothèse d’un conflit militaire entre Israël et la Russie, dans quel camp il se placerait. Il n’a pas hésité une seconde et a répondu la Russie et ce, après trois ans de service passés chez les parachutistes », s’exclame-t-il.

Victor Vertsner a la certitude que la Russie dépense d’énormes sommes d’argent pour gagner le cœur et l’assentiment des populations russophones au sein de l’État juif.

« La Russie dépense des milliards de dollars pour promouvoir l’idée que le 9 mai a été la vraie journée de la victoire contre les nazis. Le reste du monde célèbre le 8 mai. La Knesset a adopté une loi faisant du 9 mai une fête nationale. Tous ces défilés, et cet insigne russe que portent les gens, ces gens qui enfilent aussi des uniformes militaires, tout cela nourrit un sentiment pro-russe », poursuit-il.

Tout le monde n’est pas touché par ces messages de la même façon. Les immigrants les plus âgés et les personnes les moins éduquées sont les meilleures cibles, évalue-t-il.

« Mon expérience m’a appris que plus un Israélien russophone est éduqué, plus il est pro-ukrainien. Peu importe qu’il soit né en Russie, en Ukraine ou au Kazakhstan. Les personnes ayant un niveau d’éducation plus bas ont tendance à être pro-russes », dit-il.

« Je pense que c’est parce que ceux qui sont davantage éduqués peuvent obtenir leurs informations auprès de plusieurs sources et tirer leurs propres conclusions. Ils ne sont pas nourris à la cuillère par les chaînes de télévision russe », continue-t-il.

Victor Vertsner ajoute penser que la vague de populisme autoritaire qui balaie le monde aujourd’hui est nourrie, au moins en partie, par les activités russes sur les réseaux sociaux.

« L’Occident doit être plus proactif. C’est comme dans une guerre – ce n’est pas une bonne chose de nous contenter de défendre nos postes. Les pays occidentaux peuvent adopter des lois pour réguler Facebook. Ils peuvent commencer à tenter de faire se répandre les valeurs occidentales en Russie. Pourquoi ne pas intervenir dans ses élections ? », s’exclame-t-il.

Si la démocratie occidentale peut survivre à la guerre de l’information – ce qui n’est en aucun cas certain – Victor Vertsner estime que la vague totalitaire pourrait s’échouer un jour.

« Après le départ de Poutine de ses fonctions », suggère Vertsner, « il peut y avoir un vide au niveau du pouvoir en Russie. Et si le monde occidental est suffisamment fort pour résister jusque-là, les Russes pourraient décider que s’il est impossible de venir à bout des Occidentaux, alors cela peut-être envisageable de les rejoindre ».

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