La loi visant à protéger Netanyahu de la récusation adoptée par la Knesset
La texte parrainé par le Likud, considéré comme taillé sur mesure pour sauver le Premier ministre de ses déboires judiciaires, a été définitivement approuvé par 61 voix contre 47

La Knesset a adopté une législation qui protégerait le Premier ministre si ce dernier devait être suspendu sur ordre du tribunal au cours d’un vote qui a eu lieu jeudi en tout début de matinée. 61 députés ont voté « Pour » et 47 « Contre ».
Le texte est passé en deuxième lecture et en troisième lectures après des discussions houleuses qui ont animé la séance plénière jusqu’à une heure très avancée de la nuit.
L’opposition avait soumis de nombreuses objections au projet de loi qui avait été présenté en accéléré à la Commission de la Knesset et elle avait promis de déposer de nombreux amendements pour ralentir l’avancée des débats, la législation étant considérée comme ayant été taillée sur mesure pour sauver Netanyahu de ses déboires judiciaires. Cette obstruction parlementaire s’est avérée être largement symbolique, le parrain du texte de loi, le député du Likud Ofir Katz, ayant convenu avec l’opposition de limiter les discussions à un maximum de seize heures. Les délibérations ont commencé mercredi soir et la loi a été adoptée aux environs de 6 heures du matin, jeudi.
La législation interdit spécifiquement à la Haute-cour d’ordonner à un Premier ministre de prendre un congé – et elle est largement considérée comme une réponse aux craintes que la plus haute instance judiciaire d’Israël puisse forcer Netanyahu à démissionner en raison d’un conflit d’intérêt potentiel entraîné par sa supervision de la réforme radicale du système judiciaire alors que lui-même est actuellement traduit devant les magistrats pour répondre de multiples faits de corruption.
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Netanyahu est en procès dans trois dossiers distincts et il doit répondre de corruption, de fraude et d’abus de confiance après avoir reçu des cadeaux luxueux de la part de bienfaiteurs et tenté de conclure des accords secrets avec des médias pour obtenir une couverture positive de ses actions. Il n’a cessé de clamer son innocence.
Katz a défendu le texte, disant qu’il apportera « une stabilité » en rendant plus difficile la suspension d’un Premier ministre contre son gré.
Désormais, le chef de l’exécutif ne peut être déclaré inapte qu’en cas d’incapacité physique ou mentale, et dans seulement deux cas de figure : qu’il en fasse lui-même la demande, ou à l’issue d’une procédure enclenchée par un vote du gouvernement avec une majorité des trois quarts des ministres.
La nouvelle loi « limite de fait les possibilités de déclarer un Premier ministre inapte à exercer ses fonctions », explique à l’AFP Guy Lurie, chercheur à l’Institut démocratique d’Israël, centre de recherche à Jérusalem : « Les raisons autres que celles précisées dans l’amendement ne seront plus recevables. »
M. Lurie rappelle que la question de l’inaptitude du Premier ministre s’était posée lorsque Ehud Olmert, chef du gouvernement de 2006 à 2009, avait « été interrogé par la police » pour une affaire de corruption, avant de finalement démissionner.
Il s’agissait alors « de savoir s’il pouvait continuer à exercer. Si la Cour suprême avait à l’époque rejeté une pétition demandant qu’il soit déclaré inapte, elle [avait] laissé entendre qu’un conflit d’intérêts pouvait être considéré comme [un motif d’]inaptitude », ajoute-t-il.
Début février, une ONG anti-corruption avait adressé une pétition à la Cour en vue d’obtenir la destitution de M. Netanyahu. L’ONG affirmait dans sa plainte que sa fonction de Premier ministre le place dans une situation de conflit d’intérêt à cause de son procès en cours pour plusieurs affaires de corruption.
Récemment, le bureau de la procureure générale d’Israël avait démenti une rumeur selon laquelle cette magistrate aurait envisagé de contraindre Netanyahu à démissionner.
« La coalition a maintenant adopté une loi personnelle, obscène et corrompue contre une rumeur infondée de destitution » a déclaré sur Twitter le chef de l’opposition Yaïr Lapid. « En pleine nuit, comme des voleurs… ont adopté une loi d’ordre personnel, obscène et corrompue, en défense contre des rumeurs infondées de suspension ». « Les citoyens d’Israël savent – à la veille de la fête de Pessah et alors que le coût de la vie grimpe en flèche – qu’une fois encore, Netanyahu ne se préoccupe que de lui », a continué Lapid.

Le député Avigdor Liberman a indiqué que son parti Yisrael Beytenu allait porter une requête devant la Haute-cour réclamant l’invalidation de la loi : « Nous ne permettrons pas à l’État d’Israël de devenir une monarchie de Netanyahu ».

La cheffe d’Avoda, Merav Michaeli, a fustigé « une loi honteuse et scandaleuse dont l’objectif tout entier est d’empêcher Netanyahu d’être envoyé en prison », ajoutant que « c’est notre deuxième guerre de l’indépendance et nous la gagnerons ».
Il a été interdit à Netanyahu de traiter directement du plan de refonte du système judiciaire controversé en raison d’un accord qui avait été signé en 2020. Des informations parues au mois de février, qui ont depuis été démenties avec vigueur, ont indiqué que la procureure-générale Gali Baharav-Miara réfléchissait à la possibilité d’obliger Netanyahu à se récuser s’il abordait publiquement la question de la refonte judiciaire, ce qui pourrait avoir une incidence sur l’identité des juges chargés d’examiner un éventuel recours devant la Cour suprême.
Le projet de loi de Katz, qui consiste en un amendement à la Loi fondamentale : Le gouvernement, quasi-constitutionnelle, stipule qu’il n’y aurait que deux façons de démettre un Premier ministre de ses fonctions : soit un Premier ministre informe la Knesset qu’il se récuse, soit le gouvernement suspend le Premier ministre pour cause d’inaptitude physique ou mentale, par un vote à la majorité des trois quarts des ministres du cabinet, cette décision étant confirmée par une majorité de 90 membres de la Knesset.
Le mois dernier, le bureau de Baharav-Miara avait annoncé qu’il s’opposerait au projet de loi dans la mesure où il réduit profondément les circonstances pouvant potentiellement donner lieu à la suspension d’un Premier ministre. Il avait fait savoir que la proposition allait entraîner « un trou noir » juridique.
« Il y a une difficulté à limiter les situations de récusation au seul manque d’aptitude physique ou mentale, tout en modifiant la loi existante qui reconnaît d’autres situations potentielles », a écrit l’adjoint de la Procureure générale, Gil Limon. « Nous pensons que la combinaison de l’ensemble des éléments du projet de loi pourrait conduire à des situations absurdes, dans lesquelles un Premier ministre continuerait à exercer son rôle alors qu’il n’en a pas la capacité.
Les partisans de ces changements affirment qu’ils protégeront la volonté des électeurs face aux interventions de la Haute-cour non-élue mais ses détracteurs disent qu’ils mettront à mal les mesures mises en place dans la lutte contre les abus de pouvoir des fonctionnaires, favorisant les faits de corruption.
La coalition fait actuellement avancer un second projet de loi qui interdit à la Cour de réexaminer les nominations ministérielles – ce qui permettrait au chef du parti ultra-orthodoxe du Shas, Aryeh Deri, de réintégrer le cabinet.
Au mois de janvier, Baharav-Miara avait obligé Netanyahu à renvoyer Deri, un allié de longue date, de ses fonctions de ministre de l’Intérieur et de ministre de la Santé au vu de ses condamnations répétées pour crime financier.
De plus, la coalition travaille actuellement à faire approuver une législation qui placera sous le contrôle du gouvernement les nominations des juges sur tout le territoire israélien. Une autre prévoit de permettre aux députés d’inclure une clause spécifique dans un texte de loi qui interdira d’emblée tout réexamen de ce dernier par la Haute-cour.
Cette clause « dérogatoire » est au cœur du plan de réforme judiciaire du gouvernement qui entraîne actuellement un mouvement de protestation massif en Israël et qui a été dénoncé dans le pays et à l’international.