« Mon fils a été assassiné dans un tunnel que vous avez construit », dit le père d’Ori Danino à Netanyahu
Dans un enregistrement de sa visite de condoléances, le rabbin Elhanan Danino implore le Premier ministre de cesser d'attiser les divisions et l'accuse de donner la priorité à sa survie politique
Des enregistrements publiés lundi révèlent une conversation tendue voire orageuse entre le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le rabbin Elhanan Danino, le père de l’otage Ori Danino, assassiné en captivité et dont le corps a été rapatrié en Israël la semaine dernière.
Danino père y accuse le Premier ministre de se livrer à une « politique mesquine et vulgaire », d’avoir renforcé le Hamas pendant ses nombreuses années au pouvoir et d’avoir semé la division au sein de la nation. Un enregistrement de la conversation, qui a eu lieu lors d’une visite au cours du week-end, a été publié pour la première fois lundi par la chaîne publique Kan.
La conversation a eu lieu lorsque Netanyahu s’est rendu chez les Danino pour leur présenter ses condoléances suite à la mort de leur fils Ori, membre de la brigade parachutiste. Alors qu’il était en permission, il a été pris en otage à la rave Supernova avant d’être séquestré 11 mois durant puis d’être exécuté à bout portant par le Hamas.
La dépouille de Danino a été retrouvée par les soldats de Tsahal dans un tunnel de Rafah, dans le sud de Gaza, avec celle d’Eden Yerushalmi, Carmel Gat, Hersh Goldberg-Polin, Alex Lobanov et dAlmog Sarusi.
Ori Danino a grandi dans une famille haredi du quartier de Ramot, dans le nord de Jérusalem. Adolescent, il a choisi de mener une vie plus laïque et s’est engagé dans l’armée israélienne, après avoir terminé ses études secondaires, ce qui est tabou dans la plupart des communautés ultra-orthodoxes.
Lors de la conversation avec Netanyahu, le père d’Ori a déclaré que, bien qu’il ne puisse pas parler de la possibilité ou de la probabilité d’un accord de cessez-le-feu, « tout s’est passé sous votre surveillance. Mon fils a été assassiné dans un tunnel que vous avez construit, sous votre surveillance ».
« Pardonnez-moi, pardonnez-moi. Vous êtes au pouvoir depuis de nombreuses années. De très nombreuses années. Le béton et les dollars sont entrés [à Gaza] avec vous au pouvoir », a-t-il dit, en référence aux valises d’argent liquide qu’Israël a autorisé pendant des années à entrer à Gaza depuis le Qatar, et aux matériaux de construction utilisés pour construire des centaines de kilomètres de tunnels, qui ont été autorisés à pénétrer dans la bande de Gaza.
Danino a accusé Netanyahu d’être « resté assis pendant 15 ans sans rien faire », depuis que le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza, ce que le Premier ministre a discrètement démenti.
« Vous les avez équipés de tunnels et de dollars – vous n’avez rien fait ! », a renchéri Danino.
Le Premier ministre a répondu : « Elhanan, je pourrais vous répondre, mais il vaut mieux que je ne le fasse pas. »
Sara Netanyahou, qui accompagnait son mari lors de la visite, a tenté de le défendre en disant qu’il était « très seul » lors des consultations sur la sécurité, ce à quoi le Premier ministre a répondu : « Seul, contre le monde entier, contre le président des États-Unis ». A cela, Sara a ajouté « et contre les responsables de l’armée israélienne ici », insinuant apparemment que le Premier ministre avait été déçu par l’armée israélienne avant le 7 octobre et/ou qu’il s’était heurté aux chefs de la sécurité au sujet de la gestion de la guerre.
A un autre moment de la conversation, Sara Netanyahu a dit à Danino qu’il disait des choses que d’autres lui avaient dit de dire au Premier ministre, ce à quoi il a répondu que personne ne lui disait ce qu’il devait dire.
Le père d’Ori a déclaré que le Premier ministre « est responsable de la vie de chacun d’entre eux ».
Il a déclaré qu’il remerciait Dieu pour le « miracle » d’avoir pu enterrer son fils, mais qu’il ne comprenait pas qu’une telle chose puisse être considérée comme un miracle. « Dans quelle situation nous avez-vous amenés ? Un miracle ? Que je puisse enterrer mon fils entier est un miracle ? Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Réveillez-vous ! »
Danino a accusé le Premier ministre d’être davantage préoccupé par sa propre survie politique que par l’avenir du pays.
« Arrêtez de penser à trouver des voix à la Knesset – à coup de sondages, qu’est-ce qui va m’apporter des voix, qu’est-ce qui ne va pas m’en apporter. Arrêtez. Je ne sais vraiment pas s’il était possible ou non de conclure un accord. Je ne rentre pas dans les détails. Mais pardonnez-moi, monsieur, tout cela s’est passé avec vous au pouvoir. Mon fils a été assassiné dans un tunnel construit alors que vous étiez au pouvoir », a poursuivi Danino.
Le père endeuillé a imploré Netanyahu de penser à ses « valeurs juives » et de promouvoir l’unité entre les Israéliens.
« Vous, les gens d’en haut, devez cesser de vous occuper d’absurdités et d’attiser les luttes et les désaccords. Nous ne méritons pas cette terre sans unité. Il n’y aura pas de reconstruction sans cette terre », a-t-il déclaré.
« Fermez la porte de votre bureau 10 minutes chaque jour et réfléchissez à ce que sont vos valeurs juives. Fermez-la, faites sortir tout le monde, plus de téléphone ; prenez un temps seul avec votre créateur et réfléchissez, où est Dieu en vous, qu’avez-vous fait de vos valeurs juives ? »
« Ce désastre s’est produit à cause des divisions et des schismes. C’est clair comme de l’eau de roche, c’est ce qui s’est passé. Ne perdez plus de temps à de la politique mesquine et vulgaire. La vie humaine n’a pas de prix », a poursuivi Danino.
Suite à la diffusion de l’enregistrement du père d’Ori Danino, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a diffusé une déclaration vidéo pour dire qu’il entendait « les cris des familles d’otages qui ont perdu ce qu’elles avaient de plus cher ».
« Ma femme et moi avons [avec ces personnes] des conversations déchirantes, qui nous fendent le cœur. J’entends, j’écoute, sans juger. Et je vais faire tout mon possible pour que les otages reviennent et que nous gagnions la guerre », a-t-il conclu.
Sur l’antenne de la Douzième chaîne, le rabbin Elhanan Danino a expliqué qu’il n’avait pas préparé les critiques amères qu’il a adressées à Netanyahu.
« Je n’avais rien préparé, rien noté… Cela faisait 11 mois que nous ne disions rien… Nous avons placé notre foi dans le Saint, béni soit-Il. Pourquoi sommes-nous dans ce pays et pour quoi nous battons-nous – c’est de cela que ja parle, que ce soit ici ou à l’étranger. J’essaie toujours de parler avec mon cœur et de ne pas alimenter les divisions, car ce qui vient du cœur va au cœur. J’espère vraiment qu’un peu de ce que j’ai dit à cet homme a touché son cœur. »
Il a ajouté qu’il voulait parler de l’importance de garder « le sourire de mon fils… ce garçon héroïque et saint, assassiné quelque part à Gaza, tout ça parce qu’il s’est précipité et qu’il a couru pour tenter de sauver des vies le 7 octobre… Ori était comme ça, c’était toute sa vie. »
« C’est ce que j’ai essayé de dire en parlant au cœur de Netanyahu : pour qu’il comprenne que dehors, il y a un pays tout entier qui attend ces 101 otages, pour mettre fin à ces moments affreux. C’est ce qui va remettre ce pays sur pied, les ramener à la maison, pour mettre fin à ce terrible cauchemar. Je le dois aux autres familles. En ma qualité d’émissaire de mon fils, j’essaie de rassembler et d’unifier le peuple d’Israël, autant que possible d’unifier tous ces éléments disparates… »
Danino a déclaré qu’il ne pensait pas avoir dit quoi que ce soit au Premier ministre que celui-ci n’ait pas déjà entendu.
« Je lui ai dit ce que beaucoup de gens pensent. À mon grand regret, j’ai dit cela en tant que père qui a perdu son fils aîné… J’ai l’impression que cette valeur juive de coresponsabilité les uns envers les autres, ce ‘Israël est fait de frères’, s’est un peu perdu… Pourquoi les divisions se poursuivent-elles alors que nous sommes en guerre, alors que 105 personnes sont otages ? N’est-on capables d’unité que pour les funérailles… Nous devons nous sourire les uns aux autres dans les bus, les trains et les centres commerciaux aussi… L’unité ne peut pas être le seul apanage de l’armée. »
Le père a déclaré qu’il n’avait pas été offensé par ce que les Netanyahu lui avaient dit, même si « je pensais qu’ils se comporteraient différemment dans une maison en deuil ».
Lorsqu’on lui a demandé s’il pensait avoir réussi à « fendre l’armure » de Netanyahu, Danino a expliqué qu’il n’avait certainement pas surpris Netanyahu parce qu’ils s’étaient parlé par téléphone dimanche, avant la venue du Premier ministre.
« J’espère vraiment que j’ai réussi à fendre un tant soit peu l’armure… pour le bien des 101 familles et celui du peuple d’Israël, qui doit absolument retrouver l’unité. »
Un certain nombre d’autres membres de la famille endeuillée auraient refusé de parler à Netanyahu lorsqu’il a tenté de lui présenter ses condoléances après le retour des corps des otages, dont Israël a confirmé qu’ils avaient été tués quelques jours avant leur découverte.
On estime que 97 des 251 otages enlevés par le Hamas le 7 octobre se trouvent toujours à Gaza, y compris les corps de 33 otages dont le décès a été confirmé par l’armée. 105 civils ont été libérés au cours d’une trêve d’une semaine à la fin du mois de novembre, et quatre otages ont été remis en liberté avant la trêve. Huit otages, dont une soldate, ont été secourus vivants par les forces israéliennes, et les corps de 37 otages ont également été récupérés, dont trois ont été tués par erreur par l’armée lors d’un incident tragique en décembre.
Le Hamas détient par ailleurs les corps des soldats de Tsahal Oron Shaul et Hadar Goldin depuis 2014, ainsi que deux civils israéliens, Avera Mengistu et Hisham al-Sayed, qui sont tous deux censés être en vie après être entrés dans la bande de Gaza de leur propre chef en 2014 et 2015 respectivement.
Netanyahu a été accusé de refuser catégoriquement d’accepter un accord qui prévoirait un cessez-le-feu à Gaza et la libération de prisonniers palestiniens détenus par Israël pour atteinte à la sécurité, en échange de la libération des otages. Le Premier ministre a accusé le Hamas d’être celui qui entrave continuellement la conclusion d’un accord et a défendu sa demande de maintien d’une présence militaire dans le corridor de Philadelphie – un point de friction majeur – comme étant nécessaire pour empêcher la résurgence du Hamas.