À deux reprises au cours de son audition de confirmation au Sénat, le candidat du président américain Donald Trump au poste d’ambassadeur en Israël, Mike Huckabee, a déclaré à des députés républicains enthousiastes que la négociation d’un accord de normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite était une priorité absolue pour la nouvelle administration et qu’un accord était à portée de main.
« Le président est dans une position incroyable pour poursuivre ce qu’il a fait pendant son premier mandat, en élargissant les accords d’Abraham pour y inclure non seulement les Saoudiens, mais aussi d’autres pays du Golfe », a déclaré Huckabee. « Ce président pourrait réaliser quelque chose au Moyen-Orient… [dans] des proportions bibliques. »
Le nouvel ambassadeur d’Israël aux États-Unis, Yechiel Leiter, a exprimé le même optimisme, déclarant dans une interview récente que Jérusalem était « plus proche que jamais » d’un accord de normalisation avec Ryad.
De son côté, l’Arabie saoudite a adopté un ton totalement différent, répétant le mois dernier qu’elle ne normaliserait pas ses relations avec Israël avant la création d’un État palestinien sur la base de la démarcation d’avant 1967 — un cadre catégoriquement rejeté par le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu, ainsi que par une grande partie de l’opinion publique israélienne.
Mais les déclarations publiques de Ryad sur la question ont longtemps été minimisées, étant donné que ses dirigeants ont présenté une position plus souple lors de réunions privées avec des responsables américains.
Néanmoins, un analyste américain bien informé sur le Moyen-Orient a déclaré mardi au Times of Israel que le gouvernement israélien actuel avait pratiquement exclu toute possibilité d’accord de normalisation.

« C’est loin d’être envisageable si l’on considère la reprise du conflit à Gaza et les rumeurs au sein de l’actuel gouvernement israélien qui envisagent une éventuelle annexion et d’autres mesures extrêmes en Cisjordanie », a déclaré Brian Katulis, chercheur principal au Middle East Institute (MEI), qui s’entretient régulièrement avec des responsables saoudiens et d’autres pays de la région.
La reprise du conflit dont il parle fait référence à la reprise par Israël d’opérations militaires intensives dans toute la bande de Gaza le 18 mars dernier, actant l’échec du cessez-le-feu et de l’accord de libération d’otages avec le Hamas que Netanyahu avait autorisés deux mois plus tôt.
Cet accord prévoyait une transition vers une deuxième phase de l’accord à compter du 2 mars, qui aurait permis la libération de tous les otages encore en vie en échange d’un retrait complet des forces israéliennes de l’enclave et d’une fin permanente de la guerre. Estimant que ces deux dernières conditions permettraient au Hamas de conserver le pouvoir, Netanyahu a cherché à obtenir la libération des otages restants en proposant de prolonger le cessez-le-feu temporaire de la première phase. Le Hamas a refusé, insistant pour s’en tenir aux termes de l’accord initial, ce qui a conduit à l’impasse actuelle.
Parallèlement à la reprise de la guerre, le gouvernement Netanyahu s’efforce de faire avancer une législation qui limiterait radicalement le pouvoir du système judiciaire israélien et accorderait des exemptions généralisées au service militaire pour les étudiants ultra-orthodoxes des yeshivot.
« Il y a un sentiment croissant [à Ryad] qu’Israël regarde en arrière et s’enfonce dans une interprétation plus conservatrice de la religion, ce dont l’Arabie saoudite s’est éloignée », a affirmé Katulis, cherchant à faire la différence entre l’État hébreu et la monarchie islamiste du Golfe où « la jeune génération croit que son pays avance dans le XXIe siècle ».

« Un terrain de jeu différent »
Affirmant que le potentiel d’un accord de normalisation a été « sur-vendu », l’analyste du Proche-Orient a soutenu que Ryad « considère [qu’il joue] sur un terrain de jeu plus élevé que celui des Israéliens à l’heure actuelle », avec son économie et sa population plus importantes, ainsi que son appartenance au G20.
« L’Arabie saoudite a des aspirations mondiales — pas seulement régionales — et elle voit Israël prendre des mesures qui l’isolent du consensus régional émergent », a poursuivi Katulis. « Il ne s’agit pas d’un consensus qui rejette Israël. Il s’agit d’un consensus qui souhaite accueillir Israël, mais un Israël désireux et capable de vivre en sécurité avec ses voisins, y compris les Palestiniens. »
« Avec tout ce qu’Israël [apporte sur la table] en termes de prouesses technologiques et de population hautement éduquée, il apporte aussi beaucoup de casseroles qui penchent vers le passé plutôt que vers
l’avenir », a-t-il soutenu.
Après avoir commis une série « d’erreurs non forcées » — dont la gestion par Ryad de la guerre au Yémen et le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi — le prince héritier du pays, Mohammed ben Salmane, est beaucoup plus prudent et se concentre sur la préservation de sa vision 2030 pour la réforme économique, selon le chercheur du MEI.
« Par conséquent, une normalisation avec le gouvernement israélien actuel est extrêmement improbable parce qu’elle est considérée comme présentant plus de risques que de bénéfices possibles », a déclaré Katulis, qui a occupé des postes au sein du département de la Défense, du département d’État et du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche pendant l’administration Clinton.

L’analyste ajoute qu’un accord de normalisation nécessiterait plus que la fin de la guerre et un nouveau gouvernement israélien.
« Il faudrait que le gouvernement qui remplacera le gouvernement actuel s’engage sérieusement sur la voie d’une solution à deux États. Cela semble également assez éloigné, étant donné que le centre de gravité à l’intérieur d’Israël est davantage tourné vers la séparation d’avec les Palestiniens que vers un retour à l’autonomie menant à un État palestinien », a déclaré Katulis, en faisant référence à la demande saoudienne de création d’un horizon politique crédible, limité dans le temps et irréversible pour les Palestiniens.
Il a expliqué que Ryad était moins attaché au conflit israélo-palestinien pendant le premier mandat de Trump, mais qu’il a depuis conclu que sa résolution était essentielle pour la stabilité régionale.
Gaza comme cas d’étude
Katulis a soutenu que le cadre du cessez-le-feu progressif à Gaza mis en place par l’administration Biden offrait une voie vers la vision régionale que Ryad pourrait soutenir, avec une Autorité palestinienne (AP) réformée revenant progressivement à Gaza, soutenue par des partenaires arabes qui aideraient à gérer et à sécuriser l’enclave palestinienne dans l’intervalle.
Mais ces composantes potentielles des deuxième et troisième phases du cessez-le-feu ont été largement rejetées par Israël, car elles permettraient à l’AP, que Netanyahu a assimilée au Hamas, de s’implanter dans la bande de Gaza.
Ces détails concernant les phases ultérieures de l’accord et le « jour d’après » à Gaza ont été mis de côté, Netanyahu cherchant plutôt à retravailler les termes de l’accord et à reprendre les combats face à l’intransigeance du Hamas.
« Si ce simple test des 40 à 50 premiers jours du cessez-le-feu n’a pas résisté à l’épreuve du temps avec le gouvernement israélien actuel, pourquoi quelqu’un adhérerait-il à un accord de normalisation de plus grande ampleur », a déclaré Katulis. « Vous regardez cela depuis Ryad et vous dites : ‘Nous allons continuer à tisser des liens avec la Chine et l’Inde à la place’. Pourquoi s’impliqueraient-ils dans quelque chose qui semble si alambiqué et imprévisible ? »
L’Arabie saoudite rejette également les efforts de l’administration Trump et d’Israël pour déplacer les Palestiniens hors de Gaza, qu’elle considère comme une atteinte à la dignité et à la sécurité du peuple palestinien.
Ryad a également contesté la suggestion de Netanyahu selon laquelle l’Arabie saoudite pourrait utiliser son propre territoire pour la création d’un État palestinien.

Katulis a précisé que les Saoudiens savent qu’ils sont appelés à jouer un rôle clé dans la reconstruction de Gaza après la guerre. L’envoyé spécial américain au Proche-Orient, Steve Witkoff, a déclaré que Ryad mettait au point son propre plan pour l’enclave.
Ce plan fera suite à un plan similaire présenté par l’Égypte lors d’un sommet au Caire au début du mois. Ce plan était soutenu par l’ensemble de la Ligue arabe, mais Mohammed ben Salmane et le président des Émirats arabes unis, Mohamed ben Zayed, n’ont pas assisté à la conférence, ce qui indique qu’ils n’approuvent pas entièrement la proposition, qui ne précise pas comment le Hamas serait écarté du pouvoir.
Quoi qu’il en soit, « aucun de ces plans arabes ne correspond à la situation du gouvernement israélien actuel. Ce n’est même pas le même code postal », a déclaré Katulis.
La stratégie israélienne consistant à encourager l’émigration des habitants de Gaza est largement conforme à ce que Trump a évoqué, mais Katulis a fait valoir que les dirigeants arabes n’étaient pas particulièrement perturbés par les commentaires publics du président américain.
« Aucun de ces pays ne prend Trump au sérieux parce qu’ils ont déjà entendu tout cela auparavant », a déclaré l’analyste, rappelant la déclaration de Trump en 2018 selon laquelle l’Arabie saoudite paierait pour la reconstruction du nord-est de la Syrie, qui ne s’est jamais concrétisée.

« Une approche totalement différente » vis-à-vis de l’Iran
Les partisans d’un accord de normalisation israélo-saoudien au sein de l’administration Trump l’ont présenté comme un outil permettant à la région de mieux lutter contre la menace commune de l’Iran.
Mais Katulis a souligné que l’approche de Ryad à l’égard de Téhéran s’est éloignée ces dernières années de la position belliqueuse adoptée par Jérusalem.
« Lorsque [Mohammed ben Salmane] est arrivé au pouvoir, il parlait de l’Iran comme [s’il s’agissait de] l’Allemagne nazie — comme d’une menace qui devait être éliminée. Bien qu’il ne fasse toujours pas confiance à ses dirigeants, [le Prince héritier saoudien] a une approche complètement différente », a déclaré le chercheur.
En 2023, l’Arabie saoudite et l’Iran ont rétabli leurs liens, Ryad et d’autres États du Golfe ayant cherché à minimiser la confrontation par le dialogue avec la République islamique.
Les Saoudiens considèrent une guerre potentielle entre Israël et l’Iran comme une menace pour cette dynamique fragile qu’ils tentent de maintenir et craignent qu’une guerre régionale ne conduise « l’Axe de la Résistance » soutenu par Téhéran à se retourner à nouveau contre eux », a déclaré Katulis, quelques heures seulement après qu’un missile des Houthis a atterri en Arabie saoudite.
Ces craintes sont montées en flèche l’année dernière après que Téhéran a tiré des centaines de missiles balistiques et de drones sur Israël lors de deux attaques distinctes.

Israël a réussi à les contrecarrer avec l’aide d’une coalition dirigée par les États-Unis et comprenant l’Arabie saoudite, la Jordanie, le Royaume-Uni et d’autres alliés. Il a ensuite organisé une contre-attaque en octobre dernier qui, selon les responsables américains, a presque entièrement détruit les défenses aériennes de l’Iran.
Tout en soutenant la défense d’Israël et en appréciant la réponse de Tsahal contre l’Iran, l’Arabie saoudite estime qu’elle est le résultat d’une étroite coordination régionale facilitée par l’administration Biden, qui a pris en compte les préoccupations arabes, a expliqué Katulis.
« Si [les Saoudiens] voient maintenant Israël comme un acteur qui n’a pas encore terminé ses opérations de combat — que ce soit à Gaza, au Liban, en Syrie ou ailleurs… [alors] il n’y a pas beaucoup de confiance » dans la perception de la menace, a-t-il fait valoir.
« Ryad, Abou Dhabi et d’autres pays du Golfe n’ont aucun amour pour le Hamas [ou tout autre mandataire de l’Iran], mais ils ne veulent tout simplement pas que le potentiel d’une conflagration régionale plus large atteigne leurs côtes », a déclaré Katulis, suggérant que Jérusalem ne prend pas suffisamment conscience de cette préoccupation.

Déchiffrer le message saoudien
Mais les responsables américains et israéliens ne sont pas les seuls à avoir déclaré qu’un accord de normalisation entre Jérusalem et Ryad était à portée de main.
Mohammed ben Salmane lui-même a déclaré à Fox News en septembre 2023 — un peu plus de deux semaines avant l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023 qui a déclenché la guerre de Gaza — que « chaque jour, nous nous rapprochons » d’un tel accord.
Katulis a expliqué que le dirigeant saoudien avait fait ces commentaires alors que son gouvernement était en plein milieu de discussions approfondies sur une série d’accords de défense bilatéraux entre Washington et Ryad. Toutefois, il restait deux obstacles majeurs à
franchir : faire approuver ces accords par un Congrès américain quelque peu réticent et amener Israël à accepter une voie vers un futur État palestinien, sans lesquels l’accord de normalisation ne serait pas possible.
« Il n’était pas concevable que l’état d’esprit du gouvernement israélien de l’époque permette la conclusion de cet accord », a déclaré l’analyste du Moyen-Orient.
Katulis a reconnu que l’accord est profondément souhaité par la nouvelle administration Trump, que Riyad est désireux de satisfaire.
« Les Saoudiens se soucient de ce que veut l’administration Trump, et ils seront polis et gentils ; mais ils iront probablement vers quelque chose de beaucoup plus faible », a-t-il dit, spéculant que Ryad cherchera des accords de défense avec Washington qui se situent en dessous de l’accord de type traité qui était initialement poursuivi.
Bien que cela puisse décevoir l’administration Trump, Katulis a déclaré que Washington avait « accepté des ‘non’ polis de la part de la Jordanie et de l’Égypte », qui ont refusé les demandes de Trump de conclure des accords de défense.

Le « Saudi-splaining »
De nombreuses personnes à Washington et dans la région étaient également pessimistes quant à la perspective d’une normalisation des liens entre Israël et d’autres pays arabes, même dans les jours qui ont précédé la signature des Accords d’Abraham en 2020.
« Je reconnais que je ne m’y attendais pas à l’époque, et j’aimerais qu’on me prouve que j’avais tort, mais on ne peut pas dire que tous les pays arabes et du Golfe sont les mêmes », a déclaré Shira Efron, directrice de recherche à l’Israel Policy Forum (IPF), qui a rejeté les efforts visant à comparer les accords de normalisation qu’Israël a signés avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc à un accord potentiel avec l’Arabie saoudite.
« L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ne sont pas le même pays. Les Saoudiens ne sont pas les Émirats 2.0 qui sont arrivés tardivement à la fête. Les accords d’Abraham étaient ouverts à l’Arabie saoudite il y a cinq ans et elle a décidé de ne pas y adhérer pour diverses raisons », a-t-elle expliqué.
L’Arabie saoudite se considère comme un leader du monde arabe et musulman qui doit être plus en phase avec les préoccupations de son peuple.
Mohammed ben Salmane a déclaré à des députés américains en visite que la jeune génération de son pays n’était peut-être pas aussi familière avec la cause palestinienne avant le 7 octobre, mais qu’elle s’y investissait beaucoup plus depuis, ce qui complique encore les efforts de normalisation des liens avec Israël.
Contrairement aux Émirats arabes unis, où les relations économiques et sécuritaires avec Israël se sont considérablement développées au cours de la période précédant les Accords d’Abraham, les liens avec Israël sont beaucoup plus embryonnaires en Arabie saoudite.

Toutefois, Efron s’est montrée plus disposée à envisager la possibilité d’un accord de normalisation si Israël adopte une approche différente à l’égard de Gaza à l’avenir.
« Mais plus Israël ou les États-Unis rejettent les préoccupations publiques saoudiennes concernant les Palestiniens, plus les Saoudiens élèvent le seuil », a-t-elle déclaré.
« Ceux qui affirment que l’Arabie saoudite normalisera ses liens avec Israël et qu’elle ne se soucie pas des Palestiniens se livrent tout simplement à du ‘Saudi-splaining’ qui ne sert à rien. »
Pour sa part, Netanyahu a affirmé que la reprise de la guerre par Israël était essentielle pour démanteler les capacités gouvernementales et militaires du groupe terroriste, ce qui est dans l’intérêt d’Israël et des États arabes alignés sur les États-Unis, en particulier l’Arabie saoudite.
Efron a reconnu les progrès accomplis par Israël sur le champ de bataille au cours des dix-huit derniers mois, mais a fait valoir qu’en l’absence d’une initiative diplomatique réaliste, ces progrès risquaient d’être réduits à néant.
Par ailleurs, elle a prévenu que la reprise des opérations militaires de Tsahal à Gaza augmentait les risques qu’Israël s’enlise indéfiniment dans la bande de Gaza et finisse par réoccuper l’enclave.

« Israël a une grande expérience de l’occupation. Nous savons comment elle commence. Nous ne savons pas comment elle se termine », a averti Efron.
La directrice de recherche de l’IPF a affirmé que les plans arabes pour la gestion de Gaza après la guerre sont capables de traduire les victoires tactiques d’Israël en victoires stratégiques.
Elle a reconnu que l’absence de mention explicite du Hamas dans le plan égyptien n’est pas à la hauteur des exigences des États-Unis et d’Israël. Toutefois, elle a expliqué que Le Caire cherchait à obtenir le soutien initial de l’ensemble de la Ligue arabe et qu’il devait donc « se plier au plus petit dénominateur commun ».
Toutefois, s’ils reçoivent une invitation officielle de l’Autorité palestinienne, la Jordanie, l’Égypte, le Maroc, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont prêts à fournir des troupes à une force de sécurité d’après-guerre à Gaza qui contribuerait aux efforts de désarmement du Hamas, a déclaré Efron, citant des conversations avec des responsables arabes anonymes.
« Il s’agirait d’un processus très long, qui pourrait ne pas aboutir, mais l’alternative est l’approche israélienne actuelle, qui, à mon avis, ne créera pas la prochaine génération de sionistes à Gaza », a déclaré Efron.