L’interview a été publiée en anglais le 24 août dernier.
En dépit des très nombreux problèmes auxquels Israël fait face actuellement, le chef de l’opposition, Yair Lapid, veut rester optimiste.
Lors d’une rencontre avec le Times of Israel au quartier-général, à Tel Aviv, de son parti Yesh Atid, situé au second étage d’une petite tour qui accueille des bureaux, l’ancien Premier ministre centriste se positionne en tant que leader d’un mouvement démocratique à mi-chemin entre les deux traditions politiques historiques du pays – le sionisme travailliste de gauche de David Ben-Gurion et le nationalisme libéral des révisionnistes de Menachem Begin. Et, en effet, deux photographies de ces Premiers ministres emblématiques sont accrochées à l’un des murs de la pièce.
Lapid dit être parfaitement conscient des divisions profondes qui avaient été causées en premier lieu par le plan de refonte radicale du système judiciaire israélien, puis par l’incapacité d’empêcher l’invasion et le pogrom commis par les hommes du Hamas, le 7 octobre. Il dit pouvoir quotidiennement constater les clivages entraînés aujourd’hui par presque un an de combats dans la bande de Gaza, par la colère suscitée par le maintien en captivité de plus d’une centaine d’otages qui se trouvent encore dans les geôles du Hamas. Et pourtant, il l’affirme : la politique israélienne ne se définit plus par une rivalité entre la droite et la gauche. Il évoque davantage un conflit dans l’identité même du pays en tant que démocratie et il déclare représenter une majorité d’Israéliens suffisamment large pour reprendre le pouvoir lorsque la coalition de plus en plus divisée du Premier ministre Benjamin Netanyahu s’effondrera. Et il estime que cette chute arrivera bientôt.
« Nous devons être en capacité de nous souvenir qu’il y a une option autre que celle que nous sommes en train de vivre aujourd’hui : Nous » – c’est-à-dire Israël – « pouvons être ce que nous avons toujours été censés être. Nous pouvons être heureux ; nous pouvons être optimistes ; nous pouvons être confiants. Nous pouvons être fonctionnels – ce que nous ne sommes pas actuellement », dit-il, un ruban jaune accroché à la veste de son costume.
« Nous pouvons entretenir des relations formidables avec la communauté internationale. Nous pouvons relancer l’économie. La seule chose, c’est que nous avons besoin de gestionnaires fonctionnels dans le pays de manière à pouvoir revenir à nos racines – les racines d’une nation optimiste, originale et intelligente sous de si nombreux aspects », s’exclame Lapid qui avait été Premier ministre de juillet à décembre 2022, avant l’effondrement du gouvernement dont il était à la tête aux côtés de Naftali Bennett. Privilégiant la philosophie du verre à moitié plein, il ajoute qu’Israël « a la chance » d’assister à une campagne présidentielle, aux États-Unis, « où les deux candidats sont de grands amis » du pays.
Mais avant toute chose, Netanyahu doit partir : c’est sa conviction. En effet, souligne Lapid, le Premier ministre aurait dû présenter sa démission dès le 8 octobre parce que « tous les signes, tous les signaux d’alarme, tous les avertissements » étaient là. Netanyahu, accuse Lapid, avait été informé des dangers qui se profilaient à l’horizon : « Et il les a tous ignorés. C’est la raison pour laquelle tout ça ne serait pas arrivé quand nous étions aux commandes – et c’est la raison pour laquelle il n’aurait plus dû être Premier ministre depuis le 8 octobre ».
Notre entretien s’est déroulé en anglais. Cette retranscription a été révisée à des fins de clarté et de concision.
Times of Israel : Nous faisons actuellement face à de graves menaces intérieures qui sont exacerbées par le fait que nous sommes en proie à de fortes divisions dans le pays. C’est une bonne chose que vous puissiez encore rappeler tout ce que nous pourrions être et tout ce que nous devrions être, mais force est de reconnaître que nous n’en sommes pas encore là !
Yair Lapid : C’est intéressant parce que, bien sûr, face à ce qui est arrivé le 7 octobre, nous parlons d’abord d’unité, nous affirmons que nous ne pouvons gagner seulement si nous sommes unis, seulement si nous sommes tous ensemble. Mais si vous regardez le monde aujourd’hui, l’Afghanistan est unie, la Syrie est unie, la Russie est très unie. L’unité n’est pas une habitude démocratique.
La capacité à trouver des compromis sur les points de désaccord est ce qui différencie les démocraties des autres types de gouvernance. Des pays très désunis, des démocraties en proie aux conflits ont gagné deux guerres mondiales, ils sont allés sur la lune et ils ont accordé des droits aux minorités, aux Afro-américains, aux femmes.
Ce n’est donc que peu important que Netanyahu divise le pays ?
Ce qui importe en ce qui concerne Netanyahu, c’est qu’il n’œuvre pas dans l’intérêt du pays. Je n’ai aucun problème avec les personnes qui travaillent dans l’intérêt du pays par le prisme d’une idéologie différente – avec des méthodes différentes, même – tant que ce travail se consacre réellement à l’intérêt du pays.
« Netanyahu ne travaille pas pour le pays. La seule chose dont il s’inquiète est de se maintenir au pouvoir. Il ne s’intéresse qu’au pouvoir en tant que tel, pas au pouvoir de faire de bonnes choses. »
S’il était là, Netanyahu vous répondrait qu’il travaille dans l’intérêt du pays mais qu’il a été trahi, qu’il a été abandonné par tous et qu’il est le seul à pouvoir réparer Israël.
La seule chose dont il se préoccupe est de se maintenir au pouvoir. Cela fait trop longtemps qu’il est au pouvoir. Il ne s’intéresse qu’au pouvoir en tant que tel, pas au pouvoir de faire de bonnes choses. Dans ce monde, il y a du Bien et il y a du Mal. Il y a des gens qui œuvrent réellement dans l’intérêt du pays, et il y a des gens pour qui ce n’est absolument pas le cas.
Le fait que Netanyahu prononce de belles paroles sur l’unité ou sur les clivages n’a aucune importance. Il faut regarder ses actes et ce qu’il fait en ce moment consiste à refuser de conclure l’accord sur les otages qu’il est censé conclure, à ne pas mettre en place le budget qui est dans l’intérêt de tous. Il ne respecte pas les sacrifices qui sont consentis par le pays. Il va à droite et à gauche à bord de son avion privé. Il ne s’est pas rendu dans un seul kibboutz depuis le 7 octobre.
« Il ne respecte pas les sacrifices qui sont consentis par le pays. Il va à droite et à gauche à bord de son avion privé. Il ne s’est pas rendu dans un seul kibboutz depuis le 7 octobre. »
Il n’est donc absolument pas en droit de me dire qu’il travaille pour le pays. Il travaille pour lui-même. Vous savez quoi ? Il a perdu son âme. Il est sans âme.
En 2011, il avait accepté un accord qui avait entraîné la remise en liberté de 1 027 prisonniers palestiniens, notamment celle [du cerveau du 7 octobre devenu aujourd’hui le chef du Hamas] Yahya Sinwar, en échange d’un seul soldat – et dorénavant, il n’est pas prêt à finaliser un accord qui permettrait à plus de cent personnes de recouvrir la liberté. Et son argument est qu’il y a trop de risques, que nous ne pouvons plus abandonner une nouvelle fois la frontière égyptienne.
Mais les faits disent le contraire. La guerre a commencé le 7 octobre. Lui, le Premier ministre, n’a envoyé des troupes dans le couloir Philadelphi qu’au mois de mai. Presque huit mois après.
Donc, pendant huit mois, il n’a pas pensé que le couloir Philadelphi était ce qu’il y avait de plus important. Et tout à coup, c’est la seule chose qui le préoccupe. Comprenons-nous bien : je ne dis pas que le couloir Philadelphi n’est pas important. Il l’est. Mais plus déterminant encore, il faut finaliser un accord sur les otages.
Cela calmera également la situation dans le nord. Mais plus encore que tout le reste, jamais la société israélienne ne guérira si tous les otages ne sont pas rapatriés. Et nous pourrions utiliser la pause [dans les combats] pour reconstruire et pour refaçonner la société israélienne et l’armée pour qu’elles soient en mesure d’affronter les défis que nous devrons relever. Et pour nous assurer que tout le monde comprendra bien que nous avons la capacité de montrer davantage de proactivité concernant la situation dans le nord du pays, sans parler de la situation avec l’Iran, qui a toujours été le plus grand défi entre tous les autres.
Et cet accord sur les otages est aussi la seule voie à suivre qui nous mènera vers la formation d’une coalition régionale qui sera essentielle dans le combat contre l’Iran.
Pourquoi, selon vous, choisit-il la stagnation ?
Parce que [le ministre de la Sécurité nationale Itamar] Ben Gvir et [le ministre des Finances Bezalel] Smotrich feraient s’effondrer la coalition. Ils le disent clairement et lui ne s’intéresse qu’à la politique. Il doit maintenir sa coalition.
Aurait-il dû démissionner après l’attaque du Hamas ?
Il aurait dû démissionner le 8 octobre. Si j’avais été le Premier ministre le 7 octobre, je ne l’aurais plus été le 8. C’était la seule chose responsable à faire. C’était la seule chose à faire humainement parlant.
Et après ? Appeler à des élections ?
S’il avait démissionné, je pense que nous aurions eu un gouvernement d’unité dans les quarante-huit heures. Le 7 octobre, j’avais eu un entretien avec lui à 16h30 et je lui avais dit : « Débarrassez-vous de ces fous. Formons un nouveau cabinet. » Je lui avais dit qu’il ne pourrait pas prendre en charge la [guerre] de manière appropriée avec Ben Gvir et Smotrich [les leaders des partis d’extrême-droite] au sein de son gouvernement et qu’il fallait créer un gouvernement d’unité.
J’ai été le premier à évoquer « la plus grande catastrophe pour le peuple juif depuis la Shoah ». Cette formule, je l’avais utilisée le 7 octobre. Mais la première fois que j’y avais eu recours, c’était avec lui.
Vous ne lui avez pas conseillé de démissionner ? Vous vouliez un gouvernement d’unité ?
Oui, à l’époque. Parce que je le connais.
Mais il avait dit « non ». Il avait ajouté que je pouvais « les rejoindre ». Ce à quoi j’avais répondu : « Non, nous n’y arriverons pas [avec Ben Gvir et Smotrich au gouvernement] ». La discussion s’était arrêtée là. Le même jour, le 7 octobre, à 18h30, j’avais tenu une conférence de presse au cours de laquelle j’avais déclaré qu’il était impératif de former un gouvernement d’unité ; qu’ils [Ben Gvir et Smotrich] devaient partir, parce que c’était en partie à cause d’eux que nous en étions arrivés là et parce que nous ne pouvions pas mener à bien une guerre avec eux.
Le Hamas se préparait depuis longtemps à la journée du 7 octobre. Pensez-vous que cela aurait pu se produire sous votre mandat, si vous aviez été Premier ministre ?
La réponse est non et je le dis sans hésitation ! Nous savions pertinemment que notre priorité avant toutes les autres, notre principale priorité, était de tout mettre en œuvre pour empêcher de tels événements.
Le Hamas a toujours eu la motivation de tuer des Juifs – ça a toujours été son unique but. Ses capacités ont explosé dès que Netanyahu a commencé à transmettre des valises pleines de billets dans la bande de Gaza. Seules les occasions manquaient. Les groupes terroristes savaient que nous étions vigilants. Ils savaient que nous étions en alerte.
Lorsque j’étais Premier ministre, j’avais lancé l’opération Aube [grâce à des renseignements qui avaient alors indiqué une attaque imminente du Jihad islamique palestinien contre des civils ou des soldats à la frontière]. Nous avions tué des dirigeants du Jihad islamique.
Nous étions extrêmement vigilants. Ni moi, ni Bennett n’aurions ignoré les avertissements du chef d’état-major et des hauts généraux, s’ils étaient venus nous prévenir, comme ils l’ont fait avec Netanyahu, en disant : ‘Vous mettez en péril la sécurité d’Israël ; votre refonte judiciaire est en train d’affaiblir notre force de dissuasion et nos ennemis y voient une opportunité à exploiter’.
Cela n’aurait donc jamais pu se produire [sous notre mandat].
Je vous rappelle que le 20 septembre, j’avais tenu une conférence de presse et que j’avais prédit que quelque chose d’horrible allait se produire. Et j’avais mentionné Gaza. J’avais dit : « Nos parents iront dans les abris. Nos enfants vont mourir. »
J’avais été au bureau du Premier ministre pour un briefing sur la sécurité ; Netanyahu était présent. Il avait entendu les mêmes choses que moi. Je vous le dis, il y avait tous les signes, tous les drapeaux rouges, tous les avertissements, et il les a tous ignorés. C’est la raison pour laquelle ça n’aurait pas pu se produire sous notre mandat, et que depuis le 8 octobre, il ne devrait plus être Premier ministre.
Je n’avais pas fait cela parce que j’avais eu une vision soudaine, mais parce que j’avais été au bureau du Premier ministre pour un briefing sur la sécurité, Netanyahu était là. Il avait donc entendu les mêmes choses que moi de la part du général [Avi] Gil, [le secrétaire militaire du Premier ministre]. J’avais également lu les documents des services de renseignement qu’il avait lui aussi consultés.
Tous les membres de mon équipe m’avaient dit : « Ne tenez pas cette conférence de presse : Ne tenez pas cette conférence de presse. Tout le monde s’en fiche. Tout le monde s’inquiète des manifestations et des protestations [relatives à la refonte du système judiciaire].
Je leur avais répondu que c’était « ma responsabilité de dire aux Israéliens que quelque chose de terrible va se produire sur le plan sécuritaire » et que cette conférence de presse aurait bien lieu.
Et c’est ce qui s’est passé.
(Lors de sa conférence de presse du 20 septembre (lien en hébreu), Lapid avait indiqué qu’à l’approche de Yom Kippour, « je me dois d’avertir les citoyens d’Israël : nous approchons d’une confrontation sur plusieurs fronts. Selon les services de sécurité, le nombre d’alertes en Judée et en Samarie n’a jamais été aussi élevé. Les récents événements survenus à la frontière de Gaza sont exactement du même type que ceux qui ont conduit à des rounds de combat dans le passé. »
Tous les gouvernements israéliens précédents, y compris ceux dirigés par Netanyahu, ont toujours su calmer le jeu sur le terrain, en renforçant et en déployant des troupes supplémentaires, en imposant des bouclages, en procédant à des assassinats ciblés, en intensifiant les efforts en matière de renseignement et en prenant les mesures nécessaires avec l’Autorité palestinienne (AP), les Égyptiens et les Jordaniens. C’est ainsi que notre gouvernement a réussi à endiguer le terrorisme l’année dernière. Ce n’est pas ce qui se passe aujourd’hui. Le nombre de personnes assassinées lors d’attaques terroristes a doublé depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement l’année dernière. Et ce qui est encore plus dangereux, c’est que le gouvernement ne coordonne pas son action avec les services de sécurité. Tous les chefs des services de sécurité – Tsahal, le Shin Bet, la police, les services de renseignement – ont averti le gouvernement et le cabinet du risque aigu d’une flambée de violence ».
Il avait ensuite accusé Ben Gvir et Smotrich d’avoir à plusieurs reprises ignoré les recommandations de l’establishment de la Défense, qui les exhortait à agir avec prudence et responsabilité, notamment sur les questions liées aux prisonniers sécuritaires palestiniens. Il avait également reproché à Netanyahu d’avoir perdu le contrôle de ses ministres. Il avait poursuivi en disant que ‘ceux qui en paieront le prix, ce seront nos enfants, qui devront à nouveau retourner dans le camp de réfugiés de Jénine, à Gaza, et peut-être même au Liban. Ce seront nos parents, qui seront confinés dans des abris.’
‘Si Netanyahu ne met pas un frein à Ben Gvir et à Smotrich, ce seront des vies humaines que nous perdrons’, avait-il ajouté. Le Premier ministre ‘doit aujourd’hui taper du poing sur la table, discipliner ses ministres irresponsables, et travailler avec les chefs des services de la sécurité pour rétablir le calme. En agissant de manière responsable, il verra que l’opposition le soutiendra.’)
Je vous le dis, il y avait tous les signes, tous les drapeaux rouges, tous les avertissements, et il les a tous ignorés. C’est la raison pour laquelle cela n’aurait pas pu se produire sous notre mandat, et c’est la raison pour laquelle il n’aurait plus dû être Premier ministre depuis le 8 octobre.
Vous avez récemment prédit que le gouvernement tomberait d’ici la fin de l’année, mais un haut responsable de la coalition nous a confié qu’en dépit des luttes intestines qui se multiplient, son parti n’a aucune intention de renoncer au pouvoir.
Vous savez quand les coalitions éclatent ? Quand de telles conversations ont lieu entre journalistes et politiciens haut placés. Le fait que nous soyons constamment à nous demander si la coalition survivra ou non, cela veut dire que la coalition ne survivra pas.
Le 5 novembre, il y aura les élections aux États-Unis. Le 2 décembre, Bibi sera supposé comparaître devant la justice dans le cadre de son procès. Il va se passer beaucoup de choses en un mois.
Actuellement, il n’y a eu aucun vote depuis deux jours à la Knesset. Nous avons soudainement gagné des voix. Nous sommes censés être une opposition beaucoup plus petite que la coalition, et nous gagnons soudainement des voix. Tout est donc en train de s’effondrer.
Comment ce gouvernement pourrait-il tomber ?
De manière inattendue. Vous souvenez-vous de la « nuit du parking » [en 2020] lorsque nous avons renversé le gouvernement de Bibi-[Benny] Gantz ? Quand les gens sont sortis du parking [de la Knesset] tout à coup et qu’ils ont voté, que le gouvernement est tombé ?
J’ai formé un gouvernement [en 2021] alors que tout le monde me disait que je n’y arriverais pas parce que ça n’était jamais arrivé de cette manière auparavant. Les choses ne se passent jamais comme vous le prévoyez, mais elles se passent.
Comment comptez-vous travailler avec les autres membres de l’opposition pour remporter les prochaines élections ? Participez-vous actuellement à des discussions sur la création d’un front uni ou sur l’aide à apporter aux autres partis d’opposition pour qu’ils créent des listes unifiées ?
Je coopère avec tout le monde. Au sein de l’opposition, nous avons deux partis centristes, deux partis de droite – à la droite du Likud – un parti très à gauche, [les Démocrates], qui est la combinaison d’Avoda et Meretz, et deux partis arabes. C’est très diversifié. Il faut donc travailler différemment. Au lieu de réunir tout le monde dans la même pièce, il faut travailler indépendamment avec chaque parti.
Mais à chaque fois que ça a été nécessaire jusqu’à présent, nous avons toujours réussi à rassembler les 56 membres de l’opposition au sein de la plénière, à la Knesset, pour qu’ils votent en faveur de l’orientation voulue ou qu’ils unissent leurs forces au sein des commissions afin de mener à bien ce qui doit être accompli.
Je vous assure qu’au nom de cette cause sacrée qui est de renverser notre horrible gouvernement, nous fonctionnerons toujours de manière très efficace en tant que groupe.
Malgré des sondages désastreux depuis le 7 octobre, la cote de popularité de Netanyahu s’est récemment améliorée.
Il a eu un bon mois. Je ne pense pas qu’il soit en train de remonter. Je pense qu’il touche à son sommet. Nous savions tous que son passage au Congrès l’aiderait beaucoup. Les assassinats de Deif, Haniyeh et Shokor sont des succès. Seul l’assassinat de Sinwar, si Dieu le veut, sera comparable. Mais je ne pense pas que cela change le fait que pour une grande majorité des Israéliens, c’est un homme auquel ils ne font plus confiance.
Pensez-vous que l’opposition puisse obtenir suffisamment de mandats pour former un gouvernement de substitution ? Et seriez-vous prêt à reconsidérer la possibilité d’inclure le parti Raam, principalement arabe, dans votre coalition ?
J’ai eu une conversation intéressante à ce sujet avec Mansour Abbas, le leader du Raam, et nous sommes tous les deux arrivés à la conclusion que Raam ne pourra pas constituer le 61e mandat.
La société israélienne, surtout après le 7 octobre – mais croyez-moi, même avant – n’est pas prête pour une situation où un gouvernement dépendrait totalement des votes d’un parti arabe. Aussi modéré et intéressant que soit Mansour, que j’apprécie et avec qui j’aimerais travailler, le gouvernement sera différent de celui que nous avions auparavant. Heureusement, les sondages montrent que nous obtiendrons 61 sièges pour un gouvernement. Nous discuterons à ce moment-là de ce qui se passera par la suite.
Vous pensez qu’il y a une majorité en Israël pour un gouvernement centriste ?
Il y a un groupe important au sein de la société israélienne qui affirme que ce concept d’État juif et démocratique n’a pas fonctionné. Ils pensent qu’il est temps de décider si ce pays est Juif ou démocratique, et ils veulent qu’il soit Juif.
Ce qui est rassurant, c’est que le groupe de personnes en désaccord avec cette idée est beaucoup plus grand. Nous sommes plus nombreux qu’eux parce que [ce débat a] changé le cadre politique. Il ne s’agit plus de la gauche et de la droite.
Il s’agit maintenant des libéraux sionistes et nationalistes contre ceux qui pensent qu’Israël ne devrait pas être une démocratie – et nous sommes majoritaires. Les élections se joueront sur cette question et le prochain gouvernement sera le reflet de cette majorité. Une large majorité de personnes, y compris les électeurs d’Avigdor Liberman et de Bennett, comprennent la nécessité de maintenir une démocratie israélienne et croient encore au concept d’un État démocratique juif.
Et comment gérez-vous les Haredim ?
Ce gouvernement est le pire que les Haredim aient connu depuis des années en termes de résultats. Leurs politiciens sont des hommes très pragmatiques. Ils comprennent mieux que quiconque qu’ils ont besoin d’un pays fonctionnel, et que le problème qu’ils rencontrent avec ce gouvernement est qu’il est totalement dysfonctionnel.
Je pense qu’il nous sera possible de discuter avec eux, mais ils devront comprendre qu’il existe un principe de base qui est devenu plus fondamental qu’il ne l’était auparavant, à savoir : tout le monde a les mêmes devoirs et les mêmes droits.
Avez-vous des regrets concernant la période où vous étiez Premier ministre ? Que ferez-vous différemment la prochaine fois ?
Oui. J’aurai une plus grande coalition. (Rires)
Je ne considère pas ce que je fais comme un jeu à somme nulle. Tout le monde commet des erreurs. Nous essayons de faire en sorte que celles-ci ne soient pas fatales. Je pense que la population savait que nous avions de bonnes intentions, que nous nous souciions non seulement de ceux qui avaient voté pour nous, mais aussi de ceux qui n’avaient pas voté pour nous. Et notre gouvernement était très efficace. Je vais vous donner un exemple : lorsque nous avons quitté nos fonctions, nous avions un excédent de plus de 10 milliards de shekels, ce qui n’était plus arrivé depuis des dizaines d’années.
Si Netanyahu parvient à conclure un accord de cessez-le-feu ou de libération des otages, comment Gaza devrait-elle être gérée après la guerre, et comment Israël pourra-t-il empêcher une résurgence du Hamas ?
Il est clair que la solution réside dans la formation d’une coalition régionale. Cette coalition devrait inclure les mêmes pays nécessaires dans la lutte contre l’Iran, à savoir l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, le Maroc, ainsi que l’Égypte et la Jordanie.
Ces pays devront collaborer avec une version déradicalisée et contrôlée de l’Autorité palestinienne (AP). Au départ, cette branche sera isolée des pratiques de corruption et des incitations à la violence de l’Autorité palestinienne actuelle, comme par un « mur de Chine ». La participation de l’AP sera surtout symbolique, pour sauver les apparences. Les rôles clés seront tenus par les Saoudiens.
Je vais vous donner un exemple. Si vous voulez instaurer des programmes de lutte contre les incitations à la violence, les Émirats disposent des meilleurs programmes au monde dans ce domaine, et ils sont tout à fait disposés à les partager et à y participer. Il faudra que ces pays déploient des troupes sur le terrain, et certains d’entre eux sont prêts à le faire.
Voilà l’essentiel. Israël restera dans le périmètre avec la capacité de pénétrer et d’entrer, comme c’est le cas dans les zones A et B en Cisjordanie.
Pensez-vous que Netanyahu va vraiment signer un accord ?
Je prie pour qu’il le fasse. Oui, je prie pour qu’il le fasse car contrairement à lui, je rencontre tous les jours des familles d’otages. Contrairement à lui, j’ai assisté [jeudi] aux funérailles de Roee [Munder], de Nadav [Popplewell] et d’autres otages du kibboutz Nir Oz.
Contrairement à lui, j’ai une idée très précise de l’effet dévastateur sur la société israélienne de la question des otages. Nous ne retrouverons pas notre force intérieure en tant que nation tant qu’il n’y aura pas d’accord [qui permettra de ramener les captifs].
Depuis le début de la guerre, chaque fois qu’il a dû choisir entre la politique et le bien public, il a choisi la politique. Mais je continue à prier pour que cela change.
« Nous ne retrouverons pas notre force intérieure en tant que nation tant qu’il n’y aura pas d’accord [qui permettra de ramener les otages] »
Vous avez mentionné le rôle limité de l’AP à Gaza. Pensez-vous qu’un État palestinien soit encore un objectif politique viable ? Et, dans l’affirmative, dans quelle mesure cette perspective a-t-elle été retardée par le 7 octobre ?
Pas mal. Pour l’instant, le mieux que nous puissions faire est de maintenir cette option dans un avenir lointain. Le fait que l’AP, par exemple, n’ait pas eu le courage de condamner les meurtres de masse, les viols, les enfants brûlés vifs, les otages, a de quoi désespérer, même pour ceux ceux d’entre nous qui s’entêtent à maintenir en vie cette idée très juive qu’un jour il y aurait la paix.
Je dirais que lors des prochaines élections et probablement lors de celles qui suivront, la question ne sera pas abordée. Mais il faudra toutefois veiller à ce que si dans un avenir plus ou moins lointain, les conditions changent, que les Palestiniens prennent enfin la responsabilité de leur propre vie, il soit encore possible de se séparer d’eux. Parce que c’est la juste voie à suivre en tant que Juifs et en tant que démocrates.
Êtes-vous choqué par la montée en flèche de l’antisémitisme dans le monde ?
Mon père m’aurait dit qu’il a toujours existé. La question est de savoir ce que l’on peut faire pour y remédier. Ou, dans le cas présent, qu’aurions-nous pu faire ? Le 8 octobre, le monde était très favorable à Israël. Puis le gouvernement a fait tout ce qu’il ne fallait pas faire : le conflit ouvert très inutile avec l’administration américaine. Le fait que personne ne soit réellement chargé de gérer notre image à l’étranger. Il n’y a pas eu de stratégie. Je n’ai connaissance d’aucune réunion au sein du gouvernement portant sur la question du rôle tenu par TikTok….
Cependant, et aussi exécrables que soient la diplomatie publique du gouvernement et certaines de ses politiques, tout n’est pas de la faute du gouvernement. Il existe une source de malveillance incroyablement bien orchestrée.
Le problème que je rencontre, c’est que nous avons perdu des batailles contre des foules face auxquelles nous n’aurions pas dû perdre. Et si nous pouvions remporter la bataille contre ces foules, elles se battraient pour nous.
Le pire est-il passé ? Ou pensez-vous, surtout en ce qui concerne l’Iran, que nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge ?
Il est intéressant de noter qu’il y a de fortes chances que nous nous en sortions beaucoup mieux, et ce pour deux raisons. D’abord, parce que le vrai problème était celui d’une prise de conscience. Nous ne nous sommes pas rendus compte que quelque chose d’horrible était toujours là, terré. Ou disons plutôt qu’il y avait un gros nuage, une ombre qui s’approchait de nous, et nous avons décidé de regarder ailleurs. Aujourd’hui, personne ne regarde ailleurs.
En êtes-vous sûr, même en ce qui concerne l’Iran et le Hezbollah ?
En réalité, j’ai parfois peur que nous réagissions de manière excessive en perdant confiance dans les renseignements qui nous sont fournis. Nous avons perdu foi dans notre capacité à analyser la situation. Pourtant, je vous assure que nous sommes capables de comprendre ce qui se passe.
Il est essentiel de réorganiser cette coalition régionale, car nous ne pouvons pas nous permettre qu’un Iran nucléaire redessine le Moyen-Orient en une sorte d’hégémonie. Nous ne pouvons pas laisser cela se produire et, par conséquent, nous n’aurons d’autre choix que de nous tourner vers l’organisation d’une coalition régionale.
Cela créera également des opportunités incroyables pour notre économie, pour notre capacité à intégrer le Moyen-Orient de manière plus intelligente que ce que nous faisons actuellement, et peut-être, à très long terme, pour vivre en paix avec nos voisins.
Il y a une réserve : cela ne se fera pas avec ce gouvernement. Ils ne sont pas capables de le faire. Mais cela arrivera.
Bien que vous soyez un centriste fier de l’être et un critique du Likud, vous conservez dans votre bureau un portrait de son fondateur, Menachem Begin, à côté de celui de David Ben Gurion. Quel message essayez-vous de transmettre ?
Il est là pour soulever cette question. (Rires).
La réponse est, bien sûr, que Ben Gurion, aujourd’hui, ne gagnerait jamais les primaires pour la direction du parti Avoda actuel parce qu’il était trop à droite pour eux. Il croyait en l’usage de la force. Il était biblique à bien des égards. Il a dit un jour que la Bible était notre mandat pour ce pays.
Et bien sûr, Menachem Begin ne gagnerait jamais les primaires au Likud de nos jours parce qu’il était trop à gauche – parce qu’il croyait en la Cour suprême et en l’État de droit – et parce qu’il n’était pas corrompu.
J’ai donc invité ces deux messieurs à trouver refuge ici.
Et vous voyez cet espace entre les deux photos ? C’est là que je me situe. Je suis le petit espace entre les deux photos.