Israël en guerre - Jour 568

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Comment un imam américain et son hôte israélien oeuvrent au rapprochement

Depuis 2013, de jeunes dirigeants musulmans américains voyagent en Israël pour en apprendre plus sur le judaïsme, le sionisme et Israël. Voici l'histoire de leur initiative risquée

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Yossi Klein Halevi (à gauche) et l'imam Abdullah Antepli, à l'Institut Hartman (DH/Times of Israel)
Yossi Klein Halevi (à gauche) et l'imam Abdullah Antepli, à l'Institut Hartman (DH/Times of Israel)

Dans une salle de classe de l’Institut Shalom Hartman de Jérusalem, un groupe d’étudiants adultes étudient Ticha BeAv – le jour le plus triste du calendrier juif, qui commémore la destruction des deux Temples et toute une série de tragédies subséquentes.

Leur professeur, Yehuda Kurtzer, réfléchit sur la façon dont, après la perte des Temples, une « élite rabbinique » des temps anciens a recouru à l’utilisation de synagogues pour apporter au judaïsme la présence dont il a besoin pour survivre. Et il poursuit en faisant remarquer que de nos jours, « nous n’avons pas d’élite dominante qui façonne le narratif juif ».

Une discussion sérieuse en découle. Quelqu’un mentionne l’Holocauste et sa place dans le narratif juif. « Nous ne connaissons pas encore la nature post-Holocauste des juifs, » se hasarde Kurtzer, ce qui suggère qu’il y a ceux – comme le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu – pour qui l’héritage de la Shoah doit être perçu comme un impératif de vigilance, car les juifs ne seront jamais totalement en sécurité.

D’autres souligneraient la nécessité « de ne jamais être les auteurs » du mal, de ne jamais abuser de notre propre puissance, poursuit-il.

Et d’autres encore, dont de nombreux juifs américains, mettent en avant l’obligation de ne pas être des spectateurs quand le mal est perpétré. Quelqu’un demande quelle approche est la plus plébiscitée. Kurtzer estime qu’il est trop tôt pour le dire.

Le cours est sophistiqué, ce n’est pas un échange léger et occasionnel, que vous attendez d’un cours à Hartman, un institut de recherche et d’éducation pluraliste réputé pour son ouverture d’esprit dans la tradition juive. C’est classique.

Ce qui est exceptionnel, cependant, c’est que les quelques 20 élèves de Kurtzer ne sont pas juifs. Ce ne sont pas non plus des chrétiens, auxquels Hartman consacre des programmes depuis de nombreuses années. Ce sont, plutôt, des musulmans. Des dirigeants musulmans américains, pour être précis.

La plupart d’entre eux sont dans leur trentaine ou quarantaine. L’un est d’origine libanaise, un autre Algérien, un troisième irakien. Presque tous sont en tenue occidentale. Deux des femmes portent le hijab. Et ils sont ici, à Jérusalem, parce qu’ils veulent en apprendre davantage sur le judaïsme, le sionisme et Israël.

Ce n’est pas un effort inter-religieux. Ce n’est pas un exercice de dialogue entre les deux religions dont la relation déborde de violence, de tension et d’amertume. C’est un programme éducatif, dont les participants sont venus en Israël pour comprendre pourquoi les juifs croient en ce qu’ils croient, comment les juifs voient leur histoire, pourquoi les juifs sont si attachés à ce morceau contesté de terre – et donc mieux collaborer avec les juifs américains à leur retour aux États-Unis.

C’est un effort compliqué et périlleux, de personnes de bonne volonté, souhaitant la lumière dans le sombre abîme d’ignorance et de haine qui sépare presque tous les juifs et les musulmans du monde entier.

Ces quelques 20 étudiants sont la troisième « promotion » – le troisième groupe – de l’Initiative du leadership musulman de Hartman (MLI).

Les promotions suivent un programme qui dure un an – deux semaines à Hartman, une série de conférences aux États-Unis, et deux semaines de plus à Hartman à la fin.

Le dimanche, où nous étions présents pour écrire cet article, inaugure les deux semaines en Israël des Promotions n°3. Et comme leurs prédécesseurs, l’atmosphère érudite et calme de la salle de classe contraste avec la frénésie que leur présence en Israël provoque.

Le vendredi précédent, le groupe est allé prier à Al-Aqsa, ce qui aurait dû être un moment fort et joyeux de leur visite. Au lieu de cela, ce fut une expérience stressante, car leur présence ici, en Israël, était médiatisée par certains médias sociaux pro-BDS, comme un acte de trahison.

Les participants aux deux programmes précédents ont été fustigés par les activistes anti-Israël comme des « sionistes musulmans », traîtres à la cause musulmane plus large et palestinienne spécifiquement. Ils ont été accusés d’être dupés « par un bourrage de foi… d’utiliser la religion pour blanchir les crimes israéliens et légitimer l’occupation », de saper le « mouvement de solidarité avec la Palestine, » d’être engagés dans « un effort visant à affaiblir le soutien aux droits palestiniens au sein des communautés musulmanes d’Amérique du Nord ».

Leur décision d’aller en Israël via « une institution sioniste, anti-BDS, est incroyablement honteuse et dangereuse », a écrit un chroniqueur dans le mensuel islamique l’année dernière.

Ce programme « sape le sort des Palestiniens et normalise le sionisme – une idéologie et une institution raciste qui est l’antithèse de nos propres traditions islamiques de justice sociale – au sein de nos collectivités. »

Cette fois, une pétition a été distribuée contre le groupe, et il y avait des craintes qu’ils soient physiquement agressés par des hommes en prière.

Imam Antepli à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem en 2014 (Crédit : Autorisation)
Imam Antepli à l’intérieur de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem en 2014 (Crédit : Autorisation)

Pour cette raison, l’imam Abdullah Antepli, le directeur fondateur du Centre de l’Université de Duke pour la vie musulmane, premier aumônier musulman de l’université, et principal instigateur du programme MLI, ne s’est pas rendu à Al-Aqsa avec le reste du groupe ce jour-là.

Il est le seul membre du groupe dont le nom et le visage sont connus et médiatisés. Au lieu de cela, de concert avec l’auteur Yossi Klein Halevi, le co-directeur du MLI, il s’est assis avec moi pendant trois heures pour m’expliquer pourquoi il a si énergiquement et désespérément défendu la création du programme, à travers lequel il vise finalement à apporter à Israël une « masse critique » de jeunes leaders musulmans américains les plus prometteurs – de jeunes dirigeants engagés à mieux comprendre les juifs américains, le sionisme et Israël, et souhaitant établir de meilleures relations avec la communauté juive en Amérique du Nord.

Abdullah Antepli, à son premier voyage à Jerusalem, avec Rabbi David Leipziger (Courtesy)
Abdullah Antepli, à son premier voyage à Jerusalem, avec Rabbi David Leipziger (Courtesy)

Ce n’est pas pour l’amour d’Israël. Ce n’est pas pour l’amour des juifs, souligne-t-il. C’est pour l’amour de l’islam, et surtout des musulmans américains.

Antepli parle d’un islam authentique. Pour un islam de tolérance et d’égalité. Pour un islam dont les adhérents américains recherchent une intégration constructive dans la société américaine traditionnelle.

Et si cet islam décent devait être accepté dans une Amérique meurtrie par l’extrémisme islamique, croit-il, l’une des voies centrales à cette acceptation passerait par la communauté juive américaine, qui s’est elle-même intégrée avec succès en Amérique.

En d’autres termes, si les juifs américains comprenaient les musulmans américains, compatissaient avec eux et surtout apprenaient à leur faire confiance, assure Antepli, alors le reste de l’Amérique, le courant chrétien, suivra progressivement.

Et quelle est la meilleure manière pour des musulmans de tenter de démontrer que vous pouvez gagner la confiance des juifs américains sinon d’étudier le judaïsme dans l’une des institutions éducatives libérales les plus réputées du monde juif ? – Pas en Amérique, mais dans un Israël bouillonnant, compliqué et divisé.

L’éducation d’un imam

L’Initiative de leadership musulman de l’Institut Shalom Hartman a permis la rencontre entre une force irrésistible et un être temporairement inanimé.

La force irrésistible est l’imam Antepli, né en Turquie, élevé dans un antisémitisme banal, puis motivé à chercher et à promouvoir un meilleur islam, devenu le deuxième aumônier musulman à temps plein sur un campus universitaire américain.

L’objet temporairement inanimé, un peu ranimé par le zèle et le zeste d’Antepli, est Yossi Klein Halevi, un ancien adolescent activiste de la Ligue de Défense juive de Brooklyn devenu journaliste israélien qui, lorsque leurs chemins se sont croisés après le 11 septembre et au milieu de la Seconde Intifada en 2003, était l’auteur profondément désillusionné d’un livre sur les possibilités de relations interconfessionnelles entre le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Antepli dit : « Tout commence par notre amitié. »

Halevi se rappelle : « Il m’a dit : ‘que faites-vous pour les relations judéo-musulmanes ?’ Je n’ai rien répondu. »

Autour de nombreuses tasses de thé, avec une pause pour la prière, et plusieurs appels téléphoniques au groupe, Antepli raconte l’histoire de sa vie – la route depuis la Turquie vers l’Asie du sud-est, pour arriver dans sa bien-aimée Amérique, et ses voyages réguliers à Jérusalem.

Il explique les raisons qui motivent ce programme éducatif unique.

Immédiatement sympathique, débordant de conviction et de désir de bien faire, Antepli parle vite, pas dans un anglais tout à fait parfait, et semble absolument difficile à vexer, même quand je lui pose une série de questions reflétant les pires hypothèses des juifs sur l’islam.

Halevi écoute attentivement et intervient occasionnellement, mais, avec une retenue admirable et inhabituelle, et laisse généreusement parler son ami musulman.

Yossi Klein Halevi (à gauche) et de l'imam Abdullah Antepli, au bureau de l'Institut Hartman Halevi (Crédit : DH / Times of Israel staff)
Yossi Klein Halevi (à gauche) et l’imam Abdullah Antepli, au bureau de l’Institut Hartman Halevi (Crédit : DH / Times of Israel staff)

Antepli, 42 ans, est donc né à Kahramanmaras, une ville dans le sud-Turquie, non loin de la frontière syrienne. Il est le deuxième d’une tribu de cinq enfants nés « dans un foyer très nationaliste, chauvin, séculaire et très, très antisémite. »

Les premières images qu’il se souvient avoir vues à la télévision étaient celles de soldats israéliens battant des Palestiniens au cours de la première Intifada et, parmi les premiers livres qu’il a lus, la version pour enfant des Protocoles des Sages de Sion.

A la question de savoir s’il a grandi en pensant que les juifs étaient des gens terribles, il répond : « C’est un euphémisme. Je croyais vraiment pendant un certain nombre d’années que les juifs en tant que peuple et le judaïsme comme religion étaient irrémédiablement maléfiques ».

« C’est un euphémisme. Je croyais vraiment pendant un certain nombre d’années que les juifs en tant que peuple et le judaïsme comme religion étaient irrémédiablement maléfiques »

Il a quitté la maison adolescent pour fréquenter une école secondaire régionale et, alors qu’il était « à la recherche de quelques réponses sur la vie », l’un de ses professeurs de sciences lui a fait connaître les prières et les rites de l’islam.

« Et la religion a cliqué, intellectuellement. J’ai rencontré des musulmans vraiment éduqués, éclairés, qui étaient des ingénieurs, des scientifiques et pourtant des gens très religieux. »

À la fin de l’école secondaire, il a estimé qu’il « voulait vraiment apprendre cette religion pour lui. Il voulait la posséder ». Donc, à 18 ans, il s’est inscrit à une école de formation d’imams dans la région de la mer Noire en Turquie.

« Je ne pensais pas que cela allait devenir une profession, » dit-il, « mais la seule façon d’approfondir, d’apprendre le Coran, l’histoire et la théologie en profondeur, était de fréquenter une madrasa, l’école de formation des imams. » Et quand il est arrivé là-bas, dit-il, l’un des plus grands chocs était de comprendre « combien d’antisémitisme j’avais avalé » et que l’antisémitisme ne faisait pas partie de l’islam authentique.

« Apprendre l’islam à partir des textes fondateurs, apprendre sur le Prophète et sa relation avec la communauté juive de son temps, – c’était un grand réveil. »

L’hypothèse juive classique, s’exclame Halevi à ce stade, est: plus vous êtes religieux, et plus profondément dévoué à des sources musulmanes, plus vous détesterez les juifs. Mais non, rétorque Antepli. Ses études à la madrasa « ont défié ma haine, et le racisme ancré en moi… J’ai essayé d’extraire le poison de mon système. »

Ce n’est pas que la madrassa était philosémite. Aucun effort pour dépeindre les juifs sous un angle positif, ou pour encourager la tolérance du judaïsme. Plutôt, dit Antepli, « ils enseignaient l’islam pur, l’islam médiéval, un islam apolitique. Ils ne sont en aucune façon des amis des juifs. Ils n’ont en aucune façon essayé de promouvoir un côté plus pacifique ».

Alors, pourquoi a-t-il changé son comportement ?

« Je suis allé à cette madrassa avec beaucoup de haine, de colère et de frustration en moi, mais je ne pouvais plus composer avec ces sentiments. J’ai appris que le Prophète a épousé deux femmes juives » – sur 13.

« L’une s’est convertie à l’islam, l’autre non. Cela signifie que le prophète avait des beaux-parents juifs ! Le Prophète avait des voisins juifs, et entretenait une relation amicale avec eux. »

En étudiant l’histoire islamique, il a compris que les juifs et les Musulmans « avaient partagé tant de choses en commun. Il y avait un si grand contraste, par rapport à ce que je ressentais à propos des juifs comme peuple. » Mais c’était un processus lent, dit-il. C’est devenu un trait d’humour entre Antepli et Halevi, l’imam se qualifiant d’ « antisémite en convalescence ». Pourtant, il insiste sur le fait qu’il y avait longtemps beaucoup de vérité là-dedans.

« Ils enseignaient l’islam pur, l’islam médiéval, un islam apolitique. Ils ne sont en aucune façon des amis des juifs. Ils n’ont en aucun cas essayé de promouvoir un côté plus pacifique. »

Abdullah Antepli, en habit traditionnel d'Afrique de l'Est, après avoir donné une conférence en Ouganda à un groupe de militants et de chercheurs interconfessionnels (Crédit : Autorisation)
Abdullah Antepli, en habit traditionnel d’Afrique de l’Est, après avoir donné une conférence en Ouganda à un groupe de militants et de chercheurs interconfessionnels (Crédit : Autorisation)

Après la madrassa, Antepli est allé en Asie du Sud-Est pendant huit ans – cinq en Birmanie et trois en Malaisie – travaillant pour un organisme de secours humanitaire musulman qui créait là-bas de petits orphelinats et des écoles et aussi dans les zones rurales de Thaïlande, du Laos, du Cambodge et du Vietnam.

Quelque part au cours de ce voyage, la haine de l’adolescent pour les juifs s’est transformée en colère envers le « poison auto-destructeur, toxique » de l’antisémitisme musulman – « à quel point il nous désarme. L’obsession paranoïaque que tous les problèmes (dans le monde musulman) sont à cause de ces gens, et de ce qu’ils ont fait, comment ils sont responsables de tout – cela tue et gèle notre volonté et pompe aussi la haine. C’est tellement destructeur. »

Le désir de contester cela, dit-il, relève d’ « un intérêt personnel : pour nous sauver de nous-mêmes à cet égard ».

Mais la vraie révélation, et l’opportunité réelle, dit Antepli, s’est manifestée quand il a déménagé aux États-Unis, à 30 ans, en 2003, pour étudier l’aumônerie islamique et obtenir un diplôme de maîtrise en études islamiques au séminaire de Hartford dans le Connecticut.

Il s’était déjà rendu aux Etats-Unis, en 1998, quand il a passé un semestre à l’Université de Pittsburgh, et avait adoré le pays : « Je suis tombé amoureux de sa culture idiote, » dit-il dans un rire désarmant.

« C’était avant le 11 septembre. Les musulmans vivaient, pour la plupart, une période gratifiante en Amérique du Nord. C’est encore dans une certaine mesure le meilleur pays où vous pouvez pratiquer l’islam. Chaque dimanche, j’allais dans une prison pour parler aux détenus musulmans. Ils disaient qu’ils avaient besoin de quelqu’un qui pourrait venir leur enseigner une certaine connaissance religieuse. Ils me payaient ! J’ai dit, ‘Quoi ? Je vais dans une prison et j’enseigne l’islam, et les gens me payent ?’ En Turquie, ils vous auraient arrêté. Vous ne pouvez pas faire ce genre de choses. »

De retour aux États-Unis comme étudiant diplômé de Hartford cinq ans plus tard, il a rapidement obtenu un emploi à temps partiel comme aumônier musulman à la prestigieuse Université Wesleyan des arts libéraux à proximité. Sa première action quand il est arrivé à Wesleyan fut d’organiser un voyage pour 17 élèves juifs et musulmans en Turquie et en Israël.

Wesleyan était ce qu’Antepli appelle « un campus politiquement très actif » – signifiant que les groupes pro-israéliens et pro-palestiniens étaient à la gorge les uns des autres.

Chaque côté invitait des conférenciers controversés. Parfois, la police devait intervenir. « Un groupe invite des juifs partisans de la haine, et l’autre en fait de même. C’était merveilleux », dit-il sèchement.

Les juifs devaient être enchantés de l’arrivée d’un aumônier musulman ?

Antepli rit. « Trois jours après mon arrivée, un groupe de juifs pro-israéliens a visité mon bureau. Ces étudiants estimaient que, même sans aumônier musulman, ces arabes sur le campus étaient déjà pénibles.

Ils ont estimé que cela empirerait, maintenant qu’il y avait du renfort. Donc, ils m’ont essentiellement dit : ‘si vous lancez une campagne pro-palestinienne ici, vous faites vos bagages dans trois mois.’ »

L'imam Antepli dirige la prière sur le campus de l'université de Duke (Courtesy)
L’imam Antepli dirige la prière sur le campus de l’université de Duke (Courtesy)

« Je me suis dit, ‘Hallelujah, Baruch Hashem !’ c’est exactement ce que je cherche. Je ne me souviens pas de mes termes exacts, mais je leur ai dit : je suis si heureux de vous rencontrer. Je vous cherchais les gars. Je leur ai dit que j’étais un étudiant ardent du judaïsme. Pouvez-vous m’en apprendre plus sur votre monde ? Comment puis-je être utile ? Et comment pouvez-vous m’aider ? Je leur ai parlé de mon voyage, des livres que j’ai lus adolescent, et le type d’antisémitisme que j’avais ingurgité. Combien de drapeaux israéliens j’ai brûlés lors de manifestations en grandissant en Turquie. Six ou sept mois plus tard, ils faisaient tous partie de mon voyage en Turquie et en Israël. »

Que pensaient de lui les Musulmans sur le campus ?

« C’était après le 11 septembre, et ils s’inquiétaient de la place des musulmans dans l’Amérique post-11/9. Ils étaient divisés sur le conflit israélo-palestinien. Il y avait un groupe d’étudiants musulmans activistes – tout ce qu’ils voulaient faire était de l’activisme pro-palestinien. Mais il y avait l’autre moitié qui étaient indifférents, apathiques à ce genre d’activisme. »

Il y avait un aumônier juif sur le campus, aussi, le rabbin David Leipziger – « d’abord sceptique et cynique » à propos d’Antepli, mais finalement, il est devenu « mon très, très bon ami. Je lui ai dit : ‘Comment nous allons guérir notre communauté ? Emmenons-les une semaine en Turquie et une semaine en Israël-Palestine. » Tout comme Halevi plus tard, Leipziger fut conquis. Le rabbin a accepté de diriger le voyage avec l’imam.

Lui-même inquiet de la friction sur le campus, Wesleyan a également aimé l’idée et couvert certains coûts ; la communauté musulmane a un peu participé et les étudiants ont payé une partie de leur séjour.

Pour les Musulmans américains – les musulmans vivant dans le post-11/9 en Amérique où l’islam était souvent synonyme de Ben Laden et de terrorisme – la Turquie fut une révélation, dit Antepli.

« Ces étudiants ont grandi aux Etats-Unis et connaissaient très peu la riche histoire de l’islam. Au moment où nous sommes entrés dans la Mosquée Bleue, cette magnifique mosquée, l’un d’eux a pris son téléphone, et a dit : ‘Maman tu ne peux pas le croire, aucune église ne peut l’égaler, aucune synagogue ne peut l’égaler.’ C’était la douleur intériorisée qui parlait ; chaque église et synagogue sont belles, mais ma mosquée était une simple pièce au sous-sol. »

Cette magnifique mosquée « leur a donné un peu de fierté sur leur identité, leur histoire et religion. »

Contrairement au jeune Antepli, ces étudiants n’ont pas été remplis de haine antisémite, mais ils ont vu tant du monde musulman – le Pakistan, l’Afghanistan, des pays du Moyen-Orient – qui souffrent de toutes sortes de problèmes sociaux culturels, économiques, et ayant si peu à s’enorgueillir. En Turquie, ils ont aperçu ce que pourrait être « une meilleure version d’une société musulmane. »

Comme pour les étudiants juifs, dit Antepli, « ils ont vu que les musulmans ne sont pas des gens programmés pour la haine. Une propagande immédiate post 11/9 a été créée, affirmant que l’islam est le mal et que les musulmans sont des terroristes. Ceci n’est absolument pas vrai. Le voyage en Turquie a vraiment contrecarré ce qu’ils avaient entendu de l’islam. Même avant le 11/9 », dit-il avec prudence, « ils avaient grandi avec des informations quelque peu biaisées sur l’islam et les musulmans ».

Donc, la semaine en Turquie, dit l’imam, « était un home run sur les deux fronts ».

Abdullah Antepli avec un groupe d'imams américains au camp de concentration de Dachau en Allemagne (Courtesy)
Abdullah Antepli avec un groupe d’imams américains au camp de concentration de Dachau en Allemagne (Courtesy)

Et sur la question israélo-palestinienne ? Pas vraiment de succès.

« Nous ne l’avions pas bien programmée. L’ensemble du groupe est plus ou moins sorti vraiment pessimiste. Nous avons rencontré les résidents des implantations, nous avons organisé des débats avec un Palestinien et un Juif parce que nous voulions comprendre les deux narratifs. Cela s’est transformé en engueulade. Nous avons vu à quel point la situation est compliquée et la haine présente. Pour la première fois, je rencontrais un juif qui me montrait une Bible et disait, ‘Ceci est mon acte de propriété, je me moque de ce que tout le monde dit, tout le monde doit partir. Ceci est ma terre et tout le monde doit partir.’ Un juif américain, qui a grandi dans le Queens. Le genre de cauchemars du type des talibans, de l’EI, etc. Il était la version juive de tout cela. »

Lorsque le groupe a quitté Jérusalem pour retourner aux États-Unis, dit Antepli, « j’ai vomi. J’ai tout simplement vomi. »

Mais il n’a pas changé de cap idéologique. « Au contraire, cela m’a rendu plus déterminé à agir. Je sentais déjà cet appel de Dieu : je devais passer une partie importante de mon énergie à améliorer les relations entre juifs et Musulmans. Globalement, mais surtout aux États-Unis. »

Antepli marque une pause.

« J’espère ne pas paraître arrogant, » dit-il. « Je n’ai pas assez de légitimité morale pour parler de la communauté juive. Je laisse Yossi parler de sa propre communauté. Mais dans ma communauté, la façon dont nous percevons ce problème, la façon dont nous essayons de le résoudre, la façon dont nous cherchons une solution, cela n’a pas donné beaucoup de bons résultats. Et il y a sûrement la place pour une amélioration, pour essayer de nouvelles choses, et être créatifs. »

« Donc, depuis lors, depuis ce voyage en Israël, j’ai cherché : Qui sera mon homologue juif ? Quelle institution me racontera leur histoire ? Est-il possible que des Musulmans pro-palestiniens et des juifs sionistes discutent, et essayent de comprendre la langue de l’autre ? Parce que pour moi, ce qui définit souvent des relations judéo-musulmanes est le manque de connaissances et de confiance, principalement en raison de l’impact toxique du conflit israélo-palestinien, qui nous polarise et crée un jeu à somme nulle. »

Yossi Klein Halevi entre en scène.

Le partenaire réticent

L’étudiant diplômé Antepli a reçu At the Entrance to the Garden of Eden, [A l’entrée du Jardin d’Eden], un livre dans lequel Halevi détaille sa recherche d’un terrain commun avec les musulmans et les chrétiens en Terre sainte, d’un conférencier de Hartford nommé Yehezkel Landau.

Antepli dit qu’il l’a lu comme « l’histoire d’un ancien adepte de Meir Kahane qui avait dit que peut-être il y avait une autre manière, et qui essayait de voir la présence de Dieu dans les conversations inter-religieuses du livre. C’était exactement ce que je voulais faire. Je sentais que je voulais être capable de voir le monde à travers ses yeux, à travers le prisme des valeurs que sa religion lui enseigne. » En bref, « je devais rencontrer ce gars-là ».

Planifiant le voyage en Israël des étudiants de Wesleyan, il a contacté Halevi, et lui a demandé de leur donner une conférence. Pour Antepli, « c’était le coup de foudre, sur le plan spirituel et intellectuel, je sentais qu’il était vraiment la personne que je cherchais. »

Mais ce n’était pas réciproque. « Yossi n’était pas intéressé », se souvient Antepli, riant joyeusement.

Couverture du livre : "At the Entrance to the Garden of Eden"
Couverture du livre : « At the Entrance to the Garden of Eden »

Presque silencieux pendant la dernière heure, Halevi reprend l’histoire. « At the Entrance to the Garden of Eden a été publié le 11 septembre 2001 – qui était littéralement la date de publication », se souvient-il.

« Et pour moi, ce fut en quelque sorte un symbole du destin de ce voyage : J’ai essayé. J’ai passé un an et demi à étudier les religions de mes voisins. Je suis allé dans des mosquées, des monastères. Je voulais apprendre leur voie vers Dieu. Je voulais apprendre comment les musulmans et les chrétiens percevaient le sacré. Et puis la deuxième Intifada est arrivée, puis le 11/9, et j’ai pratiquement désavoué ce livre pendant un certain temps. »

Ce n’était pas, par conséquent, le meilleur moment pour lui de parler à ce chef spirituel musulman en quête d’harmonie et à son groupe improbable d’étudiants musulmans et juifs américains.

« On est en 2003, et j’en ai vraiment assez du mouvement national palestinien, comme la plupart des Israéliens. Nous avons essayé de faire la paix en 2000, et avons reçu des bus qui explosent. »

« Abdullah m’invite à parler à ses élèves, s’attendant à être devant l’auteur de ce voyage inter-religieux. A la place, cet Israélien en colère et désillusionné apparaît. » Halevi dit qu’il pouvait voir qu’Antepli était « un gars très doux. Mais je suis loin. Et mes propos prononcés devant les élèves n’étaient vraiment pas le discours qu’il voulait. »

Sauf qu’Antepli ne voulait pas lâcher ce « Jardin d’Eden » de Halevi. Il a demandé pourquoi Halevi avait renoncé à l’espoir de relations islamo-juives, et Halevi a expliqué qu’il n’avait plus d’espoir, qu’il n’y avait pas de relations non plus. « Quel que soit le fantasme que j’avais dans ce voyage, c’était exactement cela – un fantasme, » ressentait-il.

Il recevait des e-mails de protestants bien intentionnés, se souvient-il, en disant : nous avons lu votre livre et nous avons été tellement émus. Et je m’énervais. Je me disais, Pourquoi ? Pourquoi avez-vous été émus par ce livre ? Pensez-vous que parce que je dansais avec quelques soufis, nous verrons la paix au Moyen-Orient ?! Regardez la réalité ! Cela n’arrive pas ! Ce fut une expérience si étrange pour moi, de repousser les lecteurs. »

Halevi admet qu’il était ému par « ce gars musulman qui avait lu le livre et voulait établir une relation avec moi. J’étais très touché par cela, mais je ne pensais pas que quoi que ce soit allait venir de lui. Il a continué à insister. Il a dit, je ne vais pas vous laisser lâcher, nous allons faire quelque chose ensemble. Je lui ai dit, OK, très bien. Mais je n’y croyais pas un seul instant ».

L’Institut Hartman fait son entrée.

La reconnexion

Une décennie entière est passée, et Halevi était devenu Senior Fellow à l’Institut Hartman de Jérusalem, et écrivait son livre de 2013, « Like Dreamers » [Comme des rêveurs] (qui raconte l’histoire d’Israël moderne à travers la vie des membres de la Brigade de parachutistes qui ont combattu à Jérusalem en 1967).

Depuis 30 ans, Hartman organise une conférence annuelle de théologie – réunissant certains des grands esprits internationaux des trois principales religions monothéistes.

Les érudits juifs et musulmans de renom ne manquent pas, mais, étant donné la rupture de la majorité des relations judéo-musulmanes, l’institut peine à convaincre des musulmans crédibles d’assister à la conférence. Un jour, l’un des organisateurs a demandé à Halevi s’il connaissait un musulman qu’il pourrait inviter, car ils n’avaient presque personne de la communauté musulmane et la conférence était prévue seulement deux semaines plus tard.

La première réponse de Halevi fut négative. Même s’il pensait à quelqu’un, personne n’accepterait si tard une invitation, en sachant qu’ils ont été invités après refus ou annulation de tout le monde. « Et puis j’ai dit, ‘Attendez une minute. Je connais ce gars super. Et il viendra !’ » (Lui et Antepli rient aux éclats.)

Halevi a donné aux organisateurs l’adresse e-mail d’Antepli. Et le reste, après avoir passé du temps avec Antepli, était presque inévitable.

Deux semaines plus tard, l’imam, qui a depuis déménagé de Wesleyan pour un poste plus important comme aumônier musulman à l’Université Duke, était à l’Institut Hartman.

Antepli n’avait pas chômé dans l’intervalle. Fidèle à sa vocation, il avait essayé de contrer le manque de connaissance du judaïsme dans l’islam, et vice versa, et avait essayer de trouver des partenaires pour les aider à surmonter le problème. Mais cela avait été en grande partie frustrant.

Il avait été en contact avec plusieurs grandes organisations juives américaines, « mais honnêtement tout ce qu’elles cherchaient, c’était de la propagande. J’ai été invité à venir en Israël à plusieurs reprises. Les gens avaient entendu que je m’étais rendu en Israël comme imam, et j’ai reçu des invitations cinq étoiles. » Mais ces organisations ne comprenaient pas sa quête et ses efforts.

Il avait été invité à prendre la parole dans diverses synagogues, mais dans les conférences, il voyait que certaines personnes invitées diabolisaient l’islam.

Puis il y avait certaines institutions juives aux États-Unis qui étaient, dit-il, tellement « sur la défensive » sur Israël « que vous ne pouvez même pas avoir une conversation ».

Et puis il y avait sans doute les efforts bien intentionnés de dialogue judéo-musulman mais qui étaient une perte de temps. « Ils m’invitent à parler lors d’un événement, et dans la circulaire, ils indiquent clairement que nous ne parlerons pas du conflit israélo-palestinien, nous parlerons seulement de cuisine casher, de cuisine halal, de houmous et de falafel. Inefficace. »

Il avait essayé de se renseigner sur la communauté juive américaine – « pour comprendre le rôle du sionisme comme idéologie, d’Israël comme Etat, et de l’Holocauste comme facteur historique. Comment cela fonctionne dans la vie de la communauté juive américaine ? »

A cet effet, en 2010, avec un groupe de 12 imams, il est allé à Auschwitz, à Dachau et plusieurs autres camps de concentration. « Ce fut un grand réveil pour moi, » dit-il.

« Alors seulement j’ai été capable de comprendre l’ampleur de la destruction. » Il a saisi que lorsque, par exemple, « l’Iran parle d’anéantir l’Etat juif, ce qui paraît carrément ridicule, les juifs le prennent au sérieux. »

Avant le voyage, reconnaît Antepli, il voyait le président iranien Ahmadinejad comme « manifestement un fou », et s’est demandé pourquoi quelqu’un prendrait ses menaces, ou celles de son régime, avec crédibilité. Maintenant, il a compris pourquoi : parce qu’il y a 70 ans, six millions de juifs ont été exterminés.

L’angoisse d’Israël à propos de l’Iran, dit-il, « est perçue par de nombreux musulmans dans ma communauté et dans le monde entier, comme Goliath, cette riche et puissante communauté, pleurant comme un petit David. Cela n’avait pas de sens. Jusqu’à ce que j’aille là-bas, je pensais juste que quelques soldats allemands devenus fous dans le feu de la guerre s’étaient fourvoyés. »

Quand il a vu cette horreur bien planifiée, incroyablement bien gérée, il a reconnu, dit-il, que « si l’humanité est capable d’anéantir avec cette sophistication génocidaire, qui peut blâmer ces gens quand ils ressentent ce qui peut d’apparenter à de la paranoïa ? Quand quelqu’un dit : je vais vous tuer, ils le prennent au sérieux. »

Mais il ne pouvait toujours pas trouver de partenaires juifs pour éduquer et renforcer la confiance. « Et au fil des ans, ma frustration et le sentiment d’urgence augmentaient, ma crainte et mon mauvais pressentiment se précisaient. Je voyais la haine croissante au sein de ma propre communauté, et le sentiment anti-musulman croissant aux Etats-Unis, avec une participation juive significative. Les communautés juives et musulmanes, dans certains cercles, traitaient la présence de l’autre en Amérique comme une source de menace. »

Donc, pour Antepli, l’invitation de Hartman était un mini-miracle. « Quand je suis venu à la conférence, c’était l’un de ces moments de grâce. J’ai vu ce que cette institution a fait pour le judaïsme en 35 ans, ravivant le judaïsme, la connexion avec la modernité. Comprendre le judaïsme au-delà de la pratique, au-delà des limites strictes de la Halakha. L’intérêt de l’éthique, de la morale et des valeurs. Et puis j’ai entendu parler de la Christian Leadership Initiative (CLI) de Hartman. Ils ont fait ce voyage intellectuel et spirituel vers les chrétiens. Ils enseignaient le même programme qu’ils enseignaient aux juifs ! J’ai parlé à de nombreux diplômés de la CLI. Je leur ai demandé, ‘Est-ce de la propagande ? Avez-vous senti qu’ils essayaient de vous recruter ? Avez-vous jamais l’impression que vous étiez utilisés par Hartman ?’ Mais c’était si clair. C’était un effort éducatif sérieux. En outre, il y avait le fait que Yossi était là, et il pouvait témoigner que ces gens n’étaient pas intéressés par la politique bon marché. »

Lors de la conférence de théologie, il a suggéré qu’il y ait une Initiative de leadership musulmane.

Halevi souvient s’y être opposé, non sans raison : « Nous n’avons aucun musulman. »

Antepli a rétorqué : « Si je vous amène des musulmans, Hartman créera-t-il ce programme ? »

Halevi : « Et j’ai répondu, avec toute l’autorité que je n’ai pas, ‘Bien sûr que Hartman créera le programme.’ »

Antepli est allé voir le président de Hartman, Rabbi Donniel, nous a dit comme Halevi: amenez-nous les musulmans et nous vous enseignerons !

Antepli : « J’ai couru au bureau de Donniel. J’ai dit que nous pouvons faire une version musulmane de ce programme. C’est un rêve devenu réalité. C’ est exactement ce que je tente de faire. » L’imam s’est aperçu que le rabbin était sceptique. « Il a dit : Vous plaisantez ? Des musulmans vont venir en Israël, dans une institution sioniste israélienne, et apprendre sur le sionisme, le judaïsme et Israël ? »

Mais Antepli a assuré à Hartman qu’il pourrait amener des participants de renoms.

Président de Shalom Hartman Institute, Rabbi Donniel Hartman, et l'imam Abdullah Antepli discutant à l'Initiative pour le leadership musulman à San Francisco en 2014 (Crédit : Capture d'écran YouTube)
Président de Shalom Hartman Institute, Rabbi Donniel Hartman discute avec l’imam Abdullah Antepli à l’Initiative du leadership musulman à San Francisco en 2014 (Crédit : Capture d’écran YouTube)

En quelques semaines, Antepli a constitué une liste à Hartman de dirigeants musulmans-américains – aumôniers, journalistes, deux des grands écrivains émergents de la communauté, la fondatrice et rédactrice en chef de la première revue américaine pour les femmes musulmanes, et d’autres encore..

Antepli entretenait de bons rapports avec certains d’entre eux.

« Je leur ai dit : j’ai trouvé le genre de juifs que nous recherchons. Vous devez avoir confiance en moi. Cela va créer désordre et controverse, mais je pense que cela peut fonctionner. Cela pourrait créer un paradigme différent. Cela pourrait nous aider à nous éduquer et à construire une relation respectueuse envers la communauté juive américaine, sans parafer la politique de l’État d’Israël, sans porter atteinte à notre éthique, à notre engagement affectif et moral à la souffrance palestinienne. »

« Nous disons aux gens que nous acceptons le droit d’Israël à exister, mais cela ne suffit pas de juste le dire » se souvient-il avoir dit aux participants potentiels. « Nous devons y aller, nous devons mériter cette confiance de la communauté juive, nous devons mériter leur confiance et nous devons prendre non seulement un acte de foi, mais agir. Nous devons aller en Israël. »

À l’Institut Hartman, la liste des participants potentiels a été accueillie avec un certain émerveillement. « Nous avons compris que ce que nous avions ici était vraiment de l’or », explique Halevi, « et que nous ferions mieux de commencer à mettre sur pied un programme. »

En juin 2013, les 16 premiers étudiants – Promotion 1 – ont atterri à l’aéroport Ben Gurion. L’Initiative de leadership musulman était née.

Rien n’était simple.

Abdullah avait cherché des participants relativement jeunes, qui occupaient des positions de leadership – chefs religieux, blogueurs militants, des gens avec une résonnance – issus d’un mélange d’origines représentant la démographie musulmano-américaine : afro-américains, sud-asiatiques, indiens, pakistanais, bangladais.

Abdullah Antepli au Dôme du rocher en 2014 (Courtesy)
Abdullah Antepli au Dôme du rocher en 2014 (Courtesy)

Vu que le programme était controversé – des musulmans américains venus en Israël pour recevoir des leçons de judaïsme par des sionistes – on leur a promis deux choses : d’abord, tout ce que l’on attendait d’eux était qu’ils participent – sans aucune autre condition ; et deux, ils pourraient décider par eux-mêmes s’ils voulaient diffuser leur participation.

À ce jour, aucune photo de groupe de l’une des promotions n’a été publiée.

Les organisateurs de Hartman, admet volontiers Halevi, n’avaient vraiment aucune idée de ce dans quoi ils s’étaient lancés – notamment en termes d’organisation. Quand il s’est agi de mettre en place une salle de prière pour leurs invités, par exemple – ce qu’elle devrait contenir, le temps prévu pour la prière – « Vraiment, nous ne savions rien », explique Halevi en riant.

Antepli dit : « Quand Caroline du Nord, de Shalom Hartman m’a appelé à Durham, pour me demander : ‘Quels sont les horaires de prière à Jérusalem ?’, je lui ai répondu : Vous vivez à Jérusalem, l’un des sites les plus saints de l’islam. Personne ne peut vous répondre ? »

Et puis il y avait les problèmes logistiques qui, si mal gérés, auraient étouffé l’initiative à la source.

Antepli s’était rendu en Israël neuf fois avant la première session du MLI et a connu plusieurs interrogatoires « incroyablement odieux à l’aéroport ».

Une fois, il a été retenu à l’atterrissage pendant neuf heures à l’aéroport Ben Gurion. « Autour de la 4ème heure de l’interrogatoire, j’ai perdu mon sang-froid, et j’ai élevé ma voix devant cette jeune femme de 22 ans : Pourquoi me posez-vous les mêmes questions encore et encore ? Elle demandait le nom du père de mon grand-père. Je ne le connais pas. J’ai dû exprimer une certaine colère et elle m’a dit, ‘OK, fouille au corps’. Ils m’ont gardé dans une pièce complètement nu pendant une heure. Je les ai suppliés, s’il vous plaît, qu’au moins des soldats de sexe masculin s’occupent de cela. Cela fait tellement partie de ma religion. Je n’ai jamais été nu en présence d’une femme. C’était l’une des expériences les plus humiliantes. »

Il a dit à Halevi que si les groupes étaient soumis à ce genre d’épreuve, ils repartiraient directement.

Par l’entremise du ministère des Affaires étrangères et avec l’aide précieuse de l’ancien ambassadeur des États-Unis Michael Oren, ami de Halevi, un arrangement spécial a été institutionnalisé. « Il fonctionne miraculeusement. »

Lorsque le premier groupe est arrivé à Ben Gurion, Halevi les attendait. Lui et Antepli « ont simplement échangé un bref regard et se sont dit, ça va bien se passer ».

Ils ont roulé vers Jérusalem, logé leurs invités à l’auberge Michkenot et, avant de partir pour Hartman, sont allés à Al-Aqsa. Et là, dit Antepli, mû par une force interne, il s’est retrouvé seul à prier avec un sentiment « d’ anxiété et de culpabilité intense ».

Il se souvient s’être interrogé : « Est-ce que je trahis ma loyauté envers les Palestiniens en venant ici ? Est-ce que j’aggrave les choses ? Beaucoup de juifs quand ils viennent en Israël, je le vois sur leur visage à Ben Gurion : sont si heureux. Certains, dans notre groupe, ressentaient une crainte : peut-être faisons-nous une terrible erreur, une sorte de trahison involontaire. »

Donniel Hartman, dans son discours d’introduction, a aidé à apaiser certaines de ces préoccupations.

Il a dit au groupe qu’il savait qu’ils avaient pris un risque énorme, et que le geste réciproque de Hartman serait « d’être vulnérables face à vous » – d’inviter ces musulmans « dans nos luttes juives, » au cœur de la bataille pour un Israël de valeurs, dans le feu du débat sur la relation entre Israël et la Diaspora.

Hartman a également immédiatement clarifié: le programme « ne brandira pas l’Holocauste à leurs gorges, » dit Halevi. « Nous n’enseignons pas l’Holocauste. Nous ne les emmenons pas à Yad Vashem. C’est probablement le seul programme dans l’histoire de l’Etat d’Israël qui ne fait pas cela. Maintenant, il est clair pour eux qu’ils sont ici pour étudier Israël, et l’histoire juive liée à cet endroit. »

Antepli ajoute : « Il ne s’agit pas de résoudre le conflit israélo-palestinien. Absolument pas. Cela semble assez compliqué. Ceci est un engagement éducatif – pas une conversation inter-religieuse mais plutôt une éducation inter-religieuse. Des musulmans apprenant le narratif juif, et revenant avec leur enseignement en Amérique, conversant avec le mainstream juif américain. Le MLI vise à établir un dialogue entre la communauté juive en Amérique du Nord et ses homologues musulmans. »

Au premier jour de ce premier programme, et lors de la première journée complète avec les trois promotions, l’un des participants a dit quelque chose comme : « Alors, vraiment, vous n’êtes pas ici en raison de l’Holocauste ? Vous êtes ici parce que vous avez un lien antique avec cette terre ? Ai-je bien compris ? » Et à chaque fois, Antepli et Halevi se regardaient, sans un mot. Antepli : « Dayenu ! » [cela me suffit !]

Halevi : « Dayenu ! C’est tout. Nous avons réussi. C’est exactement cela. Ce que nous essayons de faire est de défaire cette perception de notre histoire répandue dans le monde musulman, que la raison pour laquelle nous sommes ici est l’Holocauste ».

Alors que ce premier cours s’est déroulé il y a deux ans, dit Antepli, « chaque conférence était un home run. » C’était ce qu’il avait espéré : « Je l’avais pensé avant de venir ici : si les juifs et les musulmans peuvent se détendre et se faire mutuellement un peu confiance, les possibilités sont multiples. C’est une attirance intellectuelle et spirituelle ».

Les trois promotions ont connu le même succès, à une exception près – un Palestino-Américain dans le deuxième groupe, qui, à son retour de Jérusalem, a quitté le programme.

Antepli souligne avec douleur que les participants sont des « mainstream » americano-musulmans. « J’ai emmené des musulmans représentatifs ici… Nous ne sommes pas des marginaux, des vendus, des partisans de la haine. Nous sommes des leaders musulmans crédibles avec une réputation dans la communauté musulmane d’Amérique du Nord. »

Halevi : « C’est exactement ce qui m’a incité à faire confiance à Abdullah dans ce projet. Je lui ai dit, ‘Vous savez, je ne suis pas une colombe. Je ne suis pas un homme de gauche. Mes positions sont celles du mainstream sceptique d’Israël. »

Antepli : « Et je ne suis pas intéressé par les Juifs marginaux qui sont d’accord avec tout ce que croient les musulmans au sujet d’Israël. »

Halevi : « Abdullah et le MLI m’ont permis de reprendre le voyage au sein de l’islam que j’avais démarré avec Garden of Eden. Ils m’ont redonné quelque chose de précieux que je pensais avoir perdu. »

A Hartman, dit Antepli, il était clair que certains membres juifs du personnel n’étaient pas impliqués dans le programme et ne savaient pas quoi faire de ces nouveaux étudiants, très atypiques. Il dit qu’il a vu un certain recul devant les hijabs et les rassemblements pour la prière. « Mais une fois qu’ils ont dépassé cela, ils étaient profondément émus, de voir des musulmans faire des trucs musulmans dans une institution juive sioniste israélienne. »

Aussi, certains membres de l’équipe de cuisine sont musulmans. « J’ai vu deux d’entre eux pleurer, » dit Antepli.

« Ils ne pouvaient pas le croire. Ils pensaient que c’était une sorte de rêve. Ils travaillent ici depuis une longue période. C’est un bel environnement, très accueillant. Mais ils ne pensaient jamais qu’un groupe de musulmans exprimerait visiblement et fièrement l’islam dans cette institution. Maintenant, ils nous traitent en VIP. »

Cela doit être encourageant pour eux, de voir qu’il peut y avoir une certaine harmonie dans ce pays ? Antepli acquiesce avec enthousiasme. « L’un d’eux dit : ‘Vous avez restauré ma foi, que quelque chose de positif est possible.’ Le niveau de pessimisme et de désespoir est si déchirant dans cette partie du monde. »

Et puis la bande de Gaza fait son entrée

Dès que les premiers participants sont rentrés aux États-Unis, dit Antepli, « c’était déjà évident : leur ton avait changé. »

Ils avaient compris « qu’il y avait quelque chose d’incroyablement faux » dans les relations judéo-musulmanes, et que « nous devons faire quelque chose à ce sujet ». Beaucoup ont dit à leurs collègues juifs qu’ils avaient été en Israël pour étudier le judaïsme à Hartman, et « ils ont vu comment les murs sont tombés et comment l’éducation qu’ils avaient reçue était si utile ».

L’une des participantes, Rabia Chaudry, partenaire du Projet Truman de sécurité nationale et de la New America Foundation, a écrit un article d’opinion dans le magazine Time sur le programme, sous le titre incendiaire, “What a Muslim American Learned from Zionists” [Ce qu’une musulmane américaine a appris des sionistes]. Elle a hésité avant de s’inscrire, a-t-elle écrit, « parce Hartman est une institution résolument sioniste et, comme tous les participants, je me suis engagée envers la cause palestinienne tout au long de ma vie. Hormis le dilemme éthique, cela demandait aussi de mettre notre crédibilité auprès de la communauté musulmane en danger et d’ouvrir le dialogue avec les sionistes, une pensée autrefois fois anathème pour nos sensibilités. Le sionisme est un mot toxique dans la communauté pro-palestinienne ; il représente un accaparement opportuniste de terres dans le sillage de l’Holocauste, appartenant à des gens qui n’avaient rien à voir avec cette tragédie… J’ai toujours été fièrement antisioniste. »

Rabia Chaudry (Facebook)
Rabia Chaudry (Facebook)

Ce qu’elle a appris dans le programme de Hartman, poursuit-elle, cependant, est « que le sionisme signifie quelque chose de très différent pour les juifs. L’aspiration de milliers d’années du peuple juif pour une patrie, un retour d’exil, créer un sanctuaire pour une minorité haïe dans la diaspora, une occasion d’établir des valeurs juives et d’honorer Dieu, une promesse biblique, une chance de rédemption. » Elle ignorait simplement cela, admet-elle, en partie « parce qu’aux Etats-Unis, le travail inter-religieux signifie parler de tout, sauf du sionisme et du conflit israélo-palestinien. »

Le court article de Chaudry vaut absolument la peine d’être lu en entier, et sa conclusion est une justification de toutes les attentes d’Antepli : « Après un an, nous avons construit la confiance nécessaire pour un échange impératif de reconnaissance, » écrit-elle. « Les partenaires musulmans ont compris la crainte juive et le profond désir des juifs pour une patrie après des milliers d’années d’existence comme minorité. Et les juifs israéliens nous ont raconté la dévastation quotidienne de l’occupation et l’éclatement des Palestiniens qui ont donné naissance à Israël. Ces échanges entre sionistes et pro-palestiniens étaient très forts. Ils sont aussi une preuve qu’il y a encore de l’espoir pour le dialogue et des relations qui peuvent réellement faire une différence… Les murs ont été construits si hauts que les briser pour atteindre l’autre côté est une trahison. Hartman et les participants ont tous deux pris des risques énormes pour faire partie de ce programme avec l’espoir de forger une nouvelle voie. »

Halevi appelle l’article de Rabia « un modèle de la relation » que le MLI essaie de construire. « Son article était très critique de la politique israélienne. Il m’était douloureux de lire certains passages », dit-il. « Mais elle n’était pas en colère seulement contre Israël. Elle était aussi en colère contre le monde musulman qui ne dit pas la vérité sur la façon dont les Juifs eux-mêmes se perçoivent, sur notre connexion de 4 000 ans à cette terre et à quel point elle est centrale pour le judaïsme et l’identité juive. C’était choquant pour nos participants juifs (au programme MLI). C’était choquant et certains étaient furieux: pourquoi ignorions-nous cela ? Pourquoi le monde musulman ne dit pas la vérité sur les juifs ? »

Antepli dit qu’il ne désapprouve rien dans l’article. Mais le problème était le timing. Quelques jours après sa publication, le 24 juin 2014, les 50 jours de guerre entre Israël et le Hamas ont éclaté. Avec Chaudry ayant rendu le programme public, l’enfer a commencé. « Toute la foule du BDS » s’est retournée contre le MLI, organisant de pétitions, faisant publiquement honte à ses participants dans les médias sociaux, les accusant de trahir la cause palestinienne, visant spécifiquement Antepli, comme son architecte. Il a reçu plusieurs menaces de mort. « Quelqu’un a téléphoné chez moi, en disant : ‘Nous savons quelles écoles fréquentent vos enfants. Nous allons vous faire ressentir ce que les habitants de Gaza ressentent. Vous êtes un vendu sioniste, un ignoble, un dégoûtant salaud, et nous vous tuerons, nous vous détruirons’ ».

« Les forces de police sont venues chez moi. Ils l’ont pris très au sérieux. C’était horrible. J’ai vieilli de 10 ans. Ils voulaient me faire porter une arme. Je leur ai dit que je ne pourrais jamais faire cela. Je ne permets même pas à mes enfants de posséder une arme-jouet. »

Pour certains ce premier groupe, il y avait un impact direct, dit-il. « Leur position dans la communauté est devenue douteuse. Ils ont commencé à recevoir moins d’invitations à donner des conférences ; souvent les organisations qui les avaient invitées ont succombé à la pression des groupes anti-MLI. »

Mais aucun participant n’a désavoué publiquement le programme, ne s’est excusé ou a prétendu avoir été dupé.

Pour lui et les participants, reconnaît Antepli, la guerre de 2014 de Gaza fut «le moment le plus difficile » à ce jour.

Il s’est demandé s’il n’était pas dans l’erreur. Lui aussi, même lui, a dû « se retenir » quand il a vu une minorité d’Israéliens « célébrer ou glorifier » les frappes aériennes israéliennes sur Gaza. A l’heure des médias sociaux, « c’est ce que que nous faisons nous-mêmes : prendre quelques extrémistes, sociaux, marginaux et leur accorder une attention exagérée ».

Il fait référence à des images de petits groupes d’Israéliens filmés alors qu’ils se rassemblaient et applaudissaient les frappes aériennes à partir d’un point de vue proche de la frontière de Gaza. « Si vous allez sur YouTube arabe ou YouTube turc, ces clips de la guerre de Gaza sont les plus regardés. Ils chantent, ils dansent. Il ne sont que dix personnes. Mais si c’est la seule chose que vous voyez, la seule réaction israélienne, vous obtenez une image déformée, et qui façonne votre pensée, et voilà comment les hostilités se justifient.. Je veux dire, vous comprenez.  »

En fin de compte, la guerre de 2014 a souligné l’impératif du MLI, et l’a renforcé, concèdent les cofondateurs. Ils ont organisé un séminaire pour les fraîchement diplômés de la première promotion, à New York. « Pour la plupart d’entre eux, peut-être tous, Israël est coupable de crimes de guerre», explique Halevi. «De notre côté, nous tous, qui représentions l’Institut Hartman, avions ce sentiment profond qu’Israël avait agi en légitime-défense. Nous nous sommes assis ensemble deux jours et demi et nous avons déballé tout cela, et l’aspect le plus extraordinaire de cette rencontre fut que pas une fois quelqu’un n’a levé la voix. »

« Je suis rentré et j’ai dit : Personne n’a crié sur l’autre. Comment est-ce possible ? Ici, je suis, je fais l’objet d’attaques. Vous appelez nos soldats, nos enfants, des criminels de guerre ? Et de l’autre côté, vous agressez nos frères et sœurs impuissants à Gaza ? Et pourtant, il y avait un tel niveau de confiance, que nous nous sommes forcés à nous écouter les uns les autres, à ne pas être d’accord avec l’autre… »

Antepli renchérit : « C’était un très grand moment. Une fois que vous avez une certaine connaissance, une certaine compréhension de l’endroit d’où ces gens viennent, et qu’au niveau humain vous savez qu’il s’agit d’un humain décent – qu’il peut mal agir, ou qu’il peut mal parler, mais qu’au bout du compte, je fais confiance à cet homme – cela produit des miracles. Ce fut une grande réussite pour moi. »

Halevi : « Je savais qu’ils ne nous haïssent pas. Et non seulement ils ne nous haïssent pas, mais ils veulent notre bien. Ils veulent que nous soyons un pays décent, de leur point de vue. »

Il y avait eu un débat quant à savoir si la deuxième promotion devrait être retardée, mais à la place, ils ont décidé d’accélérer le programme. Le deuxième groupe, de 18 personnes, est venu en janvier de cette année, et maintenant le troisième groupe est en cours, le plus important, de 23 personnes, avec trop d’inscrits.

Les opposants au programme ont écrit pétition sur pétition « demandant aux gens de nous boycotter, de nous faire honte et de nous intimider » pour arrêter le programme, dit Antepli, « afin que personne ne vienne ».

Les adversaires du MLI ont échoué.

« Ce n’est plus un seul type », dit simplement Halevi. « Quand j’ai rencontré Abdullah, c’était Abdullah. Mais aujourd’hui, ce sont 50 personnes et plus, des gens incroyables. Abdullah avait 100 personnes qui voulaient venir à la troisième promotion. Et nous avons développé une relation d’amitié et souvent d’amour. Vous devez voir ça : nous rions sans cesse, l’atmosphère est difficile à décrire. Avec cette nouvelle promotion, nous avons déjà créé un tel climat de confiance et d’amitié que je c’est comme si je connaissais ces gens depuis des années. »

« Toutes les attaques et les critiques, toutes les difficultés que nous avons traversées, ont confirmé une fois de plus le problème que nous avons identifié et la nécessité de s’y attaquer, » dit Antepli.

Des musulmans orthodoxes modernes

C’était Imam Antepli qui a voulu tendre la main à Israël, briser les tabous, mettre potentiellement ses coreligionnaires en danger en les amenant en Israël. Mais c’est Halevi, l’auteur anciennement désabusé, le partenaire réticent, qui semble le plus surpris et ému par les réalisations à ce jour.

Antepli n’avait aucun doute ; Halevi en était rempli. Ce qui souligne le défi qui reste à relever : convaincre les juifs américains que ces ponts valent la peine d’être construits.

Et pourtant, il n’a pas fallu beaucoup à Halevi pour être conquis.

Il revient à la journée où la première promotion est arrivée. « Je me souviens de l’attente à l’aéroport, que tout le monde sorte. Je vois des femmes en hijab, certains des hommes avec des barbes. Et je pensais, ô, ô, ça va être intense. Mais l’autre chose qui m’a frappé immédiatement était qu’il s’agissait de jeunes Américains, qui s’appelaient les uns les autres « dude » [mec]. Leur surnom pour Abdullah était Gandalf. Leurs références sont la culture populaire américaine, comme tous les autres jeunes Américains. Ce que j’ai réalisé immédiatement à propos de ce groupe était : qu’ils ne plaisantent pas sur leur islam ; je les appelle les musulmans frum. Et en même temps, ils sont profondément américains. »

« Dans un sens, » se souvient-il, « ils m’étaient reconnaissables : j’ai grandi dans une communauté orthodoxe moderne à Brooklyn. J’ai dit, Ah, ce sont des musulmans orthodoxes modernes, c’est comme ça qu’ils se voient. Quand nous avons fait une session avec eux sur l’orthodoxie moderne, la réponse a été: nous sommes des musulmans orthodoxes modernes. »

« Et je viens de voir la réalité à travers leur regard. L’une des blagues qu’ils ont entre eux est : où sont les musulmans modérés et pourquoi ne parlent-ils pas ? Car ces gens parlent régulièrement, voient l’extrémisme musulman comme la plus grande menace pour eux – pour leur statut dans la société américaine, pour leur capacité à faire pleinement partie de la société américaine. Lors d’une session, l’autre soir, l’un d’eux a dit : je me réveille le matin et je ne sais jamais que fera un fou quelque part dans le monde au nom de l’islam. Voilà mon cauchemar. Il a dit : je me réveille avec ce cauchemar ».

Le défi à relever

Antepli croit qu’il atteindra une « masse importante » lorsque quelques centaines de jeunes leaders musulmans américains auront terminé le MLI. « Mais je crains que ces musulmans ne soient en quelque sorte pas en mesure de percer le pare-feu juif américain, que cette main tendue reste suspendue en l’air, et que nous nous ramassions. »

Yossi Klein Halevi et Abdullah Antepli devant l'institut Shalom Hartman à Jerusalem (Courtesy)
Yossi Klein Halevi et Abdullah Antepli devant l’institut Shalom Hartman à Jerusalem (Courtesy)

Ce qui explique pourquoi lui et Halevi ont choisi de faire cette interview, comme une étape clé dans le processus graduel de l’approfondissement de la conversation entre juifs et musulmans en Amérique. « C’était très clair pour moi dès le début : notre capacité à créer une identité autochtone, forger une identité musulmane américaine repose en grande partie sur notre capacité à bâtir une relation plus saine, plus forte, avec la communauté juive américaine, » dit catégoriquement Antepli.

« Avec le genre de l’ADN antisémite que nous, musulmans, nous injectons dans certains milieux, la société américaine ne nous acceptera pas comme mainstream. La façon dont nous percevons le judaïsme comme une religion, les juifs comme un peuple, Israël comme un Etat, le sionisme comme une idéologie, la version de l’histoire dont nous continuons à nous nourrir, n’aidaient pas », dit Antepli.

Il y a une « malhonnêteté musulmane très commune », reconnaît-il, « en termes de vision et d’objectif final » où Israël et le conflit israélo-palestinien sont concernés. Pour beaucoup de musulmans, même aux États-Unis, « si vous les acculez, tout Israël est un territoire occupé et la solution est que vous (les juifs) fassiez marche arrière ou en quelque sorte qu’Israël disparaisse. Ce qu’a clarifié ce programme, est qu’il y a tant de légitimité dans le cri de juifs: « acceptez notre droit d’être ici. » Et si le MLI peut créer une bonne pensée au sein de la communauté juive et aider les juifs à comprendre qu’ils ont des partenaires musulmans, Dayenu. »

Halevi dit : « Vous savez j’étais sceptique de toutes sortes de façons. » Non seulement sur le fait qu’Antepli fasse venir les bons participants, mais aussi sur la question de savoir si son objectif était réalisable. « Si ce programme avait été une initiative juive plutôt qu’une initiative musulmane, je n’aurais pas été intéressé, » admet-il. « Une initiative juive de plus, j’aurais tout simplement dit non. Mais le fait que cette initiative venait d’un musulman, le fait qu’Abdullah et un groupe de ses amis nous ont contacté m’a vraiment aidé à surmonter mon propre scepticisme. Et tout ce que j’ai vécu pendant les années de ce programme a vraiment confirmé la justesse de cette intuition initiale. »

« Ce que je cherche dans cette relation est très simple : la reconnaissance de mon histoire, ou peut-être même plus simplement, la volonté d’écouter mon histoire. Je ne demande pas plus que cela. Si les musulmans viennent dans une institution sioniste à Jérusalem pour en apprendre davantage sur mon histoire, comme le dit Abdullah, Dayenu. »

Halevi est catégorique sur le fait que ces juifs qui travaillent pour délégitimer l’islam en Amérique commettent un triple péché : un péché contre les Américains musulmans, dont le désir le plus profond est d’être de bons Américains et de faire partie de l’histoire américaine ; un péché contre l’Amérique, en apportant amertume et haine dans la société américaine ; et un péché contre le peuple juif. « Parce que nous avons l’occasion ici de créer un nouveau type de relation entre les musulmans et les juifs, une relation d’amitié et de respect – avec des désaccords, même de profonds désaccords, mais du respect pour ce que nous sommes, et de respect pour ce qu’ils sont. »

«Je vois le MLI comme une opportunité et un défi pour la communauté juive américaine, » dit Halevi. «Nous avons une chance d’empêcher que les relations judéo-musulmanes en Amérique aillent dans le sens, disons, de la France. L’Amérique est vraiment différente. Mon espoir est que non seulement les juifs américains libéraux répondent à l’initiative du MLI, mais aussi des parties de la communauté orthodoxe. La plus profonde conversation des participants au MLI est potentiellement avec les juifs orthodoxes. »

Pour Antepli, un rêve est devenu « une réalité concrète sur le terrain. Mais il ne peut réaliser son potentiel que si cet engagement est rempli par la communauté juive américaine », dit-il. «En toute honnêteté, la raison pour laquelle je vous parle est que j’espère que quand nous reviendrons, lorsque nous emmènerons cette réalité, cet engagement éducatif, aux États-Unis, une partie importante de la communauté juive américaine nous rendra la pareille. Les juifs et musulmans nord-américains ont un impératif moral de diriger et de montrer que la réconciliation entre juifs et musulmans est possible, malgré les différences politiques irréconciliables. Des choses sont possibles en Amérique du Nord qui ne sont tout simplement possibles nulle part ailleurs. »

Qu’est-ce que cela veut dire ? Que veut cet imam précisément, des juifs d’Amérique et de leurs dirigeants ?

Sa réponse est claire : « Une relation forte et saine, reliant les dirigeants musulmans traditionnels – religieux, civils et politiques – à leurs homologues de la communauté juive américaine. Brainstorming et partenariats aux États-Unis. Lutter contre l’islamophobie et l’antisémitisme. Faire face à la polarisation croissante de chaque communauté envers l’autre. Le travail aux États-Unis qui permettra d’améliorer la capacité à coexister, à vivre de façon harmonieuse. »

Il arrête, puis sourit un peu ironiquement devant la fluidité avec laquelle il a prononcé cette recette de coopération. Puis il ajoute, de façon irrésistible : « j’espère qu’ils essayeront. La voix du Sinaï nous appelle à relever ce défi. »

Abdullah Antepli et une collègue juive accueillant une classe de première année entrant à l'Université de Duke (Crédit : Autorisation)
Abdullah Antepli et une collègue juive accueillant une classe de première année entrant à l’Université de Duke (Crédit : Autorisation)

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