Plus de 600 jours après le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023, l’armée israélienne a relancé une opération que ses dirigeants présentent comme décisive pour remporter la guerre.
Mais tant que des otages restent détenus à Gaza, les contours d’une victoire réelle sur le Hamas restent incertains, tandis que la position d’Israël sur la scène internationale ne cesse de se détériorer.
À ce jour, nul ne sait ce que réservent les mois à venir. Verra-t-on la libération d’otages supplémentaires ? La fin de la guerre se profile-t-elle à l’horizon ? Que recouvre au juste la promesse de « victoire totale » ? Et à quoi ressembleront les relations extérieures d’Israël une fois le conflit terminé ?
Pour comprendre la situation actuelle et les options encore ouvertes, voici dix éléments clés qui éclairent l’état de la campagne militaire et les trajectoires qu’elle pourrait désormais emprunter.
1. La guerre d’Israël contre le Hezbollah a été un succès retentissant…
Avant l’assaut du 7 octobre 2023 et le pogrom perpétré par les terroristes du Hamas, le Hezbollah, groupe terroriste chiite libanais soutenu par l’Iran, était considéré comme une menace plus grave que le Hamas en raison de ses capacités militaires supérieures. Pendant une dizaine d’années, Israël et le Hezbollah ont maintenu un équilibre fragile basé sur la dissuasion mutuelle le long de la frontière nord. Alors que l’État hébreu peaufinait ses plans opérationnels, le Hezbollah développait lui aussi ses capacités, préparant méthodiquement le terrain à un éventuel affrontement.
Israël avait prévu qu’en cas de guerre avec le Hezbollah, jusqu’à 2 000 roquettes pourraient être tirées chaque jour sur son territoire, ce qui aurait entraîné un bilan humain catastrophique et paralysé le pays.

La guerre a toutefois pris une tournure bien différente. Dès le 8 octobre 2023, le Hezbollah est entré en scène, déclenchant plusieurs mois d’échanges de roquettes et de frappes aériennes. Mais lorsque Israël a décidé d’intensifier le conflit à la fin de l’été 2024, il a lancé une série d’opérations spectaculaires et largement médiatisées, neutralisant des dispositifs piégés et éliminant Hassan Nasrallah, chef du groupe terroriste, ainsi que plusieurs hauts responsables de sa force d’élite Radwan.
Démoralisé et dépassé, le Hezbollah n’a pas été en mesure de stopper l’invasion terrestre limitée menée par Israël, et a fini par accepter un cessez-le-feu humiliant. Depuis, Israël maintient une présence militaire au Liban et continue de frapper des cibles du Hezbollah, sans que l’organisation – autrefois redoutée – n’ose riposter.
Un nouveau président, issu de la faction anti-Hezbollah, est désormais au pouvoir à Beyrouth, avec le soutien appuyé des États-Unis et de la France. L’armée libanaise aurait, avec l’aide du renseignement israélien, démantelé la majorité des postes et des dépôts d’armes du Hezbollah dans le sud du pays.

Et en prime, peu après que le Hezbollah a jeté l’éponge, le régime de Bashar el-Assad s’est effondré en Syrie, remplacé par un nouveau gouvernement faible qui n’a aucun intérêt à entrer en conflit avec Israël.
2.… tandis que la campagne de Gaza reste un chantier chaotique
Sur le plan tactique, Tsahal a affiché des performances remarquables à Gaza. L’armée israélienne peut atteindre n’importe quel point du territoire, a rapidement anéanti les défenses du Hamas au début du conflit, et a su s’adapter à un champ de bataille façonné par le groupe terroriste pendant dix-sept ans.
Elle a aussi éliminé la chaîne de commandement du Hamas à Gaza, ainsi que la majorité de ses commandants sur le terrain.

Malgré cela, le Hamas poursuit ses attaques. Il reste la seule force à même d’imposer son autorité sur la population de la bande de Gaza. Près de 20 mois après avoir perpétré le plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah, le groupe terroriste n’a toujours pas été vaincu.
Israël n’a jamais clairement défini comment ses victoires tactiques s’articuleraient avec son objectif stratégique de défaire le Hamas. Fallait-il reprendre le contrôle du territoire ? C’est ce que semblaient croire les responsables israéliens en début de conflit, vantant la reconquête de zones clés comme Gaza-Ville, le corridor de Netzarim, celui de Philadelphi, ou encore le poste-frontière de Rafah.

Mais le Hamas n’a pas besoin de conserver un territoire défini pour continuer d’exister. Un simple repli stratégique lui suffit pour préserver sa structure et sa capacité de nuisance.
L’assassinat ciblé de ses chefs terroristes constitue-t-il la clé de la victoire ?
« C’est en démantelant un autre bataillon, en éliminant un autre commandant, en détruisant une autre infrastructure que nous finirons par exercer une pression suffisante pour obtenir la libération des otages », déclarait Herzi Halevi, alors chef d’état-major de Tsahal, en avril 2024.
Si Israël a effectivement éliminé plusieurs dizaines de milliers de terroristes du Hamas du champ de bataille, affaiblissant considérablement le groupe, il en reste encore des milliers. Bien plus qu’il n’en faut pour reprendre le contrôle et se reconstruire si Israël venait à se retirer.
Une autre stratégie mise en avant consiste à viser le noyau dirigeant du Hamas.
Tsahal a neutralisé Yahya et Mohammed Sinwar, Mohamed Deif, Marwan Issa et la quasi-totalité des commandants de brigade et de bataillon. Mais le groupe terroriste ne s’est ni effondré ni scindé en factions rivales.

Israël n’est pas non plus parvenu à inciter la population de Gaza à se retourner contre le Hamas. Quelques manifestations ont bien eu lieu, mais elles ont été violemment réprimées ou se sont éteintes d’elles-mêmes. Israël accorde beaucoup d’importance à ces signes de dissidence, mais sans offrir de perspective concrète d’amélioration des conditions de vie, ils ne suffisent pas à provoquer un réel basculement.
Dans une tentative de faire pression, Israël a aussi restreint l’aide humanitaire, misant sur une montée du mécontentement populaire. Cette stratégie s’est révélée contre-productive : non seulement elle n’a pas affaibli le soutien au Hamas, mais elle a aussi entamé le capital diplomatique d’Israël auprès de ses alliés.
Selon certaines sources, Israël armerait par ailleurs discrètement des clans criminels locaux.
Aujourd’hui, une autre approche semble privilégiée : offrir une aide humanitaire substantielle, mais sans qu’elle transite par le Hamas. L’idée est de priver le groupe terroriste de ses ressources financières et de son emprise sur la population. C’est dans cette optique qu’a été créée la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), chargée de superviser cette nouvelle entreprise. Sa mise en œuvre a été sanglante et chaotique, mais l’hostilité affichée du Hamas à son égard est perçue comme un signe que cette stratégie pourrait porter ses fruits.
La GHF devra être étendue, sécurisée et soutenue par d’autres pays et organisations humanitaires pour espérer affaiblir durablement l’emprise du Hamas sur la population de Gaza.
3. Israël manque d’une vision pour le « jour d’après »
Pour de multiples raisons, mais avant tout, en raison des contraintes politiques de sa coalition, le gouvernement refuse jusqu’à présent de définir une vision claire de ce que devrait être Gaza une fois la « victoire totale » proclamée.
Le Hamas n’est pas à l’abri d’une défaite militaire, comme le soulignent de nombreux observateurs. Mais en l’absence d’un plan de gouvernance alternatif, une telle défaite devient beaucoup plus difficile à concrétiser. Un projet d’avenir permettrait de donner du sens aux opérations militaires et d’imprimer une cohérence globale à l’action de Tsahal.
Jusqu’ici, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a semblé s’accommoder de la suggestion de Donald Trump d’établir une zone de réinstallation palestinienne surnommée « Gaz-a-Lago », une pirouette qui lui évite surtout d’avoir à formuler sa propre vision de l’avenir de l’enclave.

Un plan pour l’après-guerre permettrait également de renforcer le soutien international à la campagne militaire israélienne. Il est en effet plus aisé de justifier la poursuite d’opérations aux conséquences lourdes pour la population gazaouie lorsque les alliés sont convaincus que les souffrances actuelles ouvrent la voie à un avenir meilleur. En l’absence de vision claire, même les partenaires les plus proches d’Israël peinent à comprendre pourquoi ils devraient continuer à soutenir une guerre synonyme de morts et de famine.
4. L’opération « Chariots de Gédéon » n’a, jusqu’à présent, rien bouleversé
Le 5 mai, un haut responsable de la défense israélienne a annoncé que Tsahal lancerait sa grande offensive contre le Hamas dans la bande de Gaza, baptisée « Chariots de Gédéon », si aucun accord sur les otages n’était trouvé avec le groupe terroriste avant la fin de la visite du président américain Donald Trump prévue la semaine suivante.
Trump est venu, puis reparti. Aucun accord n’a été conclu.

L’objectif de l’opération « Chariots de Gédéon », selon les responsables de la Défense israélienne, est clair : infliger une défaite décisive au Hamas dans la bande de Gaza et obtenir la libération de tous les otages.
« Un élément central du plan consiste en l’évacuation massive de toute la population gazaouie hors des zones de combat, y compris du nord de Gaza, vers le sud, tout en assurant une séparation entre les civils et les terroristes du Hamas, afin de garantir à Tsahal une liberté d’action opérationnelle », a expliqué l’un de ces responsables.
« Contrairement aux précédentes phases du conflit, Tsahal entend rester dans chaque zone conquise pour empêcher le retour de terroristes. Chaque secteur libéré sera traité selon le modèle de Rafah, où toutes les menaces ont été éliminées et qui fait désormais partie intégrante de la zone de sécurité », a-t-il précisé.
Bien que toutes les brigades terrestres actives de Tsahal se trouvent à Gaza, l’opération n’est ni rapide ni agressive.
Au contraire, elle se targue de gains progressifs. Les responsables militaires affirment viser la reprise de 75 % de la bande de Gaza en l’espace de deux mois. L’objectif n’est plus de neutraliser le plus grand nombre possible de terroristes, mais bien de reprendre le contrôle territorial et de démanteler les infrastructures du Hamas.
Une carte publiée mardi par l’armée israélienne montre ainsi cinq divisions poursuivant leur avancée dans l’enclave.

Si, pour quelque raison que ce soit – pression extérieure, manque d’effectifs – les troupes israéliennes devaient se retirer des zones reprises, cette offensive intensifiée, si médiatisée, risquerait de n’être qu’une énième itération des campagnes précédentes menées par Tsahal au cours des dix-huit derniers mois.
La différence, cette fois, c’est que l’armée affirme vouloir maintenir sa présence sur les territoires conquis jusqu’à ce que le Hamas capitule. Est-ce que cela suffira à faire basculer la donne ? Peut-être. Mais si l’objectif du Hamas est simplement de survivre, rien ne l’empêche de se fondre parmi la population civile et d’attendre que la situation évolue – sous la pression diplomatique des États-Unis ou à travers un nouvel accord de cessez-le-feu provisoire.
Même si Tsahal reconquiert progressivement des territoires dans la bande de Gaza, il est clair qu’à ce stade, Israël cherche avant tout à faire pression sur le Hamas pour obtenir un accord sur les otages, plutôt que de l’anéantir militairement de manière définitive.
5. Israël pense avoir le temps…
Depuis le 7 octobre, Israël agit comme si la guerre à Gaza pouvait se prolonger indéfiniment.
Sa première phase terrestre a été conçue comme une campagne lente et ciblée, à rebours de la doctrine militaire israélienne classique, qui privilégie les décisions rapides et décisives.

Faute de renseignements suffisamment précis sur le Hamas et la bande de Gaza, et en raison d’une confiance limitée dans ses capacités de manœuvre terrestre, Tsahal a avancé très lentement lors de la grande offensive lancée à la fin de 2023 et au début de 2024.
Elle a eu recours à une puissance de feu massive pour protéger ses troupes, qui n’ont progressé qu’au rythme des bulldozers qui dégagent les routes.
Israël n’a pas attaqué plusieurs zones en parallèle, comme le prévoit pourtant sa doctrine militaire. Il a commencé par Gaza-City, avant de passer à Khan Younès en décembre, et – face aux menaces de l’administration américaine de Biden – n’a lancé son opération à Rafah qu’en mai 2024.
Or, une guerre prolongée entraîne des coûts considérables pour Israël : mobilisation prolongée des réservistes, affaiblissement de l’économie, et érosion de sa position diplomatique.
Certains facteurs justifient cette prudence : Israël évite de frapper des zones où des otages pourraient être retenus, et deux accords en vue de libérations d’otages ont abouti à des cessez-le-feu temporaires.
Mais il n’en reste pas moins que ni urgence militaire ni volonté claire de reconstruction de Gaza ou d’ouverture politique ne se sont manifestées jusqu’ici.

Cette approche comporte des risques. L’administration Trump a jusqu’ici laissé les mains libres à Netanyahu pour gérer Gaza comme il l’entend. Mais plus la situation durera sans percée vers une résolution, plus le risque que Trump se désengage ou réduise son soutien augmentera.
L’Europe et plusieurs pays arabes pro-occidentaux redoublent d’efforts pour obtenir la fin de la guerre, et ne manqueront pas de soulever cette question lors de leurs rencontres avec Trump. À terme, cela pourrait finir par infléchir la position américaine.
6.… mais affaiblit ses chances de victoire par un manque de rigueur militaire et politique
Il était évident que, dès les premiers coups de canon de Tsahal, la légitimité internationale d’Israël dans cette guerre était vouée à s’éroder
Au lendemain du pogrom perpétré par le Hamas le 7 octobre, Israël a semblé croire que, face à l’ampleur des atrocités commises, aucun acteur extérieur ne viendrait entraver le cours de sa campagne militaire. Il n’a pas jugé stratégique de limiter le nombre de victimes civiles et et la question de l’aide humanitaire a été étroitement liée à des considérations politiques tout au long du conflit.

Ces deux erreurs ont conduit un nombre croissant d’alliés à réclamer la fin de la guerre, sans condition préalable – ni sur le retour des otages ni sur la défaite du Hamas.
L’état-major de Tsahal n’a pas contribué à inverser la tendance. De nombreux soldats – y compris des réservistes – ont diffusé des vidéos depuis le champ de bataille sur les réseaux sociaux qui seraient vues par le monde entier. Si certaines relevaient d’une forme d’insouciance ou de bravade, d’autres exprimaient des positions politiques inappropriées, voire montraient des images susceptibles d’être interprétées comme des crimes de guerre.
Au lieu de sévir rapidement contre les auteurs, dont les vidéos ont été recueillies par des groupes anti-Israël et par des tribunaux internationaux, l’armée a peiné à reprendre le contrôle. Il en est résulté un préjudice stratégique et durable à l’image de Tsahal, comme à l’effort de guerre dans son ensemble.

Des ministres et députés de la coalition ont également contribué à la détérioration de l’image d’Israël, par leurs déclarations incendiaires en public
Le ministre de l’Agriculture Avi Dichter a qualifié la guerre de « Nakba de Gaza ».
« Effacez Gaza de la surface de la Terre », a déclaré Galit Distel-Atbaryan (Likud). « Laissez les monstres de Gaza se précipiter vers la frontière sud et fuir en Égypte, ou mourir. Et qu’ils agonisent. Gaza devrait être rayée de la carte ».
Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a prédit que l’enclave serait « totalement détruite. »
Ces propos, tenus par des membres du gouvernement en exercice, figurent parmi les éléments centraux cités dans le dossier d’accusation de génocide déposé contre Israël devant la Cour internationale de justice.
Netanyahu a tièdement exhorté son gouvernement à modérer ses propos, mais sans jamais sévir contre les ministres dont les déclarations desservent la campagne militaire d’Israël à des fins de positionnement politique personnel.
Il convient toutefois de souligner que certains pays qui critiquent aujourd’hui Israël font preuve d’une forme d’hypocrisie. S’ils affirment se soucier du sort des civils à Gaza, aucun n’a exigé l’ouverture de couloirs d’évacuation, comme cela avait été le cas pour les Syriens ou les Ukrainiens. Certains évoquent le risque qu’Israël empêche les Palestiniens de revenir dans l’enclave, mais ne devrait-il pas revenir à chaque habitant de Gaza de décider s’il préfère préserver sa sécurité physique ou s’exposer aux dangers de la guerre pour rester sur sa terre ?
7. La survie du Hamas en jeu
Israël estime que le temps joue en sa faveur. Le Hamas, lui, fait le pari inverse : il mise sur la pression internationale – ou sur l’opinion publique israélienne – pour forcer l’arrêt de la guerre, ce qui équivaudrait, de facto, à une victoire.

À ce stade, son objectif principal est de survivre à la guerre avec un noyau de combattants et de cadres dans la bande de Gaza. S’il y parvient, il restera la principale force militaire de l’enclave. Avec le temps, il pourrait se réarmer progressivement et finir par reprendre le contrôle total.
C’est précisément ce point qui bloque les négociations actuelles. Le Hamas insiste pour que tout accord de libération garantisse la fin de la guerre. Israël refuse d’accorder la victoire au Hamas, et un accord reste hors de portée.
8. Le gouvernement a tout de même obtenu des libérations d’otages
Bien qu’il soit confronté à des pressions croissantes internationales ainsi qu’à des manifestations de colère sur la question – notamment en raison de son refus d’accepter un accord prévoyant le retour de tous les otages en échange de la fin de la guerre – le gouvernement de Netanyahu a réussi à obtenir la libération de la majorité des otages. Sur les 251 personnes enlevées le 7 octobre, 148 sont revenues vivantes – principalement à la faveur d’accords négociés avec le Hamas, mais aussi grâce à des opérations militaires et quelques libérations sporadiques du groupe terroriste.
Israël a également ramené les dépouilles de 51 otages assassinés.

Obtenir la libération de 199 otages d’une organisation terroriste sans scrupules qui se délecte du meurtre de Juifs n’est pas négligeable. Même si le gouvernement ne donne pas officiellement la priorité à la libération des otages, lui préférant la défaite du Hamas, à la grande colère d’une grande partie du pays, il a indéniablement freiné sa propre campagne militaire à plusieurs reprises afin de ne pas mettre en danger les otages restants et de conclure des accords de libération d’otages.
La campagne terrestre de Tsahal a été maintes fois ralentie ou suspendue pour laisser la porte ouverte à une nouvelle libération d’otages par le Hamas en échange d’un cessez-le-feu prolongé.
9. Les Israéliens doivent se poser clairement la question : quel est le prix à payer pour 20 otages ?
Les familles des otages et leurs sympathisants réclament haut et fort un accord qui permettra de ramener tous les otages à la maison, au prix de la fin de la guerre si nécessaire.
Ils avancent un certain nombre d’arguments.
Parmi eux, celui qu’une fois tous les otages chez eux ramenés chez eux, Israël pourra reprendre la guerre dès que le Hamas violera les conditions du cessez-le-feu, ce qu’il ne manquera pas de faire.
Mais cela relève sans doute du vœu pieux. Le Hamas, brutal et sanguinaire, n’est pas pour autant stupide. Avant de consentir à se séparer de ses derniers otages – son levier de négociation le plus précieux –, il chercherait très probablement à obtenir des garanties fermes empêchant toute reprise des combats par Israël.

L’assurance la plus crédible que le Hamas pourrait obtenir tiendrait en une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) imposant des sanctions sévères à Israël s’il reprenait les hostilités. Le Hamas ne peut pas lui-même obtenir une telle résolution. Mais si tel est le prix à payer pour éviter une nouvelle effusion de sang à Gaza, il est concevable que les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni finissent par l’appuyer.
Tant que le Hamas estimera qu’il existe, ne serait-ce qu’une infime chance qu’Israël relance une opération militaire dans la bande de Gaza, il refusera très probablement de libérer l’ensemble des otages qu’il détient
Autrement dit, tant que le Hamas estimera qu’il existe, ne serait-ce qu’une infime chance qu’Israël relance une opération militaire dans la bande de Gaza, il refusera très probablement de libérer l’ensemble des otages qu’il détient.
Un second argument, de nature morale cette fois, affirme qu’il existe un impératif éthique de tout faire pour sauver les otages tant qu’ils sont en vie, un impératif qui prime sur la destruction du Hamas.
C’est cette approche qui a guidé, au fil des années, les décisions d’Israël dans les accords de libération d’otages. À plusieurs reprises, le pays a accepté de libérer un certain nombre d’otages en échange de prisonniers condamnés pour terrorisme, dont certains ont ensuite repris leurs activités violentes et causé la mort de civils israéliens.

Selon l’ancien directeur du Mossad, Meir Dagan, 231 Israéliens ont été assassinés par des terroristes relâchés dans le cadre de l’accord de 2004 qui avait permis de libérer Elhanan Tannenbaum et de rapatrier les dépouilles de trois soldats de Tsahal.
Yahya Sinwar, le chef du Hamas qui a orchestré le 7 octobre, considéré comme l’architecte du 7 octobre, faisait partie des 1 027 prisonniers libérés dans le cadre de l’accord de 2011 pour la libération du soldat Gilad Shalit.
Il existe toutefois une différence notable cette fois-ci : les accords passés relevaient d’échanges ponctuels qui n’imposaient pas à Israël de mettre prématurément un terme à une campagne militaire.
Or cette fois-ci, c’est le cas.

La décision doit donc être clairement posée : faut-il poursuivre la guerre contre une organisation terroriste ou sauver la vie d’une vingtaine de personnes, soit le nombre estimé d’otages encore vivants dans la bande de Gaza ? Le Forum des familles d’otages et de disparus résume ce dilemme en une formule simple : « Sauvez les otages. Mettez fin à la guerre. »
Choisir la vie des otages plutôt que la victoire militaire ne serait pas sans précédent, mais cela reste exceptionnel dans l’histoire des conflits. En 1995, la Russie avait accepté de suspendre ses opérations militaires en Tchétchénie et d’ouvrir des négociations après la prise en otage de quelque 2 000 civils à Budyonnovsk par des terroristes tchétchènes.
Plus loin dans le temps, en 1360, après la capture du roi Jean II par les Anglais, la France avait consenti à céder de vastes territoires dans le cadre du traité de Brétigny pour obtenir sa libération.

Mais les rares exemples historiques méconnus vont toutefois à l’encontre de la logique qui sous-tend la guerre. Si le but ultime était d’éviter la mort d’un petit nombre de citoyens, aucune nation ne prendrait les armes : toute guerre implique, par définition, la perte de vies humaines au service d’objectifs politiques.
Dès lors, si la guerre conduite par Israël contre le Hamas ne justifie pas le sacrifice de 20 citoyens, comment pourrait-elle justifier celui des 425 soldats tombés depuis octobre 2023 ?
Certains avancent que la situation actuelle est sans commune mesure. Le 7 octobre, l’appareil sécuritaire israélien a failli à sa mission. Des civils ont été enlevés à leur domicile, des soldats en service ou en permission ont été pris de court par des combats d’une rare violence, et pendant des heures, aucune intervention efficace n’a été menée pour stopper la prise d’otages. Cette défaillance, arguent-ils, crée une dette morale particulière envers ces Israéliens. Si cette obligation n’est pas honorée, le contrat de confiance entre l’État, son armée et ses citoyens pourrait être irrémédiablement brisé.
10 : Une nouvelle rhétorique et une nouvelle équation morale dans la crise actuelle des otages
Le Forum des familles d’otages et de disparus, tout comme le mouvement des otages dans son ensemble, réclame désormais que la priorité absolue d’Israël soit de ramener chaque otage chez lui. Le mot d’ordre, affiché partout, est clair : #UntilTheLastHostage – jusqu’au dernier otage.
Cet objectif, celui de ramener tous les captifs, vivants ou morts, est largement partagé dans la société israélienne.
Mais le message du mouvement va plus loin. Il s’agit d’insister sur le fait que le gouvernement doit faire toutes les concessions nécessaires pour que chaque captif, vivant ou mort, revienne de Gaza.
Il s’agit là d’une position moralement défendable.
Pourtant, cette exigence n’avait pas été formulée avec la même intensité au cours des dix années ayant précédé le 7 octobre, alors que le Hamas détenait déjà à Gaza les dépouilles de deux soldats de Tsahal ainsi que deux civils vivants.
Selon les normes établies depuis l’invasion du Hamas, des manifestations de masse auraient dû se tenir durant toutes ces années pour demander au gouvernement israélien de négocier leur retour, y compris par la libération de prisonniers palestiniens et d’autres concessions au Hamas afin que les quatre otages puissent rentrer chez eux.
Lorsque, en 2022, la famille de Hadar Goldin a organisé une marche pour marquer le huitième anniversaire de l’enlèvement de son corps par le Hamas – et pour exiger également le retour de la dépouille d’Oron Shaul ainsi que celui d’Avera Mengistu et Hisham al-Sayed –, seuls quelques centaines d’Israéliens ont pris part à l’initiative. Rien à voir avec les dizaines de milliers qui, aujourd’hui, descendent dans la rue.

Les gouvernements successifs de Benjamin Netanyahu, tout comme celui de Naftali Bennett et Yaïr Lapid, n’ont pas fait de la libération des otages une priorité, et la population a suivi.
Dans le cadre de la crise actuelle, les otages tués à Gaza sont désormais eux aussi désignés comme des « otages ». Le raisonnement est limpide : insister sur l’importance de rapatrier les corps afin qu’ils puissent être inhumés dignement en Israël, même si cela exige un prix douloureux.
Mais cette rhétorique n’était pas en usage avant le 7 octobre. On appelait « otages » les personnes vivantes. Les médias – y compris celui-ci – évoquaient jusqu’alors « deux otages » détenus par le Hamas, en plus des dépouilles de deux soldats de Tsahal.
Aujourd’hui, les responsables israéliens comme les journalistes parlent de 55 otages, dont une vingtaine seraient encore en vie.
Il se peut que les attaques du 7 octobre aient été si traumatisantes qu’elles ont modifié la manière dont les Israéliens perçoivent les otages, vivants ou morts.
Les manifestations ont également une dimension politique difficile à ignorer. Une partie des manifestants – impossible à quantifier – soutient un accord global sur les otages, incluant la fin de la guerre, principalement en raison de son opposition de longue date à Netanyahu.
En parallèle, la terminologie adoptée tend à occulter un débat essentiel : jusqu’où Israël doit-il aller pour récupérer des corps ? Les qualifier d’otages implique que le prix à payer devrait être presque équivalent à celui d’otages vivants – un précédent posé lors de l’accord pour Elhanan Tannenbaum.
Mais est-ce la voie qu’Israël doit suivre aujourd’hui ? Cette question a des implications concrètes, et éluder la nécessité d’y répondre n’est, en fin de compte, dans l’intérêt de personne.
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Israël est confronté à un ennemi barbare, qui a eu plus de vingt ans pour se préparer à une guerre dans laquelle il a délibérément mis son propre peuple en danger. Les objectifs de guerre d’Israël sont justes et raisonnables.
Mais, vingt mois après le 7 octobre, aucun de ces objectifs n’a été atteint. Sur le champ de bataille comme dans l’arène diplomatique, l’armée et l’État ont accompli de nombreuses prouesses. Mais sans un leadership adapté et une stratégie claire, ces succès ne sont toujours pas synonymes de victoire.
La victoire reste possible. Mais plus Israël tarde à faire des choix décisifs, plus elle risque de lui échapper.