Quand Debbie Gross avait appris, l’année dernière, que l’auteur haredi très populaire Chaim Walder avait été ouvertement accusé d’abus sexuels à l’encontre de multiples femmes et jeunes filles, elle n’avait pas été réellement surprise.
Cela faisait deux décennies déjà à ce moment-là que Gross, fondatrice et directrice du Centre de crise Tahel pour les femmes et les enfants religieux, recueillait les confessions des victimes du thérapeute, une éminente personnalité publique de la communauté.
« Nous avions commencé à recevoir des appels au sujet de Chaim Walder il y a déjà 25 ans », a confié Gross au Times of Israel lors d’un entretien téléphonique récent. « Mais ces appels étaient anonymes. Nous ne pouvions rien faire. Je ne peux pas pour ma part aller avertir la police si je n’ai pas à mes côtés une victime désireuse de raconter ce qui lui est arrivé ».
Au mois de novembre, un article paru dans le quotidien Haaretz avait entraîné une onde de choc. Il avait affirmé que Walder – une personnalité célèbre et considérée comme digne de confiance dans le monde ultra-orthodoxe – s’était rendu coupable d’abus sexuels et de viol sur de multiples femmes venues le voir pour faire une thérapie, et qu’il avait notamment agressé plusieurs mineures. Après la publication de l’article, plus d’une dizaine de nouvelles victimes s’étaient manifestées, racontant leurs propres récits de violences entre les mains de l’homme – des récits qui couraient sur plusieurs décennies.
Au cours d’un entretien diffusé par la Treizième chaîne et qui avait été diffusé au mois de mars, Romi Schwartz avait évoqué pour la première fois en public les agressions et les viols commis à son encontre par Walder, un parent éloigné. Les abus, avait-elle dit, avaient commencé quand elle avait dix-sept ans. Elle était allée porter plainte en 2008, mais le dossier avait été clos une année plus tard. La famille de Walder était parvenue à la convaincre ultérieurement de signer un accord de non-divulgation, lui versant la somme de 500 000 shekels contre son silence.
Walder avait nié toutes les accusations proférées à son encontre, malgré une condamnation, fin décembre, de la part du tribunal rabbinique de Safed dirigé par le grand-rabbin de la ville, Shmuel Eliyahu, qui avait écouté les témoignages de 22 victimes. Des éléments de preuve avaient été aussi présentés et les juges avaient établi sa culpabilité. Le 27 décembre, soit six semaines après la publication de l’article de Haaretz – et vingt-quatre heures après la médiatisation des conclusions d’Eliyahu – Walder s’est suicidé sur la tombe de son fils, à l’âge de 56 ans.
La révélation de ce suicide, sous forme de coup de théâtre, a fait l’effet d’une bombe dans le monde ultra-orthodoxe. La communauté a eu beaucoup de mal à comprendre et à assimiler la chute de l’un de ses auteurs les plus connus et les plus respectés, qui était de surcroît l’un de ses défenseurs les plus déterminés.
Walder était largement connu comme un défenseur des droits de l’enfant et comme un auteur dont l’une des séries d’ouvrages les plus populaires, Les enfants parlent d’eux-mêmes, était consacrée à l’écoute et à la compréhension des enfants et de leurs besoins. Ses dizaines de livres – il avait commencé à se faire publier au début des années 1990 – ont été traduits en différentes langues, notamment en français, et ils sont rapidement devenus des best-sellers dans les communautés juives ultra-orthodoxes du monde entier.
Sa popularité lui avait permis de devenir chroniqueur régulier dans un journal et intervenant dans une émission radiophonique – il était alors toujours considéré comme un défenseur des enfants victimes d’abus sexuels. Il s’était par ailleurs distingué pour avoir été été une personnalité déterminante au Centre de Bnei Brak pour l’Enfance et la famille – et en 2004, il avait remporté le prix « Défenseur de l’enfance » des mains du Premier ministre de l’époque, Ariel Sharon, en récompense de son travail.
L’information portant sur sa culpabilité dans des affaires d’abus sexuels sur des femmes et des enfants aura porté un coup dur au monde haredi, entraînant ce que certains ont qualifié de prise de conscience sans précédent sur la manière dont la communauté prend en charge la question de ce type d’agression.
Mais près de six mois après que les faits ont éclaté au grand jour, la question se pose encore : les choses ont-elles réellement changé ? Les victimes ultra-orthodoxes de viol et d’agression sexuelle prennent-elles davantage l’initiative de confier ce qu’elles ont vécu, et la communauté est-elle dorénavant plus portée à les croire ?
« Je ne suis pas d’accord avec cette idée – cette idée qu’il y aurait eu une sorte de moment décisif qui serait survenu face aux abus sexuels commis sur les enfants dans la communauté orthodoxe », explique Shana Aaronson, directrice exécutive de l’association Magen for Jewish Communities, une ONG qui lutte contre les abus sexuels et dont le siège se trouve au sein de l’État juif. « Je pense vraiment que le processus ‘décisif’, ici, se trouve dans l’addition d’une série de moments différents ».
Au fil des années, note-t-elle, des progrès ont été réalisés – « avec des victimes qui racontent aujourd’hui publiquement ce qu’elles ont vécu, avec des gens qui choisissent la bonne chose à faire et qui croient les victimes, avec l’éviction des personnes coupables d’abus d’abus de fonctions où elles étaient en contact avec les enfants, toutes ces choses », ajoute-t-elle. « Je pense que ce qui est arrivé avec Walder reflète un grand nombre d’avancées, même minimalistes, auxquelles nous avons assisté ces dernières années, et qui ont permis d’aboutir à ce qui s’est passé ».
Le changement dans l’opinion publique
Esty Shushan, activiste ultra-orthodoxe et fondatrice et directrice-générale de l’organisation Nivcharot, qui fait la promotion de l’activisme des femmes ultra-orthodoxes, explique que dans le sillage immédiat de la mort de Walder, de nombreux membres de la communauté avaient refusé de croire les accusations lancées à son encontre, attribuant aux victimes la responsabilité de son suicide.
« Dans un premier temps, quand les accusations ont été rendues publiques, les réactions ont été un déni presque total… Les gens ne pouvaient pas croire que tout ça avait pu arriver », dit Shushan.
Elle ajoute que certains, au sein de la communauté, « ont alors dit aux victimes : ‘Vous êtes des meurtrières’. Et le point d’orgue s’est produit lors de ses funérailles à Bnei Brak… lorsque tous les rabbins, parmi les plus importants, ont prononcé son éloge funèbre comme si rien n’était arrivé. »
Un tournant dans cet état de fait, suggère Shushan, a été le suicide de l’une des victimes présumées de Walder, quelques jours après.
« Je pense que ça a soudainement amené les gens à penser que peut-être, après tout, il pouvait y avoir une part de vérité » dans les accusations, continue Shushan. « Et je trouve regrettable que quelqu’un ait dû mourir pour qu’il y ait enfin cette réaction. »
Et les semaines qui ont suivi la révélation explosive de ces accusations et la décision prise par Walder de mettre un terme à son existence ont été marquées par un changement apparent dans l’opinion publique. Mishpacha, un hebdomadaire haredi très influent et très lu, publié en hébreu et en anglais, a présenté, le 25 novembre, un éditorial sans précédent dans sa version en hébreu. Ce dernier appelait les parents à faire preuve de vigilance pour protéger leurs enfants et il lançait un appel à « défendre les victimes, à leur offrir une aide et l’opportunité d’apaiser leurs souffrances ». Il affirmait toutefois également que « la sphère publique » n’était pas l’endroit idéal « pour discuter de choses dont il reste préférable qu’elles restent secrètes ».
Un second éditorial, publié en date du 30 décembre, après le suicide de Walder, était intitulé « Nous ne pouvons plus ignorer ». Le magazine y notait que si l’instinct pouvait pousser un grand nombre à garder le silence, « le silence est un échappatoire ».
« S’il y a des époques où il nous est interdit de tourner la page et de continuer à mener notre vie quotidienne comme si rien ne s’était passé – alors nous nous trouvons très exactement à l’une de ces époques », disait l’éditorial. « Oui : Il y a des choses qui n’ont jamais été rendues publiques au sein de la communauté haredi, ou dans un journal haredi. D’un autre côté, jamais la communauté n’avait dû faire face à une période d’une telle complexité, d’une telle difficulté, à une période aussi discutée et aussi irrépressible ».
L’éditorial affirmait que le public haredi devait permettre aux victimes « de réaliser qu’elle peuvent et qu’elles doivent partager leur douloureuse histoire et que nous, en tant que communauté, nous ne devons pas blâmer les victimes, Dieu nous en préserve… Nos cœurs sont avec vous. Nous vous soutenons et nous croyons ce que vous dites de manière inconditionnelle. Et nous ferons tout, en tant que communauté, pour construire pour vous un monde plus protégé et plus pur ».
Dans son édition anglaise, le magazine n’avait pas abordé le problème avant le suicide de Walder. Puis il avait publié une lettre ouverte, début janvier, écrite par le rabbin Aaron Lopiansky et intitulée « Pour cela, nous pleurons » (en anglais), appelant à défendre les victimes d’abus et à œuvrer en faveur d’un changement systémique dans manière de prendre en charge les agressions sexuelles.
Eli Paley, propriétaire et éditeur de Mishpacha, est également le fondateur et le président du Haredi Institute for Public Affairs. Et c’est en prenant en compte ces deux casquettes, dit-il, qu’il a décidé de la façon dont il allait réagir aux révélations édifiantes sur les abus commis par Walder.
« Nous avons décidé que même si notre politique en tant que publication, à l’origine, prévoit qu’il ne s’agit pas d’un sujet que nous partageons habituellement avec les lecteurs… il fallait que nous donnions notre point de vue puisque le débat ouvert était public. Parce qu’il y avait déjà un débat », a expliqué Paley au Times of Israel lors d’une conversation qui a eu lieu dans son bureau de Jérusalem, au mois de mars.
Une décision qui, selon Paley, « a reflété un positionnement très courageux parce qu’à ce stade, la norme, dans la société haredi » était l’omerta.
Il ajoute qu’il a eu des discussions intensives avec des personnalités rabbiniques de premier plan, des juristes et d’autres activistes pour déterminer quelle était la meilleure approche à adopter. « Tous ceux à qui nous avons parlé avaient le sentiment que nous devions avoir un rôle face à tout ça, qu’il fallait que nous nous montrions actifs, très actifs. Et c’est à ce moment-là que Mishpacha s’est réellement positionné ».
Peu de publications ultra-orthodoxes ont suivi, même de loin, cet exemple. De multiples médias ont fait l’éloge funèbre de Walder, après sa mort, sans mentionner seulement l’existence des accusations, et d’autres les ont tues, préférant saluer l’auteur pour ses contributions apportées à la communauté. Le journal Yated Neeman – où Walder écrivait régulièrement une chronique – a publié un article éclatant en mémoire du défunt, et le président de son bureau rabbinique a pris la parole lors de ses funérailles.
Paley déclare qu’il considérait, dans le passé, Walder comme un ami et qu’il avait réfléchi à se rendre à ses obsèques pour réconforter les membres de la famille. « J’ai été heureux, en fin de compte, de ne pas y avoir été quand j’ai appris que la cérémonie avait été aussi importante », dit-il.
Des mois plus tard, Paley, évoquant les médias ultra-orthodoxes, a déclaré ne pas être « sûr qu’ils aient tiré les leçons de tout ça même s’ils ont compris qu’ils ont perdu beaucoup de crédibilité et que de nombreux lecteurs ont été très mécontents d’eux, et qu’ils ont donné une mauvaise image d’eux-mêmes au public ».
Shushan, de son côté, laisse entendre que « les médias ultra-orthodoxes n’ont plus aucune pertinence sur ce sujet ». Même si ces journaux choisissent d’ignorer ou, au contraire, de traiter certaines informations, « il y a un monde parallèle sur lequel ils n’ont aucun contrôle », signale-t-elle, parlant des conversations qui peuvent avoir lieu dans les groupes WhatsApp ou sur les réseaux sociaux.
Elle remarque que même Mishpacha n’a pas cité explicitement le nom de Walder dans ses articles publiés sur les accusations lancées à l’encontre de l’auteur.
« Il a fallu très longtemps au magazine pour réagir », continue-t-elle, supposant que l’hebdomadaire a attendu de pouvoir évaluer les courants qui traversaient à ce moment-là l’opinion publique avant de se positionner. « Il a fallu que les directeurs du journal aient le temps nécessaire pour comprendre ce que pensait l’opinion publique ».
Paley note que le magazine n’a pas considéré que nommer Walder dans ses éditoriaux était une nécessité. « Nous n’avons pas eu le sentiment que c’était nécessaire », explique-t-il. « Si on peut transmettre un message sans aller à l’extrême et sans humilier sa famille – de toute façon, tous ceux qui le connaissaient savaient à qui nous faisions référence ».
Il suggère qu’il y a « une ligne très, très fine entre sensibiliser, amener la communauté à comprendre ce que sera le prochain stade de responsabilité, et la perdre ». Et s’agissant d’un tel niveau de finesse, « il faut se montrer très équilibré, très sensible. Ce n’est pas seulement parce qu’on peut craindre de perdre des lecteurs – mais parce qu’on peut craindre aussi de perdre de l’influence. »
Des conséquences jusque dans les librairies
Immédiatement après le scandale de Walder, la célèbre librairie Eichler, à Brooklyn, avait annoncé qu’elle allait retirer ses ouvrages de ses rayons et la chaîne israélienne de supermarchés ultra-orthodoxes, Osher Ad, avait fait de même. Mais, début mars, on trouvait encore facilement les livres de Walder dans les quartiers haredi de Jérusalem.
Dans la succursales de Yefe Nof Feldheim – la maison d’édition de Walder – à Givat Shaul, ses livres sont exposés, même s’ils ne le sont pas de manière voyante. Chez Dani Books, à proximité, tout un rayonnage est consacré aux ouvrages de l’auteur, à l’arrière de la boutique. A Mea Shearim, presque toutes les librairies ont les livres de Walder en stock, même Manny’s – une cible fréquente des extrémistes qui déplorent la vaste sélection du magasin – qui s’enorgueillit d’une pleine bibliothèque de ses ouvrages. Sur le site de Steimatzky, la plus importante chaîne de magasins de livres en Israël, la plus grande partie des écrits de Walder sont proposés à l’achat même si son plus grand concurrent, Tzomet Sefarim, semble pour sa part avoir supprimé toutes ces références de son catalogue en ligne.
Paley déclare que suite à la décision prise par Mishpacha de parler du scandale Walder, Yefe Nof Feldheim — qui était dans le passé l’un des annonceurs majeurs du journal – avait rompu tout lien avec l’hebdomadaire. « Mais nous avons déclaré que nous étions prêts à payer le prix nécessaire. Nous ne sommes pas là pour gagner de l’argent ». (La firme Feldheim Publishers, dont le siège est aux États-Unis et qui publiait les œuvres de Walder en anglais, avait annoncé plusieurs jours après la révélation des abus sexuels qu’elle ne vendrait plus ses livres).
Il raconte qu’après les éditoriaux publiés sur le sujet, le magazine avait reçu de très nombreuses lettres saluant ou déplorant sa décision d’évoquer le problème.
« Je suis très fier que nous ayons reçu des tonnes de lettres de la part des lecteurs, toutes sortes de courriers », dit-il. « Certains nous critiquaient, nous disant : ‘Mais pourquoi mes enfants devraient-ils lire cela ?’… et la réponse à cette question est : Parce que nous voulons que vous puissiez protéger vos enfants ».
D’autres missives, ajoute-t-il, s’en prenaient à l’hebdomadaire coupable, selon elles, « d’acheter la version donnée par les médias laïcs ».
Et finalement, continue-t-il, « nous avons eu le sentiment qu’il était de notre responsabilité de créer une discussion et de structurer ce débat… Nous devions être clairs, voire très clairs sur le fait que nous étions là, avant tout, pour prendre la défense des victimes. Que nous étions là pour nous assurer que nos enfants, nos familles et notre société seraient bien en sécurité, qu’ils évolueraient dans un espace sûr ».
Echapper à la justice
La décision prise par Walder de se suicider a été très douloureuse pour un grand nombre de ses victimes et pour les autres survivantes d’agressions sexuelles, affirment les activistes.
« C’est très dur pour les victimes », dit Gross, de l’organisation Tahel. « De nombreuses victimes ont éprouvé un sentiment d’horreur parce qu’elles se sont alors demandé si elles ne s’étaient pas rendues coupables, d’une certaine manière, de meurtre en allant à la police. Nombreuses sont les victimes qui se sont aussi senties manipulées. Et ça a beaucoup compliqué les choses pour toute la communauté. »
Gross indique que les écoutants qui travaillent pour la ligne d’urgence mise en place par l’organisation répondent aux personnes susceptibles de partager ce type d’inquiétude que « le seul responsable de ses actes, c’était lui. Il a été responsable des abus commis et il a été responsable de sa décision de s’ôter la vie. Il a été responsable, et lui seul ».
Aaronson, de son côté, estime que le suicide de Walder a été « dévastateur » pour les victimes.
« Ca a eu un effet dévastateur pour un très grand nombre de survivantes différentes », explique Aaronson. « Il y a eu ce sentiment qu’il avait une fois encore privé les victimes de réparation, ces victimes qui voulaient avoir une chance de se confronter à lui. »
De plus, continue-t-elle, « les victimes avaient de multiples interrogations : ‘Mais comment a-t-il pu faire ça ? Comment la police a-t-elle pu laisser faire ça, pourquoi personne ne lui a donc pris son arme ?’ Tout ce genre de questionnements et de sentiments ».
Plus de six mois avant l’article qui révélait les accusations lancées contre Walder, Haaretz avait aussi publié les accusations d’abus sexuels qui avaient visé Yehuda Meshi-Zahav, le fondateur ultra-orthodoxe des services de secours de la ZAKA. Meshi-Zahav, lui aussi, avait tenté de se suicider et il est actuellement dans le coma.
Les activistes et les observateurs indiquent néanmoins que ce cas précis n’est pas comparable, en termes d’impact, à celui de Walder au sein de la communauté haredi.
« [Meshi-Zahav] n’était pas accepté de la même façon dans la communauté », déclare Gross. « Les honneurs, il les recevait dans la communauté laïque, bien moins dans sa propre communauté… Il avait reçu tellement de prix dans le monde laïc ».
Paley partage le même point de vue.
« Personne ne le considérait véritablement comme un représentant de la société ultra-orthodoxe », dit-il. « Il était devenu un héros parce que les laïcs apprécient vraiment qu’un individu provenant de la communauté haredi, à l’extrême de la société » puisse ainsi incarner le symbole des relations intercommunautaires. Au sein du monde haredi, ajoute-t-il, Meshi-Zahav était plutôt considéré comme un marginal qui avait envoyé ses enfants faire leur service militaire, contrairement à la majorité des ultra-orthodoxes, et qui embrassait le monde au sens large.
En contraste, continue Paley, Walder était « exactement le contraire », vénéré et adulé par la société ultra-orthodoxe.
« La nouvelle a fait l’effet d’un séisme. Les enfants avaient grandi en lisant ses livres et c’était lui qui avait lancé le débat sur la protection des enfants », remarque Paley. « Le choc a donc été terrible. Et ce qu’il a fait est choquant. »
Aller de l’avant
Suite au coup de tonnerre des révélations sur Walder, Gross et Aaronson racontent que leurs lignes d’urgence ont été prises d’assaut par de nouveaux appels de victimes d’abus sexuels.
« Le nombre d’appels a triplé au cours des jours qui ont suivi », dit Aaronson. Et deux mois après son suicide, elle déclare que ce nombre « est encore nettement plus élevé qu’avant ».
Fin février, Gross explique que « nous avons encore des tonnes d’appels à son sujet », notamment de la part de victimes et d’autres « qui osent raconter leurs propres expériences d’abus sexuels en résultat de la révélation de l’affaire ».
Dans le sillage immédiat de l’histoire de Walder, note-t-elle, la hotline a été prise d’assaut par « des élèves de yeshiva » qui ont inondé la ligne « en nous appelant toutes les 30 secondes avant de raccrocher ou en nous disant des immondices parce qu’ils nous considéraient comme une menace ».
« Ils nous appelaient, je suppose, pour saturer la ligne, de manière à ce que les victimes ne puissent pas nous joindre », continue-t-elle.
Et depuis l’affaire Walder, des plaintes similaires ont été déposées contre une série de personnalités ultra-orthodoxes, quoique moins célèbres et moins respectées. Elles n’ont pas suscité la même réaction.
Dudi Shwamenfeld, un animateur de radio orthodoxe, a ainsi été accusé de multiples agressions sexuelles au mois de janvier, notamment contre une mineure. Shwamenfeld a clamé son innocence, mais il a été suspendu de son émission diffusée par la station de radio Kol Barama et il n’a pas fait son retour sur les ondes jusqu’à présent.
Au mois de février, des anciennes élèves ont accusé Tzvia Rotenberg, enseignante de longue date à Jérusalem, d’abus sexuels quand elles étaient mineures. Rotenberg a nié ces accusations et elle est restée dans un premier temps à son poste, en tant que principale de l’école pour filles de Maalot dans le quartier de Ramot, avant de présenter sa démission environ six semaines plus tard. Une démission qui aurait eu lieu le jour même de sa convocation devant une cour rabbinique chargée d’examiner les faits.
Un groupe de jeunes femmes haredim a organisé un mouvement de protestation devant l’école au début du mois de mars, faisant part de leur colère à l’égard de l’institution qui continuait à accorder sa confiance à la directrice. Une manifestation organisée en partie par Sara Horowitz, ancienne élève de Rotenberg qui avait aidé à convaincre ses camarades de classe de raconter ce qu’elles avaient vécu dans l’article publié dans le journal Israel Hayom, qui avait révélé l’affaire.
« Après l’histoire de Chaim Walder, il y avait ce sentiment au sein de la communauté que tout serait dorénavant différent », a confié Horowitz à Ynet. « Nous nous attendions à de l’inclusion, nous nous attendions à de la compréhension et à de la compassion à l’égard des victimes et à une demande collective de s’attaquer aux agresseurs et de les condamner – mais ce n’est pas arrivé. Et cela a entraîné de grandes souffrances ».
Le tournant
Et pourtant, les observateurs et les activistes font part de leur espoir prudent d’une société haredi qui avance dans la bonne direction s’agissant de la lutte contre les abus sexuels au sein de la communauté.
« De par mon expérience, c’est évident qu’il y a un tournant », dit Paley. « Mais tout est encore trop frais. »
En fin de compte, il estime qu’il y a actuellement « une prise de conscience, ce qui entraînera des réactions plus fortes » dans d’autres affaires d’abus sexuels. De surcroît, note-t-il, le scandale Walder a servi de catalyseur et aura relancé le débat sur les filets de sécurité et les structures à installer pour assurer une meilleure protection face à ce type de violence – « et je pense que nous en verrons le résultat dans un avenir proche ».
Gross, de son côté, suggère qu’il y a un changement très lent mais constant qui est en train de s’effectuer dans les sphères publique et privée.
« La communauté prend des initiatives et il y a une plus grande prise de conscience », explique-t-elle, notant que son organisation est de plus en plus sollicitée par les instances et par les écoles communautaires concernant des demandes de formations portant sur la sensibilisation aux abus sexuels. « Alors, oui, il y a en effet un changement en cours au sein de la communauté ».
Et Shushan, pour sa part, se dit optimiste – avec prudence – sur les avancées réalisées dans la lutte contre les abus sexuels dans le monde haredi.
« Je pense qu’aujourd’hui, les victimes ont plus de légitimité, qu’il y a moins de déni à leur égard », dit-elle. Elle déplore néanmoins les échecs combinés de la police et du système judiciaire à traduire les agresseurs devant les juges – à travers toutes les sphères de la société israélienne.
« Et il y a pourtant et très certainement de l’espoir », ajoute-t-elle.
« Je pense qu’il s’est produit un incident dramatique dont les effets sont allés bien au-delà de ceux d’une simple affaire d’abus sexuels », continue Shushan. « Mais quel en sera réellement l’impact et que va-t-il se passer à l’avenir – je l’ignore ».