Bienvenue dans « What Matters Now » [Ce qui compte maintenant], un nouveau podcast hebdomadaire qui examine un sujet déterminant pour Israël et le monde juif aujourd’hui.
Cette semaine, comme toutes les semaines, l’antisémitisme a fait les gros titres des médias du monde entier, allant de « mort aux Juifs » lors d’un rassemblement à Berlin à « une manifestation antisémite en Pologne qui fait froid dans le dos et qui suscite des condamnations« .
Ces manifestations modernes d’antisémitisme préoccupent bien entendu le mémorial Yad Vashem, qui commémore la Shoah.
Mais c’est une autre Une – de cette semaine – qui a poussé le directeur de Yad Vashem, Dani Dayan, à s’exprimer : « Yad Vashem critique l’accord israélo-polonais sur la reprise des voyages des jeunes. »
En qualité de gardien de la mémoire de la Shoah, Dayan, né à Buenos Aires, ex-chef du mouvement pro-implantations et ancien consul général à New York, s’est exprimé l’année dernière dans plusieurs autres affaires, notamment lorsque le Premier ministre hongrois Viktor Orban a tenu des propos qui n’étaient pas sans rappeler l’idéologie nazie.
S’adressant au Times of Israel, Dayan a déclaré jeudi qu’il voyait des résultats.
Avant qu’Israël ne marque à partir de lundi soir Yom HaShoah, la journée nationale de commémoration de la Shoah, nous demandons au directeur de Yad Vashem, Dani Dayan : « Qu’est-ce qui compte aujourd’hui ? »
Notre entretien a été édité et condensé dans un souci de clarté et de concision.
Times of Israel : Dani, merci beaucoup de m’avoir permis de vous rejoindre dans votre bureau de Yad Vashem, à Jérusalem. Il pleut dehors – une belle journée d’hiver au printemps. Nous nous entretenons après une semaine riche en événements : nous avons entendu des chants antisémites à Berlin, nous avons assisté à un match de basket-ball très anti-Israël en Grèce, nous aurons peut-être un nouvel accord avec la Pologne sur les voyages scolaires. Alors, Dani, dites-moi : qu’est-ce qui compte aujourd’hui ?
Dani Dayan : Eh bien, tout d’abord, nous approchons de Yom HaShoah, ce qui place toutes les choses que vous venez de mentionner dans un contexte bien particulier. Cette année, Yom HaShoah a pour thème « les 80 ans du soulèvement du ghetto de Varsovie et l’héroïsme juif pendant la Shoah ». Chaque fois que j’y pense, je ne peux m’empêcher de me rappeler que, même dans les profondeurs du ghetto de Varsovie, il existait deux organisations juives clandestines. L’une, dite de gauche, dirigée par Mordechaï Anielewicz, l’autre, dite de droite, dirigée par Paweł Frenkiel. Et même dans le ghetto, ils n’ont pas été capables, en raison de leurs différences idéologiques ou prétendues telles, d’unir leurs forces.
C’est une leçon très pertinente pour aujourd’hui, alors qu’Israël est confronté à l’antisémitisme, mais aussi à des adversaires très puissants, des ennemis à l’intérieur de ses frontières et même au-delà. Et il y a un fossé très inquiétant dans la société israélienne.
Vous dites donc aux Israéliens de prendre note de l’importance du ghetto de Varsovie. Pensez-vous que les choses se seraient passées différemment si les forces juives avaient été alignées ?
Non, bien sûr. Le soulèvement du ghetto de Varsovie était une façon de mourir honorablement. Mais la situation, bien sûr, est aujourd’hui complètement différente. Je ne fais aucune comparaison entre les circonstances du ghetto et celles d’une puissance régionale indépendante et souveraine qu’est Israël, mais la leçon est la même.
C’est évidemment une leçon que nous entendons depuis les temps bibliques, encore et encore. Vous avez bien sûr fait de la politique et vous dirigez aujourd’hui une institution non partisane. Mais pensez-vous que cette leçon sera un jour retenue ?
Je l’espère. Nous devons éduquer, nous devons raconter les histoires qui sont pertinentes, même depuis les jours sombres de la Shoah – encore une fois, sans comparer la situation du peuple juif à l’époque à la situation du peuple juif aujourd’hui, qui sont complètement différentes. Mais à cet égard, je pense que c’est équivalent.
Comme je viens de le dire, vous êtes à la tête d’une organisation non partisane et non politique. Pourtant, au cours de l’année écoulée et depuis notre dernier entretien – qui a eu lieu l’année dernière, avant la Journée internationale de commémoration de la Shoah – vous avez fait des déclarations très fortes qui ne sont pas politiquement alignées, mais qui sont très énergiques au nom de l’État d’Israël. Un exemple, je dirais, est bien sûr ce qui s’est passé la semaine dernière en ce qui concerne les voyages scolaires en Pologne, au cours desquels Yad Vashem – vous avez, je suppose, signé cela ou l’avez dit vous-même – s’est prononcé avec beaucoup de véhémence contre ce nouveau projet d’accord.
Je voudrais être beaucoup plus précis, beaucoup plus nuancé par rapport à ce que vous venez de dire. L’accord comporte une annexe. Cette annexe est une liste de sites recommandés. Je comprends que la partie polonaise recommande aux étudiants israéliens de visiter au moins l’un des sites figurant sur la liste. Dans cette annexe, il y a en effet quelques institutions problématiques qui ne devraient pas être là.
Mais d’un point de vue pratique, cela ne fait aucune différence. Je pense qu’aucun étudiant israélien ne se rendra dans ces institutions. Et en soi, si nous parlons de realpolitik, les missions, les voyages qui ont eu lieu avant la pandémie de COVID-19 seront exactement les mêmes que ceux qui auront lieu maintenant.
Je dirais donc que sur le plan formel, sur le plan déclaratif, oui, nous voyons un problème. Mais sur le plan pratique, nous ne voyons pas de véritable problème. Et si nous sommes confrontés à un dilemme, qu’est-il préférable : de faire ces voyages avec cette problématique ou de ne pas les faire ? Personnellement, il me semble que c’est une bonne chose que nous les fassions.
Pensez-vous qu’exposer des adolescents israéliens au traumatisme de la Shoah, sur les sites de la Shoah, est une bonne chose ? En tant que mère, je me demande si c’est réellement une bonne chose.
Lorsque vous utilisez le mot « traumatisme », vous sous-entendez qu’ils reviendront traumatisés ? Je ne pense pas que ce soit le cas. Je pense que si les voyages sont effectués avec une préparation adéquate – comme nous le faisons, tout du moins à Yad Vashem, lors des voyages que nous organisons – ça ne sera pas traumatisant, même pour des jeunes, des lycéens. Avec la bonne préparation, le bon contexte, les bons conseils sur place, ces voyages ne sont pas traumatisants, mais très instructifs.
Nous nous trouvons actuellement dans une situation où de très nombreux survivants de la Shoah nous quittent à un rythme effréné. Avez-vous l’impression que ces voyages combleront le vide de ces témoignages directs ?
Nous sommes vraiment à un moment décisif de la mémoire de la Shoah. En effet, comme vous l’avez dit, nous approchons rapidement, malheureusement, mais aussi inévitablement, de l’ère post-survivants, de l’ère post-témoins. L’heure venue, notre tâche en matière de mémoire de la Shoah sera, d’une part, beaucoup plus stimulante, beaucoup plus difficile, et d’autre part, beaucoup plus importante, beaucoup plus cruciale. Je crains que lorsque cela se produira, lorsque nous arriverons à ce stade, ce sera l’heure de gloire des négationnistes et des adeptes des théories du complot. Et nous aurons besoin d’une myriade d’outils pour y faire face.
Les voyages dans les camps de la mort en Pologne sont l’un de ces moyens, mais certainement pas le seul. Nous devrons faire preuve de beaucoup plus de créativité et d’ingéniosité pour y parvenir. Cela étant dit, je n’oublie jamais que 6 millions de Juifs n’ont jamais eu le privilège de s’asseoir devant une caméra et de témoigner parce qu’ils n’ont pas survécu. C’est pourquoi nous continuons, et renforçons même, notre collecte de documents auprès des sources d’archives que nous avons aujourd’hui à Yad Vashem, qui sont de loin les plus grandes archives au monde en matière de documentation sur la Shoah, avec plus de 220 000 000 pages de documents, des dizaines de milliers d’artefacts et de photographies, etc.
Mais nous continuons parce que, comme je l’ai dit, ce sont les témoignages de ceux qui n’ont pas survécu. Notre dernière réalisation, en partie à la suite de ma rencontre avec le pape François au Vatican, est que l’Église, l’Église catholique, a ouvert, pour la première fois dans l’histoire, ses archives de la période concernée, à l’intention de nos chercheurs.
L’Église catholique a ouvert ses archives, alors que d’autres pays ferment de plus en plus les leurs, du moins symboliquement, tel que la Pologne, par exemple.
Tout d’abord, avant d’aborder la question polonaise, les archives qui sont malheureusement proches de nous sont les archives russes. D’ailleurs, de manière assez étonnante, nous continuons à recevoir des copies de documents des archives ukrainiennes, même dans la situation actuelle. Malheureusement, ce n’est pas le cas des archives de la Fédération de Russie. C’est dommage.
En ce qui concerne la Pologne, oui, nous connaissons la législation et les limitations qui existent en Pologne en matière de recherche sur la Shoah, et nous ne les acceptons pas, cela va de soi.
Vous avez dit que les archives de Russie étaient fermées. Cela me surprend. Je ne le savais pas, parce que les Russes sont tellement fiers de leur rôle dans la libération des survivants de la Shoah. À votre avis, pourquoi les archives sont-elles inaccessibles ?
Pour ce qui est de la Russie, nous voyons des problèmes dans l’enseignement de la Shoah donné par le système éducatif. Il y a, à certains égards, une sorte de repli vers l’ère soviétique pour ce qui est de la Grande Guerre patriotique, y compris la Shoah. Cela nous pose problème. Nous suivons cela de très près.
Parlons un peu plus de la Russie et de l’Ukraine et de l’imagerie nazie qui, au début de la guerre, fin février, mars 2022, était omniprésente sur les réseaux sociaux, toutes sortes d’images, avec des mèmes décrivant l’autre comme le nazi. Pourquoi pensez-vous que ce soit encore si important pour ces deux partis ? Pourquoi utiliser encore ces ressorts ?
Parce que la Shoah est toujours d’actualité. Peut-être même plus que jamais. Ce que l’on qualifie parfois de sensibilisation à la Shoah ou d’intérêt pour la Shoah n’a fait que croître. Cela ne diminue pas avec le temps. Et l’un des exemples négatifs est l’utilisation, comme vous l’avez souligné, de l’imagerie et de la terminologie de la Shoah dans la guerre de propagande que se livrent la Russie et l’Ukraine, principalement du côté russe. Mais les Ukrainiens ne sont pas exempts de tout reproche.
J’ai eu deux altercations avec les Russes suite à deux déclarations problématiques du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Dans le premier cas, le porte-parole du Kremlin m’a attaqué mais m’a également invité à me rendre dans le Donbass pour constater par moi-même les atrocités qu’auraient commises les Ukrainiens. Dans l’autre cas, j’ai eu un échange de messages assez houleux avec un très haut diplomate russe.
Une des choses qui a été dite, si je ne m’abuse, c’est qu’Hitler avait des racines juives ?
Exactement. C’est l’un de ces cas en effet. Et dans l’autre, M. Lavrov a affirmé que l’Occident voulait mettre en œuvre la solution finale pour le peuple russe, comme les nazis l’ont fait pour le peuple juif. Mais le président Zelensky, lui-même Juif, a déclaré, par visioconférence aux députés de la Knesset, qu’Israël devrait aider le peuple ukrainien comme le peuple ukrainien a aidé les Juifs pendant la guerre, pendant la Shoah.
Ce qui efface évidemment toutes sortes d’histoires.
C’est une réécriture de l’Histoire, parce qu’il ne veut pas vraiment que nous nous comportions comme les Ukrainiens se sont comportés avec les Juifs. Je dois vous dire que j’ai visité Kiev en septembre 2021, avant la guerre, pour le 80e anniversaire du massacre de Babi Yar. Et j’ai ouvert un séminaire universitaire, en présence de très hauts fonctionnaires et universitaires ukrainiens, en disant que, premièrement, nous accueillions l’Ukraine dans la famille des nations démocratiques. Deuxièmement, que j’exprimais ma gratitude à l’Ukraine pour avoir, contrairement à l’Union soviétique, reconnu la judéité des victimes. Mais j’ai aussi dit, troisièmement, qu’il y avait un pas de plus à faire pour prendre conscience et questionner leur passé, et reconnaître la collaboration généralisée de l’Ukraine avec les nazis.
Ils ont été pas mal occupés depuis, et peut-être, je dis bien peut-être, que ça n’a pas été fait ?
Eh bien, maintenant ils font face à d’autres problèmes. Mais nous voyons toujours en Ukraine, comme par ailleurs, des exemples de glorification de ceux qui ont collaboré avec les nazis.
Vous savez, se rendre à Kiev, pour un Juif doté d’une conscience historique juive très profonde, est une expérience très particulière, clivante. D’un côté, on voit qu’ils reconnaissent la judéité des victimes à Babi Yar – il y a une synagogue à Babi Yar et beaucoup d’autres signes du même ordre. Mais de l’autre, je me rappelle avoir descendu les marches de mon hôtel, à Kiev, jusqu’à une très belle place décorée d’une immense statue du chef cosaque Bogdan Khmelnitski qui, jusqu’à l’avènement d’Hitler, était considéré comme l’assassin antisémite le plus diabolique de toute l’histoire de la Diaspora. C’est donc très troublant, parfois, de se trouver à Kiev.
Je dirais que je vois aujourd’hui dans le monde, en Europe, trois façons de se confronter au passé. Je me suis rendu, pour la première fois de ma vie, dans deux pays : l’Allemagne et l’Autriche. D’aussi loin que je me souvienne, j’avais décidé de ne jamais m’y rendre. Mais aujourd’hui, en qualité de président de Yad Vashem, j’ai décidé de le faire pour la même raison que ma décision initiale, à savoir le devoir de mémoire. Je pensais faire ce qu’il y avait de mieux en faisant cela.
Prenons le cas autrichien, par exemple. L’Autriche est un pays qui, des dizaines d’années après la guerre, a eu le culot de se présenter comme la première victime d’Hitler. Puis le pays a concédé avoir commis des atrocités. Il est revenu sur sa position de première victime pour avouer avoir été un acteur.
En Lituanie, j’ai rencontré les dirigeants lituaniens, le Premier ministre et d’autres, comme je l’ai fait en Autriche. Et j’y ai trouvé des dirigeants jeunes et engagés qui veulent vraiment améliorer les choses. Mais je ne suis pas sûr qu’ils aient le courage politique de le faire. Et dans d’autres cas, comme la Biélorussie, c’est la négation pure et simple. En Biélorussie, on parle même du génocide du peuple biélorusse au lieu du génocide des Juifs.
Tournons-nous également vers la Hongrie. Le parti Jobbik, qui était une force montante, a changé son fusil d’épaule et est devenu moins ouvertement antisémite. Mais le Premier ministre Viktor Orban continue à faire des déclarations antisémites, auxquelles vous avez répondu l’été dernier.
Eh bien, oui, je dois dire que cette déclaration n’était pas exactement antisémite. Il s’agissait plutôt de racisme, pas uniquement contre les Juifs. Et tenez, voici un scoop : 48 heures après avoir reproché ses propos au président Orban, je recevais une lettre personnelle de ce dernier m’expliquant ce qu’il avait voulu dire. Cela montre l’importance de Yad Vashem, parce que ses propos lui ont attiré énormément de critiques. Et je ne pense pas qu’il ait envoyé des lettres personnelles à chacun des auteurs de critiques. Mais Yad Vashem est considéré, à juste titre, comme un phare moral dans le monde.
Vous devez choisir très soigneusement les moments opportuns pour vous exprimer. Comment faites-vous ?
Eh bien, je suis dans le milieu des médias depuis de nombreuses années. Je pense que l’on finit par acquérir le sens de l’opportunité et du timing. Et, comme je l’ai dit, Yad Vashem est un phare, un symbole mondial : il ne doit pas, à mon sens, réagir à tout ce qui est dit ou fait en tout point du monde. Il faut comprendre le contexte et choisir soigneusement quand il convient de descendre dans l’arène et quand il vaut mieux ne pas le faire.
Pourquoi Yad Vashem n’a pas fait une déclaration sur le match de basket-ball qui a eu lieu mercredi soir ?
Comme vous l’avez dit, c’est un événement terrible. J’ai vu les vidéos. C’est horrible. C’était anti-Israël. Je ne pense pas que ce soit lié à la Shoah. Mais bien sûr, en tant qu’être humain, en tant qu’Israélien, en tant que Juif, je l’ai condamné de tout mon cœur. Mais, non, nous n’avons pas fait de déclaration officielle.
Nous sommes à la veille de Yom HaShoah. Avez-vous un message pour les très nombreuses générations qui vont succéder à ces survivants ? Quel est leur rôle aujourd’hui ?
Comme nous l’avons déjà dit, nous nous approchons de l’ère « post-survivants » : le fardeau de la deuxième et de la troisième génération sera énorme. J’aimerais dire un mot pour la troisième génération, celle des petits-enfants des survivants. Dans de nombreux cas – pas dans tous, mais c’est le cas dans de nombreuses familles – la première génération, à savoir les survivants eux-mêmes, ne parlait pas de ce qu’elle avait vécu. Et la deuxième génération, celle de leurs enfants, ne posait pas de questions. Puis est arrivée la troisième génération, qui a posé des questions, auxquelles les grands-parents ont répondu. Dans de nombreux cas, nous devons les témoignages des survivants à leurs petits-enfants. C’est une expérience très particulière, un phénomène très particulier. Nous sommes très reconnaissants à cette troisième génération de l’avoir fait.
Et maintenant, cette quatrième génération, qui, espérons-le…
Eh bien, cette quatrième génération va voir quel sera son rôle. Mais, vous savez, si nous parlons de l’humanité en général, l’antisémitisme progresse. Quand je suis arrivé à New York en tant que consul général d’Israël, en 2016, je pensais que l’antisémitisme ne m’occuperait pas beaucoup. Mais pendant mon mandat, 15 Juifs ont été assassinés dans des attentats antisémites. À Pittsburgh, Poway, Jersey City, Monsey. 15 ! Il est donc clair que l’antisémitisme, malheureusement, refait surface.
Maintenant, ce que je dis à tous les dirigeants qui viennent visiter Yad Vashem, ou avec lesquels je m’entretiens dans leur pays, c’est que nous ne sommes pas dans l’Allemagne des années 1930. Dieu merci. Nous en sommes loin. Mais il y a une différence entre notre génération, juive et non juive, et la génération des années 1930. Et cette différence fait que nous avons l’expérience qu’ils n’avaient pas. Nous savons que cela peut arriver. Ils pensaient probablement que brûler des livres, c’était mal. Brûler des synagogues, c’était encore pire. Mais ils ne pensaient pas que 6 millions de personnes seraient exterminées. Nous savons que l’antisémitisme, s’il n’est pas combattu vigoureusement, avec force et sans délai, peut devenir monstrueux.
Nous n’avons donc pas le luxe, le privilège de dire « attendons de voir comment cela va évoluer ». Les dirigeants d’aujourd’hui doivent lutter contre l’antisémitisme immédiatement et le vaincre immédiatement, avant qu’il ne soit trop tard.
En même temps, il y a une énorme lassitude vis-à-vis de la Shoah, notamment en Europe et même ici en Israël : la génération de mes enfants a davantage tendance à faire des blagues sur la Shoah qu’à traiter le sujet avec respect et sérieux. Comment luttez-vous contre cela ?
Je ne suis pas d’accord pour dire qu’il y a une lassitude vis-à-vis de la Shoah. Je pense que la sensibilisation à la Shoah a réellement augmenté de par le monde. Je vais vous donner deux ou trois exemples.
La Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah, le 27 janvier, n’existait pas dans les années 1980, ni au siècle précédent. Cette journée a été créée au cours de ce siècle.
L’IHRA, l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah, n’existait pas au XXe siècle. Elle a été créée au XXIe siècle.
Une conférence comme celle que le Premier ministre suédois a organisée à Malmö, en 2021, pour parler avec les dirigeants de la mémoire de la Shoah ne s’est pas produite il y a 20 ou 30 ans. Je crois savoir qu’il y aura une conférence de suivi cette année à Tolède, en Espagne.
Donc, rien de tel n’est arrivé. Tenez, je rencontre des leaders partout dans le monde. Ces derniers mois, j’ai eu le privilège de rencontrer dans leurs capitales le pape et chancelier allemand Olaf Scholz, le chancelier autrichien Karl Nehammer, le président français Emanuel Macron et bien d’autres. Et je vois que cette question fait partie de leurs priorités. La mémoire de la Shoah est aujourd’hui inscrite à l’ordre du jour international et nous espérons contribuer à ce qu’elle y reste.
Donc, vous pensez qu’il devrait y avoir une sorte d’effet « goutte à goutte » pour le reste de la population ?
C’est le défi à relever. Le leadership est engagé aujourd’hui. Est-ce que cela se répercute ? Jusqu’à un certain point. Parfois les gens n’en parlent pas assez parce qu’ils craignent de franchir une ligne et de devenir politiquement incorrects. Il s’agit de savoir comment gérer la mémoire et la responsabilité de la Shoah au sein de nos sociétés et dans les sociétés européennes, toujours plus multi-ethniques et multi-culturelles.
J’ai dit au chancelier allemand Scholz et au chancelier autrichien Nehammer qu’avec la citoyenneté allemande ou autrichienne venaient certaines responsabilités, même si le grand-père du citoyen n’était pas en Allemagne ou en Autriche, mais sur un autre continent, pendant la guerre.
Un peu comme pour la Syrie, avec tous les réfugiés de la guerre syrienne.
Oui. Ils sont tout à fait d’accord, et j’ai trouvé un accord avec le chancelier Scholz pour que le premier établissement hors les murs, le premier centre éducatif de Yad Vashem en dehors d’Israël, se trouve en Allemagne. Nous prenons la responsabilité d’aider l’Allemagne à éduquer sa population sur les responsabilités que la Shoah lui a données.
Quand est-ce que cela devrait débuter ?
Ola, nous n’en sommes qu’au début.
Il s’agit d’un projet pluriannuel. J’espère que cela ne prendra pas trop de temps, mais c’est sûr que cela prendra quelques années.
Et c’est censé être un bâtiment ou un projet éducatif ?
Un bâtiment, un centre d’éducatif. Mais je dois vous dire que tous les Allemands que j’ai rencontrés, les dirigeants allemands, le chancelier, le président, le président du Bundestag, le ministre des Finances et d’autres, et même le chef de l’opposition, tous étaient enthousiasmés par cette idée. Ils se sont engagés à faire le nécessaire pour qu’elle se concrétise.
Je me pose une question. Ils ont déjà tellement de ressources éducatives dans les mémoriaux de la Shoah, pourquoi auraient-ils besoin d’Israël en la matière ?
Malheureusement pour nous, nous avons, sur cette question, une perspective unique. Nous sommes les victimes. La perspective est complètement différente lorsque l’institution qui représente les victimes vient dans le pays des auteurs des atrocités. C’est déjà un symbole fort et une logique différente des autres institutions commémoratives. Et nous parlons spécifiquement d’éducation, d’un centre éducatif, pas d’un musée ou d’un mémorial. Je pense que c’est très important.
Plus tôt dans cet entretien, vous avez évoqué votre voyage à Kiev et la façon dont vous faites une place à ce pays dans le concert des nations démocrates. Aujourd’hui, comme vous l’avez dit à juste titre, Israël est en proie à un combat pour la démocratie. Pensez-vous que votre travail serait affecté par ce qui pourrait arriver à la démocratie ?
J’espère bien que non. Tout d’abord, en ce qui concerne Yad Vashem, comme vous l’avez rappelé, au moment où j’ai rejoint Yad Vashem, j’ai mis une séparation étanche entre l’institution et la politique. Pas avec les questions d’éthique, juste avec la politique politicienne. Il faut être très fin pour faire la part des choses entre ce qui est d’ordre politique et ce qui est d’ordre éthique. J’espère simplement que les valeurs de Yad Vashem resteront inchangées quoi qu’il arrive en dehors de ses murs.
Dani, merci beaucoup de m’avoir accordé tout ce temps.
Merci.
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