Israël en guerre - Jour 470

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Mohammed Dajani (à gauche) et Yossi Klein Halevi dans les locaux du "Times of Israel" à Jérusalem, mai 2019. (Times of Israel)
Mohammed Dajani (à gauche) et Yossi Klein Halevi dans les locaux du "Times of Israel" à Jérusalem, mai 2019. (Times of Israel)
Interview

Quand un « voisin palestinien », ex-Fatah, relève le défi d’un auteur sioniste

Yossi Klein Halevi a écrit « Lettres à mon voisin palestinien » ; voici ce que Mohammed Dajani, un extrémiste qui a plus tard emmené ses étudiants à Auschwitz, a répondu

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Cette interview a été menée en juin 2019.

Il y a un peu plus d’un an, j’ai rédigé une longue interview ici même avec l’auteur et camarade de l’Institut Shalom Hartman, Yossi Klein Halevi. Mon ami de longue date venait de publier un livre ambitieux, « Lettres à mon voisin palestinien », [Letters to My Palestinian Neighbor], dans lequel il exposait le narratif sioniste dans des termes qu’il espérait que les Palestiniens comprendraient, car, dit-il, si nous sommes scandalisés, avec raison, quand ils attaquent notre légitimité ici, nous ne leur en avons simplement jamais expliqué auparavant la raison, mais nous avons toujours fait preuve d’une attitude de colère envers eux.

La suite du livre se voulait encore plus ambitieuse. Son espoir, expliquait Yossi Klein Halevi l’année dernière, était que nos voisins palestiniens réagissent à son ouverture et répondent par leurs propres contre-arguments – non pas pour déclencher une bataille intellectuelle jusqu’à la mort, mais plutôt pour faciliter un dialogue mutuellement enrichissant : chaque partie en apprendrait davantage sur l’autre, créant ainsi une interaction entre les auteurs qui, qui sait, pourraient un jour favoriser une plus grande conscience politique et la possibilité d’une réconciliation.

Aujourd’hui, un an plus tard, l’édition de poche des « Lettres » est en cours de publication et, en voici un épilogue – plus de 50 pages de réponses palestiniennes au texte original. Les interlocuteurs palestiniens de Yossi Klein Halevi, à leur tour, réfléchis, fiers, féroces, peinés et généreux, ont accepté son défi avec empathie, ce qui est le plus frappant. Parmi eux, un universitaire palestinien nommé Mohammed Dajani Daoudi, dont le nom peut faire frémir certains lecteurs. Car c’est lui, il y a cinq ans, qui a emmené un groupe de 27 étudiants palestiniens à Auschwitz pour une visite sans précédent – avec toutes sortes de conséquences durables et bouleversantes.

Il y a quelques semaines, Yossi Klein Halevi m’a contacté pour me tenir au courant du sort de son livre, m’a parlé de son nouvel épilogue et demandé si j’étais intéressé par un entretien de suivi sur « ce qui s’est passé avec ‘Letters' ».

« Lettres à mon voisin palestinien » de Yossi Klein Halevi, avec un épilogue de réactions palestiniennes.

J’étais tout à fait d’accord, mais j’ai également proposé de maintenir l’esprit de son initiative en organisant une interview commune à laquelle il serait accompagné par l’un de ses interlocuteurs palestiniens. (Les lecteurs qui ont de la mémoire et la capacité d’endurer mes aventures occasionnelles dans des articles de la longueur d’un mini livre se souviendront peut-être que j’en ai réalisé une similaire il y a quatre ans avec Klein Halevi et l’Imam Abdullah Antepli, son principal partenaire dans un programme éducatif du Hartman Institute où de jeunes dirigeants musulmans américains se rendent à Jérusalem pour apprendre le judaïsme, le sionisme et Israël). Yossi Klein Halevi a proposé d’inviter le professeur Dajani à se joindre à nous, et la conversation que vous êtes sur le point de lire a vu le jour.

Yossi Klein Halevi est arrivé à mon bureau en premier et a commencé à exposer ce qu’il avait cherché à réaliser avec « Letters » et comment cela s’est passé. Mais l’interview a décollé avec l’arrivée de Mohammed Dajani Daoudi. Klein Halevi, 65 ans, est un ancien extrémiste juif qui a fait l’objet de nombreux récits (y compris par lui-même). Son voisin, 73 ans, est un ancien agent supérieur du Fatah. Il a fini par discuter des éléments clés de son histoire, y compris les années de son aversion radicale pour tout ce qui était  juif. Et il a expliqué comment des actes de gentillesse et de bonté insignifiants de la part du personnel médical israélien qui a soigné ses parents l’ont complètement changé – au point où il allait briser les barrières et défier les menaces pour conduire ses étudiants palestiniens dans un camp de la mort nazi, sans se laisser intimider, résolu et déterminé à faire campagne pour la réconciliation, même après ce voyage singulier qui a détruit sa carrière professionnelle et, dans certains milieux, sa réputation.

Il devient évident, au cours de l’interview qui suit, que le fier sioniste Klein Halevi et le fier nationaliste palestinien Dajani peuvent faire la paix – et ont même fait la paix. La question est de savoir s’il existe un espoir d’élargir l’esprit que Klein Halevi, à contrecœur et avec scepticisme, et son interlocuteur, avec insistance et optimisme, représentent.

En attendant l’arrivée de Mohammed Dajani, Klein Halevi et moi avons commencé à parler, et j’ai enclenché mon magnétophone. Il est resté allumé pendant les deux heures suivantes.

Times of Israel : Parlez-moi donc du livre lui-même – comment il a été reçu – avant que nous nous asseyions avec Mohammed et qu’il nous donne son avis à ce sujet.

Yossi Klein Halevi : J’avais deux grands publics en tête. Les premiers, évidemment, étaient mes voisins proches et lointains, les Palestiniens et le Moyen-Orient au sens large. Et le deuxième public était composé de Juifs de la diaspora.

Pour atteindre le premier public, le livre a été traduit en arabe. Il y a eu beaucoup de réactions de la part des Palestiniens, beaucoup plus que ce à quoi je m’attendais. Vous et moi l’avons rendu disponible en téléchargement gratuit sur le site arabe du Times of Israel, et j’ai créé un site Web où il est possible de télécharger gratuitement le livre. Il a été téléchargé plus d’un millier de fois, et ce avant même toute véritable impulsion des réseaux sociaux arabes. Je viens d’engager quelqu’un pour le faire.

Comme vous pouvez l’imaginer, bon nombre des réactions étaient haineuses : vous n’avez pas d’histoire, vous êtes un menteur, vous êtes un voleur, l’armée de Mahomet vient vous chercher, nous allons vous détruire, vous brûler. Assez évocateur.

Yossi Klein Halevi. (Ilir Bajaktari / The Tower)

Mais j’ai aussi reçu des courriels longs et réfléchis. Ce qui caractérise en gros les lettres que j’ai incluses dans la nouvelle édition, c’est d’abord une volonté profonde de s’engager et d’écouter et de défendre avec passion, mais avec respect. Je suis devenu ami avec certains des intervenants. En novembre dernier, j’ai fait une tournée de conférences sur les campus américains avec l’un des jeunes écrivains palestiniens.

Il a écrit le premier courrier qui apparaît dans l’épilogue, et qui accepte la prémisse selon laquelle il s’agit d’un conflit entre deux peuples autochtones. Aussi passionnés que nous soyons, nous ne sommes pas d’accord sur différents aspects du narratif, sur le fait que nous pouvons convenir qu’il y a deux revendications sur cette terre et que l’objectif doit être d’accommoder les deux – ce qui pour moi était dayeinu (suffisant)

Des amis à droite m’ont dit avec sarcasme quand le livre est sorti : alors tu crois que tu vas faire la paix ? Bien sûr que non, je ne vais pas faire la paix. Je ne suis qu’un écrivain, pas un responsable politique. Ma responsabilité d’écrivain est d’essayer de modéliser ce que serait un désaccord respectueux sur des narratifs irréconciliables. Et j’ai cherché des partenaires palestiniens pour m’aider à modéliser cette conversation. Et ils sont apparus.

Je n’ai jamais rencontré un Palestinien qui ne croit pas que toute cette terre entre le fleuve et la mer lui appartient. Ma position de départ est donc la suivante : entre le fleuve et la mer, tout est à moi. Ce que je veux dire par là, c’est que chaque partie doit faire valoir sa revendication et tenir compte de la revendication concurrente

Je me suis récemment entretenu avec l’un des négociateurs palestiniens de Camp David, en juillet 2000. Il a dit : à un moment donné, nous, Palestiniens et Israéliens, nous nous sommes assis et avons essayé de trouver un narratif commun, et cela a presque détruit notre relation. Bien sûr, cette relation serait détruite bien assez tôt de toute façon… Il n’y a aucune chance que nous arrivions à un récit commun. Mais comment concilier des récits qui s’excluent mutuellement ? Pouvons-nous créer une situation dans laquelle j’ai leur voix dans ma tête, et eux ont ma voix dans la leur ?

Mon but en écrivant ce livre n’était pas de convaincre les Palestiniens de mon récit – c’est aussi tiré par les cheveux que celui des Palestiniens qui me convainquent du leur. Au lieu de cela, mon but était de compliquer la situation et d’au moins faire comprendre aux Palestiniens qu’il existe un récit juif cohérent, parce que dans leurs médias et leurs écoles, mon récit a été effacé. Mon premier objectif était donc de trouver des partenaires avec qui je pourrais modéliser une conversation plutôt que des récits contradictoires, créer un nouveau langage pour la réconciliation.

Ce langage s’articule autour de trois éléments : le premier est d’être respectueusement en désaccord sur des narratifs irréconciliables et de s’accommoder des histoires des autres. Fondamentalement, notre conflit est une guerre historique. Tout comme ni l’un ni l’autre ne disparaîtra, nos deux narratifs opposés sont là pour rester. Deuxièmement, la religion doit être un élément essentiel de notre conversation. Nous sommes au Moyen-Orient, pas en Occident ; vous ne pouvez même pas espérer tenter de faire la paix sans une certaine légitimation religieuse. Et le troisième élément est que le point de départ de toute conversation entre Palestiniens et Israéliens doit être honnête – une reconnaissance franche de nos rêves et revendications maximalistes. Je n’ai jamais rencontré un Palestinien qui ne croit pas que toute cette terre entre le fleuve et la mer lui appartient. Ma position de départ est donc la suivante : entre le fleuve et la mer, tout est à moi. C’est toute la terre d’Israël. Ce que je veux dire par là, c’est que chaque partie doit faire valoir sa revendication et tenir compte de la revendication concurrente. Mais nous ne pourrons y parvenir que si chaque partie comprend que l’autre sacrifie quelque chose d’essentiel dans sa revendication.

J’ai une lettre dans le livre d’un Jordanien – il se dit « votre voisin un peu lointain » – et il la termine par ces mots : qu’est-ce qui t’a pris autant de temps pour nous expliquer qui tu es ? Je voulais prendre cela comme l’épigraphe de ce projet. Nous savons comment raconter notre histoire à tout le monde, mais nous n’avons jamais essayé de raconter notre histoire à nos voisins.

Bien sûr, tout cela semble surréaliste. Hors de propos. Et c’est le cas – en ce moment, c’est complètement hors de propos. Mais quand vous regardez les changements dans la région – la menace de guerre avec l’Iran, le Hezbollah et le Hamas, et le réalignement anti-iranien qui rapproche Israël des États saoudiens et du Golfe – il y a des ouvertures dans le monde arabe qui étaient auparavant impossibles d’espérer. Et cela pourrait avoir des implications à long-terme sur nos relations avec les Palestiniens.

Une critique des « Lettres » de Yossi Klein Halevi en bas de la première page de Al Ahdath Al Maghribia, au Maroc.

Récemment, l’un des principaux quotidiens marocains (Al Ahdath Al Maghribia) a publié en première page un article très positif sur « Letters ». Plus important encore, le principal magazine d’information d’Arabie saoudite, Al Majallah, vient de publier une critique très favorable de deux pages de « Letters ». [Ceci est une traduction de l’édition arabe : Dans sa quête de la paix, Yossi Klein Halevi examine les points communs entre les fils d’Abraham].

Il y a donc de minces ouvertures et j’ai pensé que c’était le bon moment de sortir un livre, destiné à mes voisins, dans toute la région, qui explique qui nous sommes, pourquoi nous sommes revenus à la maison, pourquoi nous considérons ce pays comme notre maison. Et pour voir qui j’aurais comme partenaires pour une future discussion.

Cela semble quelque peu théorique.

Ce n’est pas pertinent pour un écrivain. Mon travail consiste à raconter une histoire et à modéliser une conversation. Et c’est maintenant le cas. Cela fait maintenant partie du dossier. Et on ne sait jamais qui va le lire parmi les Palestiniens, parmi les Saoudiens, parmi les Israéliens.

Le livre est publié en hébreu ?

Dans le courant de l’année.

Y compris les lettres palestiniennes ?

Oui. Mon public cible en Israël est mon propre camp – le centre politique.

Si vous compatissez avec les Palestiniens, vous êtes un gauchiste. Si vous réaffirmez l’histoire sioniste, il y a des chances que vous soyez aujourd’hui un extrémiste de droite. Mais maintenir les deux ensemble devrait constituer une position centriste.

Ce livre a été écrit dans une perspective sioniste profondément enracinée. Mais il exprime aussi de l’empathie pour les Palestiniens. Pour pouvoir occuper ces deux positions, elles ne vont généralement pas ensemble. Si vous compatissez avec les Palestiniens, vous êtes un gauchiste. Si vous réaffirmez l’histoire sioniste, il y a des chances que vous soyez aujourd’hui un extrémiste de droite. Mais maintenir les deux ensemble devrait former une position centriste. Pourtant, quand vous écoutez les dirigeants de Kakhol lavan – qui est le parti auquel je m’identifie – parler des Palestiniens, ils ne semblent pas savoir quoi dire. Quelle est la position centriste sur les Palestiniens ?

Ils n’osent pas le dire. Ils sont peut-être plus empathiques, mais ils ne s’autorisent pas à l’être.

Je pense que nous avons besoin d’un discours avec lequel le centre puisse se sentir à l’aise. Je vais vous donner un exemple. Dans le livre, j’écris que je déteste une solution à deux États. Je la redoute. Je ne parle pas des territoires comme de la Cisjordanie, certainement pas comme étant des territoires occupés. Pour moi, c’est ainsi que les Juifs l’ont toujours appelé : Judée et Samarie. Mais je suis prêt, avec beaucoup de peine et de réticence, à céder une partie de mes terres en vue d’un accord.

Votre narration rejette essentiellement la responsabilité écrasante sur les Palestiniens, car nous n’avons pas réussi à trouver une solution négociée.

Oui. Comme la plupart des Juifs israéliens, je blâme les dirigeants palestiniens pour l’effondrement – l’effondrement violent – du processus de paix. Mais il ne suffit pas de dire qu’en l’an 2000, nous avons essayé de faire la paix, puis [le Premier ministre] Olmert a fait une offre encore plus ambitieuse en 2008. C’est tout à fait vrai. Et la génération actuelle de dirigeants palestiniens n’accepte pas notre légitimité, même maintenant. Mais cela ne nous dispense pas de la nécessité de garantir qu’une solution à deux États sera viable à l’avenir, même à long terme. Si tout ce que nous faisons sur le terrain aujourd’hui nous conduit à une situation à un État unique, alors le débat sur ce qu’Ehud Barak et Ehud Olmert ont proposé devient de plus en plus mince.

Je déteste la solution à deux États. Je la redoute. Je ne parle pas des territoires comme de la Cisjordanie, certainement pas comme des territoires occupés. Pour moi, c’est ainsi que les Juifs les ont toujours appelés : Judée et Samarie

Vous dites aussi qu’il a été très difficile de faire publier ce livre.

Je n’ai pas trouvé d’éditeur pendant deux ans. Tous les éditeurs de New York ont d’abord dit la même chose : nous le publierons si vous trouvez un Palestinien avec qui vous pouvez échanger des lettres.

Je leur ai dit que ce ne serait pas un reflet authentique de la réalité. J’avais des amis palestiniens avant la Seconde Intifada, mais j’ai perdu ces liens. Pour presque tous les Israéliens et Palestiniens, il n’y a pas de dialogue. Il n’y a même plus de relations occasionnelles.

Mais la raison profonde pour laquelle j’ai dû écrire le livre de cette façon est que le récit israélien est en train d’être effacé de la plupart du discours occidental, et j’ai ressenti un besoin urgent de répéter mon discours sans le diluer dans le contexte du dialogue et du débat.

J’envisageais ce livre comme le début d’un projet. La première étape serait d’énoncer mon récit. La deuxième étape consisterait à s’engager avec les interlocuteurs palestiniens et à modeler une conversation sur des récits concurrents.

Et c’est là où en est le livre. Avec la nouvelle édition, c’est le premier livre qui me vient à l’esprit qui modélise un engagement personnel entre les voix israélienne et palestinienne. Les Palestiniens, même s’ils sont en colère, répondent à un récit sioniste, souvent avec une ouverture émouvante.

J’ai pris la décision de donner aux rédacteurs de lettres palestiniens le dernier mot du livre. Je voulais honorer leur courage et leur bonne volonté, et leur montrer à quoi ressemble un désaccord respectueux sur les narratifs. Les lettres palestiniennes proviennent d’un univers profondément personnel, d’expériences familiales, et bien sûr d’une forte conscience nationale palestinienne. Cela rend leur volonté de s’engager dans une narration sioniste personnelle très puissante.

Vous n’avez publié aucune des lettres haineuses.

Non. Parce qu’on sait à quoi elles ressemblent et que ce n’était pas intéressant pour moi. J’écris dans mon introduction à l’épilogue que j’ai reçu des lettres haineuses, mais je n’ai pas ressenti le besoin de leur donner de la place ou une voix. Il s’agit d’un projet différent.

Quel genre de réaction avez-vous eu de la part de l’autre public visé par le livre, les Juifs de diaspora ?

Dans l’ensemble extrêmement positif. Tant le Forward de gauche que le Commentary de droite lui ont réservé d’excellentes critiques, et je ne pensais pas que l’une ou l’autre publication aurait aimé le livre. Forward a réagi à l’ouverture empathique aux Palestiniens, et Commentary a répondu à la forte défense du narratif sioniste.

Si vous mettez ces deux critiques ensemble, vous obtenez ce que j’essaie de faire dans le livre, c’est-à-dire tenir ces deux approches dans une seule sensibilité.

Une jeune femme de l’Université du Wisconsin, Hilary Miller, a écrit un article formidable dans son journal de campus – une lettre ouverte à un militant du BDS. Elle y déclare qu’elle a rédigé ce papier parce qu’elle venait de lire « Letters to My Palestinian Neighbor » et cela lui a donné l’idée de tendre la main et d’essayer d’expliquer Israël. Elle dit à cette militante anonyme du BDS que bien qu’ils partagent les mêmes sensibilités morales, les mêmes préoccupations pour la justice sociale, le BDS se trompe sur ce point.

C’était un autre moment dayeinu pour moi. Quand j’ai lu l’article d’Hilary, je me suis dit : c’est ce que j’espérais faire, donner à un étudiant d’université une voix pour parler d’Israël. Pas seulement pour répondre à la prochaine résolution du BDS – mais pour passer à l’offensive.

Le livre tente de donner aux Juifs un récit du 21e siècle sur Israël, parce que la plupart des Juifs de Diaspora parlent encore d’Israël à la manière du 20e siècle, qui est : le sionisme a commencé avec les pogroms de la Russie tsariste et culmine avec la Shoah – un récit entièrement euro-centré.

A LIRE : Personne n’a changé Israël. Ses pionniers pensaient avoir créé autre chose

Cela pose problème pour plusieurs raisons. D’abord parce que la majorité des Juifs israéliens viennent de familles qui n’ont rien à voir avec la Shoah, qui sont venus d’une partie du Moyen-Orient et ont déménagé dans un autre endroit. Ainsi, nous éliminons une majorité de Juifs israéliens de l’histoire sioniste.

Le deuxième problème est que nous nous exposons au discours anti-sioniste colonialiste. L’argument que vous entendez de la part des anti-sionistes est le suivant : pourquoi les Palestiniens devraient-ils payer le prix de ce que l’Europe a fait aux Juifs ? Lorsque vous élargissez l’objectif et que vous ne traitez pas seulement du sionisme de refuge, vous racontez une histoire différente, le sionisme de la nostalgie, une histoire de 2 000 ans d’un peuple qui a maintenu un lien avec sa patrie, une terre perdue mais non abandonnée. C’est l’une des histoires les plus extraordinaires, non seulement dans l’histoire juive, mais aussi dans l’histoire de l’humanité. Si vous n’élargissez pas l’objectif de cette façon, vous effacez le sens le plus significatif de notre retour ici, qui n’est pas seulement la recherche d’un refuge mais l’accomplissement d’un désir. Nous ne savons plus comment raconter cette histoire, et c’est une des raisons pour lesquelles nous faisons si mal la guerre contre notre histoire.

Mon livre tente de raconter l’histoire du sionisme de la nostalgie, et c’est ce à quoi les Juifs américains ont réagi. J’ai ressenti une grande soif d’une nouvelle façon de parler et de penser Israël et le sionisme.

C’est à ce moment-là que le professeur Dajani arrive et s’assoit à côté de Klein Halevi. Je ne l’ai jamais rencontré auparavant, alors Klein Halevi fait une brève présentation, puis nous reprenons la conversation.

Donc Yossi a écrit ce livre. Comment se fait-il que vous, Mohammed, y ayez répondu ? Il vous a contacté, ou vous avez entendu parler du livre et décidé que vous vouliez répondre ?

Mohammed Dajani dans les locaux du « Times of Israel » à Jérusalem, mai 2019. (Times of Israel)

Mohammed Dajani : En fait, j’ai vu un article sur le livre, puis j’ai lu le livre, et j’ai pensé qu’il serait intéressant de répondre à certains des points. Parce que nous sommes dans des camps opposés – que ce soit en 1948, 1967, 1973, 1982… Peu importe. J’étais de l’autre côté.

C’était intéressant pour moi quand je lisais le livre d’Amos Oz sur Jérusalem, [A Tale of Love and Darkness], et il en parlait depuis son quartier de la ville. J’étais de mon côté de la ville à regarder, et il regardait Jérusalem de son côté. J’ai donc pensé qu’ici, avec le livre de Yossi, on avait la même chose. Et comme il essaie de donner sa version de l’histoire, je devrais peut-être lui donner la mienne. Peut-être qu’il se mettrait aussi à ma place, ainsi que moi à la sienne.

Des gens m’ont dit : c’est un extrémiste, pourquoi voulez-vous répondre ? J’ai dit : non. Au contraire, je ne veux pas parler aux convaincus. Je veux aussi parler à d’autres personnes qui pensent différemment.

Les gens qui vous ont dit que c’était un extrémiste ont-ils lu le livre ?

Non. Je pense que ça vient peut-être de son histoire ou quelque chose comme ça.

Pensez-vous que c’est un extrémiste ?

Je ne crois pas, non. Je m’en fiche vraiment. Ce sont ses affaires. Pourquoi devrais-je m’en préoccuper ? Je crois également que je devrais parler même aux personnes vivant dans les implantations, aux personnes extrémistes qui veulent expulser les Palestiniens. Ce message de paix, de réconciliation et d’espoir doit s’adresser à tous, et peut peut-être changer les cœurs en ce qui concerne « l’autre », parce que parfois vous parlez sur la base d’images stéréotypées et de perceptions erronées. Par ignorance, vous avez tendance à vous faire de fausses idées. Une fois que vous aurez appris à connaître « l’autre », votre attitude changera.

Les Mémoires d’un extrémiste juif de Yossi Klein Halevi.

Yossi Klein Halevi : Cette notion de mon extrémisme est compliquée, parce que mon premier livre s’appelait « Mémoires d’un extrémiste juif ».

Mohammed Dajani (surpris) : Ce n’est pas rien !

Vous ne le saviez pas ?

Mohammed Dajani : Non !

Yossi Klein Halevi : J’ai commencé au Beitar, le mouvement de jeunesse de droite de Jabotinsky et Begin, à Brooklyn dans les années 1960. J’avais 13 ans quand j’ai rejoint la Ligue de défense juive de Meir Kahane. J’ai été très actif dans le mouvement de protestation pour la libération des Juifs de l’ex-Union soviétique, et Kahane a dirigé la faction la plus militante de ce mouvement. Il disait que la façon dont nous réussirons à libérer les Juifs était d’adopter les tactiques de tout autre mouvement de libération, en recourant à la violence, et cela m’a beaucoup plu, en tant qu’adolescent. Puis Kahane a émigré en Israël en 1971 et a abandonné la cause des Juifs soviétiques pour devenir le Kahane que nous avons appris à connaître ici. À ce moment-là, je me suis dit que ce n’était pas pour cela que j’avais signé. Je n’étais pas intéressé par une croisade anti-arabe, et je suis parti, tout comme presque tous ses partisans de New York.

Le premier livre que j’ai écrit était des mémoires de ces années. C’était il y a plus de 40 ans.

Vous avez aussi un passé, Mohammed…

Mohammed Dajani : Effectivement !

Mohammed, vous avez changé au fil des ans. Parlez-nous un peu de vous. Je voudrais commencer en disant que j’ai trouvé votre lettre à Yossi incroyablement empathique. Après l’avoir lue, j’ai pensé que si vous deux dirigiez le monde, je ne dis pas que nous pourrions faire la paix demain – mais il y a un terrain d’entente, une empathie commune et un désir d’aller de l’avant.

Yossi Klein Halevi : Mohammed et moi signerions un accord.

Mohammed Dajani : Je suis né en 1946, deux ans avant ce que nous appelons la Naqba et ce que les Israéliens appellent la guerre d’Indépendance. [Jusqu’à la guerre de 1948,] ma famille vivait ici à Baka, Talbiye et ces endroits [à Jérusalem]. Quand je suis revenu [à Jérusalem] en 1993, mon père a voulu m’emmener me montrer la maison où je suis né, etc. J’ai refusé parce que j’ai dit : les souvenirs du passé ouvriront des plaies et pourquoi devrait-on ouvrir ses propres plaies. Laissez-les en paix.

Des gens m’ont dit : C’est un extrémiste, pourquoi voulez-vous lui répondre ?

Dans les années 1950 et 1960, j’ai grandi ici à Jérusalem. Nous vivions alors dans la Vieille Ville. Ensuite, nous avons déménagé à Shuafat, puis à Ramallah, puis à Beit Hanina, où nous vivons aujourd’hui. Ma mère y a construit une maison en 1962. Notre famille possédait aussi l’hôtel Imperial à la porte de Jaffa. Tous les après-midis, on s’asseyait sur le balcon, on regardait de l’autre côté, et mon grand-père me disait sans cesse comment ce mur allait s’effondrer et qu’on allait récupérer notre propriété.

L’hôtel Imperial, porte de Jaffa, Jérusalem (DiggerDina/Wikipedia)

J’ai grandi avec ça, et j’ai grandi avec ma grand-mère qui, chaque fois que mon frère et moi nous disputions, disait : Maudits soient les Juifs, les Juifs sont responsables de la dispute de nos deux enfants.

Il y avait beaucoup de haine, et j’ai grandi dans cet environnement haineux. Une fois, dans les années 1960, j’ai comploté avec deux de mes amis pour allumer un incendie. Il y avait un no man’s land entre l’Université hébraïque et l’hôtel Ambassador. Nous avons incendié cette zone, où il y avait des champs de mines avant 1967, en signe de protestation contre le fait que les convois israéliens y passaient pour y livrer des munitions [à l’enclave israélienne du mont Scopus]. Tout ce que nous avons perdu, nous en avons imputé la responsabilité aux Juifs.

Puis je suis allé à l’Université américaine de Beyrouth en 1964, où l’environnement était extrêmement anti-israélien, extrêmement nationaliste – pour qui Israël est une implantation impérialiste.

Tous les écrivains, poètes palestiniens – tout le monde parlait du retour dans leur patrie et dans les orangeraies. Ils ont gravé cette nostalgie dans leur cœur, et c’est pourquoi j’ai rejoint le Mouvement nationaliste arabe. J’étais là pour un jour reconquérir la Palestine ; je croyais que les pays arabes allaient se battre et gagner la guerre. À l’université, je participais à des manifestations ou à toute autre activité contre Israël.

Puis, en 1967, le monde entier s’est effondré. Quelques jours avant la guerre, nous pensions que demain nous prendrions un café à Haïfa, un thé à Jaffa. Que tout le monde rentrerait chez lui. Nous avons vécu le mensonge.

L’Université américaine de Beyrouth, Liban, photographiée en décembre 1967. (AP Photo/Harry Koundakjian)

Le premier jour de la guerre, nous avons fermé l’université et avons mis cette immense table dans la cour pour indiquer combien d’avions et de chars israéliens ont été détruits par les armées arabes – Égypte, Syrie, Jordanie, Irak. Il y avait des centaines d’avions qui, selon la radio, avaient été abattus, affirmant que nous étions sur le point de gagner la guerre.

Le Mouvement nationaliste arabe s’est arrangé pour que des étudiants se portent volontaires pour aller au front, et j’étais parmi eux. Le bus nous a emmenés à Damas, où ils nous ont donné un fusil et cinq balles. Le fusil était plein d’huile. Dans le bus de Damas à Amman, les gens nettoyaient leurs fusils et les chargeaient. Soudain, on voyait quelqu’un tirer sur quelqu’un d’autre. Quand nous sommes arrivés en Jordanie, certains d’entre eux avaient déjà tiré les cinq balles qu’on leur avait données.

Nous avions l’intention d’aller à la frontière, mais nous avons vu l’armée jordanienne arriver, qui nous a dit que c’était fini et que nous avions perdu la guerre. C’était le 3e ou 4e jour. Nous n’y croyions pas. Nous avons attendu qu’ils nous emmènent à la frontière.

Des soldats israéliens se trouvent à la résidence du gouvernement dans la Vieille Ville de Jérusalem après avoir pris la partie jordanienne de la ville dans de violents combats, le 6 juin 1967. Le bâtiment était autrefois le siège des hauts-commissaires britanniques à l’époque du mandat britannique en Palestine et, plus récemment, le siège des inspecteurs des Nations unies chargé de la surveillance de la trêve. (AP Photo/Israel Army)

Puis nous avons entendu [le président égyptien] Nasser à la radio dire qu’il avait démissionné parce qu’il assumait la responsabilité de la défaite. Puis nous avons compris. Pendant une minute, nous avons cru que les Chinois allaient faire venir tous leurs avions. Mais ça n’est jamais arrivé. C’était un tel piège psychologique.

Gamal Abdel Nasser, président de l’Egypte, s’adresse à une foule immense réunie sur la Place de la République, Le Caire, 22 février 1958, depuis un balcon du bâtiment de l’Union Nationale. (AP Photo)

J’ai donc rejoint le Fatah. J’ai rencontré Abu Jihad [Kahlil al-Wazir, cofondateur du Fatah]. J’étais leader étudiant à l’université, et on m’a demandé de le rencontrer, en juillet 67, un mois après la guerre. Nous avons discuté, et il parlait de la libération de la Palestine et de l’organisation appelée Fatah. Il essayait de recruter des gens pour installer le Fatah au Liban.

Abu Jihad / Khalil Al-Wazir. (PASSIA / wikimedia commons)

Je suis allé m’entraîner dans différentes régions de Syrie, puis en Algérie. Ils avaient besoin de personnes en relations publiques, alors à cause de mon anglais de l’université américaine de Beyrouth, on m’a demandé d’organiser deux conférences internationales – l’une en Jordanie sur la solidarité avec la Palestine, et l’autre au Koweït. J’ai été responsable des relations internationales et des médias du Fatah au Liban pendant un certain temps. J’ai également été président du syndicat étudiant pendant trois ans, j’étais extrêmement radical. Le Wall Street Journal est venu m’interviewer, et ils ont dit que j’étais clairement un extrémiste parce que dans mon bureau, à l’Université américaine, il y avait de grands portraits de Mao Tse Tung, Ho Chi Minh et Che Guevara – mais pas de Lincoln. C’étaient les années radicales.

Yossi Klein Halevi : Je pense qu’il y a une autre raison pour laquelle nous nous aimons bien, parce que nous avons tous les deux un passé.

Mohammed Dajani : Oui. Je pense que oui. À l’époque, pour moi, parler à un Juif, c’était quelque chose de catastrophique.

Je suis allé aux États-Unis en 1975 [après avoir été expulsé du Liban] – d’abord je suis allé en Angleterre pour [étudier], et comme mon frère était aux États-Unis, dans l’est du Michigan, alors je suis allé là-bas. J’ai fait ma maîtrise dans le Michigan, puis mon premier doctorat à l’Université de Caroline du Sud et un deuxième doctorat [à l’Université du Texas]. Je n’avais pas le droit de retourner [en Israël ou en Jordanie à cause des activités du Fatah] et en même temps, j’avais besoin d’un statut de résident, et je ne voulais pas d’un permis de séjour américain. En fait, en 1972, à Beyrouth, lorsque j’étais président du conseil étudiant, j’ai été le premier étudiant à prendre la parole lors de la cérémonie de remise des diplômes. Quand j’ai pris la parole, j’ai jeté mon diplôme (de licence). J’ai dit que je n’en voulais pas parce qu’il s’agit d’un diplôme américain, et l’Amérique tue des gens au Vietnam, et ce sont des impérialistes, des agresseurs, et je ne veux pas garder leur diplôme. Ça a fait sensation à la cérémonie.

Ironiquement, trois ans plus tard, je me suis retrouvé aux États-Unis avec un passeport algérien, où j’ai fait mes études de doctorat.

Pendant cette période [aux États-Unis], je n’étais pas actif politiquement, mais j’en voulais aux Juifs. Si je savais que quelqu’un était juif, je ne lui parlais pas. J’avais des professeurs qui étaient juifs et j’évitais de suivre leurs cours.

Puis j’ai commencé à aller avec mon père à l’hôpital [Hadassah] Ein Kerem pour sa chimiothérapie. Et à mon grand choc, j’ai commencé à constater que les médecins et les infirmières le traitaient comme un patient. Les médecins étaient très amicaux et les infirmières aussi. Il leur apportait des fruits, des fleurs et du chocolat. Et j’ai constaté que l’hôpital soignait aussi les Palestiniens.

Les choses ont changé lorsque mon père m’a finalement obtenu [la permission de revenir pour] une réunion de famille en 1993. De 1968 à 1993, je n’ai pas eu le droit de revenir, alors c’était des années de colère, de haine, d’inimitié. Quand je suis revenu, au début, mon père, qui avait beaucoup d’amis des deux côtés, a renoué le contact avec ses amis d’avant 1948…

Des amis juifs israéliens ?

Oui

Il n’était donc pas aussi hostile que …

Non. Il ne l’était pas. Il n’était pas du tout dans la politique, jamais.

Vous êtes revenu en 1993. Votre père était encore en vie ?

Oui, mais il avait un cancer.

Il vous a calmé ?

Il a essayé de me faire faire le tour [d’Israël] pour me montrer, mais je ne voulais pas y aller avec lui… J’avais peur que quelqu’un vienne me tuer. Puis j’ai commencé à aller avec lui à l’hôpital [Hadassah] Ein Kerem pour sa chimiothérapie. Et à ma grande surprise, j’ai commencé à constater que les médecins et les infirmières le traitaient comme un patient. Les médecins étaient très amicaux et les infirmières aussi. Ils lui apportaient des fruits, des fleurs et du chocolat. Et j’ai remarqué que l’hôpital soignait aussi les Palestiniens. Cela a réveillé en moi le sens de l’humanité de l’autre, et cela a aussi réveillé mon humanité. C’était le point de départ.

Les infirmières du service d’urgence de l’hôpital Hadassah Ein Kerem, à Jérusalem. Illustration. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

J’ai eu une deuxième expérience avec ma mère, des années après la mort de mon père. Un vendredi après-midi, ma mère voulait aller à Tel Aviv et nous sommes allés en voiture – moi, mon frère, ma mère et ma nièce – à Tel Aviv. Et nous sommes allés à l’opéra. On a dîné, marché sur la plage, puis elle a fait une crise d’asthme. Nous n’en avons pas réalisé la gravité. Ses inhalateurs étaient vides, et nous avons pensé que nous pourrions retourner à Jérusalem pour la ramener à la maison et qu’elle pourrait alors utiliser son inhalateur pour l’asthme. Mais sur le chemin du retour, elle s’est évanouie et a fait une crise cardiaque.

Contrôle de sécurité des véhicules entrant dans l’aéroport Ben-Gurion. Illustration. (Crédit : Moshe Shai/Flash90)

Nous étions près de la sortie Ben Gourion [Aéroport] et mon frère qui conduisait a décidé de s’arrêter à cette sortie pour demander de l’aide. Le temps qu’on arrive à la sortie, elle s’était évanouie.

Je pensais que les soldats nous jetteraient dehors une fois qu’ils sauraient que nous sommes Palestiniens et qu’ils diraient que ce ne sont pas leurs affaires de nous aider. Mais étonnamment, ils ont immédiatement quitté l’une des barrières et appelé une équipe médicale d’urgence…

Vous vous êtes arrêté à la barrière de l’aéroport et dit « ma mère fait une crise cardiaque ? Aidez-nous ! »

Toute une équipe médicale est arrivée – ils avaient une salle d’opération à l’une des barrières et ont essayé de la réanimer. Pendant plus de 30 minutes, trois ou quatre personnes de l’équipe médicale s’occupaient d’elle. Finalement, ils ont senti son pouls et nous ont dit de l’emmener à l’hôpital – à l’hôpital militaire de Tzrifim tout près. L’ambulance l’y a conduite.

Nous leur avons demandé pourquoi ils nous gardaient dans l’ignorance. Ils ont dit : nous avions peur de votre réaction, vous êtes arabes, et nous ne savions pas comment vous réagiriez aux nouvelles. Nous avons dit non, nous apprécions tout le travail qui a été fait pour l’aider.

Pendant deux heures, personne ne nous a rien dit. Finalement, les médecins sont venus et ont dit : nous sommes vraiment désolés, mais votre mère est morte à son arrivée.

Nous étions en état de choc. Personne ne nous l’avait dit. Nous leur avons demandé pourquoi ils nous gardaient dans l’ignorance. Ils ont dit : nous avions peur de votre réaction, vous êtes arabes, et nous ne savions pas comment vous réagiriez aux nouvelles. Nous avons dit non, nous apprécions tout le travail qui a été fait pour l’aider.

Nous ne pouvions pas la ramener avec nous parce que c’était Shabbat et qu’ils ne pouvaient pas fournir d’ambulance et que nous ne pouvions pas en obtenir une de Jérusalem. Nous sommes donc rentrés en voiture sans elle, et je regardais le siège vide et pensais à elle et à la grande perte qu’elle représentait, car c’est elle qui garantissait notre union. En même temps, je pensais à l’ennemi qui essayait de m’aider.

En quelle année votre mère est-elle morte ?

En 2005.

Je me demande comment ce serait aujourd’hui si vous arriviez à l’aéroport Ben Gurion ?

J’aimerais croire que ce serait la même chose. Je vais vous dire pourquoi. N’oubliez pas qu’à l’époque, c’était après la deuxième Intifada et il y avait beaucoup d’hostilité.

Et pourtant, ils étaient bien.

Je ne pense donc pas que cela changera.

Ce sont donc vraiment les petites rencontres personnelles, authentiques, humaines avec les Israéliens, en particulier autour des soins médicaux de vos deux parents, qui vous ont changé ?

Oui, je crois que oui. Je pense qu’il s’agit d’apprendre à connaître l’humanité de l’autre.

Et quelle est la conclusion ? Donc, maintenant, vous lisez ce livre de Yossi et écrivez une lettre qui dit essentiellement que nous devons tous respecter les narratifs des autres et que nous devons essayer d’aller de l’avant. Comment passer de cette ouverture très bien intentionnée de Yossi et de votre réponse très nuancée à quelque chose qui a un plus grand élan pour plus de gens ? Comment pouvons-nous gonfler votre interaction respectueuse en quelque chose qui peut vraiment changer les choses ?

Mohammed Dajani : Nous devons créer un groupe d’élite qui pourrait diriger la communauté – des leaders qui pourraient être des multiplicateurs. Enseignants, journalistes, tous ceux qui peuvent faire la différence. C’est pourquoi je suis obsédé par la mise en place d’un programme de doctorat où nous pourrons former un journaliste ou un chef religieux à la réconciliation et au dialogue interconfessionnel. Donnez-leur une formation adéquate pour qu’ils puissent retourner dans leur communauté et prêcher ce message – non pas sur le plan émotionnel, mais plutôt sur le plan scientifique, professionnel. Le problème, c’est que dans le monde arabe, on ne trouve pas de personnes formées à la réconciliation et à la résolution des conflits. Les universités ne forment pas les gens à la réconciliation.

Vous voulez mettre sur pied un programme de doctorat – où et dans quoi ?

A l’Université Europa de Flensbourg, en Allemagne. Nous espérons faire venir non seulement des étudiants palestiniens et israéliens et des étudiants allemands ou européens, mais aussi des étudiants arabes de régions en conflit comme la Syrie et la Libye. Les États du Golfe aussi. Laisser les gens de ce creuset apprendre les uns des autres, parce que je crois que l’ignorance est un élément central du conflit.

Pour en venir à l’événement qui vous a le plus mis en vedette et qui, semble-t-il, a refait surface dans votre vie, comment se fait-il que vous ayez pu conduire un groupe à Auschwitz (en 2014) et que s’est-il passé ensuite ?

L’université d’Al-Qods m’a demandé…

Vous étiez professeur là-bas, vous l’êtes toujours ?

J’y ai été professeur et directeur fondateur de leur programme d’études américaines – un programme de maîtrise en études américaines qui a débuté en 2002. Plus tard, en 2012, j’ai été nommé directeur de toutes les bibliothèques.

Pendant cette période, le professeur Sari Nusseibeh [le président de l’université] m’a demandé de participer et de représenter l’université Al-Quds dans un projet appelé « Hearts of Flesh », avec une université allemande, une israélienne et celle d’al-Quds. Puis al-Quds s’est retiré de tous ces projets communs, et j’ai eu le choix entre me retirer du projet ou rester en ma propre capacité et représenter ma propre organisation, qui est le mouvement Wasatia [le centre du terrain]. J’ai donc choisi de rester et de représenter Wasatia.

Pourquoi al-Quds s’est-elle retirée ?

Ils avaient plus de 50 projets communs. Il y a eu beaucoup de pression sur l’université pour qu’elle se retire des projets conjoints avec les universités israéliennes à cause de la guerre de Gaza [2014], alors ils se sont retirés de tous les projets, pas seulement celui-là.

Un de mes étudiants est venu me voir et m’a dit j’ai un message pour vous : Vous devez annuler ce voyage, et si vous y allez, quand vous reviendrez, il y aura beaucoup de répercussions

Il s’agissait d’un projet conjoint entre l’université Al-Quds, l’université Ben Gurion et l’université de Tel Aviv, et l’université Friedrich Schiller d’Iéna, en Allemagne. L’idée était d’emmener 30 étudiants palestiniens à Auschwitz et 30 étudiants israéliens dans un camp de réfugiés palestiniens – le camp de réfugiés Dehaishe à Bethléem. Bien qu’il n’y ait pas de comparaison entre les deux, l’idée était de voir quel impact la rencontre de l’autre et l’apprentissage de la souffrance de l’autre auront sur votre empathie pour l’autre. Quel rôle la compassion jouerait-elle dans la réconciliation ?

Les étudiants israéliens sont allés rencontrer des Palestiniens à l’extérieur du camp de Dehaishe ; ils n’ont pas pu y entrer pour des raisons de sécurité à l’époque. C’était au début de mars 2014. Ensuite, nous nous étions arrangés pour que des étudiants palestiniens aillent à Auschwitz, 30 étudiants. Au dernier moment, deux d’entre eux se sont rétractés. Et un autre Palestinien s’est avéré être du Hamas – je ne le savais pas. Il s’est présenté à la frontière, et les Israéliens l’ont renvoyé. Nous avons donc fini avec 27 étudiants.

Un membre du Hamas voulait vraiment venir ?

Oui.

Israël l’a empêché d’y aller ?

Oui, je lui ai écrit une lettre en tant que garant pour sa visite avec le groupe, et j’ai déclaré que cela faisait partie d’un projet. Deux fois, il est allé à la frontière et Israël a dit non. Je lui ai demandé pourquoi il voulait partir. Il a répondu – connaître. J’aimerais savoir. Il a dit qu’on avait tellement entendu parler de [la Shoah]. Il voulait en savoir plus.

Avant de partir, on m’avait prévenu de ne pas y aller.

Qui ça ?

Différentes personnes. Un de mes étudiants est venu me voir et m’a dit j’ai un message pour vous : vous devez annuler ce voyage, et si vous y allez, quand vous reviendrez, il y aura beaucoup de répercussions. Il devait faire ce voyage, et je lui ai demandé s’il y allait encore. Il m’a demandé si j’y allais encore. J’ai répondu que oui. Je lui ai demandé, tu viens toujours ? Il a dit oui.

De plus, une semaine avant notre départ, j’ai reçu un courriel du président de l’université, le professeur Nusseibeh, dans lequel il disait : j’ai entendu dire que vous emmeniez des étudiants à Auschwitz. Si oui, veuillez informer les étudiants que l’université n’a rien à voir avec cela et que cela fait partie de votre initiative Wasatia.

Je lui ai répondu que les étudiants le savaient déjà, que ce n’est pas une activité universitaire. Bien que j’aie pensé que cela devait être une activité universitaire, parce que la mission de l’université est l’apprentissage et la connaissance. Mais à l’époque, je voulais que le voyage ait lieu et ne pas entrer en conflit.

Mohammed Dajani à Auschwitz, mars 2014 (Autorisation)

Alors nous y sommes allés, et ça s’est bien passé. Mais la veille de notre retour, notre deuxième jour à Auschwitz, le quotidien Haaretz a publié un article en anglais sur ce voyage. Le journal al-Qods l’a traduit et publié en arabe, mais malheureusement la traduction ne reflétait pas ce que l’article disait. L’article en anglais disait que le voyage était parrainé par une université allemande et financé par un institut de recherche allemand, et que des étudiants israéliens allaient visiter les camps de réfugiés palestiniens. La version arabe disait que les parrains étaient des universités israéliennes, qu’elle était financée par une organisation sioniste et qu’elle ignorait la réciprocité. Donc l’article a fait croire que ce professeur essayait de vendre un discours sioniste aux étudiants palestiniens.

Il y avait neuf organisations étudiantes et elles ont publié une déclaration disant que c’est une normalisation, et que la normalisation est une trahison. Que j’ai commis une trahison

Un fort tollé s’est manifesté sur les réseaux sociaux de l’université. Il y a eu beaucoup d’incitation contre le voyage. De la part même de l’université. Elle a fait une déclaration disant qu’elle n’avait rien à voir avec le voyage. Personne ne leur a demandé de faire cette déclaration et, dans le même temps, le syndicat des professeurs, des travailleurs et des employés a fait une déclaration disant qu’ils me rayaient de leur liste de membres parce que j’avais emmené des étudiants à Auschwitz.

Puis il y a eu des manifestations d’étudiants. Il y avait neuf organisations étudiantes, qui ont publié un communiqué disant qu’il s’agissait d’une normalisation, et que la normalisation est une trahison. Que j’étais coupable de trahison. Ils sont venus dans mon bureau et ont essayé de tout saccager. Puis ils sont venus dans mon bureau de la bibliothèque aussi et m’ont laissé une lettre me menaçant de mort si je revenais sur le campus. J’ai demandé au président ce que [l’université] allait faire. En raison de la pression, j’ai pensé qu’il vaudrait peut-être mieux que je démissionne pour ne pas me mettre dans un… De toute façon, il n’y avait pas d’environnement académique où je pouvais enseigner, et s’ils manifestaient contre moi tout le temps, je ne pouvais pas être sur le campus.

Le président de l’université Al-Quds, le professeur Sari Nusseibeh, à son bureau de Beit Hanina, à Jérusalem-Est. (Crédit : Nati Shochat/Flash 90)

J’ai donc envoyé une lettre de démission, et quand le président l’a reçue, il a demandé à me rencontrer. Je l’ai rencontré. Il a dit : nous essayons de calmer le jeu, et c’est beaucoup plus dangereux que vous ne le pensez. J’ai aussi reçu de l’extérieur beaucoup d’avertissements. La seule chose que je puisse faire pour vous, c’est que si vous retirez votre démission, je mettrai des agents de sécurité pour vous lorsque vous arriverez sur le campus, mais je ne suis pas responsable une fois que vous serez à l’extérieur des portes.

J’ai dit que je n’avais pas besoin d’agents de sécurité ici, j’ai besoin que vous déclariez que ce que j’ai fait faisait partie de l’éducation, que c’était ma liberté académique, et que je n’ai rien fait de mal. Vous n’avez pas à me soutenir, mais dites que c’est ma liberté académique d’enseigner.

Je n’ai pas retiré ma lettre. Et quelques jours plus tard, ils m’ont viré. Il a accepté ma lettre.

J’avais fait don de milliers de livres à la bibliothèque. Plus tard, ils ont jeté hors de la bibliothèque tous les livres où mon nom était inscrit. Quand j’ai mentionné cela sur Facebook, ils m’ont envoyé une lettre disant que si je diffamais l’université, je serais poursuivi en justice. Je leur ai envoyé une réponse leur disant : si vous me poursuivez en justice, je vous poursuivrais aussi en justice. Ma voiture a été incendiée à cause de ça. Ils ont abandonné l’idée de me poursuivre, et inversement.

Donc, en gros, emmener un groupe de Palestiniens à Auschwitz a ruiné votre carrière universitaire ?

Nous avons donné le choix aux élèves de venir se renseigner [sur la Shoah], de voir par eux-mêmes ce qui s’est passé, que ce n’est pas un mythe, ce n’est pas une légende, c’est une réalité historique et nous devons l’affronter

Oui. Et ma réputation au sein de la communauté palestinienne, parce qu’ils m’ont attaqué comme si j’avais trahi, plutôt que d’écouter mon histoire.

Qu’est-il arrivé aux 27 étudiants ? Y a-t-il eu des répercussions pour eux ?

Au début, certains d’entre eux ont prétendu qu’ils n’avaient pas fait le voyage. Puis ils ont vu que je résistais et que je ne niais rien. J’ai dit que cela faisait partie de mon travail d’enseignant, et en même temps, dans le Coran, il est dit « Faites-moi progresser dans la connaissance ». Et il est dit : « Ceux qui savent ne sont pas du même niveau que ceux qui ne savent pas. »

J’ai dit que je recommencerais, je ne le regrette pas, ce n’est pas quelque chose qui me semblait mal, et ce n’est pas du lavage de cerveau comme on le prétend. Nous avons donné aux élèves le choix de venir étudier [la Shoah], de voir par eux-mêmes que c’est ce qui s’est passé et que ce n’est pas un mythe, ce n’est pas une légende, c’est la réalité historique, et nous devons l’affronter.

https://youtu.be/RaUf9Mojr-c

Quand les étudiants ont vu ce que je disais, ils ont essayé de faire pression sur l’université pour qu’elle rejette ma démission, et ils sont allés parler au président qui a dit que j’avais présenté une démission et qu’il ne pouvait rien y faire, ce qui est faux, car il aurait pu la rejeter. Deux étudiants ont écrit des articles à l’appui. L’un d’entre eux a écrit un article dans The Atlantic pour justifier son voyage. Un autre a écrit un article dans le journal Al-Qods en arabe pour le soutenir. J’ai trouvé cela très courageux de leur part. D’autres étudiants ont écrit leurs souvenirs, et nous les avons publiés dans notre livre.

Vous avez écrit un livre sur le voyage ?

Oui, le livre est divisé en trois sections – une section de professeurs écrivant sur la théorie de la réconciliation, une autre section sur les réactions des étudiants et la troisième sur la réaction des médias.

Que ce soit dans le système éducatif palestinien ou dans les mosquées, l’ennemi est le juif. Pas le sioniste, le juif.

Je reviens à ma question. Yossi se trouve quelque part entre les deux et se dirige peut-être vers la minorité à mesure qu’Israël devient plus belliciste, mais certainement dans le courant dominant quelque part, de même que ce site Web et mes opinions. Il me semble que, parce que vous êtes prêt à reconnaître qu’il y a un autre récit, et parce que vous êtes ouvert d’esprit pour essayer d’en apprendre davantage sur l’autre côté, sans diluer votre histoire, votre récit et vos revendications, vous êtes un étranger radical dans votre société. Vous avez parlé du « crime » de normalisation. S’agit-il d’une normalisation, d’une trahison, du fait que vous êtes assis ici en train de parler à un journaliste sioniste, israélien ? C’est très déprimant. Je suis en train de lire le livre de Yossi, qui, à votre avis, n’est en aucun cas parfait – mais vous pensez : voici quelqu’un qui a fait un effort de bonne foi et qui mérite une réponse sérieuse et nuancée. Il est dans le courant dominant et vous, en raison de votre volonté de réagir comme vous le faites, vous êtes au-delà de la limite de votre camp dans le conflit. Est-ce vrai et, dans l’affirmative, que pouvons-nous en conclure ?

Oui, je pense que c’est vrai dans le sens où je ne parle pas au nom des Palestiniens. Et peut-être que les radicaux d’aujourd’hui, ils ne sont pas majoritaires, mais ils contrôlent la façon de penser des gens. Ils utilisent la religion pour réaliser leur programme politique. Que ce soit dans le système éducatif palestinien ou dans les mosquées, l’ennemi est le Juif. Pas le sioniste, le Juif. Peut-être que dans les années 50, 60, 70 et 80, c’était la revendication sioniste de la Palestine, et nous avons une revendication concurrentielle, et donc la lutte était politique. Aujourd’hui, c’est le juif et le musulman. Ils créent des inimitiés qui n’existaient pas dans le passé.

Ils prétendent même que les Juifs ont empoisonné le Prophète [Mahomet]. Dans le système éducatif, ils enseignent aux enfants beaucoup d’histoires sur la façon dont les Juifs ont essayé d’empoisonner le Prophète et y sont parvenus. Une femme juive donna au Prophète un poulet empoisonné qu’il mangea et mourut. C’est n’importe quoi. Elle n’est pas corroborée par des preuves. Cela fait partie de l’éducation que nous essayons de réformer.

Notre religion est manipulée, mal interprétée, pour refléter une version très anti-juive, très anti-chrétienne, [y compris à] l’université et dans le système éducatif. Il y a beaucoup d’ignorance l’un envers l’autre.

J’ai pensé qu’écrire une lettre à Yossi était important, parce que je voulais tendre la main aux Israéliens. J’ai senti qu’il y avait aussi beaucoup d’ignorance de leur part. Chaque fois que je prends la parole, et je parle de modération dans l’islam, les gens disent que le Coran est antisémite, violent, ou contre les femmes ou autre. Si nous ne tendons pas la main à la communauté juive, et si la communauté juive ne tend pas la main à la communauté palestinienne, il n’y aura pas de paix.

Yossi, connaissiez-vous l’histoire de la vie du professeur, lorsqu’il l’a racontée ici ?

Yossi Klein Halevi : En grande partie. Nous en avons déjà parlé. Quand, en tant qu’Israélien, je vous entends, Mohammed, j’arrive à deux conclusions opposées.

La première est le désespoir. C’est ce qui arrive à un Palestinien loyal envers son peuple, mais qui ose essayer de faire découvrir à ses étudiants l’histoire de l’autre camp. Vous ne leur enseignez pas le sionisme, vous leur enseignez l’histoire de la Shoah, et même cela est considéré comme tabou. Donc, une partie de moi dit : pourquoi s’embêter ?

L’autre partie de moi dit : attendez une minute ! Voici un professeur palestinien, un ancien du Fatah, qui a emmené 27 étudiants à Auschwitz. Cela a un sens. Je dois lui rendre hommage.

La première réponse m’amène à la conclusion que même si [la gauche] Meretz devait créer le prochain gouvernement israélien, il n’y aurait pas de paix. Parce qu’en fin de compte, la société palestinienne n’est pas prête à accepter ma légitimité.

L’autre partie de moi dit : il y a peut-être plus de gens qu’on n’en connaît. Vous avez pris position publiquement et vous en avez payé le prix. Combien d’autres personnes sont silencieusement d’accord avec vous ? Combien d’autres personnes dans la société palestinienne sont vraiment prêtes à envisager une autre voie ?

Même s’il n’en résulte rien de plus, en tant qu’être humain, je sens que vous m’avez fait un cadeau, et j’ai besoin de ces liens humains avec les Palestiniens.

Je suis partagé entre ces deux conclusions, et la façon dont j’essaie de les résoudre est de dire : à ce moment de l’histoire du conflit, il n’y a aucune chance de parvenir à un accord. Mais je ne peux pas laisser ce moment avoir un pouvoir de veto sur les possibilités futures. C’est pourquoi j’ai le sentiment que notre relation, notre amitié, la confiance que nous avons développée, a un sens.

Tout d’abord, c’est significatif pour moi personnellement. Cela me permet de respirer un peu plus facilement dans ce conflit, de sentir que j’ai de l’espoir, aussi infime soit-il, dans cette situation par ailleurs désespérée. Et même si rien d’autre n’en sort, en tant qu’être humain, je sens que vous m’avez donné ce don et j’ai besoin de ces liens humains avec les Palestiniens. J’ai besoin de sortir de ma position d’Israélien et d’avoir ces relations. Donc même à ce niveau, je peux dire dayeinu.

Pouvez-vous répondre à la question de Yossi sur le nombre de personnes comme vous du côté palestinien ? Vous en pensez quoi ? Je connais Sari Nusseibeh, pas très bien, mais je l’ai rencontré plusieurs fois. Il était l’un des modérés…

Mohammed Dajani : Il l’est toujours.

Alors pourquoi…

Mohammed Dajani : Je pense que c’était la pression sur lui. Souvenez-vous qu’il s’est présenté au Comité central du Fatah et qu’il a perdu. Il a également subi des pressions parce qu’il a renoncé au « droit au retour » des réfugiés. Je pense qu’il a succombé à cette pression. Et puis il a démissionné de son poste à l’université.

Toute ma vie, j’ai travaillé pour la cause de la Palestine… Et soudain, on me fait passer non seulement pour un collaborateur, mais aussi pour un traître

Toute ma vie, j’ai travaillé pour la cause de la Palestine. J’aurais pu enseigner aux États-Unis ou ailleurs et obtenir plus d’argent et plus de gloire ou quoi que ce soit d’autre. Pourtant, j’ai choisi de venir enseigner à l’université Al-Quds à un salaire très bas.

J’ai consacré ma vie à ça. Et soudain, on me fait passer pour un collaborateur, voire un traître. Et pas seulement au sein de la communauté palestinienne, mais cette réputation me précède dans d’autres lieux. Il y a quelques mois, j’ai été invité à assister à une conférence en Afrique du Sud. Le mouvement BDS y manifestait contre les Israéliens qui participaient à la conférence. Une partie de leur revendication était : vous invitez des Israéliens, mais pas des Palestiniens. Les organisateurs de la conférence leur ont dit, mais il y a une participation palestinienne : moi. Leur réponse a été : ce n’est pas un vrai Palestinien.

Beaucoup de gens me l’ont demandé : Qu’est-ce qui est le plus blessant pour vous ? Que vous soyez étiqueté comme un traître et un collaborateur, ou que vous ayez perdu votre emploi. J’ai répondu : Ni l’un ni l’autre. Le plus blessant, c’est que personne ne m’a défendu publiquement.

Il y a quelques jours, une de mes amis, qui a été ministre du Tourisme [de l’AP] et ambassadrice en France, a écrit sur ma page Facebook que je n’étais pas honnête et que j’ai succombé au pouvoir. Pourquoi ? Parce que j’ai dit que le programme palestinien ne devrait pas enseigner le martyre. Elle a déclaré qu’il n’y avait rien de tel dans le programme scolaire et que j’étais malhonnête, ce qui n’est pas vrai parce que le martyre est enseigné dans le programme scolaire palestinien de manière très ouverte et très large.

Dire que je ne suis pas un vrai Palestinien parce que je suis pour la paix et pour la réconciliation, ça fait mal.

[Après la fureur qui a suivi le] voyage à Auschwitz, beaucoup de gens m’ont demandé : qu’est-ce qui est le plus blessant pour vous ? Que vous soyez étiqueté comme un traître et un collaborateur, ou que vous ayez perdu votre emploi. J’ai répondu : ni l’un ni l’autre. Le plus blessant, c’est que personne ne m’a défendu publiquement. Il y avait des gens qui se sont levés au sein de la communauté, mais pas publiquement. Seuls deux étudiants m’ont apporté un soutien public. Mes collègues de l’université ont gardé le silence et n’ont pas pris la parole pour dire qu’il s’agissait de liberté académique.

Alors, que faites-vous aujourd’hui ?

Je travaille sur ce programme de doctorat.

Vous travaillez donc à la mise sur pied de ce programme, en espérant qu’il sera financé et mis en œuvre ?

Oui, l’université espère que le programme obtiendra un financement pour qu’ils puissent le lancer, parce qu’ils ne peuvent pas démarrer le programme sans financement.

Je veux vous demander à tous les deux : quelle vision avez-vous de la réconciliation à long-terme ? À quoi ça ressemble ? Comment les objectifs israéliens et palestiniens coexistent-ils ? Comment pouvons-nous résoudre ce problème ?

Yossi Klein Halevi : Les Palestiniens et les Israéliens ont toujours un intérêt commun à mettre fin à l’occupation. Je considère qu’il est dans l’intérêt des Israéliens de libérer Israël de la situation dans laquelle j’occupe Mohammed. Pour moi, en tant que situation permanente et à long terme, c’est intenable. En ce sens, l’objectif pragmatique est la séparation, c’est-à-dire s’éloigner de la direction dans laquelle nous nous dirigeons maintenant, et c’est là où le gouvernement actuel nous mène, vers un État unique. Je n’appelle pas ça une solution à un seul État. Ce n’est pas une solution. C’est une non-solution, c’est une solution sans État – c’est la Yougoslavie, c’est la Syrie, c’est l’Irak. C’est là que je crois que cela va nous mener, si nous n’avons pas la solution à deux États. C’est une réponse.

La réponse à long terme, pleine d’espoir, est difficile à dire de nos jours. Mais quand je rencontre des gens comme Mohammed de l’autre côté, je sens qu’il y a une possibilité pour Israël de trouver sa place dans la région. Pour moi, le processus du retour des Juifs au pays ne sera pas complet tant que nous ne serons plus en exil de la région. Aujourd’hui, il me semble si peu pertinent de parler ainsi aujourd’hui, mais je dois encore garder cet espoir à long terme. Nous sommes tous assez vieux pour nous souvenir, même vous, d’Anouar el-Sadate descendant de l’avion à l’aéroport Ben Gurion.

Le premier ministre Menachem Begin, (à droite), accueille le président égyptien Anouar el-Sadate à l’aéroport de Lod le 19 novembre 1977. (Moshe Milner/GPO archive)

Je ne sais pas ce que vous, Mohammed, en avez pensé à l’époque. Vous avez probablement pensé que c’était un traître. J’étais étudiant à Washington l’année où Sadate est venu à Jérusalem, j’étais hospitalisé pour une jaunisse. J’ai regardé la télévision et, voyant Sadate et Menachem Begin ensemble, j’ai cru délirer. Cela semblait si impossible, et maintenant nous tenons cela pour acquis.

Il n’y avait pas plus grands ennemis que Sadate et Begin. Begin était le Premier ministre israélien le plus à droite jusqu’alors. Et Sadate, jusqu’à ce qu’il mette les pieds sur le sol israélien, avait été l’homme le plus détesté d’Israël. Il était responsable de milliers de morts israéliens, quand il avait déclenché une attaque surprise durant Yom Kippour.

Je sais que les circonstances sont très différentes entre Palestiniens et Israéliens. Et pourtant, si vous aviez dit à quelqu’un d’un côté ou de l’autre un jour avant l’arrivée de Sadate que cela allait se produire, cela aurait été inconcevable.

Ainsi, une partie de moi – certes de plus en plus réduite – persiste à croire au miracle.

Mohammed Dajani : Donc, pendant que cette partie de Yossi se rétrécit, en moi, elle grandit. Je crois que la rationalité et le simple fait de connaître l’autre mèneront finalement à un compromis, à la réconciliation. Nous ne pouvons pas continuer à nous battre éternellement. Qui aurait cru qu’Arafat signerait les accords d’Oslo ou qu’il serrerait la main de Rabin ? Il n’était peut-être pas sincère, à l’époque. Peut-être qu’il y croyait, peut-être qu’il n’y croyait pas. Je ne sais pas. Mais c’est sûr qu’il a pris position. C’était une position tardive, parce que s’il l’avait prise avant, quand Sadate l’avait prise, elle aurait pu signifier beaucoup plus.

Nous sommes là pour rester, les Israéliens sont là pour rester. Ils ne peuvent pas nous exterminer. Nous ne pouvons pas les éliminer. Il est immoral pour quiconque d’effacer l’autre. Si nous arrivons à cette conclusion, alors la seule option est de coexister

Je crois qu’il viendra un moment où les voix radicales se feront moins entendre et où celles de la réconciliation seront plus fortes, car c’est l’avenir. Nous avons hérité ce conflit de nos grands-parents, et il est de notre devoir, de notre responsabilité, de laisser un héritage de paix à nos petits-enfants.

Vous parlez comme un Shimon Peres palestinien, et ce n’est pas un compliment. La réalité est si sombre. Quelles sont vos raisons d’être optimiste ?

Mohammed Dajani : Nous sommes là pour rester, les Israéliens sont là pour rester. Ils ne peuvent pas nous exterminer. Nous ne pouvons pas les éliminer. Il est immoral pour quiconque d’effacer l’autre. Si nous arrivons à cette conclusion, alors la seule option est de coexister.

Shimon Peres meets with Palestinian leader Yasser Arafat in Ramallah, May 14, 1997. (photo credit: Flash90)
Shimon Peres et le dirigeant palestinien Yasser Arafat à Ramallah, le 14 mai1997. (Crédit : Flash90)

Les Israéliens ne peuvent pas continuer à nous gouverner, à nous dominer. Nous n’irons pas dans le Sinaï ou ailleurs. C’est pourquoi je viens de publier un article sur l’initiative Trump, et j’ai dit que je l’appelais une initiative. Je n’appelle pas ça un marché. C’est un homme d’affaires, et c’est ce qu’il pense de l’accord du siècle. Je ne crois pas en ça. J’ai écrit qu’il y a de mauvaises et de bonnes nouvelles avec cette initiative. La bonne nouvelle est qu’elle unifiera les Palestiniens, la mauvaise nouvelle est qu’elle les unifiera derrière le Hamas et derrière la violence et l’extrémisme.

Les Palestiniens pourraient tout recommencer à zéro, encore et encore, afin de réaliser leur aspiration à une patrie nationale, comme cela a été le cas pour les Juifs. Si en 1920 ou 1930, vous aviez dit que dans 30 ans, il y aurait un État d’Israël, personne ne l’aurait cru. Si je dis aujourd’hui qu’il y aura un État de Palestine, personne ne me croira. Mais il y aura un État de Palestine, pas un État sur papier comme maintenant, mais un véritable État, un État dynamique. Nous avons besoin du soutien non seulement des Palestiniens ou de la communauté internationale, mais aussi de la communauté juive.

Yossi parlait de revenir [sur cette terre], du rêve juif de revenir. J’y ajouterai un pas de plus : revenir sans nuire à votre voisin. Je pense que c’est également très important dans la morale juive. Vous voulez revenir ? Ok ! Mais vous ne voulez pas marcher sur l’autre, et vous ne voulez pas que votre présence se fasse au détriment de l’autre. Quand j’entends des rabbins extrémistes dire qu’il faut tuer les Palestiniens, je sens qu’ils n’ont rien à voir avec leur religion. C’est ce que je ressens lorsque des imams et des cheikhs musulmans disent que nous devons tuer tous les Juifs parce que c’est ce que le Prophète a dit, ce que je ne crois pas.

Yossi Klein Halevi : Il n’y a pas si longtemps, j’aurais dit qu’il n’y a pas de majorité de modérés du côté palestinien – qu’il y a une minorité, peut-être une forte minorité – mais qu’il y a une majorité de modérés du côté israélien. Aujourd’hui, je ne pense toujours pas qu’il y ait une majorité de modérés du côté palestinien, mais je ne suis plus sûr qu’il y ait une majorité du côté israélien non plus.

Mohammed Dajani : Ils vont changer.

Yossi Klein Halevi : Peut-être. Pour la première fois, je me sens étranger à mon propre gouvernement. Je ressens une grande anxiété quant à la destination où ils nous conduisent. Le gouvernement a légitimé les kahanistes, mon camp de jeunesse. Si vous m’aviez dit quand j’étais adolescent qu’un jour il y aurait une coalition gouvernementale israélienne dans laquelle les kahanistes [via le parti Otzma Yehudit] seraient représentés, j’aurais été ravi. Aujourd’hui, rien ne me fait plus peur.

Les membres du parti Otzma Yehudit Michael Ben Ari (C), Itamar Ben Gvir (D) et Baruch Marzek (G) s’expriment lors d’une conférence de presse tenue en réponse à la décision de la Cour suprême d’exclure Ben Ari pour les prochaines élections, à Jérusalem, le 17 mars 2019. (Yonatan Sindel/Flash90)

Je n’ai pas le luxe de me poser la question : est-ce que ce que je fais va être efficace ou non ? Je pense qu’en ce moment de notre histoire, je dois me lever et réaffirmer mon engagement en faveur d’une meilleure résolution de cette histoire pour les Palestiniens et les Israéliens.

Je me bats, tout d’abord, pour mon Israël

Si vous m’aviez dit il y a cinq ans que j’allais prendre cette position publique maintenant, je ne l’aurais pas cru. [Après ce qui s’est passé lors de la seconde Intifada], je ne croyais pas du tout qu’il y avait un sens à ce genre d’initiatives. Ça semblait hors de propos, un fantasme. C’est peut-être encore un fantasme, mais quand je vois où la droite nous mène… Si cela continue encore 10 ou 20 ans, nous arriverons vraiment au point de non-retour et nous nous retrouverons dans un État binational.

Je me bats, tout d’abord, pour mon Israël.

[Se tournant vers Mohammed Dajani] : Et je suis honoré de vous avoir comme partenaire.

Mohammed Dajani : Quand on me demande combien de personnes soutiennent Wasatia, ou combien y a-t-il de personnes qui partagent ses objectifs, je réponds : Il pourrait s’agir d’une initiative unipersonnelle et d’une initiative populaire. C’est à l’homme seul qu’il appartient d’en faire une initiative populaire. Vous devez tenir bon et continuer à le faire, que les gens vous suivent ou non. Je ne veux pas continuer à chercher à voir s’il y a des gens derrière moi ou non. Je veux continuer à avancer.

Pourquoi y aurait-il une contradiction ? Si je suis nationaliste, je ne devrais pas être humaniste ? Je ne dois pas faire preuve d’empathie envers mon ennemi, envers ceux qui souffrent en tant qu’êtres humains ?

Au début, quand mes élèves ont vu cette attaque [de notre voyage à Auschwitz], ils ont commencé à se poser des questions – peut-être avons-nous fait quelque chose de mal ? Mais un des étudiants a dit : je ne suis pas moins nationaliste, je suis plus humaniste à cause de ce que j’ai vu.

Pourquoi y aurait-il une contradiction ? Si je suis nationaliste, je ne devrais pas être humaniste ? Je ne dois pas faire preuve d’empathie envers mon ennemi, envers ceux qui souffrent en tant qu’êtres humains ?

C’est donc là que j’ai l’impression de ne pas m’inquiéter de savoir qui me suit. Je pense que le message est plus important – portez-le et défendez-le. C’est ce que j’ai dit : je vais promouvoir l’enseignement de la Shoah, je vais promouvoir la coexistence, quoi qu’il arrive, et ce, malgré le fait que les gens pour qui je montre de l’empathie sont mes occupants. La question est de savoir si vous y croyez ou non. Si vous y croyez, alors pourquoi devriez-vous vous soucier du nombre de personnes qui vous suivent, ou du nombre de personnes qui vous suivront ? Si vous avez le bon message, vous finirez par atteindre les gens. Je vois que certains sur les réseaux sociaux écrivent des choses qui sont extrêmement négatives. Puis vous discutez avec eux, vous montrez d’autres points de vue, et les gens changent. Nous avons besoin de ce changement.

Yossi Klein Halevi : Même si toi, Mohammed, tu n’es qu’une seule personne, je te soutiendrais. Je suis aussi une personne. Ensemble, nous pouvons établir une relation possible. C’est tout ce qu’un individu peut faire. Mais ça vaut quand même la peine de le faire.

Mohammed Dajani : Nous commençons par un, deux, puis nous deviendrons trois, cinq, et finalement nous serons la voix du peuple. Je crois fermement qu’un jour nous serons la voix du peuple.

Yossi, pensez-vous pouvoir un jour parvenir à un accord avec les Palestiniens ?

Yossi Klein Halevi : Je ne pense pas que le mouvement national palestinien dans sa configuration actuelle puisse parvenir à un accord avec Israël, et les dirigeants israéliens actuels ne peuvent parvenir à un accord avec votre camp. Mais ce qui me donne de l’espoir, c’est la possibilité d’un accord entre Israël et la région. Nous voyons de plus en plus de signes indiquant que cela pourrait être possible. Mon espoir, certes mince, est que nous puissions parvenir à un accord avec le monde arabe qui aura ensuite un impact sur les Palestiniens. Je pense que les Palestiniens sont trop en colère, trop traumatisés, trop centrés sur la victimisation pour nous offrir un accord avec lequel nous pouvons travailler. Mais voyons ce qui se passe dans la région. Nous devons élargir l’objectif, parce que s’il ne s’agit que d’une piste bilatérale entre Israéliens et Palestiniens, il va rester bloqué.

C’est à peu près ce que dit Netanyahu.

Yossi Klein Halevi : Oui. Mais je vais un peu plus loin que ce que dit Netanyahu. Netanyahu veut contourner les Palestiniens et faire la paix avec le Moyen-Orient. Je ne crois pas que ce soit possible. En fin de compte, la question palestinienne sera la pierre d’achoppement. Nous devrons donc trouver des moyens d’intégrer la voie palestinienne dans nos négociations avec le monde arabe. C’est peu probable. Cela peut-il arriver ? Oui.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à gauche) s’entretient avec le sultan Qaboos bin Said à Oman, le 26 octobre 2018. (Autorisation)

Ce que j’ai découvert, c’est qu’il y a plus de gens dans la société palestinienne que je ne le pensais qui sont prêts à accepter véritablement notre identité autochtone.

Une des choses qui m’a surpris lorsque j’ai recommencé à interagir avec les Palestiniens après une interruption de plus de 15 ans depuis la seconde Intifada, un des thèmes qui revenaient constamment dans les lettres des Palestiniens et dans mes conversations avec eux, était la surprise lorsque je disais, par exemple, que le mouvement national palestinien doit accepter notre existence et notre légitimité. Les gens me disaient encore et encore : « Mais Arafat l’a déjà fait. »

Je ne crois pas qu’Arafat ait jamais eu l’intention de faire la paix avec nous. Le déni constant de notre légitimité dans les médias et les écoles palestiniennes, qui ne s’est jamais démenti, est un héritage d’Arafat. Et pourtant, je pense que pour certains Palestiniens, l’impact d’Oslo a été : ok, si Arafat a officiellement accepté Israël, alors moi aussi. Nous ne devrions pas rejeter ces gens.

Mohammed Dajani est donc l’un d’entre eux. La question est de savoir combien ils sont.

Yossi Klein Halevi : J’ai organisé un événement public avec un homme d’affaires palestinien de premier plan, dont je ne mentionnerai pas le nom. Quelqu’un qui a accepté non seulement l’existence d’Israël comme un fait, mais son droit d’exister.

Je me suis rendu compte que pour lui, ce que je considère comme le mensonge de l’acceptation d’Israël par Arafat était une couverture nécessaire pour sa propre acceptation d’Israël. Il pourrait alors se tourner vers son propre peuple et dire : eh bien, je ne fais rien qui sorte de l’ordinaire, Arafat a déjà accepté Israël.

Des Palestiniens brandissent des photos de feu le chef Yasser Arafat dans la ville de Gaza, le 9 novembre 2017, durant une fête de commémoration du 13e anniversaire de sa mort. (Crédit : AFP/Mohammed Abed)

Le cynique et fourbe Yasser Arafat a fourni une feuille de vigne aux Palestiniens qui s’intéressent vraiment à la réconciliation ?

Yossi Klein Halevi : C’est l’une des choses que j’ai apprises en écrivant ce livre.

Depuis 20 ans, je suis un sceptique public à l’égard des intentions palestiniennes. J’ai construit une carrière d’éditorialiste en étant sceptique à l’égard du processus d’Oslo et je ne le démentirais pas. C’est donc une position très étrange pour moi en ce moment même, au moment le plus improbable, où tout le monde renonce à la solution à deux États, qui est impossible dans l’immédiat.

Peut-être que je ne suis qu’un empêcheur de tourner en rond, avec quelque chose en moi qui dit : eh bien, si tout le monde dit maintenant qu’il n’y a aucune possibilité de solution à deux États, c’est le moment de se lever et de dire : pas si vite, n’abandonnez pas la seule véritable alternative que nous avons à une catastrophe que serait un État unique.

Une partie de l’angoisse que je ressens est l’absence d’angoisse parmi tant d’Israéliens à propos de la perspective que le statu quo devienne permanent, que le peuple juif devienne l’occupant permanent d’un autre peuple. Je ne peux pas faire la paix avec ça. Et je ne peux pas faire la paix avec la complaisance

« La Paix maintenant » doit être effacée de notre lexique. Mais il devrait en être de même pour « l’annexion maintenant », qui est le nouveau cri de la droite. C’est précisément parce que la possibilité même d’une solution à deux États est aujourd’hui menacée que je ressens le besoin de me lever et de la défendre.

Ensuite, il y a l’aspect moral. Une partie de l’angoisse que je ressens est l’absence d’angoisse chez tant d’Israéliens à l’idée que le statu quo devienne permanent, que le peuple juif devienne l’occupant permanent d’un autre peuple. Je ne peux pas faire la paix avec ça. Et je ne peux pas faire la paix avec la complaisance.

Je comprends la source de cette complaisance. C’est la peur – la peur légitime. Le Moyen-Orient se désintègre. Nous n’avons pas de partenaire de l’autre côté. Je comprends cela. C’est ce dont je parle depuis des années. Mais je ressens le besoin en ce moment de dire que, tout comme la gauche était coupable d’une sorte d’illusion, la droite est maintenant coupable d’une autre illusion, à savoir que nous pouvons annexer des parties des territoires et rester un État juif et démocratique. Ou peut-être que le fait de rester un État démocratique n’a plus d’importance pour des éléments de plus en plus importants de la droite.

J’avais l’habitude de m’inquiéter des illusions de la gauche nous laissant pris dans une situation impossible dans laquelle nous ne serons pas capables de nous défendre. A toutes fins pratiques, la gauche israélienne n’existe plus. Maintenant, mon anxiété se concentre sur la droite israélienne. La droite annexionniste est aussi illusoire dans son chemin que l’était autrefois la gauche de la « paix maintenant ».

Enfin, il y a l’aspect spirituel de ce travail. Je ne peux pas dire que, d’un point de vue pratique, ce que Mohammed et moi essayons de faire a beaucoup d’importance en ce moment. Mais lorsqu’il n’y a pas de progrès du côté des responsables politiques et des diplomates, c’est la responsabilité des gens d’aller dans le vide et de faire ce que nous pouvons pour créer des alternatives possibles.

En tant qu’écrivain, j’ai vu comment les livres peuvent avoir leur propre vie et trouver leur chemin dans des endroits inattendus. Je suis une personne religieuse ; je crois que si vous faites ce que vous pouvez avec les bonnes intentions, alors Dieu peut magnifier ce travail avec des conséquences dépassant nos capacités et notre portée.

Eh bien, c’était une sacrée conversation. Merci à vous deux.

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