Israël en guerre - Jour 432

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Une femme tient une tortue de mer morte recouverte de goudron  dans la réserve naturelle de Gador, près de Hadera, le 20 février 2021. (Crédit : AP Photo/Ariel Schalit)
Une femme tient une tortue de mer morte recouverte de goudron dans la réserve naturelle de Gador, près de Hadera, le 20 février 2021. (Crédit : AP Photo/Ariel Schalit)

Marée noire : Si seulement nous avions eu un plan d’urgence

Une réponse nationale face aux marées noires avait été ordonnée en 2008, jamais concrétisée. Aujourd’hui, les plages sont fermées – et d’autres désastres se profilent à l’horizon

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Une semaine après une marée noire qui a dévasté la côte israélienne presque toute entière, le ministère de la Protection environnementale a enfin lancé une opération de nettoyage à grande échelle dans la journée de mercredi.

Les experts n’ont pas trouvé les mots quand ils ont tenté d’expliquer l’ampleur de la catastrophe. Les autorités se sont trouvées dans l’obligation d’interdire l’accès aux plages au public, depuis Rosh Hanikra, dans le nord, jusqu’à Ashkelon, dans le sud. Et – en guise de précaution – le ministère de la Santé a totalement suspendu la vente de poissons et de fruits de mer de la Méditerranée jusqu’à nouvel ordre.

« On fait tellement attention, on travaille tellement pour protéger chaque site, chaque créature », commente Ruti Yahel, écologue au sein de l’Autorité israélienne de la nature et des parcs. « Puis, il arrive un événement comme celui-là et on doit repartir à zéro… Cela me brise le cœur ».

« Il va falloir avancer pierre par pierre, plage par plage au cours des prochaines années » pour venir à bout des dégâts, prévient Shaul Goldstein, directeur de l’Autorité de la nature et des parcs. « C’est un travail digne de Sisyphe ».

Yahel et Goldstein ont pris la parole dans un reportage diffusé à la télévision israélienne dimanche soir, évoquant notamment les efforts livrés pour sauver 14 jeunes tortues qui avaient été recouvertes de goudron. Huit n’ont pas survécu.

Yoav Ratner, qui dirige le Centre de préparation et de réponse aux pollutions marines qui dépend du ministère de la Protection environnementale, a confié pour sa part à Sue Surkes, journaliste spécialisée dans l’environnement au Times of Israel, que cette catastrophe était tout simplement sans précédent.

S’étant impliqué pendant une grande partie de sa vie dans les questions environnementales, il a indiqué que cette marée noire était la pire à avoir touché le sable et les rochers du littoral du pays en raison de son ampleur géographique.

Des opérations de nettoyage ad hoc ont dû être abandonnées, la semaine dernière, parce que certains bénévoles avaient eu des malaises après avoir inhalé des fumées toxiques dégagées par les blocs de goudron.

Et les dégâts commis à la vie marine sont incalculables.

Personne ne sait quand les plages pourront être rouvertes dans de bonnes conditions de sécurité.

Pour le moment, le ministère nous invite à nous enquérir du suivi du nettoyage grâce à une carte où le littoral est divisé en codes-couleurs (en hébreu) – le vert désigne une pollution « très légère », et le rouge indique qu’il faudra encore un travail considérable pour ôter les stigmates de la pollution.

Cinq des dix pétroliers localisés dans la zone où le déversement de pétrole se serait produit – à environ 50 kilomètres de la côte – sont encore soupçonnés d’être responsables de la catastrophe. « Nous faisons tout ce qui est possible pour trouver le responsable et l’amener devant les tribunaux », a déclaré jeudi matin Gila Gamliel, ministre de la Protection environnementale.

Donnant un premier chiffre officiel sur le travail qui reste à réaliser, le ministère a fait savoir mercredi, qu’il collecterait et devrait se débarrasser de 1 200 tonnes de goudron et autres matériaux contaminés – dont du « sable et des déchets solides comme du plastique, du bois, des algues et des coquillages » – le long de 165 kilomètres de plages dans le pays. La ligne côtière fait 195 kilomètres au sein de l’Etat juif.

Du goudron sur les pierres suite à une marée noire survenue en méditerranée dans la réserve naturelle de Tel-Dor, à Nahsholim, en Israël, le 23 février 2021. (Crédit : AP Photo/Ariel Schalit)

L’Autorité de la nature et des parcs a déclaré, mercredi, que 70 tonnes de goudron avaient été enlevées des plages, des réserves naturelles et des parcs nationaux et le directeur Goldstein a averti que de plus importantes quantités encore pourraient se déverser sur les côtes israéliennes. Environ 2 000 bénévoles travaillent aux côtés des autorités et l’armée israélienne a, elle aussi, délégué des soldats.

« Ce que les êtres humains détruisent, les êtres humains peuvent aussi le réparer », aurait écrit dans un tweet Dafna Ben-Nun, qui a pris les photographies présentées ci-dessous. Eh bien, peut-être. Il faut l’espérer.

Donnant un aperçu de l’ampleur de la complexité des opérations de nettoyage, l’Autorité de la nature et des parcs a expliqué que les pires stigmates de la pollution restaient « sur les surfaces rocailleuses », sur les plages, là où il est difficile d’ôter le goudron. Le sable est relativement propre – même s’il y reste, là aussi, des quantités considérables de blocs et de petits morceaux de goudron.

Le nettoyage nécessite de « filtrer d’importantes surfaces de sable » – ce qui exige d’avoir de grandes équipes, a noté l’Autorité. « L’Autorité tente de trouver des outils mécaniques et technologiques permettant de s’attaquer aux petites boules de goudron, et de trouver des moyens plus sophistiqués pour s’attaquer au goudron incrusté sur le roc », a-t-elle ajouté.

Les plaques de goudron sur les côtes du nord d’Israël, des photos prises depuis un hélicoptère par le directeur de l’Autorité de la nature et des parcs, Shaul Goldstein, le 22 février 2021 (Autorisation)

Une catastrophe qu’Israël avait vu venir depuis des années

Dans un article publié lundi dernier, Sue Surkes, notre journaliste, avait évoqué la manière dont une série de mesures définies il y a des années – des mesures qui auraient pu permettre d’anticiper la catastrophe qui nous touche aujourd’hui et de mettre en place de meilleurs outils minimisant son impact – n’ont jamais été mises en œuvre.

« En 2008 », avait-elle écrit dans son article, « le gouvernement avait décidé de formuler un plan national de préparation et de réponse aux incidents de pollution pétrolière marine. Une décision prise par le cabinet au mois de juin 2008, quand Ehud Olmert était Premier ministre, avait ordonné que dans les trois à cinq années suivant la date du 1er janvier 2009, le ministère mette en place des postes particuliers et acquiert tous les équipements et navires nécessaires pour empêcher les pollutions au pétrole dans la mer. »

Le ministère de la Protection environnementale « avait reçu pour instruction de discuter avec le Trésor de tous les financements indispensables dont il ne disposait pas encore au cours de la préparation du budget 2009. Et le ministre de la Protection environnementale avait reçu l’ordre de garantir que ce plan allait bien être ancré dans la loi, ainsi que toutes les exigences incluses dans la Convention internationale sur la préparation, la réponse et la coopération face aux pollutions pétrolières marines, dont l’Etat juif est signataire. »

« Mais le plan ne devait jamais entrer dans la législation. Et le ministère des Finances avait, de son côté, bloqué le transfert des fonds supplémentaires. »

Tout cela apporte la preuve – avec aujourd’hui des conséquences tragiques – de la priorité médiocre accordée à la protection environnementale par les gouvernements successifs.

Il est plus que flagrant que le littoral méditerranéen, en Israël, est un bien national dont la protection n’a pas de prix – c’est notre propre horizon occidental et le visage que nous présentons au monde, c’est le cœur de notre tourisme national et international, c’est une ressource écologique délicate

Et, alors que nous sommes en droit d’insister sur une indifférence et une négligence irréfléchies, on est aussi en droit de constater que même le budget nécessaire aux opérations officielles de nettoyage actuellement en cours a été, dans un premier temps, bloqué par des querelles entre ministres et bureaucrates.

Il est pourtant plus que flagrant que le littoral méditerranéen, en Israël, est un bien national dont la protection n’a pas de prix – c’est notre propre horizon occidental et le visage que nous présentons au monde, c’est le cœur de notre tourisme national et international, c’est une ressource écologique délicate.

A l’évidence – et lamentablement – cette réalité n’est pas flagrante du tout pour les politiciens et pour les responsables chargés de la sûreté de nos côtes.

Des vétérinaires marins prélèvent des échantillons sur une baleine morte de 17 mètres qui s’est échouée sur une plage de la réserve de Nitzanim, le 21 février 2021. (Crédit : Flash90)

La prochaine catastrophe

Et de manière tout à fait extraordinaire, alors même qu’Israël tente de lutter contre une catastrophe maritime sans aucune idée du calendrier nécessaire pour venir à bout des dégâts, le pays semble vouloir risquer un désastre sur un autre de nos joyaux les plus précieux du front de mer – la station balnéaire d’Eilat, sur la mer Rouge.

Là-bas, un plan qui prévoit de débarquer le pétrole en provenance des Emirats arabes unis à Eilat, où il empruntera un pipeline qui traversera le pays jusqu’à Ashkelon, avance à grands pas. L’or noir sera à nouveau embarqué sur des pétroliers qui rejoindront l’Europe.

Des Israéliens sur une plage de la mer Morte, à proximité du Terminal pétrolier de l’EAPC (Eilat-Ashkelon Pipeline) dans la ville portuaire d’Eilat, dans le sud du pays, le 10 février 2021. (Crédit : Menahem Kahana / AFP)

Cela fait des mois que les activistes affirment que ce projet est une catastrophe en devenir – c’est d’autant plus le cas, estiment-t-ils, que les deux ou trois pétroliers qui débarqueront leur marchandise, chaque semaine, le feront à quelques centaines de mètres seulement de la barrière de corail d’Eilat, qui est connue dans le monde entier.

La « prochaine catastrophe écologique » a manifestement eu lieu ici, figeant notre côte méditerranéenne dans un noir visqueux

Dans un rapport en date du 15 février, Nadav Shashar, responsable de la biologie et de la biotechnologie marines à l’Institut universitaire des Sciences marines d’Eilat, a expliqué s’attendre à « un déversement constant de pollution au pétrole » au bord de la côte.

D’autres activistes ont prévu que le projet – qui a été initié suite à l’accord de normalisation réjouissant qui a été signé, l’année dernière, entre Israël et les Emirats arabes unis – pourrait entraîner la « prochaine catastrophe écologique ».

Cette photo montre la vie marine autour d’un corail des eaux de la mer Rouge, au large de la côte d’Eilat, le 10 février 2021. (Crédit : Menaham Kahana / AFP)

Ils avaient tort, bien sûr.

La « prochaine catastrophe écologique » a manifestement eu lieu ici, figeant notre côte méditerranéenne dans un noir visqueux.

Du goudron sur une plage de Rosh Hanikra, dans le nord d’Israël. (Crédit : Eyal Miller, Autorité israélienne de la nature et des parcs)

Selon les estimations, au moins la moitié de la production d’oxygène, sur Terre, provient de l’océan. un déversement d’hydrocarbure dans la mer a donc obligé l’un de nos espaces d’air les plus vitaux – si ce n’est le plus vital – à fermer.

Et si cela n’entraîne pas le placement de la question de la protection environnementale en tête de l’ordre du jour national – en s’attaquant également aux inquiétudes de longue date suscitées par la pollution émanant de nos champs de gaz naturel offshore – alors rien ne le fera.

Et Israël sera condamné à voir sa plaie environnementale s’infecter encore et encore.

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