Pour la deuxième semaine consécutive, les membres du Forum des otages et familles d’otages devraient manifester, comme ils le font habituellement, dans le calme, comme chaque samedi soir sur la Place des Otages, avec les manifestants anti-gouvernement nettement plus véhéments, à quelques encablures de là, sur la rue Begin de Tel Aviv.
La décision de fusionner les manifestations, prise il y a une semaine, a été un moment décisif pour le Forum, qui dit avoir eu à cœur de demeurer apolitique ces onze derniers mois.
La foule qui s’était massée samedi soir, la semaine dernière, pour demander la conclusion d’un accord en vue de la libération des otages et la nomination d’un nouveau gouvernement était la plus importante à ce jour, depuis un an que durent ces manifestations qui, chaque semaine, tentent d’obtenir la libération des personnes enlevées le 7 octobre.
Une vague de colère et de désespoir a déferlé sur la société israélienne lors de la découverte des corps des six otages abattus par leurs ravisseurs du Hamas dans un tunnel de Gaza quelques jours plus tôt. Nombre d’Israéliens qui jusqu’alors s’étaient tenus à distance des rassemblements et manifestations des mois précédents ont rejoint la foule sur la route Begin.
À leurs côtés se trouvaient des membres du Forum des otages et des proches de disparus, eux-mêmes aux côtés des manifestants nettement plus véhéments de la rue Begin, connus pour leurs cris, sifflets, tambours, drapeaux et pancartes, feux de joie et barrages routiers, sans parler des heurts avec la police.
« Nous sommes plus en colère que jamais », confie Gil Dickmann, le cousin de Carmel Gat, l’une des six otages tuées et dont les corps ont été retrouvés par l’armée israélienne le 31 août et rapatriés en vue de leur inhumation. Il explique que c’est la décision du gouvernement de faire primer la présence de l’armée israélienne dans le corridor de Philadelphie, à Gaza, sur la conclusion d’un accord en vue de la libération des otages, le mois dernier, qui a décidé sa famille à se retourner contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
La sœur de Dickmann, Shay Dickmann, a pris la parole lors du rassemblement de samedi pour dire à la foule : « C’est la pression militaire qui a causé la mort [de Carmel] », en réponse à l’affirmation du gouvernement selon laquelle la pression continue de Tsahal était la clef pour récupérer les otages.
« Ma sœur était en quelque sorte un symbole vivant d’espoir : elle a essayé de garder cet espoir tellement longtemps, mais à ce moment-là, elle s’est brisée, et les gens l’ont compris », a déclaré Dickmann au Times of Israel en début de semaine. « Un demi-million de personnes ont ressenti la même chose. »
Dickmann et les autres orateurs sont intervenus depuis un podium érigé rue Begin, alors que le Forum des familles d’otages manifestait à sa manière, de manière plus formelle, dans ce nouvel endroit.
Mais certaines familles d’otages, en particulier celles du groupe belliciste Tikva Forum, sont pour le moins mécontentes de la fusion des manifestations, et reprochent au Forum des familles d’otages d’avoir uni sa destinée avec celle des manifestants de la rue Begin, qui accusent ouvertement le gouvernement d’être responsable du 7 octobre. Ils estiment que ces manifestants nuisent à l’effort de guerre et aux chances de libérer les otages en faisant pression sur Netanyahu et non sur le chef du Hamas, Yahya Sinwar.
« Les manifestations font le jeu du Hamas », explique Nadav Miran, un membre actif de Tikva dont le frère Omri Miran a été pris en otage dans le kibboutz Nir Oz.
« C’est comme si Sinwar était là », dit-il au Times of Israel, accusant tous les manifestants – ceux de Begin comme ceux du Forum – de servir les intérêts du Hamas en ajoutant des divisions et en semant le chaos au sein de la société israélienne.
« Vous aurez le sang de mon frère sur les mains. »
Évolution des manifestations
Selon Ruby Chen, l’une des six représentantes des familles d’otages au sein du comité directeur du Forum, la décision de fusionner le rassemblement du Forum du samedi soir avec les manifestants de la rue Begin, organisateurs de manifestations devant le siège du ministère de la Défense des mois durant, a pour objet de leur donner davantage de portée.
« Nous, gens du Forum et de Begin, avons eu une très longue conversation sur la façon dont tout cela pourrait se passer », explique Chen, dont le fils Itay a été tué le 7 octobre, et dont la dépouille est retenue en otage à Gaza. « Nous souhaitons que le plus grand nombre nous soutienne ; c’est la raison pour laquelle nous avons déplacé notre rassemblement là-bas. »
Chen, qui a la double nationalité américaine, est une voix active au sein du Forum des otages depuis le 7 octobre, date à laquelle on l’a informé de l’enlèvement d’Itay, qui était soldat. Ce n’est qu’en mars qu’il a appris que son fils avait été tué lors de l’attaque du 7 octobre.
Le Forum, qui s’est rapidement mis en place dans les jours qui ont suivi l’attaque, est aujourd’hui une énorme organisation à but non lucratif, dirigée par les familles et des personnes extérieures, supposément la voix officielle de l’ensemble des familles des 251 otages enlevés le 7 octobre.
(Quatre-vingt-dix-sept d’entre eux sont toujours otages, auxquels s’ajoutent quatre personnes détenues par le Hamas depuis une dizaine d’années.)
Le Forum collecte des fonds pour envoyer des délégations de familles d’otages à l’étranger ainsi que pour subvenir aux besoins des familles qui ont arrêté de travailler pour se mobiliser en faveur de leurs proches, sans oublier la rémunération des employés de l’organisation.
Chaque famille d’otages est membre du Forum et a un droit de vote sur les décisions prises par l’organisation. Les membres du forum montrent de la réticence à dire s’il existe une forme de dissidence en ce qui concerne la décision de se joindre aux manifestations de la rue Begin.
« Il est nécessaire de s’unir », souligne Chen, qui ajoute que la grande disparité des familles dont les proches ont été pris en otage implique de brasser politiquement large sans jamais se positionner spécifiquement en faveur d’un courant particulier.
« La seule façon pour nous de rester unis, au siège, est de ne pas faire de politique ; Ce n’est pas notre objectif « , poursuit-il.
Le Forum a commencé à organiser des rassemblements dans les semaines qui ont suivi l’attaque du Hamas du 7 octobre, sur la place qui borde le musée d’art de Tel Aviv, aujourd’hui rebaptisé Place des Otages.
A cette époque, les grandes manifestations antigouvernementales contre les projets de refonte judiciaire organisées depuis des mois rue Kaplan, à Tel Aviv – tout près de l’entrée du ministère de la Défense – se sont arrêtées, les militants préférant consacrer leur énergie à aider les personnes touchées par l’attaque ou participer à la guerre qui s’en est suivie.
Presque immédiatement, des familles d’otages ont commencé à manifester et organiser une veillée rue Kaplan, devant les portes du ministère de la Défense les plus proches de la place des Otages, considérant qu’il s’agissait du bon endroit pour dire leur peur et faire campagne pour que quelque chose soit fait pour libérer leurs proches.
À peu près à la même époque, le Forum des otages a installé son quartier général dans un immeuble de bureaux dans le quartier, entre la rue Kaplan, le complexe du ministère de la Défense et la place des Otages.
Avichai Brodutch, dont la femme et les trois enfants ont été pris en otage au kibboutz Kfar Aza, a veillé avec son chien devant le ministère de la Défense, tout comme Hadas Calderon, qui a supplié pour la libération de deux de ses enfants, Sahar, 17 ans, et Erez, 12 ans.
Les Brodutch et les jeunes frères et sœurs Calderon ont été libérés à la faveur d’une trêve en novembre dernier – Ofer Calderon, l’ex-mari de Hadas, est lui toujours retenu en otage à Gaza – et d’autres familles d’otages ont pris leur place.
Ces familles ont été remplacées par d’autres familles d’otages, qui ont déplacé leur lieu de manifestation au coin de la rue Begin et de l’entrée officielle du ministère de la Défense. Dans les mois qui ont suivi, des manifestations ont eu lieu chaque jour, avec des militants antigouvernementaux et des proches d’otages partageant les mêmes idées exigeant un accord et appelant avec colère à l’éviction de Netanyahu et de son gouvernement belliciste qui, disent-ils, ont « abandonné » leurs proches, à la fois le 7 octobre et maintenant.
Le résultat est un surprenant et bruyant mélange de manifestation et de messages.
Les familles d’otages occupent un temps le devant de la scène médiatique avant de disparaitre une fois que leur situation change, mais certains d’entre eux continuent de le faire rue Begin, comme l’illustre Einav Zangauker, dont le fils Matan Zangauker a été enlevé au kibboutz Nir Oz le 7 octobre.
Mère célibataire originaire d’Ofakim et ex-électrice de Netanyahu, elle est restée silencieuse les premiers mois de la captivité de son fils. Une fois l’hiver venu, elle a rejoint le petit groupe de la rue Begin, debout dans le froid et sous la pluie, arrêtant la circulation, indiquant clairement qu’en tant qu’ancienne électrice de Netanyahu, elle n’avait plus aucune confiance dans le Premier ministre et considérait qu’il avait échoué à diriger le pays.
Au fil des mois, le nombre de manifestants de la rue Begin s’est étoffé, à mesure que montaient la colère et la déception.
Un tournant décisif
Lorsque les six otages ont été tués, nombre de familles d’otages ont plus peur encore que leurs proches connaissent le même sort, explique Yotam Cohen, qui milite à Begin en soutien à son frère, Nimrod Cohen, un soldat pris en otage.
La population israélienne dans son ensemble a fait le même constat, poursuit Cohen, qui est souvent à Begin en compagnie de son père, Yehuda Cohen.
« Maintenant, on entend davantage de cris, c’est moins policé que sur la place des Otages : c’est ce que les familles Begin ont ressenti dès le début », dit-il. « C’est la même bataille ; il y a une sorte d’unité. »
Cohen explique que certains, parmi les tout premiers manifestants de Begin, faisaient partie des manifestants anti-refonte judiciaire et continuaient en même temps leur mouvement antigouvernemental. Lorsque la guerre et la situation des otages se sont enkystés, le nombre de manifestants soutenant l’appel à un cessez-le-feu et à un accord sur les otages a augmenté, poursuit-il.
Certains voient dans cette décision de fusionner les rassemblements du Forum des familles d’otages avec les manifestations de la rue Bégin la preuve que le groupe s’est joint aux militants auteurs de manifestations de grande ampleur contre la refonte judiciaire, au coin de la rue Kaplan.
Le Forum « est devenu Kaplan »
Le Forum des otages « est devenu Kaplan », estime Tzivka Mor, qui a cofondé le Forum Tikva avec les familles qui préfèrent qu’Israël ne conclue pas d’accord avec le Hamas et estiment que la seule façon de sauver les otages est que l’armée israélienne continue de faire pression sur le groupe terroriste.
« Ceux qui dirigent le Forum sont ceux qui dirigeaient Kaplan », assure Mor, en parlant du stratège politique Lior Chorev et du Dr Haggai Levine, chef de l’équipe médicale du Forum. « Il y a eu politisation de la question des otages. » Il reproche au Forum de taire ses véritables intentions politiques afin de ne pas se couper de ses soutiens.
Les employés du Forum ont répété à plusieurs reprises qu’il incluait des personnes de tous les horizons et que son unique but était de ramener les otages chez eux, sans aucune considération politique.
Mor, qui est père de huit enfants et thérapeute spécialisé dans les TDAH, vit avec sa famille à Kiryat Arba, implantation juive en périphérie d’Hébron, en Cisjordanie. Il affirme que les rassemblements anti-gouvernement mettent en danger les otages, à commencer par son fils aîné Eitan, agent de sécurité pris en otage du festival Nova après avoir aidé des festivaliers dans l’après-midi du 7 octobre.
Comme d’autres proches d’otages, Mor n’est pas content de Netanyahu et reproche au Premier ministre de ne pas en faire suffisamment pour conclure la guerre et régler la situation des otages, mais il prône une position nettement plus belliqueuse que beaucoup d’autres.
« Je ne sais pas pourquoi », esquisse Mor en parlant de Netanyahu. « Peut-être qu’il a peur. Il agit comme si le Hamas était un pays occidental. Israël doit être occidental quand il s’agit de notre économie, de notre éducation, de notre industrie et de nos infrastructures, mais quand il s’agit de terrorisme, nous devons être aussi barbares et cruels qu’eux, pour sauver des vies [israéliennes]. »
Et il fait toujours partie du Forum des otages, car il veut rester en contact avec les familles.
« Et aussi pour mon fils », ajoute-t-il.
Il y a une trentaine de familles dans le groupe Tikva, explique Nadav Miran, dont le père, Dani Miran, favorable à la conclusion d’un accord et orateur de la manifestation du Forum des otages nouvelle mouture à Jérusalem samedi soir, ne fait pas partie.
« Ce n’est pas difficile pour nous parce que nous respectons l’opinion de l’autre », explique Nadav Miran en parlant de lui et de son père. « C’est totalement différent de ce qui se passe ici en Israël. Nous acceptons que chacun croie en quelque chose d’autre et gardons le même objectif, qui est de ramener Omri et tous les autres. Sincèrement, si le gouvernement décidait de suivre la voie de mon père, je l’accepterais. »
Certaines familles d’otages sont restées silencieuses ces 11 derniers mois, incapables de trouver les mots pour parler aux médias, préférant prier et garder pour elles leurs angoisses.
C’est le cas de la famille Danino. Ori Danino, parachutiste qui n’était pas en service au moment de l’attaque, a été pris en otage au festival Nova et tué par ses ravisseurs avec les cinq autres otages à la fin du mois d’août.
Le père de Danino, le rabbin Elhanan Danino, a capté l’attention des médias, cette semaine, suite à la diffusion d’un enregistrement le montrant en train de faire des reproches à Netanyahu lors de la visite de condoléances du Premier ministre à leur domicile de Jérusalem, lors de la shiva.
Mardi, Danino a participé à un rassemblement apolitique sur la Place des Otages de Tel Aviv. Appelant à l’unité, il a déclaré qu’il ne fallait pas laisser les franges de la société diviser une population « pour l’essentiel unie et aimante ».
« Israël est fait de frères. Nous portons peut-être des vêtements différents, mais nous venons tous du même père et de la même mère », a-t-il rappelé. « Ne laissons personne nous diviser. »