Ariel Ohayon, un élève de Terminale de la ville de Kiryat Shmona, à la frontière nord d’Israël avec le Liban, n’aurait jamais pu imaginer qu’il finirait ses études secondaires dans les conditions actuelles. Ohayon a été déplacé par la guerre, vit dans un hôtel de Tibériade avec sa famille et ne sait pas quand il pourra rentrer chez lui.
« On n’aurait jamais cru que nos 12 années sur les bancs de l’école se termineraient ainsi. C’est un peu frustrant, mais c’est la réalité, » a-t-il déclaré avec pragmatisme au Times of Israel à la veille de la remise de son diplôme cette semaine. « C’est la guerre et cela affecte tout. Être négatif ne changera rien à la situation. Au début, on était en état de choc, mais maintenant on s’y est habitué et on cherche les aspects positifs de la situation ».
Ohayon, 18 ans, fait partie des quelque 110 000 lycéens de Terminale qui recevront leur diplôme jeudi, date officielle de la fin de l’année scolaire pour les élèves du cycle secondaire. Ohayon et ses camarades de classe passeront maintenant à l’étape suivante de leur vie, couronnant une fin de carrière tumultueuse dans l’ombre de la guerre entre Israël et le Hamas.
Ohayon fréquentait un lycée religieux à Kiryat Shmona, mais lorsque la ville a été évacuée après le 7 octobre, sa classe a été « dispersée aux quatre coins du pays » et il a été inscrit dans une école similaire à Tibériade, où, dit-il, la ville « nous a merveilleusement accueillis. Nous nous sentions comme des citoyens ordinaires, comme n’importe qui d’autre ».
Il dit avoir pu « se sentir un peu chez lui » dans sa nouvelle situation et, malgré les défis qui ont jalonné son année, il est parvenu à passer son baccalauréat et envisage maintenant de rejoindre Tsahal dans quelques mois et « d’intégrer la meilleure unité possible, en fonction de mes capacités ».
« Il y a eu une grande prise de conscience de l’état du pays et du danger existentiel [auquel il est confronté]. Tout le monde est concerné, pas seulement les personnes évacuées ou celles qui vivent dans le sud. Chacun essaie de faire ce qu’il peut, et je pense qu’avant la guerre, les gens n’étaient pas aussi conscients, ou pas dans la même mesure », a expliqué Ohayon.
« Un élève de Terminale ici est différent des autres jeunes dans le monde, qui ne sont pas confrontés à ce genre de questions existentielles », a expliqué Ella Mozes, qui, en sa qualité de directrice de l’enseignement secondaire au ministère de l’Éducation, supervise les collèges et les lycées d’Israël.
« La plupart d’entre eux sont tournés vers l’avenir. [La guerre] n’a pas brisé leur foi ; nous voyons les adolescents se porter volontaires, travailler, vouloir servir dans Tsahal… en fin de compte, les enfants doivent devenir des adultes et être prêts pour ce que l’on attend d’eux », a-t-elle ajouté.
Lors d’un entretien téléphonique cette semaine, Mozes a décrit au Times of Israel la manière dont le ministère s’est employé à relever les « très grands défis » auxquels il s’est trouvé confronté cette année.
« Il y a eu plusieurs phases. Les premiers jours, tout le monde était en état de choc. Certaines choses se sont produites et nous avons dû réagir. Nous avons eu des évacués, des enseignants mobilisés en service de réserve… Je ne me souviens pas de tout », a-t-elle déclaré.
« Nous sommes ensuite passés à une gestion active. Nous avons compris que le ministère avait un rôle crucial à jouer pour créer la stabilité après un événement traumatisant et que nous devions aller de l’avant. Nous nous sommes concentrés sur le bien-être des gens, en aidant et en localisant les personnes évacuées, » a-t-elle ajouté.
« Ensuite, il a fallu recommencer à enseigner. Les enfants avaient besoin de contenu et de stabilité. Après quelques semaines, plus de 90 % des écoles avaient repris leurs activités. De nouvelles écoles et des structures temporaires ont été créées pour les personnes évacuées, » a précisé Mozes.
Une année de guerre
La quasi-totalité de l’année scolaire, qui a débuté le 1er septembre, s’est déroulée dans l’ombre de la guerre entre Israël et le Hamas, déclenchée le 7 octobre lorsque des milliers de terroristes du Hamas ont massacré près de 1 200 personnes dans le sud d’Israël et en ont kidnappé 251 pour les emmener dans la bande de Gaza.
Immédiatement après, les écoles ont fermé dans tout Israël et les habitants du nord et du sud ont été évacués en raison des tirs de roquettes en provenance de Gaza et du Liban, d’où le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, soutenu par l’Iran, continue de lancer des roquettes en signe de solidarité avec le Hamas. De plus, la mobilisation sans précédent d’environ 350 000 réservistes par Israël a laissé une grande partie du commerce et de l’infrastructure du pays à court de personnel, et notamment les écoles.
La plupart des écoles ont rapidement adopté l’enseignement à distance, déjà utilisé pendant la période de confinement lors de la pandémie du COVID. À mesure que la guerre progressait et que les tirs de roquettes lancées depuis Gaza diminuaient, les écoles ont pu rouvrir progressivement dans différentes régions, conformément aux instructions du commandement du Front intérieur.
Étant donné la mobilisation massive des enseignants et des administrateurs, de nombreuses écoles ont dû réajuster leurs horaires, leurs matières et leurs programmes, tout en renforçant les services psychologiques et d’orientation. Les enseignants ont intégré des informations sur les événements du 7 octobre et sur la guerre dans leurs cours.
Par ailleurs, les examens du baccalauréat, réputés difficiles, ont été retardés et parfois modifiés en raison du manque de préparation des élèves, affectés par une année chaotique.
À la fin de novembre, la plupart des écoles avaient rouvert, sauf celles situées dans les zones évacuées près de Gaza et le long de la frontière libanaise. Les personnes évacuées, logées dans des hôtels et des communautés à travers le pays, ont atteint à un moment donné plus de 250 000, dont environ 50 000 enfants en âge scolaire, selon le ministère de l’Éducation.
De nombreux habitants du sud ont éventuellement été autorisés à rentrer chez eux et les écoles de Sderot ont officiellement rouvert leurs portes le 1er mars. Néanmoins, en raison de l’escalade des affrontements meurtriers entre le Hezbollah et Tsahal, les communautés évacuées du nord n’ont toujours pas été autorisées à rentrer chez elles. On ignore si les écoles pourront ouvrir le 1er septembre, date de la prochaine rentrée scolaire.
« Aujourd’hui, mon plus gros souci, en dehors de tout le reste, ce sont les évacués du nord« , a indiqué Mozes. « Mi-juillet, nous devrions savoir s’ils pourront revenir ou non. Cela dépend de la situation et de son évolution. »
Le ministère a prévu un plan pour les deux cas de figure, a-t-elle ajouté.
Les leçons du chaos, le regard tourné vers l’avenir
Au début de la guerre, le système éducatif s’est fixé trois objectifs stratégiques principaux, a expliqué Ella Mozes : renforcer la résilience des élèves avec diverses méthodologies, gérer les défis accrus en termes de personnel et de ressources humaines, et améliorer globalement les compétences académiques des élèves.
« Nombre des changements instaurés, comme l’amélioration des services psychologiques et une meilleure compréhension de l’apprentissage actif et des approches éducatives holistiques, ainsi qu’un renforcement de l’engagement avec les parents et les communautés locales, une réflexion ‘hors des sentiers battus’ pour trouver des solutions éducatives, et l’accent mis sur les avantages du bénévolat et des interactions sociales – ont été mis en place avec succès, et seront, nous l’espérons, maintenus, » a déclaré Ella Mozes.
L’année passée a été qualifiée « d’urgence », permettant une flexibilité accrue dans la modification des programmes et des méthodes d’enseignement. « Je pense que nous continuerons certaines de ces initiatives dans le cadre normal de nos programmes. Les résultats ont été positifs… Il n’y a aucune raison de ne pas les maintenir l’année prochaine. »
« Nous avons assisté récemment à de nombreuses cérémonies de remise de diplômes. Ces élèves de Terminale ont surmonté de nombreuses difficultés – le COVID, les grèves, la guerre… Je suis fière de les voir sur scène. Nous avons réussi à les aider à achever cette phase de manière positive. »
Un bilan mitigé
Tout le monde n’est pas d’accord pour dire que l’année scolaire s’est bien terminée.
« Cette année a été terrible. Beaucoup d’entre nous ont le sentiment de ne rien avoir appris. Ce n’était pas du tout une année normale. La guerre a tout bouleversé », a indiqué Shahar Silfin, 17 ans, originaire de Hadera.
À Hadera, une petite ville côtière au sud de Haïfa, « nous ne ressentons pas directement la guerre, mais les cours en Zoom et en présentiel, n’ont pas vraiment suffi. Beaucoup de mes amis ont le sentiment que nous n’avons pas été soutenus par le ministère de l’Éducation. Ils ont essayé, mais il y a des limites », a-t-elle déclaré.
En raison du décalage des examens du baccalauréat, reportés pour certains à la fin juillet, et parce que Silfin et ses camarades étudient des matières avancées, ils ressentent que « l’année ne se termine pas » tout en regrettant de ne pas avoir eu assez de temps pour se préparer aux examens, a expliqué Silfin.
Silfin s’apprête à rejoindre Tsahal en mars de l’année prochaine et espère servir dans l’unité du porte-parole de Tsahal.
« Nous voyons à quel point c’est important. Même si c’est difficile, rares sont ceux qui ne veulent pas s’engager. Cela fait chaud au cœur », a ajouté Silfin.
« Il nous a été très difficile à tous d’étudier cette année. Il y a eu beaucoup de changements et de retards pour les examens, avec des matières oubliées ou ajoutées », a déclaré Ido Sharabi, 18 ans, également originaire de Hadera.
« On voulait tous réussir, c’était notre dernière année et on a vraiment fait des efforts », a-t-il ajouté. Il a obtenu de bons résultats scolaires et se sent bien dans sa peau, a-t-il ajouté.
« Au début, on avait l’impression d’être dans une bulle à Hadera et on était très stressés. On a commencé à suivre des cours par Zoom, et on sentait qu’ils voulaient que nous nous ouvrions et évoquions ces difficultés. C’était important », a expliqué Sharabi.
Sharabi projette d’étudier la danse à Tel Aviv l’année prochaine et s’il réussit à obtenir la mention « excellent » de Tsahal, il pourra combiner son service militaire avec sa carrière de danseur, tout comme les musiciens de haut niveau peuvent rejoindre l’un des orchestres militaires de Tsahal pour leur service.
Pour Noa Okanin, 18 ans, de Sderot, l’année scolaire a été « vraiment terrible » et « psychotique ».
« Personne n’aurait jamais pensé que nous aurions une année comme celle-là », a-t-elle déclaré. Elle a expliqué que sa famille avait quitté Sderot pour Jérusalem avant l’ordre officiel d’évacuation et qu’elle n’avait donc pas été relogée avec ses camarades de classe à Eilat.
« Il n’y avait plus de place à Eilat, mais au moins nous avons pu être réunis pour la fin » quand les habitants sont retournés à Sderot en mars, a-t-elle dit.
En raison d’un problème de santé, Okanin ne peut pas s’enrôler dans Tsahal, mais elle envisage d’étudier la médecine et de devenir médecin, une façon, selon elle, « de rendre service ».
Ori Tinsit, 18 ans, également originaire de Sderot, a décrit son retour dans la ville en mars comme un « choc ».
A Eilat, « c’était comme en première année, on devait se faire de nouveaux amis », et « quand on est rentrés, on était très heureux, mais c’était très difficile. Tout d’un coup, on s’est retrouvé dans une période d’études importante. On a repris une vie normale après avoir vécu à l’hôtel, avec beaucoup de retard à rattraper », a-t-il expliqué.
Pour Tinsit, l’année a été « mitigée ». En raison de la guerre, sa classe a manqué de nombreuses activités traditionnelles de Terminale, notamment le voyage en Pologne pour visiter les anciens camps de concentration nazis, annulé à cause des circonstances.
« Mais nous avons aussi appris des choses sur nous-mêmes que nous n’aurions jamais découvertes autrement… Nous avons appris à faire face à la situation. Il y a un aspect positif », a-t-il souligné.
« Personnellement, je m’en suis bien sorti », a-t-il ajouté. « Mais je sais que beaucoup d’entre nous ont été traumatisés. Dans notre hôtel à Eilat, beaucoup de jeunes restaient enfermés dans leur chambre, mais heureusement, il y avait des gens pour les aider. »
À Tibériade, Rom Milshtein, 17 ans, décrit une année scolaire marquée par un « grand bouleversement » avec l’arrivée soudaine d’élèves évacués en raison de la guerre. « C’était difficile pour eux, dans un nouvel environnement, mais nous sommes devenus de bons amis et avons tissé des liens », a-t-il partagé.
« Les enseignants se sont souciés de notre bien-être et ont encouragé les discussions. Ils ont également essayé de nous éduquer sur les événements du 7 octobre », a-t-il ajouté.
« Nous devons faire face à la situation. Nous sommes sur le point de nous engager dans Tsahal. Dans quelques mois, j’aurai une arme pour protéger l’État et ma famille », a souligné Milstein. Comme tous les élèves de terminale interrogés pour cet article, il observe un fort désir parmi ses pairs de rejoindre Tsahal, que ce soit dans des unités de combat ou par le service national.
« Le lycée est une période extraordinaire pour les adolescents, qu’il est important de vivre pleinement, car ces moments ne reviendront pas. Personnellement, j’ai passé de très bons moments et me suis fait des amis merveilleux que je garderai toute ma vie. Le lycée en Israël est vraiment enrichissant. Même cette année, avec la guerre et l’arrivée soudaine de 50 élèves évacués supplémentaires, c’était génial », a-t-il déclaré.