Bienvenue à « What Matters Now« , [Ce qui compte maintenant], un nouveau podcast hebdomadaire qui examine un sujet déterminant pour Israël et le monde juif aujourd’hui.
Le 18 mai, des dizaines de milliers de marcheurs – dont plusieurs ministres du gouvernement et députés élus – ont marqué la réunification de Jérusalem sous la souveraineté israélienne en 1967 en participant à la Marche annuelle des drapeaux.
Si la plupart des participants ont chanté, dansé et, oui, fait du grabuge dans le quartier musulman de la Vieille Ville, comme à l’accoutumée ces dernières années, certaines parties de la foule, essentiellement masculine et âgée de moins de 30 ans, se sont parfois comportées telle une poudrière à la recherche d’une étincelle.
Ce qui a changé cette année, c’est qu’un groupe d’activistes de gauche a bloqué une artère principale du Gush Etzion, en Cisjordanie, afin d’empêcher les manifestants d’atteindre la capitale. S’inspirant peut-être des manifestations contre la réforme du système judiciaire, ils ont brandi d’immenses banderoles en scandant « le fascisme ne passera pas, les marcheurs ne passeront pas ».
Cette situation politique en Israël est un rêve pour les spécialistes de l’histoire contemporaine. Et pour Sara Hirschhorn, historienne américaine et intellectuelle publique, qui s’intéresse au mouvement ultra-nationaliste israélien, une visite de recherche en Terre sainte n’aurait pas pu mieux tomber.
Hirschhorn est actuellement chargée de cours au Centre de recherche sur l’antisémitisme de l’Anti-Defamation League (ADL) et enseigne les études juives et israéliennes à l’université Rutgers. Outre ses recherches sur l’extrémisme israélien, elle s’intéresse également aux relations entre la Diaspora et Israël et au conflit israélo-palestinien.
Son premier livre, primé, intitulé City on a Hilltop : American Jews and the Israeli Settler Movement (« La ville au sommet d’une colline : les Juifs américains et le mouvement pro-implantations) – publié en 2017 aux éditions Harvard – sera bientôt suivi d’un manuscrit en cours intitulé New Day in Babylon and Jerusalem : Zionism, Jewish Power, and Identity Politics Since 1967 (« Nouveau jour à Babylone et à Jérusalem : Sionisme, pouvoir juif et politique de l’identité depuis 1967 »).

Nous nous sommes assises ensemble cette semaine et, au cours de notre longue conversation, nous avons discuté du symbolisme extrémiste croissant de la Marche des drapeaux de Yom Yeroushalayim – la Journée de Jérusalem. Nous nous sommes également penchées sur comment les partis d’extrême-droite israéliens sont désormais considérés comme faisant partie du courant dominant au sein de la coalition de la Knesset.
Enfin, nous avons expliqué comment, en imaginant simplement ce à quoi le monde pourrait ressembler le lendemain de l’instauration de la paix, nous pourrions y parvenir.
Cette semaine, nous demandons à la Dr. Sara Hirschhorn : « Qu’est-ce qui compte aujourd’hui ? ».
Notre entretien a été édité et condensé dans un souci de clarté et de concision.
Times of Israel : Sara, merci beaucoup de m’avoir rejoint aujourd’hui dans les studios Nomi, les studios de notre podcast partenaire Israel Story.
Merci de m’avoir invitée.
C’est un tel plaisir de vous voir en personne après tant de temps sans pouvoir venir en Israël. Je suis très, très heureuse d’avoir cet entretien avec vous aujourd’hui. Nous sommes à la veille de l’une des journées les plus controversées de l’année, à savoir les célébrations de la Marche des drapeaux à l’occasion de Yom Yeroushalayim. Alors, Sara, dites-moi : qu’est-ce qui compte aujourd’hui ?
Je pense que ce qui compte aujourd’hui, c’est ce qui va se passer lors de Yom Yeroushalayim, qui affectera non seulement la politique intérieure et la coalition précaire que Netanyahu a formée et qu’il doit garder intacte pour faire passer son budget avant la fin du mois, mais aussi une escalade très possible qui affectera la géopolitique locale, régionale et internationale.

Comme les auditeurs peuvent l’entendre, nous enregistrons quelques jours avant Yom Yeroushalayim. Il est plus que probable que cette marche aura lieu et qu’elle sera protégée par plus de 2 000 policiers et membres des services de sécurité. Bien sûr, nous devons rappeler à nos auditeurs que le ministre de la Sécurité nationale n’est autre qu’Itamar Ben Gvir, qui a lui-même déclaré qu’il participerait à cette marche controversée. Tout d’abord, qu’est-ce qui rend cette journée si controversée ?
Je pense que cette journée est devenue de plus en plus controversée au fil du temps. Yom Yeroushalayim a débuté en 1968, la première année après la « réunification » de Jérusalem, et était autrefois un phénomène beaucoup plus pluraliste et répandu parmi les Israéliens de toutes les couleurs [politiques] et de toutes les étoiles, pourrions-nous dire. Des religieux et des laïcs, des Ashkénazes et des Mizrahim, et bien d’autres groupes ont participé pendant des dizaines et des dizaines d’années.
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Ces dernières années, la marche, en particulier celle qui traverse le quartier musulman de la Vieille Ville, est devenue de plus en plus difficile et controversée. La participation d’activistes ultranationalistes, dont certains sont devenus membres de la Knesset, à l’instar d’Itamar Ben Gvir, a rendu cette journée beaucoup plus politique que religieuse et a certainement changé la teneur de l’ensemble de la célébration.
Bien entendu, la participation d’Itamar Ben Gvir en 2021, ainsi que certaines de ses autres activités à Jérusalem-Est, ont certainement exacerbé les tensions et conduit à une escalade significative qui, je le crains, pourrait à nouveau déclencher la fin de ce cessez-le-feu qui est entré en vigueur il y a seulement quelques jours.
C’est vrai. Comme vous l’avez mentionné, la Marche de 2021 a conduit à un conflit de 11 jours avec le [groupe terroriste palestinien du] Hamas. Mais craignez-vous vraiment que la marche ne ravive le conflit ?
Je crains que oui, car si je demande à un Israélien moyen ce qu’il pense de Yom Yeroushalayim, il s’imagine peut-être en train d’agiter des drapeaux dans le Gan Sacher, un grand parc de Jérusalem, faisant un barbecue et célébrant l’esprit de la vie à Jérusalem. Mais si je demande à quelqu’un sur les réseaux sociaux quelle est son image de Yom Yeroushalayim, ce sera probablement cette fameuse photo de 2021 qui ressemblait à une bande de jeunes militants ultranationalistes dansant devant le Kotel (mur Occidental) avec la mosquée Al-Aqsa en flammes en arrière-plan. Nous savons aujourd’hui qu’il s’agissait d’un faux drapeau, que ce n’était pas la mosquée d’Al-Aqsa qui brûlait, mais un arbre qui avait pris feu. Il s’agissait d’un arbre qui avait pris feu et qui apparaissait comme tel sur la photo. Mais je pense que si vous demandez à n’importe qui sur les réseaux sociaux, ce qu’est Yom Yeroushalayim, c’est cette image qui ressortira. C’est cette image.

(Crédit : Ahmad Gharabli/AFP)
Je pense que c’est aussi l’image qu’ont les gens qui vivent ici à Jérusalem à bien des égards. Ce n’est plus, je crois, ce jour de fête. Il a plutôt été, je ne sais pas, coopté par le parti nationaliste religieux. Parlons donc de cette cooptation et voyons quand elle a commencé.
Je pense que cela a commencé un peu avant l’apparition d’Itamar Ben Gvir en 2021. Cela dure depuis une dizaine d’années, non seulement à l’occasion de Yom Yeroushalayim, mais aussi à l’occasion d’autres jours sacrés ou de célébration nationale. D’une manière générale, la présence de jeunes activistes dans les rues de Jérusalem s’est intensifiée au cours des dernières années, et il y a parfois eu des affrontements avec la police ou avec d’autres activistes pacifistes. Ce n’est donc pas nécessairement nouveau.
Mais je pense que Yom Yeroushalayim, en raison de son importance pour la communauté sioniste religieuse, est devenu une sorte de centre d’attention. Et la Marche des drapeaux qui traverse la Vieille Ville est devenue une sorte de symbole commode pour rassembler les sympathisants autour de ce message.
Décrivons un peu plus la marche. Il y a des dizaines de milliers de personnes, principalement des jeunes, majoritairement des nationalistes religieux. Il y a une certaine ségrégation sexuelle et c’est, d’une certaine manière, une excuse pour que les jeunes se comportent mal. Développez un peu plus ce que je veux dire par la.
Je suis d’accord avec vous. En réalité, je n’y suis jamais allée moi-même, du moins pas dans la partie de la Vieille Ville par laquelle passe la marche, parce que je n’ai pas nécessairement l’impression que c’est un espace particulièrement féminin ou neutre du point de vue du genre. C’est une marche qui est non seulement très politique, mais qui semble aussi très machiste, et la masculinité toxique du pouvoir juif est aussi un élément de ce défilé de drapeaux.
Et comme vous l’avez dit, il y a aussi beaucoup de jeunes, ce qui est vrai pour beaucoup de ces groupes ultra-nationalistes, des gens qui vivent dans les implantations mais aussi sur le territoire israélien et qui gravitent autour de ces groupes parce qu’ils ont des leaders charismatiques et parce que c’est un endroit où l’on peut se retrouver. Surtout si leur vie familiale n’est pas aussi stable ou aussi heureuse qu’on pourrait l’espérer. Et je pense que certaines des personnes qui participent ne sont pas nécessairement attirées par la marche ou par ces groupes pour des raisons idéologiques, mais pour des raisons sociales et démographiques.
La marche n’est pas nécessairement une « mauvaise chose ». Je ne veux pas que les gens aient une mauvaise impression. Ce que nous essayons d’approfondir ici, ce sont les répercussions de la cooptation, les ramifications et les ondulations du racisme – disons-le franchement – qui accompagnent la marche, du moins dans les vidéos que j’ai vues et en parlant avec des personnes qui ont participé à plusieurs de ces marches.

Je pense que c’est très intimidant, en particulier pour les membres de la communauté de Jérusalem qui vivent dans le quartier musulman ou dans d’autres parties de la Vieille Ville, qui ne sont pas juifs et qui ne considèrent pas nécessairement la réunification de Jérusalem ou la prise de la ville de Jérusalem lors de la guerre de 1967 de la même manière que la communauté juive vivant dans la capitale peut le ressentir.
Je pense également qu’au fil des ans, cette fête est devenue moins pluraliste pour de nombreux autres courants du judaïsme qui souhaitent y participer. J’ai constaté, de manière anecdotique sur Internet, qu’il existe de nombreuses autres activités alternatives pour les personnes qui souhaitent célébrer Yom Yeroushalayim et qui accordent une grande importance religieuse et politique à ce moment et qui veulent se le réapproprier d’une manière qui semble un peu plus ouverte et diversifiée.
Mais la marche elle-même, je pense, est devenue beaucoup plus restreinte et nous pourrions même dire marginale, bien que ce qui soit marginal siège maintenant à la Knesset. Il est donc difficile de le décrire ainsi. Mais je n’ai pas l’impression que la marche elle-même soit devenue ou soit le même type d’activité qu’autrefois.
D’un autre côté, nous voyons d’autres groupes qui essaient vraiment de renforcer un message différent, en particulier Tag Meïr, qui est un dérivé de l’expression Tag Mehir – attaque communément appelée attaque du « Prix à payer ». Il s’agit d’une sorte de mouvement d’éclaircissement ou, je suppose, d’un mouvement plus inclusif. Ils vont souvent au défilé ou en parallèle du défilé et distribuent des fleurs et des bonbons aux habitants de la Vieille Ville pour essayer de renforcer le message que c’est une ville pour tous, même si l’idée politique de l’unification de Jérusalem est très controversée.
Je pense donc qu’il est possible d’essayer de reprendre les rues d’une certaine manière par rapport à ce que le défilé est devenu. Mais je pense qu’elle est de moins en moins ce qu’elle était il y a 50 ans, à savoir une célébration de masse de la ville de Jérusalem et l’accès à la Vieille Ville, ce qui, bien sûr, était à l’époque nouveau et inédit pour la communauté juive de Jérusalem.

Parlons de ce à quoi vous venez de faire allusion, à savoir que les politiciens marginaux sont maintenant devenus des acteurs majeurs à la Knesset, et je dirais que cela a commencé à se produire il y a un certain temps, même avec l’ancien Premier ministre Naftali Bennett, peut-être même avant. Comment ces dirigeants du mouvement pro-implantations sont-ils devenus des forces aussi importantes dans la politique israélienne ?
Il s’agit d’une longue transition. Bien sûr, tout a commencé dans les années 1970, lorsque le Mafdal, le parti nationaliste religieux, a, pour la première fois, fait partie de la coalition gouvernementale. Avec l’élection de Menachem Begin et la montée de la droite en Israël, la carte politique s’est trouvée modifiée par rapport au sionisme très ashkénaze, socialiste et centré sur le sionisme de la période 1948-1977. Et le Mafdal, qui était bien sûr à l’époque un parti de sionistes religieux qui commençaient tout juste à voir l’impact du mouvement pro-implantations en 1977, a commencé à développer certaines de ses idées une fois qu’il était au pouvoir.
Mais je pense que les choses ont changé de manière significative au cours de la décennie des années 1990 avec l’opposition au processus de paix d’Oslo, qui a amené certaines personnalités sur le devant de la scène nationale. Nous pouvons nous rappeler qu’Itamar Ben Gvir lui-même était un jeune activiste à l’époque, qu’il était en croisade dans les rues de Jérusalem contre les Accords d’Oslo et qu’il s’est en quelque sorte fait les dents dans ces années-là. Et nous pouvons citer de nombreuses autres personnalités qui ont suivi une trajectoire similaire. Ces dernières années, avec le déclin du processus de paix et le règne presque exclusif de Benjamin Netanyahu, je pense que cela a en fait, ironiquement, donné de l’espace à la droite de Netanyahu pour que d’autres personnalités apparaissent et tentent de lui voler la vedette en tant que « M. Sécurité ». En effet, la plupart des jeunes Israéliens ne connaissent pas d’autre Premier ministre, et je pense que de nombreux dirigeants du mouvement pro-implantations estiment qu’il est temps pour eux de recevoir leur dû et de s’opposer à certaines politiques de Netanyahu.
Avant de parler d’Itamar Ben Gvir et de Bezalel Smotritch, qui doivent également être mentionnés, parlons un peu plus de l’image de Naftali Bennett, qui était, rappelons-le, le leader de Yesha, l’organisation faîtière des residents d’implantations.
Naftali Bennett a donc une biographie très intéressante pour quelqu’un qui est devenu un leader du mouvement pro-implantations, tout comme nous pourrions considérer Theodor Herzl comme un précurseur improbable du sionisme moderne. Je pense que nous pouvons également considérer Naftali Bennett de la même manière, comme une sorte d’ancêtre improbable du Mafdal ou de la nouvelle réincarnation du parti nationaliste religieux, parce qu’il est lui-même issu de la Diaspora.
Ses parents sont des Juifs américains qui ont quitté la Californie pour s’installer en Israël. Il parle couramment l’anglais. Il n’a pas nécessairement été élevé exclusivement dans la culture israélienne. Il a d’autres racines dans d’autres endroits, et sa « crédibilité » sur les questions de style de vie religieux, je pense, à l’époque, et encore aujourd’hui, est un peu mince. Il porte une très petite kippa. Sa stricte observance des pratiques religieuses, je pense, est peut-être remise en question. Il vit à Raanana. Il ne vit pas dans les implantations, et il est issu du monde des affaires. C’est un multimillionnaire, peut-être même un milliardaire, qui s’est vraiment forgé dans le secteur de la high-tech et non pas comme jeune militant « Oslo » ou dans d’autres endroits où l’on pourrait voir apparaître des dirigeants du mouvement pro-implantations. Mais je pense que dans sa vie professionnelle, il a fait preuve d’un grand sens de l’organisation et d’un bon réseau, et qu’il a également montré, même au sein du dernier gouvernement, une grande capacité à être un leader et à travailler de manière transversale, comme nous pourrions le dire aux États-Unis, tout en restant fidèle à ses convictions. Il se peut que nous ne soyons pas d’accord avec ses idéaux, mais je pense qu’il a été capable de faire les deux dans le dernier gouvernement.

Il est donc considéré comme un traître par une grande partie du mouvement pro-implantations actuels parce qu’il a formé une coalition avec le parti islamiste, Raam, et pas seulement pour cette raison, je pense. Je pense aussi qu’il incarne un personnage différent de celui que le mouvement pro-implantations recherche actuellement, ce qui a créé un vide, qui a conduit à la montée des partis HaTzionout HaDatit et Otzma Yehudit. Parlons d’abord du parti HaTzionout HaDatit, de Bezalel Smotrich et de ce qu’il représente. Il est bien sûr le fondateur de Regavim. Parlons donc de Regavim pour commencer.
Tout d’abord, je voudrais dire que je pense que Naftali Bennett a été un peu mal perçu. Je ne pense pas qu’il ait nécessairement renoncé à ses idéaux, mais il a été perçu comme ayant renoncé à ses convictions en formant cette large coalition. Nous ne savons donc pas ce qu’il aurait pu faire s’il était resté au pouvoir, mais ses actions ont certainement été perçues comme une trahison des idéaux du mouvement, du Grand Israël et des valeurs ultranationalistes. Il s’est donc retiré de la vie politique et d’autres personnes, comme Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, considérées comme des fidèles du parti, sont considérées comme des personnes sur lesquelles on peut compter pour faire avancer ce programme.
Bezalel Smotrich est encore un homme relativement jeune [43 ans], il a donc fait beaucoup de choses au cours de sa très courte carrière. Mais l’une des choses dans lesquelles il a été très activement impliqué est une ONG appelée Regavim, qui se situe à l’avant-garde politique et juridique du mouvement pro-implantations. Il ne s’agit plus de la vieille école du Conseil de Yesha, qui consiste à créer une organisation chapeautant les implantations et les différents conseils régionaux et municipaux chargés de gérer ces affaires, mais d’une sorte de groupe de réflexion et de plateforme militante qui va tenter de bousculer l’ancienne façon de faire les choses.

Ils ont été en mesure, je pense, d’introduire un grand nombre d’idées politiques et de plateformes dans le gouvernement et dans le processus juridique concernant les implantations, et pourraient être considérés, aux côtés du forum Kohelet, comme une autre force réelle en Israël, bien qu’elle soit peut-être un peu plus locale que Kohelet, qui a des racines et des donateurs aux États-Unis. Regavim est beaucoup plus locale et jeune et travaille sans aucun doute très dur sur le terrain pour transformer la carte de la Cisjordanie.
Parlons donc d’Itamar Ben Gvir. Il me semble qu’il incarne le rôle du « perturbateur ». Êtes-vous d’accord avec cela ?
Je pense que oui. Je pense aussi que son parcours est très différent de celui de Bezalel Smotrich. Il est issu de l’immigration tunisienne. Il est séfarade. Il n’a pas nécessairement eu les privilèges, je suppose, de grandir au sein de l’élite que Bezalel Smotrich et certains de ses collègues de Regavim ont eus. Il se présente donc comme un perturbateur ou un outsider.
Il est peut-être une sorte de franc-tireur dans la politique israélienne, mais il est également capable de rassembler de nombreux jeunes mécontents, en particulier des électeurs mizrahim et certains électeurs hardal – des personnes qui sont en quelque sorte à la frontière entre le monde haredi ou ultra-orthodoxe et le monde nationaliste religieux – qui n’ont pas vraiment eu d’espace pour eux-mêmes dans le mouvement nationaliste sioniste traditionnel, la politique des résidents d’implantations, qui a également été fortement dominée par une élite ashkénaze. Des gens qui ressemblent en quelque sorte aux « Bezalel Smotrich du monde ». Il s’agit d’une nouvelle opportunité pour les personnes d’origine ethnique et sociale différente de s’impliquer dans la politique. Et je pense que Ben Gvir s’est inséré avec beaucoup de force dans cette voie. Bien sûr, il n’est pas nécessaire de parler du parcours très controversé qui l’a mené à ce poste.
Il n’a pas servi dans l’armée israélienne. Il a été condamné pour terrorisme. Il est évident qu’il a été un jeune activiste et un personnage important, connu pour être une sorte de fauteur de troubles, tout au long de sa jeunesse. Mais cela a certainement séduit beaucoup d’Israéliens qui se voient eux aussi sur la touche et qui veulent entrer à la Knesset comme Itamar Ben Gvir l’a fait.

Un « bad boy » pourrions-nous dire. Avant de poursuivre, revenons sur le parcours de Ben Gvir. Vous avez parlé de lui comme d’un jeune activiste, mais il est plus que cela. Il était un adepte de Kahane. Parlez-nous de cet élément.
Comme je l’ai mentionné, Itamar Ben Gvir est le fils d’immigrés tunisiens qui ont grandi à la périphérie de Jérusalem, aujourd’hui dans un quartier considéré comme très embourgeoisé. Mais à l’époque, il s’agissait d’une transition très difficile pour de nombreux immigrants mizrahim qui sont arrivés en Israël dans les années 1960.
Il a grandi et a été très radicalisé par les mouvements auxquels il s’est associé. Il le nie aujourd’hui, mais il est certain qu’il était un kahaniste assez fier, un adepte de Meïr Kahane, un rabbin xénophobe ultra-nationaliste des États-Unis qui a immigré en Israël dans les années 1970 et qui, parmi d’autres groupes, a essayé de mobiliser les jeunes hommes mizrahim pour qu’ils rejoignent son mouvement. Il manifestait dans la rue. Il a été arrêté à plusieurs reprises pour troubles à l’ordre public et pour terrorisme et a été condamné pour, je crois, 11 de ces chefs d’accusation, mais ne me citez pas. Il est devenu un adepte d’autres membres violents du mouvement. Il était célèbre pour avoir accroché à son mur une affiche de Baruch Goldstein, l’auteur du massacre de 1994 à la mosquée Ibrahimi du Tombeau des Patriarches à Hébron, jusqu’à ce qu’un journaliste s’en empare et qu’il l’enlève pour des raisons de relations publiques.
Mais il était certainement très impliqué dans ce type de politique dans sa jeunesse. Il n’a pas servi dans l’armée, ce qui est la trajectoire traditionnelle des jeunes Israéliens, parce que Tsahal elle-même a rejeté sa candidature, estimant qu’il était beaucoup trop instable pour qu’on lui confie une arme au nom de l’État d’Israël, compte tenu de ses antécédents. Il est allé à l’université. Il est devenu avocat et a passé les premières années de sa carrière professionnelle à défendre des clients résidents d’implantations accusés de terrorisme. Il a ensuite abandonné ce type d’activités militantes pour s’impliquer davantage dans la politique du parti et a fini par fonder Otzma Yehudit et devenir membre de la Knesset.

Kahane lui-même a siégé au Parlement avec son parti Kach, qui a finalement été exclu de la Knesset pour racisme. Pensez-vous qu’Itamar Ben Gvir ait tiré des leçons de son, disons, mentor ?
Absolument. Meïr Kahane est probablement le plus célèbre immigrant américain en Israël depuis 1948. Et je dis cela avec beaucoup d’hésitation parce que je peux penser à beaucoup de membres plus illustres de la société israélienne qui ont contribué d’autres manières. Mais malheureusement, je pense que Kahane a eu un impact profond sur toute une génération.
À l’époque de la naissance d’Itamar Ben Gvir [en 1976], Meïr Kahane se présentait pour la première fois à la Knesset à la fin des années 1970. Il a ensuite réussi à entrer à la Knesset en tant qu’unique représentant du parti Kach en 1984, avant de voir son parti interdit pour racisme et incitation à la violence en 1988. Mais ses répercussions, tant dans les cercles militants que dans la compréhension du fait que l’on peut passer de la politique militante à la politique partisane, ont été vraiment significatives pour toute une génération de jeunes ultranationalistes. Le fait que Kahane eut été soutenu en grande partie par les jeunes hommes, en particulier les jeunes hommes mizrahim qui se trouvaient privés de leurs droits dans les partis politiques ashkénazes traditionnels, si j’ose dire, a également constitué une sorte de voie d’accès à la Knesset pour quelqu’un comme Itamar Ben Gvir.
J’ai cette théorie que le Désengagement de 2005 a essentiellement réinitialisé le mouvement pro-implantations à bien des égards, et ces « jeunes » dont nous avons parlé, Bezalel Smotrich, Itamar Ben Gvir et d’autres, ont un état d’esprit stratégique différent de celui que le mouvement pro-implantations avait avant le Désengagement et travaillent dans le système d’une manière très différente. Êtes-vous d’accord ?
Je pense que oui, même si je pense que cela les dépasse et va au-delà de cette partie du spectre idéologique. Je pense que tout le monde a dû repenser l’idée même du désengagement territorial parce qu’il n’était peut-être pas prévu ou peut-être qu’il l’était. Nous ne le savons toujours pas, car les archives relatives à ce type de questions ne sont pas encore ouvertes et, à terme, les historiens et les chercheurs disposeront de beaucoup plus d’informations sur ce que [l’ancien Premier ministre] Ariel Sharon envisageait et sur ce qu’il pensait être le probable résultat.

Mais nous savons tous aujourd’hui qu’en 2006, le Hamas a pris le contrôle de la Bande de Gaza et qu’en plus de persécuter la population gazaouie, il a également utilisé Gaza comme rampe de lancement de roquettes contre Israël. Et je ne sais pas si les mêmes calculs sur les retraits territoriaux pourront jamais être refaits de la même manière, compte tenu de ce qui s’est passé.
Ce sentiment d’échec dans la réalisation de deux États vivant côte à côte a complètement remodelé l’ensemble du processus politique. Par ailleurs, je pense que les jeunes activistes ont pris conscience de leur pouvoir dans le processus du Désengagement. Ils sont capables de mobiliser des gens dans tout le pays, et l’idée « qu’un Juif ne lève pas la main sur un autre Juif », le genre d’autocollants que l’on voyait dans tout le pays en 2005 et 2006, je pense, a également marqué la population israélienne. Ces images de frères contre frères traînant des gens hors de leurs maisons à Gaza, l’image d’une guerre civile, est le cauchemar de la société israélienne.

Je voudrais parler un peu plus de ce sentiment de trahison. Vous travaillez actuellement sur un nouveau livre, mais dans votre précédent livre City on a Hilltop : American Jews and the Israeli Settler Movement, vous parliez de l’idée du résident d’implantation comme d’un nouveau pionnier. Lors du Désengagement, ces personnes ont été physiquement chassées de leurs maisons. Beaucoup d’entre eux étaient des enfants qui sont maintenant dans la sphère politique, et ils ont vu cet énorme échec de l’Israël qu’ils aimaient. La Terre d’Israël sur laquelle ils ont été élevés pour y consacrer toute leur vie s’est retournée contre eux et a bouleversé leur vie. Ne pensez-vous pas que c’est une force motrice plus importante que le fait que le Hamas soit à Gaza ?
Je pense que le message, à tous les niveaux, était terrible. Il n’y avait pas de véritable plan d’action pour le lendemain du retrait, ou du moins s’il y en avait un, nous ne comprenons pas exactement comment il se fait que le Hamas soit maintenant aux commandes et qu’il ne soit pas un voisin pacifique d’Israël. Mais je pense que tout désengagement futur ne pourra être calqué sur celui de Gaza.
Il ne s’agit pas seulement de l’image de personnes traînées physiquement hors de leurs maisons et de la représentation d’idéaux selon lesquels il s’agit des nouveaux pionniers sionistes de l’après-1967, mais aussi, je pense, du sentiment que ceux qui ont été chassés de leurs maisons n’avaient aucun plan d’action pour les semaines, les mois et les années à venir. Ils sont restés mal desservis, mécontents, en colère et prêts à se mobiliser contre l’État. Et cela a créé, je pense, un élément très dangereux au sein de la société qui se sent entièrement, entièrement abandonné.
Et si vous imaginez cela à grande échelle en Cisjordanie, il est presque impossible de comprendre comment cela pourrait être bénéfique pour le conflit israélo-palestinien. Comment cela pourrait-il se produire à une échelle beaucoup plus grande qu’à Gaza, où il n’y avait que 8 000 personnes, ce qui n’est peut-être pas beaucoup, mais peut-être beaucoup, mais pas à la même échelle qu’en Cisjordanie, mais également comment la société israélienne pourrait-elle survivre à un autre désengagement à très grande échelle ?
Nous sommes donc confrontés à une coalition qui fait tout son possible pour s’assurer qu’il n’y aura plus jamais de désengagement comme il y en a eu, et peut-être comme il aurait pu y en avoir, s’il avait été un peu mieux planifié. Pensez-vous qu’il y aura un effet domino à l’avenir et qu’il n’y aura jamais d’espoir pour un État palestinien ?
Je pense que cela dépend de ce que la communauté internationale va considérer comme le territoire d’un futur État palestinien. Même si tous les résidents d’implantations restaient chez eux, ce qui est en gros ce qui était envisagé dans le plan de paix de Trump, cela créerait un État palestinien sur, disons, 40 % de la Cisjordanie. Il existe des micro-États dans le monde, mais cela satisferait-il le peuple palestinien ? J’en doute fortement. Je pense donc que tout dépendra de ce que sera le compromis entre l’idéal et la réalité.

Je pense que le concept de bloc d’implantations est encore fonctionnel pour la plupart, avec des exceptions très inquiétantes, en particulier dans la région de Jérusalem. Je ne pense donc pas que toute la procédure d’Oslo ait été détruite. Mais il ne s’agit pas seulement de ce qui se passe sur le terrain, mais aussi de ce qui se passe dans l’esprit des gens. Toléreront-ils un nouveau désengagement d’une certaine ampleur en échange de la paix ? Et à quoi ressemblera cette paix ? Car si elle ressemble à ce que les gens pensaient qu’elle allait ressembler à Gaza, je pense qu’il n’y aura pas d’issue.
Vous évoquez l’idée d’envisager la paix du lendemain, le lendemain du désengagement, le lendemain d’un cessez-le-feu, le lendemain de l’éclatement de la paix. Comment voyez-vous cela ?
Je suis très inquiète lorsque j’entends des gens de gauche, de droite et du centre dire : à quoi ressemblera le jour suivant la fin de « l’occupation » ? Et, vous savez, vous entendrez ce refrain, vous savez, de la part de groupes de gauche, mais aussi de groupes de droite qui veulent essentiellement que « l’occupation » se poursuive. Et je ne pense pas que quiconque ait suffisamment réfléchi pour savoir à quoi cela ressemble.
De quoi la société civile palestinienne est-elle capable dans ces moments-là ? Les residents d’implantations pourraient-ils rester parmi eux ? Ironiquement, Rashida Talib a mentionné, à l’occasion de la Journée de la Nakba, qu’elle hésitait elle aussi à voir des residents d’implantations quitter leur propre maison, compte tenu de l’expérience palestinienne en 1948.
Qu’est-ce que la communauté internationale sera prête à soutenir, voire à financer ? Je pense qu’il y a beaucoup de questions ouvertes, mais c’est une chose de fanfaronner et de dire que c’est ce qui devrait se produire, mais c’est une autre chose d’essayer d’appliquer cette politique sans avoir la moindre idée de ce à quoi ressemblera le jour d’après. Si vous voulez dire, mettons fin à « l’occupation », très bien, mais ayez un plan pour ce qui va se passer après, parce que ce sera un moment très dangereux et instable qui ne justifie pas de perpétuer des schémas et des politiques qui existent depuis 1967, mais je pense qu’il faut réfléchir à ce qui se passera dès le lendemain de l’émergence de la paix.
Il y aura beaucoup de gens trahis de part et d’autre qui ne comprendront plus le monde qui les entoure. Tout leur univers va changer du jour au lendemain, et il sera très difficile pour les humains de s’y adapter. Je pense donc que nous devons préparer le terrain, non seulement d’un point de vue militaire, économique et de défense, mais aussi d’un point de vue humain, en préparant les membres de la société civile, les individus et les groupes à cette transition majeure.
Il s’agit d’une transition dont beaucoup en Israël pensent qu’elle n’aura jamais lieu. Et nous sommes, comme vous l’avez dit, dans cette situation d’impasse où « l’occupation » se poursuit et où il ne semble pas y avoir de volonté, d’empressement ou de désir.
Peut-être que si les gens pouvaient rêver de ce à quoi cela ressemblerait, cela les aiderait à commencer à l’envisager. Je ne dis pas qu’ils changeront nécessairement d’idéologie, mais peut-être auront-ils plus d’empathie pour la situation et ce qui doit changer à l’avenir. Bien entendu, Israël – ou le conflit israélo-palestinien – n’est pas le seul conflit dans le monde à avoir été confronté à ces questions. Et tous les conflits n’ont pas connu le même succès dans d’autres régions. C’est un processus très difficile et très instable.

Donnez-nous un exemple de réussite.
L’Irlande a commémoré le 25e anniversaire de la paix en Irlande du Nord il y a à peine un mois, au moment même où les gens commençaient à s’inquiéter des nouveaux tirs de roquettes dans ce pays. La télévision était pleine d’images d’un processus de paix réussi, ou entre guillemets « réussi », en Irlande du Nord. Mais je pense qu’il y a beaucoup de choses qui mijotent sous la surface. Les tensions qui n’ont pas été résolues, le réarmement des groupes activistes, l’isolement qui persiste entre les différentes factions religieuses et ethniques, font qu’il s’agit en quelque sorte d’une paix froide, ce qui est peut-être mieux que l’absence de paix. Mais je pense que nous devons nous inspirer d’autres exemples dans le monde pour nous aider à imaginer ce que pourrait être l’avenir ici et peut-être commencer à rêver un peu, mais avec des attentes modestes.
Comme nous l’avons mentionné, vous travaillez sur un nouveau livre. Pouvez-vous nous donner un avant-goût de son contenu ?
Je suis ravie d’être enfin ici après trois ans d’absence en Israël, et je reprends les recherches sur un nouveau projet de livre intitulé New Day in Babylon and Jerusalem : Zionism, Jewish Power and Identity Politics Since 1967. Il s’agit essentiellement d’une façon de considérer les années 1960 et 1970 comme la première itération d’un grand nombre de débats contemporains sur le sionisme et la politique progressiste, le sionisme et la politique identitaire, les relations entre Noirs et Juifs, et comment, essentiellement, il devient de plus en plus incompatible pour un jeune sioniste, peut-être sur un campus universitaire, des gens avec qui je travaille tout le temps, de s’investir dans leurs identités sioniste et juive, tout en étant à l’aise et productif dans beaucoup d’espaces de politique identitaire. Comment en sommes-nous arrivés là ? Je pense que nous pouvons trouver les réponses à certaines de ces questions 50 ans en arrière et peut-être essayer de rappeler à mes lecteurs comment ces débats se sont déroulés la première fois, certains chemins qui n’ont pas été empruntés dans les années 1960 et 1970, où nous pourrions partir de ce point, en tirant les leçons du passé.
Sara, merci beaucoup de m’avoir rejoint.
C’était un plaisir d’être ici.
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