Israël en guerre - Jour 492

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Sarah Halimi. (Crédit : autorisation de la Confédération des Juifs de France et des amis d’Israël)
Sarah Halimi. (Crédit : autorisation de la Confédération des Juifs de France et des amis d’Israël)

Yonathan Halimi se confie sur sa mère, que tout le monde connaît sans connaître

Le fils de Sarah Halimi, qui décrit une mère aimante et engagée pour les autres, appelle à l’union pour les rassemblements de dimanche afin de réclamer justice

Ce dimanche, de nombreuses manifestations auront lieu en France et en Israël pour réclamer justice pour Sarah Halimi. Beaucoup d’entre nous connaissent l’affaire mais moins la victime. Qui était cette Française de 65 ans, mère de trois enfants et grand-mère, médecin et directrice de crèche, dont la vie a tragiquement pris fin le 4 avril 2017, et dont l’assassin, Kobili Traoré, son voisin de 27 ans au moment des faits, ne sera jamais jugé car déclaré irresponsable pénalement ?

Yonathan Halimi, fils de Sarah Halimi, s’est confié ce jeudi matin au Times of Israël, après avoir longtemps préféré ne pas évoquer sa peine publiquement – la famille laissait jusqu’alors William Attal, frère de Sarah Halimi, et leurs avocats s’exprimer dans les médias sur l’affaire. Père de sept enfants, il vit à Haïfa, après avoir quitté Paris pour Israël il y a 18 ans. Il gère aujourd’hui une communauté francophone et un centre qui aide notamment les olim et qui propose des cours. Il a été le premier de la famille à faire son alyah, avant ses deux sœurs, également mariées et mères de famille, ces dernières années, suite à l’assassinat de leur mère.

Née à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), Sarah Halimi (née Lucie Attal) a grandi dans une famille traditionaliste de quatre enfants, dont les parents étaient originaires d’Algérie.

Diplômée médecin, elle a fait ses études à Créteil et s’est mariée peu après, avant de prendre un poste de directrice de crèche – elle n’a ainsi jamais eu de cabinet de consultations, mais pouvait établir des diagnostics et donner des ordonnances et était inscrite à l’Ordre des médecins. Elle était retraitée depuis peu.

Yonathan Halimi (Crédit : capture d’écran vidéo / autorisation)

« Ma mère aimait beaucoup les enfants et a rempli ce rôle pendant 20 ans », explique son fils. « Elle s’est beaucoup investie dans sa crèche et son personnel. La crèche Ganone, rue Vieille du Temple, était connue sous le nom de ‘la crèche de madame Halimi’. Les parents savaient qu’ils laissaient leurs enfants entre de bonnes mains. Elle aimait tant le social et le rapport aux autres qu’elle n’a jamais regretté de ne pas exercer pleinement le métier de médecin », dit-il.

Yonathan Halimi décrit sa mère, qui vivait seule après avoir divorcé quand il était encore enfant, comme « très sensible aux besoins des autres », humble, qui ne se mettait jamais en avant. « Elle restait discrète tout en sachant s’affirmer. Elle ne supportait pas le manque de respect ou toute offense faite à quelqu’un », dit-il.

« Restée jeune d’esprit, elle s’enthousiasmait toujours pour de nouvelles initiatives, des randonnées, des sorties et autres… Elle était très vivante. Elle était passionnée par la lecture et la couture et s’intéressait beaucoup aux huiles essentielles. Elle était très proche de ses petits-enfants et se souciait beaucoup des autres, était toujours à leur écoute, essayait de les comprendre… Elle ne supportait pas l’indifférence. »

L’homme explique que sa mère venait voir sa famille presque tous les ans en Israël. Si Sarah Halimi, qui habitait rue de Vaucouleurs dans le 11e arrondissement de Paris depuis la fin des années 1980, voulait faire son alyah, son projet n’avait pas abouti : elle restait partagée entre son envie de partir en Israël et sa volonté de rester en France, où vivaient encore ses deux filles. Sa grande sœur et son ex-mari vivaient déjà en Israël avant sa mort.

« Nous voyagions dans le pays à chaque fois qu’elle venait. On est allés à Massada, à Tibériade, à Tzfat… Elle aimait faire des cures à la mer Morte, se promener au marché Mahane Yehuda… Elle se sentait très à l’aise en Israël, même si elle ne parlait pas couramment l’hébreu », se souvient son fils.

Très attachée aux valeurs juives, Sarah Halimi a transmis sa foi à ses trois enfants, les éduquant « dans le respect de la Torah et des Mitsvot » – ce qui « leur permet aujourd’hui de faire face à cette terrible épreuve ». Elle observait le Shabbat et fréquentait la synagogue de la rue Pavée.

William Attal, le frère de Sarah Halimi tuée en avril dans une attaque apparemment antisémite devant la synagogue centrale de Créteil, une banlieue de Paris, le 17 juin 2017 (Crédit : Raoul Wootliff/Times of Israel)

Yonathan Halimi a non seulement perdu sa mère, mais aussi sa confidente. « Elle était là pour nous faire comprendre comment relativiser les choses, pour ne pas que l’on s’attarde sur les difficultés mais qu’on essaye de les surmonter. J’étais rassuré dès que je lui parlais, car je savais qu’elle allait m’aider à surmonter les épreuves », dit-il.

Le jugement de la Cour de cassation est « évidemment terrible » pour la famille, explique M. Halimi, qui prévoit de manifester à Paris ce dimanche, se concentrant pour l’instant principalement sur cette mobilisation populaire avant d’envisager par la suite de nouveaux recours judiciaires.

« J’étais rassuré dès que je lui parlais, car je savais qu’elle allait m’aider à surmonter les épreuves »

À l’heure actuelle, lui, ses proches et leurs avocats ont évoqué l’éventualité de se tourner vers la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH), sans prendre encore de décision. La sœur de Sarah Halimi, Esther Lekover, a elle annoncé qu’elle porterait plainte en Israël pour tenter d’obtenir un procès – la loi pénale d’Israël peut s’appliquer à des crimes antisémites commis à l’étranger et dénoncés par un citoyen israélien, mais la France n’extrade pas ses ressortissants. Ce procès qui se déroulerait en Israël serait ainsi surtout symbolique.

« La décision de justice de rendre irresponsable quelqu’un qui a pris une substance illégale signifie que l’on permet à tout le monde de faire ce qu’il veut [après la prise de stupéfiants] », déplore Yonathan Halimi. « C’est tellement contradictoire avec ce que ma mère nous a enseigné, comme quoi on doit assumer ses responsabilités. C’est impensable. Comment un acte illégal, la prise de cannabis, peut-il rendre irresponsable ? C’est incohérent. Comment [le meurtrier] est rentré chez ma mère ? Comment savait-il que la porte du balcon était ouverte ? Il faut que tout le monde le sache : il était venu la veille, il a vérifié si [le crime] était faisable [de façon pratique]. Comment cela peut-il entrer dans le cadre d’une ‘bouffée délirante’ ? Pourquoi est-il allé sur le côté gauche et non sur le côté droit de son balcon ? Il y a tellement d’incohérence et d’injustice. Il faut que la vérité se sache, même s’il faudrait un miracle aujourd’hui pour que la justice se fasse. Il faut aussi que tout le monde sache que cette impunité représente un vrai danger. »

Yonathan Halimi est aussi revenu sur d’autres éléments du crime, notamment sur la non-intervention des policiers venus sur place, qui ont entendu depuis le palier, à travers la porte, Sarah Halimi crier et se faire frapper, assassiner et défenestrer. « Encore une incohérence et un paradoxe. On nous a dit que les policiers de la BAC n’étaient pas en droit de réagir face à un acte terroriste et devaient attendre une unité spéciale. On nous a ensuite dit qu’il était ‘fou’ : mais il n’est pas fou ! Aujourd’hui, il ne souffre d’aucune folie et ne suit aucun traitement. »

L’hommage à Sarah Halimi, place Bellecour à Lyon, le 12 janvier 2020. (Crédit : Crif Auvergne-Rhône Alpes)

Il précise que Sarah Halimi et ceux qui lui rendaient visite n’entretenaient pas de lien avec le criminel et ses proches, « auxquels il arrivait de dire ‘sale Juif’ : c’était une famille antisémite qu’on évitait ».

Il estime que les Français non-Juifs se sentent aussi concernés par ce drame, et espère qu’ils seront nombreux à s’unir aux manifestations de dimanche dans toute la France.

Il invite également tout le monde à rejoindre le groupe Facebook « Agissons pour Sarah Halimi ». « Ce n’est pas seulement une affaire de la communauté. Ce jugement peut avoir une répercussion pour tous et il y a une forte mobilisation », dit-il, en alertant sur le risque de récidive de l’auteur « que ce soit sur un Juif, un chrétien ou un musulman qui ne partage pas les mêmes idées ». « On espère que cette mobilisation populaire, cette union, permettra d’apporter un peu de lumière, et incitera les gens à faire en sorte que ce genre de choses ne se reproduisent plus », dit-il. Yonathan Halimi, qui a grandi dans le quartier populaire de Belleville, dénonce et déplore également aujourd’hui l’antisémitisme et l’insécurité qui sévissent en France.

Kobili Traoré, 27 ans au moment du meurtre antisémite, est pour le moment interné et certaines expertes juridiques craignent qu’il soit libéré après avoir été sevré.

Daniel Zagury (Crédit : capture d’écran YouTube/Public Sénat)

Si, pendant l’enquête, sept experts psychiatriques ont tous conclu à une « bouffée délirante », probablement provoquée ou aggravée par sa forte consommation de cannabis, l’un d’eux s’était démarqué sur les conséquences juridiques à en tirer.

L’expert Daniel Zagury suggérait en effet de retenir « l’altération du discernement », invoquant une « intoxication chronique volontaire » dont Kobili Traoré ne pouvait ignorer les dangers.

Les magistrats de la Cour d’appel ne l’avaient pas suivi et avaient déclaré le meurtrier irresponsable pénalement, tout en retenant que les charges étaient suffisantes pour des poursuites pour meurtre avec la circonstance aggravante de l’antisémitisme.

Sur ce dernier point, ils avaient suivi les explications du Dr. Zagury sur la dimension antisémite du geste de Kobili Traoré, pris d’un « délire persécutif polymorphe, à thématique mystique et démonopathique ».

« Dans le bouleversement délirant, le simple préjugé ou la représentation banale partagée se sont transformées en conviction absolue », avait expliqué l’expert dans son rapport.

Pour la cour de Cassation, le cas de Traoré relevait bien de l’article 122-1 du code pénal, qui dispose que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».

Cette « bouffée délirante » étant liée notamment à une forte consommation régulière de cannabis par le jeune meurtrier, un débat judiciaire s’est engagé sur la possibilité de retenir ou non sa responsabilité dans la survenue des troubles psychiatriques à l’origine du crime.

Lors des débats devant la Cour de cassation, l’avocate générale a reconnu un « vide juridique » sur cette question « complexe ».

Tout en recommandant de laisser le législateur la résoudre, Sandrine Zientara a évoqué la possibilité de retenir la responsabilité pénale du suspect lorsqu’il « a conscience que cette consommation » de stupéfiants « est susceptible de le placer dans un état d’abolition de conscience qui pourra le conduire à un passage à « l’acte criminel », comme dans certaines législations étrangères.

L’article 122-1 « ne distingue pas selon l’origine du trouble mental qui a fait perdre à l’auteur la conscience de ses actes », souligne la Cour de cassation. En conséquence, « le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer », poursuit la Cour, renvoyant ainsi la balle au politique.

Lundi dernier, dans le magazine Marianne, Paul Bensussan, un autre psychiatre qui a expertisé le criminel, a expliqué que « l’irresponsabilité pénale s’imposait techniquement ». Ses conclusions ont été retenues par les juges. Yonathan Halimi explique que cet expert s’était néanmoins rétracté et avait déclaré s’être trompé dans son expertise lors des délibérations de la Cour d’Appel.

Le président français Emmanuel Macron à l’Elysée, le 1er décembre 2020. (Crédit : Thomas COEX / AFP)

« Décider de prendre des stupéfiants et devenir alors ‘comme fou’ ne devrait pas à mes yeux supprimer votre responsabilité pénale », avait déclaré le président de la République Emmanuel Macron au Figaro.

« Comme l’a souligné le Président de la République, la France exprime à la famille de Sarah Halimi, à ses proches ainsi qu’à tous les citoyens qui attendaient ce procès, sa profonde émotion et sa très grande tristesse. La décision qui a été rendue par la Cour de cassation dit le droit. Mais comme l’a précisé le porte-parole du gouvernement [Gabriel Attal] : ‘si le sens de cette décision veut dire qu’aujourd’hui, le droit permet que la consommation de stupéfiants entraîne une irresponsabilité pénale, ce n’est pas possible ; la drogue ne peut pas être un permis de tuer.’ Cette affaire provoque légitimement une émotion extrêmement forte chez tous les Français et la manifestation de dimanche, qui aura lieu dans plusieurs villes de France et d’Israël mais aussi dans différents pays, montre qu’il est nécessaire de changer la loi. Le président de la République a demandé au Garde des sceaux de faire des propositions en ce sens. Ce sera fait dans les tous prochains jours. Notre droit doit évoluer afin qu’une telle situation ne puisse jamais se reproduire, » lit-on dans un communiqué envoyé jeudi soir par l’ambassade de France en Israël au Times of Israël.

Sarah Halimi repose au cimetière de Givat Shaul à Jérusalem. Comme Ilan Halimi, Jonathan Sandler, Gabriel Sandler, Arié Sandler, Myriam Monsonégo, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab et François-Michel Saada.

Un modèle de cartes postales envoyées à Emmanuel Macron réclamant justice pour Sarah Halimi. (Crédit : Consistoire israélite du Haut-Rhin)

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