Israël en guerre - Jour 586

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La police utilise un liquide nauséabond pour disperser des manifestants qui bloquent une route lors d'une manifestation contre le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu à Jérusalem, le 20 mai 2024. (Crédit : Mahmoud Illean/AP)
La police utilise un liquide nauséabond pour disperser des manifestants qui bloquent une route lors d'une manifestation contre le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu à Jérusalem, le 20 mai 2024. (Crédit : Mahmoud Illean/AP)

L’usage du « Skunk » par la police contre les manifestants politiques suscite la colère

Après des années d’utilisation contre les Palestiniens et les haredim, la police israélienne utilise dorénavant la substance nauséabonde contre les manifestants anti-gouvernement

Lorsque Nilly Mor, professeure à l’Université hébraïque, s’est jointe à la foule des manifestants qui se trouvaient à proximité de la résidence du Premier ministre Benjamin Netanyahu à Jérusalem, le 20 mars, elle a été choquée par la brutalité de la réponse policière – qui a utilisé une arme controversée appelée « Skunk », dont l’usage est de plus en plus fréquent lors des manifestations contre le gouvernement.

« Ils nous ont aspergés directement avec un puissant jet d’eau nauséabonde. Nous étions complètement trempés… de la tête aux pieds par ce liquide putride », raconte Mor, qui manifestait contre la reprise de l’offensive militaire à Gaza.

Les manifestants en contact avec cette arme liquide israélienne décrivent son odeur insupportable comme un « mélange d’odeur de crottin de cheval et d’égouts ».

« Dès qu’il ont commencé à pulvériser le boAsh, nous nous sommes tous levés d’un bond et nous nous sommes mis à courir. On le sent à 100 mètres », indique Itay Manor, un habitant de Tel Aviv, utilisant le mot hébreu pour désigner le Skunk.

Généralement pulvérisé à partir d’un camion équipé d’un canon à eau à haute pression, le Skunk est depuis longtemps un outil privilégié de la police, qui affirme que son usage permet d’éviter des méthodes de dispersion plus violentes. Mais l’utilisation de ce liquide sur des civils est souvent contraire aux propres règlements des forces de l’ordre et il nuit non seulement aux manifestants, mais aussi à des quartiers entiers.

« C’est un outil qui relève de la stratégie de répression collective. Il n’est ni sélectif, ni précis », explique Sivan Tahel, chercheuse de terrain pour l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI).

La police pulvérise du Skunk sur des manifestants lors d’un rasemblement contre la décision du Premier ministre Benjamin Netanyahu de licencier le chef du Shin Bet, Ronen Bar, à Jérusalem, le 20 mars 2025 (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Pendant des années, la police a régulièrement utilisé le Skunk contre des manifestants palestiniens et haredim, notamment à Jérusalem. Mais à l’été 2023, elle y a eu recours au plus fort des manifestations de masse contre le plan de refonte radicale du système judiciaire du gouvernement, faisant craindre que cette pratique ne devienne la nouvelle norme.

Ces manifestations s’étaient calmées au lendemain du pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023, lorsque des milliers de terroristes s’étaient infiltrés depuis Gaza dans le sud d’Israël, assassinant plus de 1 200 personnes et prenant 251 personnes en otage qui avaient été emmenées dans l’enclave. Face à cette tragédie, la nation avait mis de côté ses divisions politiques pour se rassembler. Mais aujourd’hui, alors que la guerre entre dans son 19ᵉ mois et que la coalition au pouvoir s’apprête à relancer son plan de réforme du système de la justice israélien, les manifestations anti-gouvernement ont repris, et avec elles, l’utilisation du Skunk par la police.

Le Skunk dégage une odeur si persistante qu’il peut entraîner la fermeture d’entreprises et d’écoles pendant plusieurs jours. Les directives de la police interdisent de le pulvériser dans des « bâtiments fermés » ou sur « les toits et balcons ». Elles précisent également que son utilisation en milieu urbain dense n’est autorisée qu’en dernier recours.

Malgré ces consignes, les forces de l’ordre continuent de pulvériser le liquide sans discernement sur les bâtiments, notamment dans les quartiers palestiniens et haredim de Jérusalem.

Le spray s’est révélé utile pour disperser rapidement les foules, causant moins de blessures graves que les grenades assourdissantes ou les balles en caoutchouc. Mais ceux qui sont touchés affirment que l’odeur entêtante persiste bien au-delà des manifestations.

« J’ai dû prendre deux ou trois douches et faire plusieurs lessives pour me débarrasser de cette odeur » raconte Manor, qui n’avait été que légèrement aspergé en 2023 lors d’une manifestation à Jérusalem contre le remaniement judiciaire. « À 22h30, j’étais de retour chez moi à Tel Aviv et j’ai pris une douche. Malgré la douche, ma femme m’a fait dormir sur le canapé… »

Mor se souvient que l’odeur a persisté sur sa peau pendant trois jours et qu’il lui a fallu plus d’une semaine pour enfin la faire disparaître de ses cheveux.

La professeure Nilly Mor (en rouge), militante anti-gouvernementale de l’Université hébraïque, participe à une manifestation près de la résidence privée du Premier ministre Benjamin Netanyahu à Jérusalem, le 27 mars 2025. (Crédit : Ruti Mayo)

Un porte-parole de la police a justifié l’utilisation de cette méthode en affirmant qu’elle permettait « d’éviter le recours à la force physique ou à des moyens potentiellement plus dangereux ».

Mais même sans Skunk, les jets des canons à eau peuvent projeter les manifestants au sol, provoquant parfois des blessures.

Mor affirme que lors de l’incident du 20 mars, la police a tiré « directement » sur des personnes âgées, « sans avertissement et sans avoir déclaré la manifestation illégale ».

Lorsqu’ils utilisent un canon à eau, peu importe le liquide employé, les policiers doivent éviter de viser des personnes à moins de 20 mètres de distance et ils ne sont autorisés à viser que « le centre de gravité et/ou le bas du corps du sujet ».

La police israélienne utilise un canon à eau pour disperser les manifestants opposés à la réforme qui bloquent la route Begin devant la Knesset à Jérusalem. (Crédit : Ohad Zwigenberg/AP)

Mais malgré ces règles, de nombreux manifestants ont été hospitalisés pour des blessures aux yeux et au crâne causées par les jets des canons à eau.

La puissance écrasante des canons à eau, régulièrement utilisés par la police lors des manifestations à Tel-Aviv, n’est cependant pas aussi efficace pour disperser les foules que les jets de Skunk.

« Il n’a fallu que deux minutes pour disperser tout le monde [à Jérusalem] avec le Skunk, » explique Manor en parlant de la manifestation de 2023 contre le plan de refonte qui avait eu lieu près de la Knesset. Il avait alors craint qu’après avoir constaté son efficacité, la police ne recoure davantage à ce produit pour réprimer les manifestations contre le remaniement judiciaire.

Mor, une habitante de Jérusalem qui participe régulièrement aux rassemblements, affirme avoir constaté une recrudescence de l’utilisation du Skunk par la police ces dernières années.

Lors d’une manifestation appelant à la conclusion d’un accord ouvrant la porte à la libération des otages – après que six d’entre eux ont été exécutés par le Hamas à l’été 2024 – elle avait été directement touchée par un jet de Skunk. Elle ajoute qu’elle y a de justesse échappé lors des mobilisations qui ont secoué Jérusalem le mois dernier.

Elle a remarqué qu’à l’exception d’un « noyau dur » d’activistes « qui ont été touchés à de six nombreuses reprises qu’ils sont moins impressionnés », le Skunk dispersait la plupart des manifestants.

« Trempés dans les égouts »

En mars 2023, la police avait affronté des manifestants qui bloquaient le carrefour de Karkur avec un canon à eau qui, selon les protestataires, aurait projeté du Skunk. Si cette information devait être confirmée, il s’agirait de la première utilisation de ce liquide contre des manifestants anti-gouvernement.

La police affirme que l’appareil utilisé à Karkour était un canon à eau ordinaire, sans Skunk. Pourtant, plusieurs personnes présentes ont rapporté une forte odeur nauséabonde.

Tamar Ben-Aryeh manifeste au carrefour de Karkur, vêtue de plusieurs couches de protection pour se défendre contre l’eau contenant du Skunk qui aurait été utilisée par la police pour disperser la foule, le 18 mars 2023. (Crédit : Autorisation)

« Les gens se sont mis à crier et à courir dans toutes les directions. J’ai senti une odeur atroce. J’ai été aspergée d’un liquide pestilentiel, comme si j’avais été plongée dans des égouts », raconte Tamar Ben-Aryeh, manifestante régulière à Karkur.

La police, de son côté, a précisé avoir utilisé ce jour-là des « liquides de dispersion approuvés », sans autre précision.

Quatre mois plus tard, à Jérusalem, alors que la Knesset adoptait la première mesure de la refonte judiciaire, la police a aspergé de Skunk les manifestants bloquant la route Begin.

Ben-Aryeh, présente ce jour-là dans la capitale, a remarqué une odeur encore plus insupportable qu’à Karkur.

« Je suis arrivée quelques heures après l’intervention policière, mais l’odeur était toujours omniprésente, bien pire que celle des égouts », confie-t-elle.

Une substance inoffensive ?

Développé par Odortec, une société israélienne spécialisée dans les répulsifs olfactifs pour les forces de l’ordre, le liquide nauséabond Skunk a été utilisé pour la première fois en 2008 dans le village palestinien de Nilin, en Cisjordanie, lors de manifestations contre l’extension de la barrière de sécurité.

La Police des frontières utilise « le Skunk » pour disperser une foule qui manifeste contre la barrière de sécurité dans le village de Bil’in, près de Ramallah, en Cisjordanie, en 2012. (Crédit : Rishwanth Jayapaul/Flash 90)

En 2014, des témoignages ont commencé à émerger de Jérusalem-Est, faisant état de pulvérisations de Skunk dans des quartiers palestiniens. La même année, des médias américains rapportaient que plusieurs services de police aux États-Unis, dont celui de Saint-Louis (Missouri), avaient commencé à acheter ce spray.

À partir de 2017, la police de Jérusalem a étendu l’utilisation du Skunk, notamment pour disperser des manifestations contre la conscription militaire dans les quartiers ultra-orthodoxes.

Officiellement, le Skunk est composé d’eau, de levure et de bicarbonate de soude, fermentés en environnement anaérobie.

Selon le site d’Odortec, le produit est « parfaitement sûr à l’ingestion » ; il est toutefois recommandé de « consulter un médecin, qui décidera de la nécessité et de la méthode de lavage gastrique » en cas d’ingestion.

Odortec et la police israélienne mettent en avant la non-toxicité du Skunk et son caractère prétendument 100 % écologique, tout en vantant son efficacité pour disperser les foules sans violence. Pourtant, plusieurs personnes exposées au Skunk ont signalé des cas d’irritations cutanées, d’essoufflement et de maux de tête.

Haim Davidian, propriétaire d’Odortec, défend son produit comme une alternative aux méthodes de dispersion plus brutales.

« Les organisations de défense des droits humains devraient nous remercier plutôt que de critiquer ce produit, car il réduit le nombre de blessés », a-t-il déclaré au quotidien Haaretz.

Dans certains cas, la police a été accusée d’utiliser le Skunk comme moyen de punition collective contre des quartiers entiers plutôt que dans le cadre strict de dispersion de foules.

« Pendant le confinement lié au COVID, ils sont entrés dans les quartiers et ils ont utilisé le Skunk… pour empester l’air afin de dissuader les habitants de sortir. Ces pulvérisations [préventives] violent les règlements policiers : il est interdit de projeter du Skunk dans un espace clos, et pourtant ils continuent », a déclaré Sivan Tahel, le chercheur en droits humains.

La semaine passée, Nir Hasson, journaliste pour Haaretz, a rapporté que la police avait de nouveau utilisé le Skunk dans le quartier d’Issawiya, à Jérusalem-Est, sans motif apparent. La police n’a pas répondu à notre demande de commentaires.

Inacceptable, sauf à Jérusalem

Les statistiques officielles obtenues par le média à but non lucratif Shomrim montrent qu’au cours des deux dernières années, le Skunk a été principalement utilisé par la police dans le district de Jérusalem, qui comprend Beit Shemesh, une ville à forte population haredi.

L’utilisation massive de cette substance par la police de Jérusalem a suscité des critiques non seulement de la part d’organisations israéliennes de défense des droits humains, mais aussi de législateurs haredim (en hébreu), d’organisations juridiques de droite, et même du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir (en hébreu) – avant qu’il ne rejoigne le gouvernement.

Alors qu’il était encore avocat dans le secteur privé, Ben Gvir avait saisi la Cour suprême pour demander l’interdiction du Skunk contre les manifestants haredim, arguant qu’il s’agissait d’une discrimination ciblant spécifiquement cette population.

La Cour avait rejeté la requête, soulignant que le Skunk avait été utilisé également contre des manifestants non haredim. Toutefois, elle avait critiqué la police pour avoir causé un « préjudice injustifié » aux manifestants et rappelé que cette arme ne devait être employée qu’en dernier recours.

Depuis qu’il est chargé de la sécurité nationale, Ben Gvir n’a plus exprimé d’opposition à l’usage du Skunk. Au contraire, il a récemment exhorté la police à employer davantage la force contre les manifestations antigouvernementales.

Les forces de sécurité israéliennes utilisent de l’eau pourrie pour disperser les manifestants dans le quartier de Sheikh Jarrah de Jérusalem-Est, le 21 juin 2021. (Crédit :AHMAD GHARABLI / AFP)

Salah Diab, habitant de Sheikh Jarrah, milite depuis 2008 contre l’expulsion de familles palestiniennes de ce quartier sensible. Il connaît bien le Skunk, que les Palestiniens surnomment kharara, dérivé du mot arabe pour « merde ».

Lors des manifestations, alors que le quartier était devenu un foyer d’affrontements entre Palestiniens et résidents d’implantations israéliennes, la police avait fait un usage massif du Skunk.

« En 2021, l’odeur était insupportable. Les gens qui venaient manifester ici semblaient suffoquer, comme s’ils allaient mourir faute d’air frais », raconte Salah Diab. « L’odeur persistait pendant une semaine et s’infiltrait jusque dans les voitures. »

Après que la police a utilisé du Skunk contre des manifestants d’extrême droite près du Pont de Cordes à Jérusalem en 2021, le maire Moshe Lion s’est prononcé sans ambiguïté contre cette tactique de dispersion.

« Il n’y a pas de place pour l’utilisation du Skunk dans les quartiers résidentiels », a affirmé Lion, ajoutant que cette pratique serait considérée comme « disproportionnée et inacceptable dans tout autre endroit en Israël, à l’exception de Jérusalem ».

Pourtant, dans le discours public dominant, les réactions face à cette substance nauséabonde sont restées relativement modérées.

En juillet 2023, lorsque la police de Jérusalem avait eu recours au Skunk contre des manifestants opposés au plan de refonte judiciaire – dont beaucoup étaient venus de Tel-Aviv – nombreux ont été ceux qui ont sans doute découvert pour la première fois l’odeur pestilentielle du Skunk.

« Les manifestants israéliens ont enfin goûté à ce que les Palestiniens subissent en Cisjordanie », dit Manor. « Nous ne pouvons pas détourner le regard, car tôt ou tard, cela se retournera contre nous. »

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