Mercredi dernier, les dirigeants de la Norvège, de l’Irlande et de l’Espagne ont annoncé que leurs pays reconnaîtraient un État palestinien dans les jours à venir. Une annonce actée mardi dernier.
Les dirigeants israéliens ont réagi avec fureur, qualifiant cette décision de récompense pour le terrorisme, dans le sillage de l’assaut barbare et sadique du groupe terroriste palestinien du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre. Le ministre des Affaires étrangères, Israel Katz, a convoqué les émissaires des trois pays en Israël pour les « réprimander sévèrement » et leur a montré des images de l’enlèvement de cinq soldates israéliennes.
La reconnaissance unilatérale d’un État palestinien par d’autres pays est rejetée non seulement par le gouvernement actuel, mais aussi par les gouvernements israéliens précédents, toutes tendances politiques confondues, qui estiment qu’un État palestinien ne devrait voir le jour qu’à l’issue de négociations directes entre les deux parties.
En revanche, un haut responsable du Hamas s’est félicité de cette décision, attribuant à la « courageuse résistance [nom que se donnent les groupes terroristes islamistes anti-Israël] » du peuple palestinien le mérite d’avoir suscité cette reconnaissance.
Quelques heures après l’annonce de la Norvège, le Times of Israel s’est entretenu par téléphone avec le ministre norvégien des Affaires étrangères Espen Barth Eide, un ancien ministre de la Défense qui soutient fermement la démarche d’Oslo.
Tout au long de la guerre – visant à anéantir le groupe terroriste palestinien et de mettre fin à son règne de seize ans – à Gaza, Eide a critiqué la conduite d’Israël. Tout en affirmant le droit d’Israël à l’autodéfense contre le Hamas, la Norvège a voté en faveur de la résolution des Nations unies du 27 octobre appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, ainsi qu’à la libération des otages détenus par le groupe terroriste palestinien, avant même le début de l’incursion terrestre d’Israël – en date du 27 octobre.
Le plus haut diplomate norvégien a déclaré au Times of Israel que la décision de son pays de reconnaître un État palestinien fait suite aux politiques et aux déclarations de l’actuel gouvernement de Benjamin Netanyahu, et qu’il estime que des mesures proactives doivent être prises pour parvenir à la solution des deux États.
Il estime que cette décision renforcera les modérés et mettra à l’écart le Hamas, groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah et le reste de l’axe soutenu par l’Iran.
Eide a également affirmé qu’Israël, encore marqué par le 7 octobre, pourrait avoir besoin d’aide pour réfléchir à la situation dans son ensemble, ce que la Norvège s’efforce de faire.
Cet entretien a été édité et condensé dans un souci de clarté et de concision.
Times of Israel : Les principes des Accords d’Oslo sont-ils caducs, étant donné qu’ils prévoyaient la création de deux États par le biais de négociations, et non de déclarations unilatérales ?
Espen Barth Eide : Non, je ne dirai pas qu’ils sont morts.
Mais je pense que nous devons nous adapter à la réalité, à savoir que le gouvernement actuel d’Israël a très clairement dit, en paroles et en actes, qu’à ce stade il n’était pas intéressé par un arrangement dans le cadre d’une négociation. Et les événements de ces dernières années – non seulement la guerre à Gaza, mais aussi les événements en Cisjordanie – ont rendu cette approche de plus en plus difficile.
Nous restons donc attachés au principe d’une solution à deux États sur la base des frontières de 1967, avec la possibilité d’échanger des terres, et à la nécessité de régler les questions laissées en attente.
Mais nous pensons qu’il faut mieux ancrer cette solution dans un cadre régional large et global, et c’est pourquoi nous nous intéressons de près à l’Initiative de paix arabe, qui comporte la promesse d’une voie irréversible vers la création d’un État palestinien, associée à la reconnaissance ou à la normalisation des relations avec d’autres États arabes, à des garanties sécuritaires pour Israël, au démantèlement du Hamas et au renforcement de l’Autorité palestinienne. Il s’agit donc d’un ensemble de mesures.
Et je pense que jusqu’à présent, le problème a été que rester les bras croisés – attendre le moment où les parties seraient selon leurs conditions, prêtes à négocier les questions en suspens – n’a tout simplement pas fonctionné au cours des 30 dernières années
Il s’agit donc d’une mise à jour. Ce n’est pas la fin de la « vision d’Oslo ». Et in fine, nous avons toujours besoin de négociations, mais nous avons besoin d’un signal fort qui renforce les factions modérées, y compris celles de l’Organisation de libération de la Palestine [OLP] et celles qui dirigent l’Autorité palestinienne, afin d’affaiblir l’attrait des groupes les plus extrémistes.
Comment cela peut-il inciter les Palestiniens à s’asseoir à la table des négociations ? Il semble que vous ayez supprimé toute incitation qu’Israël pourrait leur donner pour qu’ils viennent, ce qui rend tout accord plus difficile à conclure.
La véritable récompense est la création d’un État palestinien et la conclusion d’un accord de paix avec Israël. C’est encore quelque chose qu’Israël peut offrir et personne d’autre ne peut le faire.
Mais la communauté internationale, avec le vote des Nations unies le 10 mai et cette tendance croissante à la reconnaissance européenne. Comprenez que nous sommes trois aujourd’hui, mais nous pensons que d’autres viendront – c’est bien un signe que nous y croyons toujours, que nous ne croyons pas en une solution à un seul État, ni celle proposée par l’extrême-droite en Israël, ni celle proposée par le Hamas.
Nous voulons une solution à deux États dirigés par deux gouvernements capables de se reconnaître et de travailler l’un avec l’autre. L’embryon de cette solution est, bien sûr, l’Autorité palestinienne. Aujourd’hui encore, il existe une certaine coopération entre Israël et cette dernière, notamment en matière de sécurité. C’est cet État que nous voulons continuer à construire.
Nous sommes parfaitement conscients que le fait que d’autres pays le reconnaissent ne crée pas l’État en soi. Mais c’est un signal fort qui s’inscrit dans le cadre d’un plan de paix régional global.
Vous décrivez cela comme une réaction aux politiques du gouvernement Netanyahu. Mais le président [Isaac] Herzog a déclaré à Davos qu’aucun Israélien sain d’esprit n’envisageait un État palestinien à ce stade. [Le chef de l’opposition, Yaïr] Lapid, ne soutient pas un État palestinien à ce stade. [Le ministre du cabinet de guerre Benny] Gantz non plus. Je ne connais personne sur l’échiquier politique sioniste qui milite en faveur d’un État palestinien en ce moment. Il semble que vous alliez à l’encontre des souhaits de l’ensemble du peuple israélien, et non à l’encontre de son gouvernement.
Il y a eu une vision à l’époque de [Shimon] Peres et [Yitzhak] Rabin, bien sûr, qui a été défendue par plusieurs gouvernements israéliens successifs par la suite.
Je suis pleinement conscient de la situation actuelle et je dois dire que j’ai beaucoup d’empathie pour l’état psychologique qui règne en Israël suite aux horribles événements terroristes du 7 octobre. La chose la plus importante à présent est de libérer les otages, ce que, soit dit en passant nous soutenons pleinement.
Mais je pense aussi, comme l’ont dit [certains Israéliens], que quelqu’un doit peut-être les aider à réfléchir en ce moment dans la mesure où [ils] sont tellement pris par la situation.
Et je pense que nous sommes d’accord. Nous avons besoin du cessez-le-feu. Nous devons mettre un terme aux attaques du Hamas contre Israël. Nous devons mettre un terme aux bombardements sur Gaza. Nous devons en finir avec toute cette situation.
Nous sommes également d’accord, je pense, sur le fait que nous devons faire quelque chose pour remédier à la terrible situation humanitaire à Gaza après ça.
Mais ce qui nous a été rappelé, c’est qu’il n’y a pas d’alternative à une solution politique. Et il faut que quelqu’un y songe.
Ce que nous faisons maintenant avec d’autres pays européens et les pays arabes, c’est montrer qu’il existe une alternative à cet interminable cycle de violence, et que parce que ces perpétuelles violences finissent par renforcer les parties les plus extrémistes, on assiste à une radicalisation ou à un glissement vers la droite en Israël et à un recul de la foi, comme vous l’avez dit à juste titre. Mais on assiste aussi au renforcement du [groupe terroriste chiite libanais du] Hezbollah, du Hamas, des Houthis et d’autres proxys iraniens.
Et nous travaillons avec des gens qui veulent limiter l’influence de l’Iran dans la région, ce qui est exactement ce que veut le gouvernement Netanyahu.
Mais je pense qu’il vaut mieux le faire avec les Palestiniens, les Palestiniens modérés et les Arabes, que contre eux.
Vous affirmez que cela affaiblira le Hamas, mais le Hamas fait l’éloge de cette décision et la gauche israélienne s’y oppose. Comment cela peut-il l’affaiblir s’il semble si heureux de cette décision ?
Cette décision a également été très bien accueillie par l’Autorité palestinienne, par le Fatah et, je pense, par la quasi-totalité des Palestiniens. Et notre soutien va explicitement à ces factions modérées.
Et parce qu’il est populaire, je suppose que le Hamas essaie de s’approprier une partie de ce soutien. Mais cela [la reconnaissance du statut d’État] n’est absolument pas un soutien [pour le Hamas] parce qu’il n’y a rien dans ce texte qui soutienne ce que veut le Hamas, parce que le Hamas veut détruire Israël et qu’il veut au contraire la solution d’un État, comme le souhaite une partie de l’extrême-droite israélienne.
Nous essayons donc de réintroduire l’idée réelle d’une solution à deux États, qui requiert un Israël capable de vivre en paix, mais aussi un État palestinien. Cela a toujours été notre engagement. Et à ce stade, nous estimons que c’est la bonne chose à faire.
Pour l’heure, il s’agit donc bien d’une mesure anti-Hamas.
Le Hamas pourrait ne pas être d’accord. Votre politique en matière de reconnaissance de la Palestine est alignée sur la position de la Russie et de l’Iran. En revanche, elle ne correspond ni à celle des États-Unis, ni à celle du Canada, de la France ou de l’Allemagne, ni à celle d’Israël. Que pensez-vous du fait que votre politique étrangère sur cette question soit alignée sur certains de vos plus ardents ennemis ?
Je ne suis pas d’accord. Il est exact que les États-Unis, le Canada et l’Allemagne ne l’ont pas encore reconnu et ne le feront pas non plus dans les semaines à venir.
Mais il existe des accords sérieux et profonds entre tous les pays occidentaux, qui mentionnent que l’issue doit être une solution à deux États. [Le secrétaire d’État américain] Blinken, l’a encore répété il y a quelques jours à Jérusalem. La France est très impliquée. Le Royaume-Uni a commencé à dire qu’il pourrait également reconnaître l’État de Palestine, non pas en fin de parcours, mais dans le cadre du processus.
J’ai donc le sentiment que tous les gouvernements occidentaux – à l’exception d’Israël, je le reconnais – sont sur la voie d’une solution à deux États.
Mais nous avons des points de vue différents. Certains l’ont déjà reconnu, une dizaine de pays de l’UE l’ont déjà fait. D’autres s’apprêtent à le faire.
Mais ceci est tactique. La mission stratégique est une solution à deux États pour nous tous.
Vous savez, nous étions nombreux à penser que le processus d’Oslo était à bout de souffle, qu’il ne se passait plus grand-chose et qu’une solution à deux États ne verrait peut-être jamais le jour. En réalité, je pense que le G20, l’ONU, les cercles occidentaux, l’UE, etc… ont le sentiment que cette solution est plus nécessaire que jamais.
Soutenez-vous l’objectif d’Israël d’éliminer militairement le Hamas ? Parce que je ne vous ai pas entendu le dire quand vous avez exposé vos positions.
J’aimerais beaucoup voir le Hamas disparaître, c’est certain. En particulier en tant qu’organisation militaire [groupe terroriste]. Dès le départ, nous avons dit qu’Israël avait évidemment le droit de se défendre, mais il y a deux choses à préciser.
Premièrement, l’autodéfense doit s’inscrire dans le cadre du droit international et du droit international humanitaire, qui lie tous les pays et les autres acteurs armés. Beaucoup d’entre nous ont critiqué certains choix militaires, non pas la guerre elle-même, mais certains choix au cours de la guerre.
Deuxièmement, et je le dis aussi en tant qu’ancien ministre de la Défense, l’un des principes fondamentaux de la théorie militaire est la nécessité d’une solution politique. Le recours à l’armée doit toujours servir un objectif politique. Votre propre ministre de la Défense s’est interrogé sur la clarté de cette finalité politique. Nous en sommes donc préoccupés. Mais nous sommes en faveur de la défense contre le terrorisme, par tous les moyens.
Pensez-vous que la Cour pénale internationale a le mandat pour demander des mandats d’arrêt contre Netanyahu et [le ministre de la Défense Yoav] Gallant ?
Je considère la CPI comme un tribunal indépendant. Et tout comme nous traitons nos propres tribunaux, nous respectons les décisions de la CPI, mais nous n’avons pas d’opinion sur ce qu’elle fait.
Ce que nous avons dit, c’est que nous soutenons l’existence et le travail de la CPI. Nous sommes l’un des 124 signataires du statut de Rome, mais nous respectons l’indépendance de la Cour. Nous n’avons donc pas d’avis sur les décisions individuelles, mais nous les respecterons lorsqu’elles seront prises, comme nous l’avons toujours fait depuis que nous l’avons créée.
Il est intéressant de noter que tous les membres de l’UE, tous les membres de l’OTAN, à l’exception des États-Unis et de la Turquie, tous les autres alliés des États-Unis en Asie et en Océanie, etc… sont tous membres de la CPI. La norme occidentale est donc de soutenir pleinement la CPI, et nous appartenons à cette norme occidentale. Malheureusement, Israël et les États-Unis se trouvent du côté de l’Iran, de la Syrie, de la Chine et de la Russie, qui n’ont pas signé la CPI.
Mais d’autres États membres de l’UE se sont prononcés contre cette comparaison, ce parallèle entre Netanyahu et [le chef du Hamas, Yahya] Sinwar.
En effet, ce sont deux choses différentes. Je ne pense pas que l’on puisse comparer Netanyahu aux dirigeants du Hamas ; je suis d’accord pour dire que ce n’est pas comparable. Mais je ne suis pas d’accord pour dire qu’ils ont été comparés, parce que [le procureur de la CPI] monte des dossiers individuels contre les cinq individus, et ils ne sont pas, ils ne sont pas considérés comme identiques si vous relisez les déclarations de la CPI.
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