Dans deux semaines, les Israéliens seront assis à la table du Seder, racontant et redonnant vie au récit de l’Exode – l’Exode de notre peuple fuyant l’esclavage en Égypte jusqu’à la Terre promise. Et quelque chose va sonner faux.
Parce que le miracle moderne de notre liberté et de notre indépendance dans un foyer juif ressuscité – le miracle de notre réussite sidérante dans la création d’un État d’Israël en pleine expansion, tolérant, lumière entre les nations, né des cendres de la Shoah, prospère malgré la défiance de nos ennemis régionaux – est en train de s’effondrer sous nos yeux.
Au moment même où j’écris ces lignes, la dite « Commission de la Constitution, du droit et de la Justice », au sein de notre parlement souverain, est en train de finaliser une législation qui, si elle est adoptée – ou plutôt quand elle sera adoptée – la semaine prochaine, permettra à notre Premier ministre dûment élu, Benjamin Netanyahu, de jouir d’un grand nombre des pouvoirs autocratiques dont pourrait se vanter un pharaon moderne.
La législation, que les sbires de Netanyahu bricolaient encore cette semaine alors même qu’ils écrasaient les milliers d’objections faites par l’opposition face à ses dispositions destructrices pour la démocratie, fait voler en éclats l’indépendance de notre système judiciaire. Elle autorisera la coalition de Netanyahu à nommer à la Haute-cour les juges qui viendront remplacer sa présidente, Esther Hayut, et l’un de ses collègues quand ils auront atteint, à l’automne, l’âge de la retraite, puis de nommer l’un de ces deux remplaçants au poste prestigieux de président de la Cour, politisant graduellement mais inexorablement le système judiciaire israélien tout entier.
D’autres projets de loi qui devraient être approuvés au lendemain du congé parlementaire de Pessah restreindront de manière radicale les capacités de la Haute-cour à invalider les législations, même les plus discriminatoires, ôtant le droit aux juges de protéger les droits de l’Homme et les droits civils, même les plus fondamentaux, face aux abus.
En plaçant à la Cour les juges qu’ils auront choisi et en restreignant simultanément les capacités de réexamen judiciaire des magistrats, Netanyahu et ses vizirs ouvriront ainsi la porte à l’introduction de toute une série de sinistres décrets qui, le cas échéant, seraient déjoués par les juges – un grand nombre ont d’ores et déjà été annoncés et certains sont même en train de faire leur chemin devant le parlement.
La Knesset a approuvé une loi interdisant la récusation d’un Premier ministre dans presque toutes les circonstances – une législation taillée sur mesure pour garantir que la Haute-cour ne pourra pas ordonner à Netanyahu de quitter ses fonctions, même s’il utilise ses pouvoirs pour s’extirper de son procès actuel pour corruption.
Et bientôt aussi, le Premier ministre et ses alliés décideront qu’Aryeh Deri, leader du parti ultra-orthodoxe Shas, sera autorisé à reprendre des fonctions ministérielles, même si les juges ont estimé que la nomination d’un criminel récidiviste qui avait menti à une juridiction inférieure pour obtenir une négociation de peine était « déraisonnable à l’extrême », ordonnant qu’il abandonne ses deux portefeuilles au ministère de l’Intérieur et au ministère de la Santé au mois de janvier.
Ensuite, notre guide suprême et ses partenaires de mégalomanie exempteront pleinement les membres de la communauté ultra-orthodoxe de toute obligation de prendre part à la défense militaire de notre pays contre les ennemis extérieurs, voire de prendre part à une forme ou une autre de service national alternatif. Des fonds publics supplémentaires seront alloués aux jeunes ultra-orthodoxes, de manière à ce que les indemnités qu’ils touchent pour étudier à plein temps la Torah soient comparables à celles qui sont versées aux conscrits. Des financements seront également accrus en direction du réseau scolaire haredi, qui ne bénéficie pas d’une supervision suffisante et qui n’enseigne pas les matières du tronc commun – aidant à créer un cycle infernal dans lequel le secteur démographique qui augmente le plus vite au sein de la population israélienne ne sera plus incité à travailler et où il sera de plus en plus subventionné par une main-d’œuvre sommée de payer des impôts disproportionnés tout en assumant la responsabilité de la défense nationale.
Autres lois évoquées dans le cercle du monarque – et qui sont donc potentiellement en préparation – des législations qui viseraient à accorder une légitimité aux discriminations sur la base de la croyance religieuse, qui envisagent de ne plus accorder la citoyenneté automatique à des candidats à l’immigration dont un grand-parent est Juif, qui prévoient de donner aux politiques le contrôle de la commission chargée de superviser nos élections ou d’annexer une partie ou plus de la Cisjordanie sans accorder l’égalité des droits aux non-Juifs qui y vivent – voire peut-être même de reconquérir Gaza ?…
Alors que nos seigneurs et maîtres feront approuver leurs décrets au rouleau-compresseur au parlement, les sionistes, les patriotes et les démocrates tenteront de résister légalement. L’opposition politique et les activistes déposeront des requêtes devant la Haute-cour de justice demandant le rejet d’une législation avant que cette dernière ne les rejette eux-mêmes sur le bord du chemin. Mais si la Cour, en se prononçant, devait alors estimer qu’elle se doit de préserver son indépendance – une indépendance qui est sa raison d’être — un tel jugement représentera, selon le point de vue faussé de notre ministre de la « Justice », Yariv Levin, « le franchissement de toutes les lignes rouges ». Menaçant directement la plus haute instance judiciaire d’Israël, ce champion autoproclamé de la démocratie a déclaré lundi que « nous ne l’accepterons très certainement pas ».
Une nation chérissant sa liberté
Si l’insistance brutale placée par Netanyahu sur une révolution faite juste à temps pour coïncider avec Pessah doit souligner quelque chose, c’est bien que la nation souveraine juive ressuscitée chérit sa liberté et que l’en priver ne sera pas chose facile.
Netanyahu a remporté l’élection, mais il n’a pas le mandat nécessaire pour vider le pays de la même démocratie qui l’a porté une nouvelle fois au pouvoir.
L’extrémisme de l’agenda législatif de son gouvernement, la brutalité avec laquelle il fait avancer à grande vitesse ses décrets à travers le Parlement, les assauts débridés lancés contre ses adversaires, des assauts où même la Shoah est transformée en arme, et les insultes incessantes faites à l’intelligence du public, avec des leaders de la coalition qui affirment chaque jour, sans vergogne, qu’ils ne font que renforcer la démocratie – tout cela contribue à provoquer toujours plus de désarroi, de dégoût et fait naître une nouvelle détermination, celle de résister par tous les moyens démocratiques possibles.
Un second cercle d’Israéliens horrifiés est aussi en train de se former – il regroupe ceux qui, s’ils considèrent que la réforme judiciaire est potentiellement légitime dans la mesure où elle corrigera un déséquilibre des pouvoirs, ont néanmoins parfaitement réalisé qu’elle déchire la nation et qu’elle ne devrait pas se produire sous cette forme et à cette vitesse effrénée. Qui sont conscients que nous ne sommes pas seulement au beau milieu d’une crise constitutionnelle, mais aussi d’une crise nationale.
En plus des manifestations incessantes et massives contre les efforts actuellement livrés pour nous « dé-démocratiser », et du renforcement des mouvements de protestation de la part d’Israéliens qui, certes, ont le sentiment d’être proches de l’idéologie défendue par la coalition mais qui accordent néanmoins la priorité à l’unité nationale, le plus gros obstacle potentiel à la révolution menée par Netanyahu pourrait être la révolte des réservistes.
La réponse apportée par le leader au refus croissant des réservistes issus des meilleures unités à servir sous les ordres d’un gouvernement anti-démocratique a été d’ordonner à l’infortuné chef d’état-major de prévenir, d’une manière ou d’une autre, « l’insubordination » entraînée par sa politique.
Mais si le Premier ministre est irrité – plutôt que dégrisé – par la réponse horrifiée à sa réforme d’une armée qu’il avait servi, dans le passé, avec fierté ; qu’il n’a pas seulement été ému par les supplications des membres du commando qui avaient pris part à l’emblématique opération Entebbe, celle où son frère avait trouvé la mort, peut-être est-il possible d’espérer que d’autres personnes de son entourage sauront reprendre leurs esprits avant qu’il ne soit trop tard.
Yoav Gallant, le ministre de la Défense, veut-il vraiment présider la fracturation de l’armée israélienne, dont les services et l’héroïsme sont à l’origine de l’existence continue d’Israël ? Combien de temps pourra-t-il ignorer les mises en garde angoissées des anciens généraux et autres patriotes qui ont passé des décennies à ses côtés à porter l’uniforme, risquant leur vie au nom d’un Israël libre, d’un Israël éclairé ? Combien de temps Avi Dichter, un autre ministre du gouvernement, pourra-t-il écarter d’un revers de la main les protestations des anciens responsables du Shin Bet, comme lui-même l’a été ?
Gallant ferait part en privé de ses inquiétudes face aux dissensions croissantes qui s’expriment dans l’armée – des dissensions entraînées par la fracturation du contrat illicite qui convainc les Israéliens de faire leur service obligatoire au nom d’un Israël libre et démocratique, un Israël placé sous la protection d’une Haute-cour indépendante, respectée à l’international, avec cette certitude que les ordres qui leur seront donnés seront moraux, réfléchis avec soin.
Dans une dernière insulte à l’intelligence de nos citoyens, le ministre des Finances et ministre au ministère de la Défense Bezalel Smotrich — celui qui avait évoqué la nécessité « d’anéantir Huwara » avant de se rétracter – est apparu à la télévision, mardi soir, pour affirmer que la coalition entend les voix des opposants à la révolution. Il a appelé au dialogue sur les prochains projets de loi à venir en ajoutant dans la foulée que la législation autorisant la coalition à prendre le contrôle du système judiciaire serait bien approuvée la semaine prochaine, comme prévu.
Ce premier décret sinistre, qui ancrera la politisation de la Haute-cour, arrive à grand pas. S’il devient loi, les juges, encore indépendants, suspendront en toute probabilité sa mise en œuvre ; ils écouteront les arguments de ses opposants et de ses partisans et ils le rejetteront sans doute parce qu’il détruit le principe de la séparation des pouvoirs et parce qu’il viole les valeurs démocratiques aux fondements de l’État d’Israël.
Levin a dit qu’il ne l’acceptera pas. Une personnalité du Likud, une seule, le ministre de l’Économie Nir Barkat, a fait savoir mardi qu’il l’accepterait. Peut-être que les Gallant, Yuli Edelstein et d’autres, au sein du parti de Netanyahu, parmi ces personnalités qui placent encore le pays au-dessus de leur carrière, redécouvront-ils à cette occasion des principes et insisteront-ils sur la nécessité de se soumettre à un jugement de la Cour, peu importe le prix dont la coalition devra s’acquitter.
Peut-être.
Et Netanyahu lancera-t-il un défi à la Cour ? Veut-il réellement aller si loin ?
Dans un seul discours à la Nation, en recourant seulement à quelques-unes de ces formules qui sont les siennes, il pourrait déclarer avec magnanimité qu’il reconnaît les profondeurs des clivages, les dégâts essuyés par le tissu de notre société et, même à ce moment-là, entendre l’appel lancé par le président à mettre en pause la refonte du système judiciaire, à réexaminer la réforme avec patience, en amorçant un dialogue, en vue de changements authentiques – un processus qui permette de commencer à guérir les divisions nationales, un retour à la raison, avec un nouvel engagement en faveur de la démocratie.
Aucune puissance divine ne lui a endurci le cœur. Un choix lui appartient, à lui exclusivement : cette année, l’année prochaine et comme l’année dernière, Israël sera-t-il encore une Terre promise pour son peuple libre ?