Israël en guerre - Jour 406

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Déclaration du procureur de la CPI, réclamant des mandats d’arrêt contre Netanyahu, Gallant et 3 terroristes du Hamas

Le procureur général de la Cour pénale internationale, Karim Khan, lors d'une interview avec l'AFP, à la Cour d'honneur du Palais Royal, à Paris le 7 février 2024. (Crédit : Dimitar Dilkoff/AFP)
Le procureur général de la Cour pénale internationale, Karim Khan, lors d'une interview avec l'AFP, à la Cour d'honneur du Palais Royal, à Paris le 7 février 2024. (Crédit : Dimitar Dilkoff/AFP)

Ce qui suit est le texte complet, sans révision, de la déclaration faite par le procureur de la Cour pénale internationale dans son dépôt de requêtes aux fins de délivrance de mandats d’arrêt contre des dirigeants israéliens et les chefs du groupe du Hamas, une déclaration publiée le 20 mai 2024 :

Aujourd’hui, je vais déposer des requêtes auprès de la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale aux fins de délivrance de mandats d’arrêt concernant la situation dans l’État de Palestine.

Yahya Sinwar, Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri (Deif), Ismail Haniyeh

Compte tenu des éléments de preuve recueillis et examinés par mon Bureau, j’ai de bonnes raisons de penser que la responsabilité pénale de Yahya SINWAR (chef du Mouvement de résistance islamique [« Hamas] dans la bande de Gaza), Mohammed Diab Ibrahim AL-MASRI, plus connu sous le nom DEIF (commandant en chef de la branche armée du Hamas, communément appelée « les brigades Al-Qassam ») et Ismail HANIYEH (chef de la branche politique du Hamas) est engagée pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ci-après commis sur le territoire d’Israël et dans l’État de Palestine (dans la bande de Gaza) depuis le 7 octobre 2023 au moins :

L’extermination en tant que crime contre l’humanité, en violation de l’article 7‑1‑b du Statut ;

Le meurtre en tant que crime contre l’humanité, en violation de l’article 7‑1‑a et en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑c‑i ;

La prise d’otages en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑c‑iii ;

Le viol et autres formes de violence sexuelle en tant que crime contre l’humanité, en violation de l’article 7‑1‑g et également en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑e‑vi dans le contexte de la captivité ;

La torture en tant que crime contre l’humanité, visé à l’article 7‑1‑f et en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑c‑i, dans le contexte de la captivité ;

D’autres actes inhumains en tant que crime contre l’humanité, en violation de l’article 7‑l‑k, dans le contexte de la captivité ;

Les traitements cruels en tant que crime de guerre en violation de l’article 8‑2‑c‑i, dans le contexte de la captivité ;

Et atteintes à la dignité de la personne en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑c‑ii, dans le contexte de la captivité.

Yahya Sinwar, à droite, le nouveau leader du Hamas dans la bande de Gaza et Ismail Haniyeh, un haut-responsable, lors des funérailles de Mazen Faqha, à Gaza City, le 25 mars 2017. (Crédit : AFP Photo/Mahmud Hams)

Mon Bureau fait valoir que les crimes de guerre visés dans ces requêtes ont été commis dans le contexte d’un conflit armé international opposant Israël à la Palestine et d’un conflit armé non international opposant Israël au Hamas qui se déroulait simultanément. Nous affirmons que les crimes contre l’humanité visés dans les requêtes s’inscrivaient dans le prolongement d’une attaque généralisée et systématique menée par le Hamas ainsi que d’autres groupes armés dans la poursuite de la politique d’une organisation. D’après nos constatations, certains de ces crimes continuent d’être commis.

Mon Bureau fait observer qu’il y a des motifs raisonnables de penser que la responsabilité pénale de SINWAR, DEIF et HANIYEH est engagée pour le meurtre de centaines de civils israéliens lors d’attaques perpétrées le 7 octobre 2023 par le Hamas (sa branche armée en particulier, communément désignée sous le nom de « brigades al-Qassam ») ainsi que d’autres groupes armés et pour l’enlèvement d’au moins 245 otages. Dans le cadre de son enquête, mon Bureau a recueilli les déclarations de victimes ayant survécu aux attaques, y compris d’anciens otages, et de témoins directs des attaques lancées sur six principaux lieux : Kfar Aza, Holit, le lieu du festival de musique Supernova, Be’eri, Nir Oz et Nahal Oz. L’enquête repose également sur des éléments de preuve tels que des images de vidéo surveillance, des documents authentifiés sous la forme d’enregistrements sonores, de photos et de vidéos, des déclarations faites par des membres du Hamas, dont les auteurs présumés des crimes susmentionnés et des témoignages d’expert.

L’Israélienne Noa Argamani kidnappée par un terroriste du Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023. (Capture d’écran : used in accordance with clause 27a of the copyright law)

Mon Bureau estime que ces personnes ont planifié et commandité la commission des crimes perpétrés le 7 octobre 2023, et reconnu leur responsabilité à cet égard comme en atteste la visite qu’ils ont personnellement effectuée auprès des otages peu de temps après leur enlèvement. Nous affirmons que ces crimes n’auraient pu être commis sans leur intervention. Les intéressés sont accusés en tant que coauteurs et en qualité de supérieurs hiérarchiques en vertu des articles 25 et 28 du Statut de Rome.

Lorsque je me suis rendu au kibboutz Be’eri et au kibboutz Kfar Aza, ainsi que sur les lieux du festival de musique Supernova à Re’im, j’ai pu constater la dévastation causée par ces attaques et les répercussions profondes des crimes inconcevables visés dans les requêtes déposées aujourd’hui. Des victimes m’ont raconté comment l’amour qui règne au sein d’une famille, les liens si profonds qui unissent des parents à leurs enfants, ont été détournés afin d’infliger intentionnellement des souffrances innommables par des actes cruels et inhumains qui ne sauraient rester impunis.

Des maisons résidentielles, gravement endommagées lors de l’assaut du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre, bordent une rue dans le quartier des Oliviers du kibboutz Beeri, le 1er janvier 2024. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

Mon Bureau affirme également qu’il existe des motifs raisonnables de penser que les otages enlevés en Israël ont été détenus dans des conditions inhumaines et que certains d’entre eux ont fait l’objet de violences sexuelles, dont le viol, au cours de leur captivité. Ces allégations reposent sur des dossiers médicaux, des preuves documentaires et des vidéos de l’époque des faits et des entretiens menés auprès de victimes ayant survécu aux attaques. Mon Bureau continue également d’enquêter sur les allégations de violence sexuelle commises le 7 octobre.

Je tiens à remercier les victimes ayant survécu aux attaques du 7 octobre ainsi que leurs familles pour le courage qu’elles ont affiché en acceptant de faire le récit de leur expérience aux membres de mon Bureau.

Nous nous efforçons d’approfondir notre enquête concernant tous les crimes commis lors de ces attaques et continueront de travailler avec l’ensemble de nos partenaires afin que justice puisse être rendue.

Je réitère mon appel en faveur de la libération immédiate de tous les otages enlevés en Israël et de leur retour, sains et saufs, auprès de leurs familles. C’est une exigence fondamentale du droit international humanitaire qui doit être respectée.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant lors d’un événement pour les soldats exceptionnels dans le cadre des célébrations du 75e anniversaire de la Journée de l’indépendance, à Jérusalem, le 26 avril 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Benjamin Netaniahu, Yoav Gallant

Compte tenu des preuves recueillies et examinées par mon Bureau, j’ai de bonnes raisons de penser que la responsabilité pénale de Benjamin NETANYAHU, le Premier Ministre d’Israël, et de Yoav GALLANT, Ministre de la défense d’Israël, est engagée pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ci-après commis sur le territoire de l’État de Palestine (dans la bande de Gaza) à compter du 8 octobre 2023 au moins :

Le fait d’affamer délibérément des civils comme méthode de guerre en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑b‑xxv du Statut ;

Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé, en violation de l’article 8‑2‑a‑iii ou les traitements cruels en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑c‑i ;

L’homicide intentionnel, en violation de l’article 8‑2‑a‑i ou le meurtre en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑c‑i ;

Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que crime de guerre en violation des articles 8‑2‑b‑i ou 8‑2‑e‑i ;

L’extermination et/ou le meurtre en tant que crime contre l’humanité, en violation des articles 7‑1‑b et 7‑1‑a, y compris en lien avec le fait d’affamer des civils ayant entraîné la mort, en tant que crime contre l’humanité ;

La persécution en tant que crime contre l’humanité, en violation de l’article 7‑1‑h ;

D’autres actes inhumains en tant que crime contre l’humanité, en violation de l’article 7‑l‑k.

Des soldats de l’armée israélienne en opération dans la bande de Gaza, sur une photo non datée publiée le 4 mai 2024 (Crédit : Armée israélienne)

Mon Bureau fait valoir que les crimes de guerre visés dans ces requêtes ont été commis dans le contexte d’un conflit armé international opposant Israël et la Palestine et d’un conflit armé non international opposant Israël au Hamas (et à d’autres groupes armés palestiniens) qui se déroulait simultanément. Nous affirmons que les crimes contre l’humanité visés dans les requêtes s’inscrivaient dans le prolongement d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre la population civile palestinienne dans la poursuite de la politique d’une organisation. D’après nos constatations, certains de ces crimes continuent d’être commis.

Mon Bureau soutient que les preuves que nous avons recueillies, y compris des entretiens menés auprès de victimes et de témoins directs des faits, des documents audio et vidéo authentifiés, des images satellite et des déclarations faites par des membres du groupe qui aurait commis ces crimes, démontrent qu’Israël a délibérément, systématiquement et continuellement privé la population civile de l’ensemble du territoire de Gaza de moyens de subsistance indispensables à sa survie.

Des ouvriers débarquent des camions à Beit Hanun, dans le nord de Gaza, pendant une opération d’aide humanitaire délivrée par la Jordanie par le biais du poste-frontière d’Erez, le 1er mai 2024. (Crédit : JACK GUEZ / AFP)

Cela s’est traduit par l’imposition d’un siège complet à Gaza en interdisant totalement l’accès aux trois points de passage de la frontière de Rafah, Kerem Shalom et Erez à partir du 8 octobre 2023 pour des périodes prolongées puis en limitant arbitrairement l’acheminement de fournitures essentielles – telles que la nourriture et les médicaments – par les points de passage après la réouverture de ces derniers. La fermeture des canalisations d’eau reliant Israël à Gaza — la principale source d’approvisionnement en eau potable de la population gazaouie — pendant une période prolongée à partir du 9 octobre 2023 et les coupures de l’approvisionnement en électricité et les entraves à cet approvisionnement à partir du 8 octobre 2023 au moins jusqu’à aujourd’hui s’inscrivent dans le prolongement du siège. Les faits se sont produits parallèlement à des attaques visant des personnes dans les files d’attente pour obtenir de la nourriture, l’obstruction de la distribution d’aide par les organismes humanitaires et des attaques visant le personnel humanitaire, faisant des morts parmi eux et contraignant bon nombre d’organismes humanitaires à cesser leurs activités à Gaza ou à en restreindre le périmètre.

Des personnes portant des drapeaux israéliens devant des camions transportant de l’aide humanitaire, tentant de les empêcher d’entrer dans la bande de Gaza à partir du poste-frontière de Kerem Shalom, le 9 mai 2024. (Crédit : Leo Correa/AP)

Mon Bureau affirme que ces actes se sont inscrits dans le prolongement d’un plan commun visant à affamer délibérément des civils comme méthode de guerre et à recourir à d’autres actes de violence à l’encontre de la population civile gazaouie afin de servir les objectifs suivants : i) éliminer le Hamas; ii) accroître la pression sur le Hamas pour obtenir le retour des personnes retenues en otages et iii) punir collectivement la population civile de Gaza perçue comme une menace pour Israël.

Les répercussions du recours à la famine comme méthode de guerre, conjuguées à d’autres attaques et à la punition collective infligée à la population civile de Gaza sont aiguës, visibles et de notoriété publique. Elles ont en outre été confirmées par plusieurs témoins interrogés par mon Bureau, y compris des médecins gazaouis et des médecins étrangers. Cette méthode de guerre a entraîné des problèmes de malnutrition, de déshydratation, des souffrances atroces et une augmentation croissante du nombre de morts parmi la population palestinienne, dont des nouveau‑nés, des enfants et des femmes.

De nombreuses zones de Gaza sont déjà en proie à la famine, qui menace de se propager à d’autres parties du territoire.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, parlant de ses priorités pour 2024 lors d’une conférence de presse au siège de l’ONU, à New York, le 8 février 2024. (Crédit : Angela Weiss/AFP)

Comme l’a déclaré le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, « 1,1 million de personnes sont confrontées à des niveaux catastrophiques de faim à Gaza – c’est la crise alimentaire la plus vaste et la plus grave au monde ». « C’est un désastre entièrement causé par l’homme ». Aujourd’hui, mon Bureau s’emploie à mettre en accusation deux des personnes portant la plus lourde responsabilité dans cette situation, M.M. NETANYAHU et GALLANT, en tant que coauteurs et supérieurs hiérarchiques, en vertu des articles 25 et 28 du Statut de Rome.

Israël, à l’instar de tous les États, a certes le droit de prendre des mesures afin de défendre sa population mais ne saurait se soustraire pour autant aux obligations faites à tout état de respecter le droit international humanitaire. Quels que soient les objectifs militaires des autorités israéliennes, les moyens employés par Israël pour les atteindre à Gaza, à savoir des actes causant intentionnellement la mort, une famine, de grandes souffrances et des atteintes graves à l’intégrité physique de la population civile sont criminels.

Des gens marchent au milieu des décombres de bâtiments détruits lors du bombardement israélien de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 16 avril 2024. (Crédit : AFP)

Depuis l’année dernière, j’ai souligné à plusieurs reprises à Ramallah, au Caire, en Israël et à Rafah qu’en vertu du droit international humanitaire, Israël était tenu d’agir de toute urgence afin de permettre l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza. J’ai notamment rappelé que le recours à la famine comme méthode de guerre et les entraves à l’aide humanitaire constituaient des violations des dispositions du Statut de Rome. J’ai été très clair sur ce point.

J’ai également attiré régulièrement l’attention de ceux qui faisaient fi du droit dans des déclarations publiques en leur demandant de bien réfléchir avant d’agir sous peine de voir mon Bureau prendre les mesures qui s’imposent. Nous y voilà.

En présentant ces requêtes aux fins de la délivrance de mandats d’arrêt, mon Bureau s’acquitte du mandat qui lui a été confié en vertu du Statut de Rome. Le 5 février 2021, la Chambre préliminaire I a estimé que la Cour pouvait exercer sa compétence pénale à l’égard de la situation dans l’État de Palestine et a conclu que sa compétence territoriale s’étendait à Gaza et à la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. Ce mandat reste valide et s’étend à la recrudescence des hostilités et de la violence depuis le 7 octobre 2023. Mon Bureau peut également exercer sa compétence à l’égard des crimes commis par des ressortissants d’États parties ou d’États non parties sur le territoire d’un État partie.

Les requêtes présentées aujourd’hui sont l’aboutissement d’une enquête menée par mon Bureau en toute indépendance et en toute impartialité. Compte tenu de notre obligation d’enquêter tant à charge qu’à décharge, nous avons travaillé méticuleusement pour faire la part des choses entre les allégations et les faits et pour présenter nos conclusions de manière équilibrée en nous fondant sur les éléments de preuve soumis à la Chambre préliminaire.

En guise de précaution supplémentaire, j’ai également décidé de recueillir des avis d’experts; c’est à ce titre que j’ai réuni un groupe impartial d’experts en droit international que je remercie d’avoir accepté de participer à l’examen des preuves et à l’analyse juridique en lien avec ces requêtes aux fins de la délivrance de mandats d’arrêt. Ce groupe, composé d’éminents spécialistes en droit international humanitaire et en droit pénal international, réunit M. le juge Sir Adrian Fulford P.C., ancien juge de la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles, ancien juge de la Cour pénale internationale, Mme la baronne Helena Kennedy K.C., Présidente de l’Institut des droits de l’homme de l’Association internationale du barreau, Mme Elizabeth Wilmshurst C.M.G K.C., ancienne conseillère juridique adjointe auprès du Ministère des affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni, Danny Friedman K.C. ainsi que deux de mes conseillers spéciaux – Mme Amal Clooney et M. le juge Theodor Méron C.M.G. Je me félicite d’avoir pu compter sur cette analyse menée par des experts indépendants qui a permis d’étayer les requêtes déposées aujourd’hui par mon Bureau. Je suis également reconnaissant à plusieurs de mes conseillers spéciaux, en particulier M.M. Adama Dieng et Kevin Jon Heller, pour leurs contributions dans le cadre de cet examen.

Aujourd’hui, nous réaffirmons qu’aucun État ne peut se soustraire aux normes prévues par le droit international et le droit des conflits armés. Aucun soldat, aucun commandant, aucun dirigeant civil, nul ne peut agir en toute impunité. Rien ne peut justifier de priver délibérément des êtres humains, dont tant de femmes et d’enfants, de biens indispensables à leur survie. Rien ne peut justifier des prises d’otages ni de prendre délibérément pour cibles des civils.

La Cour pénale internationale, de La Haye. (Crédit : oliver de la haye/iStock)

Les juges indépendants de la Cour pénale internationale sont les seuls à pouvoir déterminer si les conditions sont réunies pour délivrer des mandats d’arrêt. S’ils font droit à mes requêtes et délivrent les mandats d’arrêt, je travaillerais en étroite collaboration avec le Greffier pour appréhender les individus concernés. Je demande à tous les États, notamment les États parties au Statut de Rome, de considérer ces requêtes ainsi que la décision judiciaire ultérieure qui s’ensuivra avec autant de sérieux qu’ils l’ont fait à l’égard des autres situations, conformément aux obligations qui leur sont faites dans le Statut. Je suis également prêt à travailler avec des États non parties afin d’atteindre notre objectif commun visant à établir les responsabilités des auteurs de crimes internationaux.

Il est crucial, à l’heure qu’il est, que mon Bureau et tous les organes de la Cour y compris ses juges indépendants, puissent accomplir leur travail en toute indépendance et en toute impartialité. Je demande instamment que cessent immédiatement les tentatives d’obstruction, d’intimidation ou d’influence indue des fonctionnaires de la Cour. Mon Bureau n’hésitera pas à prendre les mesures qui s’imposent en vertu de l’article 70 du Statut de Rome si de tels comportements persistent.

Je reste profondément préoccupé par les allégations de crimes internationaux qui continueraient d’être commis en Israël, à Gaza et en Cisjordanie, et qui commencent à être corroborées. Notre enquête se poursuit et mon Bureau enregistre des progrès dans plusieurs axes d’enquête supplémentaires étroitement liés concernant notamment des signalements de violences sexuelles commises le 7 octobre et les bombardements à grande échelle qui ont fait tant de morts et de blessés parmi la population civile et causé tant de souffrances à Gaza, et qui se poursuivent. J’invite toute personne possédant des informations utiles à prendre contact avec mon Bureau et à soumettre ces informations via la plateforme OTP Link.

Mon Bureau n’hésitera pas à déposer d’autres requêtes aux fins de délivrance de mandats d’arrêt si, et le cas échéant, nous considérons avoir « des chances réelles d’obtenir une condamnation ». J’exhorte à nouveau toutes les parties au conflit à se conformer au droit.

Je tiens également à préciser que le principe de complémentarité, qui est au cœur du Statut de Rome, fera l’objet d’un examen continu par mon Bureau lorsque nous enquêterons sur les crimes présumés et leurs auteurs présumés précédemment cités et que nous progresserons dans d’autres axes d’enquête. Il faut cependant garder à l’esprit qu’en vertu du principe de complémentarité, le soin de l’enquête peut seulement être déféré aux autorités nationales lorsque celles-ci entament des procédures judiciaires indépendantes et impartiales qui n’ont pas pour but de soustraire les suspects présumés à leurs responsabilités pénales et qui ne soient pas des simulacres de procédures judiciaires. Cela exige de contrôler toutes les instances prenant part à l’examen des politiques et des actes visés dans les requêtes.

Le procureur de la Cour pénale internationale Karim Khan se prépare pour le procès de Mahamat Said Abdel Kani à la Haye, aux Pays-Bas, le 26 septembre 2022. (Crédit : AP Photo/Peter Dejong, Pool)

Il est important aujourd’hui de dire les choses clairement : si nos actes ne traduisent pas notre volonté d’appliquer le droit de manière impartiale, si notre application du droit est perçue comme étant sélective, nous aurons contribué à son effondrement. Ce faisant, nous contribuerons au délitement des liens ténus qui nous unissent encore et des relations entre toutes les communautés et les personnes qui sont des vecteurs d’équilibre et constituent un filet de sécurité auquel toutes les victimes se raccrochent lorsqu’elles traversent des périodes difficiles. Tel est le risque bien réel qui se dessine en ce moment charnière.

Aujourd’hui plus que jamais, nous devons démontrer collectivement que le droit international humanitaire, qui dicte les normes à respecter en temps de guerre, s’applique de façon impartiale à toutes les parties à un conflit armé dans l’ensemble des situations portées devant mon Bureau et la Cour. C’est ainsi que nous pourrons démontrer concrètement que toutes les vies humaines se valent.

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