Israël en guerre - Jour 349

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L'ancien ministre canadien de la Justice et défenseur des droits de l'Homme Irwin Cotler, à Jérusalem, en 2023. (Crédit : Jeremy Sharon/The Times of Israel)
L'ancien ministre canadien de la Justice et défenseur des droits de l'Homme Irwin Cotler, à Jérusalem, en 2023. (Crédit : Jeremy Sharon/The Times of Israel)
Interview

Cotler : Karim Khan a utilisé le droit international d’une manière « incompréhensible »

Selon l’ex-ministre canadien de la Justice, le procureur a violé le principe fondateur de la charte de la CPI en ignorant l’indépendance juridique d’Israël

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Irwin Cotler, ancien ministre canadien de la Justice et procureur général, a vivement critiqué la décision du procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) Karim Khan de demander des mandats d’arrêt contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant, accusant Khan d’appliquer une politique de deux poids deux mesures dans ses relations avec Israël, de faire fi du principe fondamental de la complémentarité et d’utiliser la CPI comme arme contre Israël.

Dans un entretien approfondi accordé récemment au Times of Israel, Cotler a déclaré qu’il ne croyait pas que les accusations de Khan – selon lesquelles Israël utilise la famine comme arme de guerre contre les Palestiniens de Gaza et « tue délibérément » des civils pendant la guerre en cours contre le groupe terroriste palestinien du Hamas – étaient fondées, et a reproché au procureur d’avoir abandonné la voie de la coopération avec Israël et de s’être engagé au contraire dans un processus « préventif et préjudiciable ».

Cotler, partisan de longue date de la CPI, a toutefois estimé qu’il serait bon qu’Israël mette en place une commission d’enquête nationale chargée d’examiner les allégations de Khan afin d’éviter toutes poursuites judiciaires.

La demande de délivrer des mandats d’arrêt contre Netanyahu et Gallant, annoncée la semaine dernière lors de la conférence de presse au cours de laquelle Khan a déclaré qu’il cherchait à obtenir des mandats d’arrêt pour les mêmes chefs d’accusation contre trois dirigeants du Hamas, a suscité l’indignation à Jérusalem, ainsi que de vives critiques de la part des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Italie et d’autres pays alliés d’Israël.

Le procureur cherche à porter des accusations de crimes contre l’Humanité et de crimes de guerre contre les deux équipes de « dirigeants ».

Son annonce a été critiquée à la fois pour les accusations portées contre Israël, qui dispose d’un système judiciaire indépendant capable d’enquêter sur les actes criminels commis par des dirigeants politiques, et pour le fait qu’il semble établir une équivalence entre les dirigeants démocratiquement élus d’Israël et les dirigeants terroristes du Hamas.

Karim Khan, le procureur en chef de la Cour pénale internationale (au centre), annonçant qu’il demande aux juges de la CPI de délivrer des mandats d’arrêt contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que les chef du Hamas Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismaïl Haniyeh, le 20 mai 2024. (Crédit : CPI)

« Je pense que la demande [de délivrer] des mandats d’arrêt contre des dirigeants israéliens et des dirigeants du Hamas constitue une équivalence moralement et juridiquement fallacieuse et, comme l’a dit le président américain Joe Biden, cette comparaison est scandaleuse », a déclaré Cotler.

L’ancien ministre soutient la Cour depuis longtemps, puisqu’il a été conseiller spécial du ministre canadien des Affaires étrangères pour la Cour pénale internationale à la fin des années 1990, avant la création de la CPI. Il était également présent à Rome à la tête d’une délégation canadienne d’organisations non gouvernementales lors de l’adoption du Statut de Rome, la charte fondatrice de la CPI, en 1998.

En tant que membre du Parlement canadien, Cotler a également co-parrainé la loi sur les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité, qui avait ancré les dispositions du Statut de Rome dans la législation canadienne et a été promulguée en 2000.

Cotler a connu Khan peu de temps avant qu’il ne demande les mandats d’arrêt et a déclaré qu’il avait « rencontré une personne intègre et de principe », ce qui, a-t-il poursuivi, explique qu’il ait été « si surpris par sa conduite » dans le traitement de cette affaire.

Sans complémentarité

L’une des principales critiques de Cotler est que Khan semble avoir fait peu de cas d’un principe fondamental de la CPI, à savoir qu’il s’agit d’une juridiction de dernier ressort, ce qui signifie qu’un État doté d’un système judiciaire indépendant, désireux et capable de demander des comptes à de hauts responsables pour des crimes relevant de la compétence de la CPI, doit avoir la possibilité d’exercer cette autorité.

L’article 17 du Statut de Rome, la charte fondatrice de la CPI, stipule qu’une affaire est recevable devant la Cour si l’État soupçonné « n’a pas la volonté ou la capacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites ».

L’article 17 poursuit en disant que le manque de volonté signifie, entre autres, qu’il y a eu un retard injustifié dans la procédure.

La procureure générale Gali Baharav-Miara s’adressant lors de la conférence annuelle de l’Association du barreau israélien, à Eilat, le 27 mai 2024. (Crédit : Association du barreau israélien)

Or, Khan a ouvert son enquête il y a moins de six mois et a déjà demandé des mandats d’arrêt, plus rapidement que dans la plupart de toutes les autres grandes affaires, y compris les allégations contre les dirigeants soudanais pour le génocide au Darfour du début des années 2000, pour lesquelles il a fallu trois ans pour produire des demandes de délivrance de mandats d’arrêt. Il a fallu un an pour que les mandats d’arrêt contre Poutine pour crimes de guerre en Ukraine soient émis en mars 2023.

La procureure générale d’Israël, Gali Baharav-Miara, a elle-même vivement critiqué Khan, l’accusant d’ignorer l’indépendance de la justice israélienne et l’examen juridique des fautes pénales potentielles en cours, d’ignorer l’examen des recours déposés contre la politique d’aide humanitaire du gouvernement actuellement devant la Haute Cour de justice, et de ne pas donner au système judiciaire israélien suffisamment de temps et d’opportunités pour mener à bien ces procédures.

« La CPI ne devrait pas substituer son jugement à celui d’un État capable d’enquêter sur lui-même, sinon elle enfreint les principes fondateurs de la Cour », a déclaré Cotler, soulignant que c’est la première fois que la CPI cherche à délivrer des mandats d’arrêt à l’encontre d’un pays démocratique doté d’un système judiciaire indépendant.

Pas de coopération

Cette plainte est mise en évidence par le fait que, selon le gouvernement et Cotler, des fonctionnaires israéliens se préparaient à accueillir des fonctionnaires de la CPI le jour même où Khan a annoncé sa réquisition de mandats d’arrêt, afin de planifier une visite officielle du procureur en personne.

« Le gouvernement israélien était prêt à coopérer avec Karim Khan. Il était prévu qu’il vienne en Israël et rencontre les autorités. Son équipe était censée venir en Israël pour coordonner sa propre visite, mais il a émis sa demande [de mandats d’arrêt] ce jour-là », a déclaré Cotler.

Au cours de sa visite, Khan aurait rencontré des responsables israéliens afin de mieux comprendre le contrôle judiciaire et juridique exercé sur la conduite de la guerre contre le groupe terroriste palestinien du Hamas, et notamment la politique israélienne en matière d’aide humanitaire à Gaza, un point essentiel qui sous-tend ses allégations selon lesquelles Israël affame intentionnellement les habitants de Gaza.

Le Statut de Rome autorise explicitement le procureur de la CPI à conclure des « arrangements ou accords […] pour faciliter la coopération d’un État », mais après avoir commencé à préparer l’adoption d’une telle approche avec Israël, Khan s’est manifestement rétracté.

En outre, a souligné Cotler, le procureur s’est lui-même récemment engagé sur la voie d’une telle coopération avec le Venezuela.

En décembre 2020, Fatou Bensouda, alors procureure de la CPI, a conclu qu’il y avait une base raisonnable pour croire que le régime dictatorial de Nicolas Maduro au Venezuela avait commis des crimes contre l’Humanité, incluant la détention arbitraire, la torture, le viol et d’autres formes de violence sexuelle, et la persécution contre ses propres citoyens.

Mais en avril de cette année, Khan a annoncé qu’après sa quatrième visite au Venezuela, il était parvenu à un accord pour qu’une « équipe technique » de la CPI retourne à Caracas afin de former un cadre de coopération pour des « initiatives de complémentarité positive » visant à répondre aux graves allégations de crimes contre l’Humanité formulées à l’encontre du régime de Maduro.

« Nous ne ménagerons aucun effort, lorsque la volonté du Venezuela sera réelle, pour trouver des moyens d’approfondir notre coopération avec les autorités nationales afin de renforcer les initiatives nationales en matière de responsabilité », a déclaré Khan après sa visite, tout en ajoutant que l’enquête de la CPI était en cours.

Le procureur de la Cour pénale internationale Karim Khan (à gauche) serrant la main du dictateur vénézuélien Nicolas Maduro lors d’une visite des Khans, à Caracas, du 22 au 24 avril 2024. (Crédit : Cour pénale internationale)

Le Venezuela se classe à la dernière place en matière d’indépendance judiciaire, 142 sur 142 pays, selon l’indice de l’état de droit 2023 du World Justice Project (WJP).

Il est également classé 142 sur 167 selon l’indice de démocratie 2023 de The Economist.

À titre de comparaison, Israël est à la 30e position dans l’indice de The Economist, une place en dessous des États-Unis et au-dessus de nombreux pays européens, dont l’Italie, le Portugal et la Belgique. Il n’est pas pris en compte dans l’indice WJP.

« Le Venezuela est un régime autoritaire et dictatorial. Une culture de la criminalité et de l’impunité y perdure, mais Karim Khan s’y est rendu en vertu du principe de coopération et a déterminé qu’il pouvait en réalité coopérer avec Maduro, de sorte qu’aucun mandat d’arrêt n’a été délivré », a déclaré Cotler.

« En Israël, une démocratie où la presse et le système judiciaire sont indépendants, où les organisations non gouvernementales opèrent librement et où les élections sont libres et équitables, Karim Khan prend la décision de demander des mandats d’arrêt. »

« Je trouve cette asymétrie et cette fausse équivalence morale [avec les dirigeants du Hamas] incompréhensibles », a-t-il poursuivi. « Le simple fait de demander des mandats d’arrêt criminalise Israël et expose ses dirigeants à l’opprobre et à la mise en accusation dans l’arène internationale. »

« Tout cela porte atteinte à la CPI en tant qu’instance de dernier recours et en tant que tribunal à compétence limitée », a souligné Cotler. « Le fait que la CPI, que je soutiens depuis longtemps et que je continue de soutenir, soit ainsi lésée, finit malheureusement par porter préjudice non seulement au système judiciaire international en désignant les dirigeants israéliens, mais contribue également à la militarisation générale du droit international et des institutions internationales ».

Cotler a insisté sur le fait qu’il ne préjugeait pas de la responsabilité d’Israël dans les violations du droit international, insistant sur le fait qu’Israël « doit respecter les droits de l’Homme », mais a affirmé que la demande de délivrer des mandats d’arrêt de Khan signifiait qu’Israël « n’était pas sur un pied d’égalité avec les autres pays ».

La Cour pénale internationale, de La Haye. (Crédit : oliver de la haye/iStock)

Préemptif, exclusif et préjudiciable

Dans les jours qui ont suivi l’annonce de Khan, il a été proposé qu’Israël établisse une commission d’enquête sur sa propre conduite de la guerre. Cette proposition a été faite, entre autres, par l’ancien procureur général Avichaï Mandelblit et par le leader du parti HaMahane HaMamlahti Benny Gantz, membre du cabinet de guerre.

Cotler a déclaré qu’il serait « utile » pour Israël de mettre en place une telle commission, car cela permettrait « d’exposer le plus largement possible » le fait que le pays dispose d’un système judiciaire indépendant désireux et capable d’enquêter sur ses dirigeants.

Une telle commission pourrait également empêcher l’enquête de la CPI et les mandats d’arrêt éventuels, puisque l’article 17 du Statut de Rome stipule explicitement qu’une affaire est irrecevable devant la Cour si elle « fait l’objet d’une enquête ou de poursuites » de la part du pays en question.

Cotler a insisté sur le fait que, même en l’absence d’une telle commission, la demande de mandats d’arrêt formulée par Khan constituait toujours une violation de la complémentarité, mais il a ajouté que cela pourrait aider le procureur à « descendre de l’échelle qu’il a gravie » et à ouvrir la voie au gel des procédures de la CPI.

« Je trouve surprenant que dans le cas d’Israël, même s’il avait des inquiétudes, que ce soit une raison de plus pour Karim Khan de venir en Israël en vertu du principe de coopération et d’explorer le principe de complémentarité et de recevoir des informations d’Israël qui, selon lui, n’ont pas été communiquées », a-t-il déclaré.

« La demande de mandats d’arrêt est donc préventive. Préventive parce qu’elle ferme la porte à la coopération, et préjudiciable en raison de la fausse équivalence morale qu’elle a créée entre Israël et le Hamas, de la façon dont elle a sapé les négociations entre Israël et le tribunal, de l’asymétrie avec l’affaire du Venezuela, et de la façon dont elle a instrumentalisé le droit international contre Israël. »

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