Cet article – c’est le troisième et le dernier – présente huit courtes interviews sous forme de film d’animation avec des résidents de la bande de Gaza.
Produites sous le titre Murmuré depuis Gaza (Whispered in Gaza) par le Center for Peace Communications, une organisation à but non lucratif de New York, ces interviews sont publiées par le Times of Israel parce qu’elles représentent une occasion rare pour les habitants ordinaires et courageux de Gaza de dire au monde à quoi ressemble la vie sous le régime du Hamas.
Depuis le lancement de la série, les vidéos ont été visionnées deux millions de fois via les plateformes du CPC, et environ un million de plus par le biais de points de vente partenaires sur des plateformes distinctes, de partages sur les réseaux sociaux et de transmissions par WhatsApp et Telegram. Selon les analyses, la plus grande audience se trouve dans le monde arabe, suivi des pays anglophones.
Il y a eu plusieurs tentatives de piratage, vraisemblablement par le Hamas dans le but de bloquer la distribution de ce contenu. Les piratages infructueux comprenaient des attaques de bots sur le mécanisme de distribution du CPC. Le CPC avait déjà mis au jour l’une de ces tentatives. Nous avons également appris que le Hamas a produit des vidéos contrefaites avec des voix off pour déformer les témoignages de Gaza, de toute évidence dans le but de saboter la portée et l’audience de « Whispered in Gaza ».
Toutes les interviews ont été menées durant l’année 2022 et les personnes interrogées vivent actuellement à Gaza.
Dans le premier et dans le deuxième volet de cette trilogie, des hommes et des femmes résidant à Gaza ont partagé leur expérience des répressions, de la corruption, de la brutalité du Hamas, du lavage de cerveau opéré par le groupe terroriste et de sa propagande guerrière. Plusieurs intervenants ont aussi raconté leur participation dans le mouvement de protestation contre la gouvernance du Hamas en 2019, un mouvement écrasé d’une main de fer par l’organisation à la tête de l’enclave côtière.
La première des huit vidéos présentées aujourd’hui raconte la tragédie individuelle la plus sombre de toute cette série d’entretiens. Deux autres relaient les points de vue, rarement entendus à voix haute, de Gazaouis sur les citoyens israéliens et sur les affrontements avec l’armée.
Ce dernier volet – que nous publions dans un contexte de nouvelle vague de terrorisme du Hamas au sein de l’État juif et de représailles militaires israéliennes à Gaza – vise à renforcer le nouveau débat sur l’avenir dans l’enclave que cette série d’entretiens animés a permis d’ouvrir. Comme le président du CPC, Joseph Braude, l’écrit dans ces pages, les 17 premières vidéos ont été regardées par plusieurs millions d’internautes. Du coté du public, qu’il soit originaire du Moyen-Orient, d’Europe et d’Amérique, les Arabes qui percevaient depuis longtemps le Hamas comme un mouvement de « résistance » légitime font part de leur désarroi face au comportement du groupe, alors que les décisionnaires politiques occidentaux réclament un mode de pensée novateur pour mettre en place une nouvelle approche de l’enclave côtière.
La première des huit vidéos présentées aujourd’hui raconte la tragédie individuelle la plus sombre de toute cette série d’entretiens. Deux autres relaient les points de vue, rarement entendus à voix haute, de Gazaouis sur les citoyens israéliens et sur les affrontements avec l’armée. Concernant les cinq autres, ils donnent la possibilité à des Gazaouis de s’exprimer, comme ils le souhaitent, en s’adressant directement au monde : ils répondent ainsi à des questions sur leurs espoirs, sur leurs rêves pour l’avenir de Gaza ainsi que sur les rôles potentiels que peuvent tenir les puissances étrangères qui seraient désireuses de les soutenir dans leurs aspirations.
Nous présentons ces vidéos avec des sous-titres en anglais et en français, parallèlement à leur publication en arabe par Alarabiya, en persan par Kayhan London, en espagnol par Infobae et en portugais par RecordTV.
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Pour des raisons de sécurité, les noms des intervenants ont été changés et ils communiquent par le biais d’une technologie de modification de la voix et ils sont représentés par des animations vidéo au lieu de montrer leur visage réel – ce qui risquerait de permettre de les identifier.
Le Times of Israel a visionné les images originales utilisées dans les vidéos animées, confirmant ainsi l’identité des intervenants et l’exactitude de la traduction de leur témoignage.
Les participants ont accepté de répondre aux questions car ils ressentent le besoin de faire connaître leurs idées et leurs vécus au monde. « Ils veulent que leurs histoires soient entendues », a souligné le président du CPC, Joseph Braude.
Découvrez les vidéos une par une ci-après, avec des éléments de contexte et des sources sur les phénomènes que les Gazaouis interrogés décrivent. (Vous pouvez également regarder la totalité des vidéos dans la playlist ici.)
Ils se réclament de l’islam
Feu le frère de « Samir », qui servait au sein des forces de l’Autorité palestinienne à Gaza, avait été grièvement blessé lors du coup d’état qui avait permis au Hamas de prendre le pouvoir en 2007. Ses amis l’avaient emmené en hâte aux urgences. Avant qu’il ne soit pris en charge, les militants du groupe terroriste avaient coupé l’électricité du bâtiment et il avait été impossible, pour les médecins, de lui sauver la vie. Devaient suivre, pour sa famille, des années de persécution. « Ces gens prêchent l’islam et ils disent être religieux », explique Samir, « mais ils ont massacré des gens ».
Depuis que le Hamas a consolidé sa mainmise sur Gaza, l’organisation a lancé une campagne de violences et de harcèlement à l’encontre des Palestiniens adhérant à d’autres partis, ainsi qu’à leurs familles. Pendant le coup d’état initial, en 2007, le Hamas avait tué des dizaines de civils liés au Fatah. Certains, comme Muhammad Swairki, un cuisinier employé par le Fatah, avaient été jetés du haut d’un immeuble de 15 étages, les pieds et les mains liés. Comme l’avait dit un commandant du Hamas en 2014, « la résistance ne fera preuve d’aucune miséricorde à l’égard de tous ceux qui donnent des informations sur la résistance et sur ses hommes à l’ennemi. Ils seront exécutés sur le terrain ».
Les autorités du Hamas accusent à l’envi leurs critiques de collaboration avec Israël. Comme plusieurs groupes de défense des droits de l’Homme l’ont toutefois noté, les preuves apportées pour soutenir ce genre d’accusation sont – au mieux – opaques et les accusés ne disposent d’aucun moyen pour se défendre. Un rapport qui avait été établi en 2014 par Amnesty International avait établi qu’à de nombreuses occasions, les seuls éléments de preuve du crime présumé étaient arrachés sous la torture avant d’être utilisés dans le cadre d’un procès « excessivement inéquitable ». Cette année-là seulement, le Hamas avait exécuté 23 personnes accusées de « collaboration ». Dans les périodes de tensions accrues avec Israël, avait fait remarquer Philip Luther d’Amnesty International, « les forces du Hamas se saisissent de l’opportunité pour régler sauvagement leurs comptes, menant des séries de meurtres arbitraires et autres graves violences… des agissements visant à assouvir une vengeance et à faire se répandre la peur dans toute la bande de Gaza ».
Pas très différents d’une occupation
Sur une vidéo, « Majed » se souvient des débuts des manifestations à la frontière de Gaza qui avaient eu lieu en 2018 et 2019. « Tout a commencé avec des camps de protestation pacifiques », explique-t-il, « mais le Hamas a décidé de les exploiter ». Il a été dit aux Gazaouis qu’ils « briseraient le blocus » s’ils marchaient vers la frontière, se souvient-il, « mais les gens, à la place, se sont fracassés ».
Si le mouvement de protestation de « la marche du retour » avait été initié par des activistes sur le terrain, le Hamas l’avait rapidement récupéré à son propre profit. Comme l’avait expliqué à CNN Reham Owda, analyste politique dans la bande de Gaza, « rien n’arrive ici sans l’approbation du Hamas ». Dans un entretien, Salah al-Bardawil, membre du bureau politique du groupe terroriste, s’était enorgueilli du fait qu’au moins 50 personnes qui avaient été tuées pendant les manifestations étaient membres de l’organisation. Un autre pilier du Hamas, Khalil Al-Haya, avait ultérieurement affirmé que le groupe était « au cœur » des manifestations.
En s’imposant dans la « marche du retour », le Hamas avait essayé de la remodeler à sa guise en en faisant une plateforme pour des attaques transfrontalières violentes. Cette reprise du mouvement de protestation par le groupe terroriste avait profondément troublé l’un de ses organisateurs, Ahmed Abu Artema, un activiste avait déclaré au Financial Times que « l’idée était la nôtre mais la situation réelle, c’est autre chose ». Et cela avait été le Hamas, et non les Gazaouis ordinaires, qui avait tiré le plus de bénéfices de ces manifestations. Comme l’avait dit Mkhaimar Abusada, professeur à l’université Al-Azhar, « ils ont été les gagnants numéro un de cette marche – ce ne sont pas eux qui en avaient eu l’idée mais ils ont immédiatement été en capacité de se l’approprier. » Ce qui a laissé les Gazaouis ordinaires en subir les conséquences. Comme l’observe Majed, « quatre cent personnes sont tombées en martyr et personne ne sait pourquoi ».
« Nous sommes tous patriotes »
« Bassam » voudrait que le monde sache que lors du mouvement de protestation populaire de 2019, lui et les autres manifestants ne voulaient rien de plus « qu’un gouvernement sachant gouverner le pays ». Nationalistes palestiniens et fiers de l’être, tous ne s’attendaient guère à ce que le Hamas les désigne comme « traîtres » et comme « collaborateurs des sionistes ». Même s’ils s’étaient engagés en faveur de changements positifs, dans une totale indépendance d’esprit, ils disent avoir été très déçus de ne « trouver aucun soutien international ». Si un mouvement en faveur du changement doit renaître de ses cendres, explique-t-il, il faudra qu’il ait lieu « en coordination » avec la communauté internationale.
Ce mouvement « Nous voulons vivre » avait fait son apparition en 2019 en signe de mécontentement contre les hausses d’impôts, la mauvaise gestion économique et la corruption du Hamas. Comme l’avait dit un activiste à la BBC, « le Hamas possède des milliards de dollars d’investissement dans de nombreux pays et la population, à Gaza, meurt de faim et quitte la bande à la recherche d’un emploi ». Le bon millier de Gazaouis qui était descendu dans les rues avait fait des demandes sans rapport avec une quelconque idéologie, réclamant une amélioration de conditions de vie et la fin des pratiques de corruption et de népotisme. Le mouvement gagnant de l’ampleur, la répression du groupe terroriste avait été brutale et les manifestants avaient été frappés, les habitations perquisitionnées et plus de mille personnes avaient été placées en état d’arrestation.
Même sans le soutien international que Bassam appelle de ses vœux, certains Gazaouis ont continué à s’exprimer, tentant de faire revivre le mouvement en ligne ou depuis l’exil. Les frustrations restent fortes : un sondage récent a révélé que seulement 7 % des Gazaouis évaluaient positivement leurs conditions de vie et que 78 % des résidents de l’enclave sont favorables à de nouvelles élections. Comme l’avait commenté un organisateur des manifestations en 2021, « c’est le bon moment pour demander notre droit à seulement vivre, comme vivent tous les autres populations du monde entier. » Amal al-Shamaly, autre organisatrice du mouvement de protestation, souligne pour sa part, qu’elle se refuse à abandonner : « Pour rejeter cette réalité dure… je continuerai à dénoncer la corruption et les décisions gouvernementales illégales dans mes écrits ». Si peu de choses ont changé pour les habitants de la bande, comme le note auprès du New York Times un troisième organisateur du mouvement, « les manifestations ont permis de briser le silence et de mettre fin à l’inertie parmi les Gazaouis et elles ont montré la réalité du Hamas ».
L’appel au soutien international qui a été lancé par Bassam en faveur d’un mouvement porteur du changement reflète une tendance plus large chez les réformistes arabes dominés par des régimes extrémistes. Tandis que les étrangers qui sympathisent à leur cause s’abstiennent de les aider par crainte de les mettre en danger en leur donnant « le baiser de la mort », les réformistes, qui font l’objet, quoi qu’il arrive, d’accusations de « collaboration et de « traîtrise », préfèreraient ne pas être seuls à subir cette opprobre, sans les avantages qui seraient apportés par un réel appui depuis l’étranger.
Autrefois, nous célébrions nos fêtes ensemble
Les grands-parents de Khalil l’ont élevé en lui racontant les histoires d’un temps meilleur. Dans leur génération, « on allait aux fêtes organisées chez les Israéliens et ils venaient aux nôtres ». Les Palestiniens étaient libres de quitter Gaza pour se rendre à Jaffa ou à Jérusalem, et ils travaillaient aux côtés des Israéliens. « Quand tu travailles avec les Israéliens et qu’ils te font confiance », lui disaient ses aïeux, « tu peux vivre la vie que tu as toujours voulu avoir ».
Sans idéaliser la période – largement oubliée – qui s’est écoulée dans la bande entre 1967 et 1987, il est intéressant de rappeler le contexte des souvenirs partagés par les grands-parents de Khalil. Pendant ces deux décennies, les conditions de vie s’étaient rapidement améliorées au niveau matériel au sein de l’enclave côtière. Les relations entre Gaza et Israël avaient permis à un nombre croissant de résidents de la bande d’aller travailler au sein de l’État juif – avec un pic de presque 40 % qui avait été atteint en 1987. Ces employés touchaient une prime salariale quotidienne qui était approximativement 20 à 40 % plus élevée que les Gazaouis qui travaillent dans la bande ; et ils représentaient une part énorme dans le PIB palestinien.
Ils avaient aussi une liberté de déplacement bien plus importante. Comme le note B’Tselem, de 1967 à 1991, « les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza pouvaient voyager dans une liberté presque totale… Gaza et Israël maintenaient les liens familiaux ; des étudiants de Gaza venaient faire leurs études dans les universités de Cisjordanie et il y avait un commerce très large entre les Palestiniens, indépendamment du lieu où ils vivaient ». Comme Nahed al-Ghool, livreur d’eau à Gaza, l’avait dit à Al-Jazeera : « La meilleure période de nos vies, c’était quand on travaillait en Israël il y a 25 ou 30 ans. Nous étions heureux, nous allions en Israël, en Jordanie ou en Égypte – les routes étaient ouvertes. On vivait bien, il y avait de l’argent. Aujourd’hui, il n’y a plus d’argent. »
Combattre par la communication
« Zainab » voudrait que le monde sache « qu’il y a ce stéréotype mensonger qui fait croire que les Palestiniens à Gaza sont avides de roquettes et de guerres ». Tandis que les médias pro-Hamas œuvrent « à instiller la soif du sang » chez les jeunes, son combat à elle est de dire aux Israéliens comme aux Palestiniens que « je suis un être humain qui se trouve à Gaza – je ne suis pas une bête, une terroriste et je ne suis pas une adoratrice des armes parce qu’en définitive, les armes ne nous amèneront nulle part ».
La rhétorique utilisée par le Hamas appelle en substance les Gazaouis à servir comme chair à canon. Le chef du groupe terroriste, Yahya Sinwar, avait dit aux Palestiniens, une phrase restée célèbre, que « tous ceux qui ont une arme à feu doivent s’en saisir, et tous ceux qui n’ont pas d’arme à feu doivent se saisir d’un couteau de boucher, d’une hache, de toute arme blanche qu’ils auront à leur disposition… pour que depuis les satellites, la région toute entière puisse être vue comme avalée engloutie par les flammes ».
Le mois dernier, la responsable du mouvement des femmes du Hamas a donné une interview décrivant la culture « de la recherche du martyr » largement prônée par le Hamas, disant que « une fillette n’a qu’une seule chose à l’esprit – c’est de rencontrer son seigneur au prix de son sang et des parties de son corps. » Elle a ajouté que « la majorité des crèches [à Gaza] appartiennent à nos sœurs du Hamas. Les enfants sont élevés dès un très jeune âge dans cette culture… depuis leurs premiers pas, les enfants sont élevés pour adorer le jihad, pour que leur désir le plus fort soit de rencontrer Allah ».
Les nombreux Gazaouis qui s’opposent à cette vision du monde n’ont pas le droit de s’exprimer. Toute tentative de pacification, de la part des civils, est brutalement réprimée. En 2020, quand un groupe d’activistes de la paix de Gaza avait organisé une réunion sur Zoom avec des militants israéliens, plusieurs participants avaient été arrêtés, frappés et accusés de « traîtrise ». De manière peu surprenante, comme l’avait dit une jeune Gazaouie à la NPR, « la majorité des habitants de Gaza ont cessé de croire au Hamas et les autres… Ils ne nous donnent pas à manger, ils ne nous donnent rien. Comment pouvons-nous nous construire un avenir avec ces types ? » Ali El-Jeredly, âgé de 28 ans, au chômage, dit les choses plus directement : « Je veux davantage que des roquettes ».
Nous avons besoin d’un gouvernement mature
Ces dernières années, observe Fadi, les Gazaouis ont découvert que « la Palestine que le Hamas veut libérer n’est pas la même Palestine dont nous, Palestiniens, avons été expulsés… il y a aujourd’hui un peuple tout entier là-bas – un peuple et Israël dans son ensemble, dont les Palestiniens ont besoin en réalité. » Si le Hamas rend « extrêmement difficile toute discussion sur la paix », Fadi pense que « si nous pouvions collaborer avec le monde extérieur alors il serait possible pour les citoyens de Gaza de retrouver leur humanité… [et] en reconnaissant que la vie a une valeur, ils verraient également l’humanité chez les Israéliens ».
Le Hamas affirme souvent que la victoire est imminente. L’année dernière, Kanaan Abed, membre du bureau politique de l’organisation terroriste, avait déclaré que « l’État d’Israël appartiendra au passé. Aux Palestiniens qui se trouvent hors de la Palestine : Préparez vos papiers. Vous retournerez en Palestine après la libération ». Mais de nombreux Gazaouis observent une réalité différente. Comme le dit un jeune de Gaza qui lutte pour pouvoir répondre aux besoins de sa famille : « Ma vie est comme un écran de télévision où il n’y a pas d’image ».
Au lieu d’ouvrir de nouveaux espaces pour les Gazaouis, le Hamas les enferme encore davantage. En 2021, après la réunion sur Zoom entre les activistes gazaouis et israéliens, qui avaient évoqué la possibilité de faire la paix, le Hamas avait arrêté plusieurs d’entre eux. Dans un communiqué, l’aile armée du groupe terroriste avait déclaré que « la normalisation sous toutes ses formes et dans toutes ses activités est une trahison, un crime qui est religieusement, nationalement et moralement inacceptable ». Le leader de l’organisation prônant la paix avait été emprisonné et torturé. Omar Shakir, directeur du bureau Israël-Palestine au sein de Human Rights Watch, avait noté que l’incident reflétait « la pratique systématique du Hamas qui est de sanctionner tous ceux dont le discours menace son orthodoxie ».
Mon rêve pour Gaza
« Zainab » veut que le monde sache qu’elle rêve d’un Gaza sans guerre, affranchi de la coercition religieuse, où « tout le monde peut trouver un emploi et un revenu permettant de vivre ». Dans cette nouvelle bande, « les femmes sont libres de porter ou de retirer le hijab ». C’est un Gaza « ouvert sur le monde » avec des cinémas et des bars, comme dans toutes les autres villes. « Je ne veux pas qu’ici, ce soit la guerre et les roquettes », s’exclame-t-elle. « Nous et les Israéliens ne formons qu’un seul corps… Nous devrions tous vivre en paix ».
En contraste brutal avec le rêve d’avenir de Zainab, la Freedom House a donné à Gaza la note globale de 11/100, faisant remarquer que « les droits politiques et les libertés civiles des résidents de la bande de Gaza sont sévèrement limités ». Le cinéma Al-Nasser de Gaza qui, dans le passé, était l’un des plus grands cinémas du Moyen-Orient, a été bétonné après que des religieux ont estimé qu’il était « pornographique ». De son côté, Muhammad Aeraar, responsable du Hamas au ministère de la Culture, a déclaré que le cinéma était « une violation des traditions communautaires, qui détruit leurs valeurs » et il a affirmé que « les citoyens de Gaza ne regrettent pas le cinéma, pas plus qu’ils ne ressentent son absence ».
Nombreux sont pourtant ceux qui ont un sentiment différent. A une rare occasion où le Hamas avait autorisé la projection d’un film, des centaines de personnes étaient venues. Les membres du public avaient confié à la presse étrangère que « nous avons besoin de vivre comme des êtres humains, avec des cinémas, des espaces publics et des parcs. »
Nous avons tout pour réaliser nos rêves
« Ibrahim » imagine un Gaza prospère, en développement, en paix avec Israël et en paix avec lui-même. Il veut que le monde sache que les Palestiniens libérés de la mainmise du Hamas seront en mesure de construire cette nouvelle bande s’ils peuvent obtenir un tant soit peu d’aide extérieure. « La majorité des responsables du Hamas ont quitté Gaza », observe-t-il, « ils vivent en Turquie et au Qatar et ils construisent un meilleur avenir pour eux et pour leurs enfants ». « Que ceux qui souhaitent briser le blocus… viennent à Gaza et aident à libérer véritablement la bande », dit-il – en construisant une société civile.
Le gouffre qui sépare le niveau de vie des dirigeants du Hamas et celui des Gazaouis ordinaires est devenu de plus en plus profond, ces dernières années. En 2019, le chef du Hamas, Ismail Haniyeh, s’était installé au Qatar avec sa famille, tandis que le numéro deux du groupe terroriste, Khalil al-Hayya, avait déménagé en Turquie peu après. Depuis lors, il n’est retourné au sein de l’enclave côtière qu’à deux occasions. Fathi Hamad, un autre responsable du Hamas, habite dorénavant à Istanbul, se rendant souvent à Beyrouth pour des rencontres organisées dans des hôtels de luxe. Plus d’une dizaine d’autres officiels de haut-rang ont suivi leur exemple, un exode qui n’est pas passé inaperçu. Comme le dit Azmi Keshawi, analyste au sein de l’International Crisis Group à Gaza, « les Palestiniens ordinaires voient que le Hamas… vit dans ces territoires accueillants où ils ne pâtissent plus de rien et où ils paraissent très éloignés de la cause palestinienne et des difficultés vécues de plein fouet par la population ».
La frustration des Gazaouis est largement compréhensible. Dans les années qui ont suivi la prise de pouvoir du Hamas, la croissance du PIB à Gaza a été en moyenne de 1 % par an, soit un sixième du taux de croissance en Cisjordanie. Dans les périodes de calme relatif, comme en 1997-1999 et en 2003-2005, Gaza avait connu un taux de croissance qui atteignait les 17 % par an. Une étude a conclu que si les gouvernants de Gaza devaient adopter une approche de conciliation à l’égard de leurs voisins, le PIB du territoire grimperait en flèche, de 40 % ; le pouvoir d’achat des foyers de 55 % et les exportations de 625 %. Aujourd’hui, en comparaison, les jeunes Gazaouis voient leur rêve d’une vie décente dans l’exil. Une femme dont le fils était décédé en tentant de quitter par la mer l’enclave côtière avait déclaré que « ce sont les dirigeants ici que je blâme, le gouvernement de Gaza… Ils vivent dans le luxe pendant que nos enfants mangent de la boue, qu’ils décident de migrer et qu’ils meurent à l’étranger ».