Israël en guerre - Jour 371

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Des manifestants israéliens assistant à un rassemblement contre le nouveau gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu, à de Tel Aviv, le 21 janvier 2023. (Crédit : Ahmad Gharabli/AFP)
Des manifestants israéliens assistant à un rassemblement contre le nouveau gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu, à de Tel Aviv, le 21 janvier 2023. (Crédit : Ahmad Gharabli/AFP)
Interview

William Daroff met en garde contre la « crise de la division » qui déchire Israël

« Israël doit continuer à être perçu comme un phare de liberté et de démocratie » dit le président de la Conférence des présidents, inquiet face à la refonte judiciaire

Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.

Le chef de l’organisation-cadre de la communauté juive américaine a déclaré jeudi qu’il était très préoccupé par la division croissante en Israël – en particulier en ce qui concerne le projet de réforme judiciaire spectaculaire du gouvernement, qui, selon les critiques, supprimera de manière effective les derniers contrôles du pouvoir exécutif et détruira le système judiciaire indépendant du pays. Ses partisans, de leur côté, le considèrent comme un correctif nécessaire à la surenchère judiciaire.

Les propositions du gouvernement ont suscité de furieuses réactions, des dizaines de milliers d’Israéliens participant aux manifestations hebdomadaires du samedi soir et accusant la coalition de préparer un « coup d’État constitutionnel » et d’éroder la démocratie israélienne. Les partisans du remaniement le décrivent comme un renforcement de la démocratie car il met davantage de pouvoir entre les mains des élus, et ils accusent ses détracteurs d’hypocrisie, voire de déloyauté.

« Je pense qu’il y a une crise de la division ici en Israël, où le pays est déchiré par des questions politiques. Cinq élections ont illustré cette division. Et tout comme en Amérique – où nous traversons une ère qui se caractérise par de forts clivages – ça continue ici », explique William Daroff, président de la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines, qui représente des dizaines de groupes juifs américains.

« Il y a dans les deux pays une crise de la division, avec l’impossibilité de trouver un consensus, avec l’instrumentalisation des questions politiques pour leur donner une dimension qu’elles ne devraient pas avoir. C’est très préoccupant », déplore Daroff auprès du Times of Israel.

Daroff, qui vient de fêter sa troisième année à la tête du grand groupe de coordination, est connu pour sa réticence à s’exprimer publiquement sur des questions controversées, estimant que la meilleure façon d’avoir une influence à long-terme est de discuter à huis clos.

Que pense-t-il personnellement de la réforme du système judiciaire ? En réponse à cette question, Daroff s’abstient de tout commentaire sur les détails de cette réforme. « Je ne souhaite pas vraiment m’exprimer sur le sujet, mais les arguments que j’ai entendus des deux côtés me font clairement dire qu’il ne s’agit pas d’une question rhétorique. Je pense qu’un argument raisonnable a été avancé quand il a été dit que le système n’était pas parfait. La question est de savoir si les réformes qui ont été proposées sont les bonnes pour aider à perfectionner le système », indique-t-il.

William Daroff, président de la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines, dans les bureaux du Times of Israel, le 2 février 2023. (Crédit : Judah Ari Gross/Times of Israel)

Pourtant, il affirme être conscient que le plan est actuellement perçu négativement aux États-Unis.

« Les discussions que j’ai eues ont porté sur la perception en Amérique – parmi les Juifs américains et au sein du gouvernement américain – de la manière dont ces changements affecteront Israël », dit-il.

« C’est là que l’accent a été mis – sur la nécessité de parler de la façon dont ces changements sont perçus, avec une perception qui pose d’ailleurs problème et s’assurer, comme je l’ai dit, que les politiques seront accompagnées d’une explication qui aidera à faire la lumière sur ces changements. »

Daroff s’est entretenu avec David Horovitz, Amanda Borschel-Dan et Judah Ari Gross du Times of Israel jeudi, avant la conférence annuelle de son organisation qui se tiendra en Israël plus tard ce mois-ci.

Pendant cette interview – et bien qu’il se refuse à le dire de façon catégorique – Daroff indique que les représentants des partis d’extrême-droite ne seront pas invités à s’exprimer lors de la conférence. Probablement en raison de la forte opposition de certains membres de la Conférence des présidents, notamment des représentants des mouvements réformé et massorti (conservateur) et d’autres groupes progressistes, qui ont publiquement déclaré leur refus de rencontrer les élus.

Au cours de l’entretien d’une heure, Daroff répète son opposition aux modifications de la Loi du retour, à la lumière des propositions du gouvernement visant à supprimer sa dite « clause des petits-enfants » qui accorde la citoyenneté à toute personne ayant au moins un grand-parent juif. Il souligne toutefois qu’il s’agit de son opinion personnelle et non du positionnement adopté par la Conférence des présidents, qui est divisée sur le sujet.

« Je pense que la Loi du retour fait partie des fondements du sionisme et de ce qu’est Israël. Israël est un refuge pour le peuple juif. Les efforts visant à limiter cela vont à l’encontre de l’idéal sioniste. Ce n’est pas une position officielle de la Conférence. C’est mon point de vue », note-t-il.

Cet entretien a été édité et condensé dans un souci de clarté et de concision.

The Times of Israel : Commençons par le nouveau gouvernement d’Israël et comment ses politiques pourraient vous affecter vous, affecter les Juifs américains et les Juifs de la Diaspora.

William Daroff : En résumé, Israël est une démocratie dynamique et robuste. Sur cette base, il est important qu’Israël débatte, s’engage sur ces questions, sur ces questions qui divisent.

En Amérique, nous sommes également dans une ère de division. Lorsque nous regardons la situation politique israélienne, nous voyons donc en miroir le genre de division que nous constatons en Amérique – une Amérique qui est également, après environ 240 ans, en train de travailler sur les poussées de croissance de la démocratie. Je pense donc qu’il est important de l’examiner à travers ce prisme.

« Je dis aux décideurs politiques, qu’indépendamment du fait que ces questions soient bonnes ou mauvaises, ils doivent mieux les expliquer au peuple américain, à la communauté juive américaine »

D’une manière générale, nous faisons preuve de déférence à l’égard des citoyens, des décideurs politiques et des électeurs israéliens dans la manière dont ils gèrent les affaires internes d’Israël. Mais nous sommes évidemment préoccupés par la teneur du débat, de la discussion.

Je dis aux décideurs politiques, qu’indépendamment du fait que ces questions soient bonnes ou mauvaises, ils doivent mieux les expliquer au peuple américain, à la communauté juive américaine – que les questions soient compliquées et confuses, ou qu’elles laissent beaucoup de questions en suspens sur les intentions et sur la direction que prend le pays. Il est important d’avoir un dialogue.

C’est pourquoi nous sommes ici. À l’approche de la 50e année presque consécutive de ces missions [de la Conférence des présidents] [en Israël], il faut dialoguer. Il s’agit de comprendre où en sont les décideurs politiques israéliens et de faire en sorte que ces derniers comprennent où en est la communauté juive américaine. Notre mission ici sera, comme elle l’a été pendant près d’un demi-siècle, axée sur l’intensification de ce dialogue et sur l’engagement auprès des dirigeants politiques de tous les horizons.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu s’adressant à la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines, à l’hôtel Inbal à Jérusalem, le 16 février 2014. (Crédit : Miriam Alster/FLASH90)

La mission officielle commence le 19 février. Qui allez-vous rencontrer ?

Nous avons eu des confirmations de [l’ambassadeur américain Tom] Nides, [le Premier ministre Benjamin] Netanyahu, [le président Isaac] Herzog, [le ministre de la Défense Yoav] Gallant, [le ministre des Affaires étrangères Eli] Cohen, [le ministre des Affaires stratégiques Ron] Dermer, le maire [de Jérusalem] Moshe Lion, le chef de l’opposition [Yaïr] Lapid….

Le chef du parti Otzma Yehudit, Itamar Ben Gvir, et le chef du parti HaTzionout HaDatit, Bezalel Smotrich, sont des personnes que vous ne voudriez pas rencontrer ?

Nous rencontrerons un large éventail de membres de la Knesset. À la Knesset, nous rencontrerons deux commissions – la commission des Affaires étrangères et de la Défense et la commission de l’Immigration et de l’alyah – et nous organiserons un déjeuner offert par le président du parlement dans la salle d’État Chagall de la Knesset, auquel participeront une pluralité de membres de la Knesset ; nous avons invité des représentants de tous les partis, il y aura donc un engagement avec chaque parti, dans la mesure où ils se présenteront aux auditions de la commission et au déjeuner.

Avez-vous déjà rencontré Smotrich et/ou Ben Gvir ?

Je ne les ai jamais rencontrés. Pour autant que je sache, la Conférence ne les a pas non plus rencontrés.

Le chef du parti HaTzionout HaDatit, le député Bezalel Smotrich, à droite, en compagnie du chef du parti Otzma Yehudit, le député Itamar Ben Gvir, à la Knesset, le 28 décembre 2022. (Crédit : Olivier Fitoussi/Flash90)

La mission de la conférence va durer près d’une semaine. Et vous n’avez invité aucun de ces deux ministres, ni le député Simcha Rothman [président de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset et fils d’immigrants américains], à s’adresser au groupe ?

Notre dernière mission a été limitée par la pandémie. Nous avons l’intention de nous éloigner des ministres qui s’expriment depuis les tribunes et d’être plus présents sur le terrain. Nous sommes donc très limités quant au nombre de personnes que nous rencontrerons.

Certains projets du nouveau gouvernement sont centrés sur Israël et la Diaspora – comme les conversions, la Loi du retour, ainsi que des questions qui sont ostensiblement internes mais qui touchent à l’essence même de ce qu’est Israël. En ce qui concerne les problématiques qui concernent directement la Diaspora, telles que la Loi du retour, et les modifications potentielles de la légitimité des conversions en Israël à des fins de citoyenneté, entre autres, que pensez-vous ?

Notre ancien président, le rabbin [Alexander] Schindler, chef du mouvement réformé, qui était président vers 1990, a établi une doctrine appelée la « doctrine Schindler » au sein de la Conférence, selon laquelle nous ne nous prononçons pas sur les questions de religion et d’État. Étant l’un des rares organismes à regrouper les orthodoxes, les réformés et les conservateurs sous un même toit, c’est le mécanisme par lequel la Conférence, il y a 30 ans, a trouvé un moyen d’avoir un dirigeant réformé comme président et de s’engager. D’une manière générale, nous ne nous engageons pas officiellement et formellement sur ce genre de questions – projet de loi sur la conversion ou autre – en raison de la composante religion et État.

La Loi du retour n’est pas de savoir qui est Juif, c’est de savoir qui est éligible à la citoyenneté israélienne.

C’est exact.

Le Grand-Rabbinat ne décide pas. C’est la Nativ, un organe politique.

Mais les composantes orthodoxes de la Conférence ont un point de vue différent de celui des composantes non-orthodoxes de la Conférence sur la Loi du retour, par exemple.

Cela étant dit, j’ai répondu à une question sur la Loi du retour lors d’un forum à Tel Aviv en novembre, où j’ai spécifiquement déclaré que, selon moi, la Loi du retour fait partie des fondements du sionisme et de ce qu’est Israël. Israël est un refuge pour le peuple juif. Les efforts pour limiter cela vont à l’encontre de l’idéal sioniste. Ce n’est pas une position officielle de la Conférence. C’est mon point de vue.

D’après ce qu’a pu rapporter le Times of Israel, j’ai le sentiment qu’il n’y aura pas de changements à la Loi du retour ni à la « clause des petits-enfants » de sitôt. Et je pense que cela mérite d’être souligné.

Je suis d’accord avec vous et j’ai dit que je pense que la Loi du retour est une question d’immigration, pas une question halakhique. Certains ne sont pas d’accord en raison de l’effet domino évident que cela engendre dans la société civile israélienne, avec des gens qui obtiennent la citoyenneté, ce qui crée des problèmes d’un point de vue de la loi juive orthodoxe – ou halakha.

Au-delà de cela, je pense qu’il est important pour les décideurs politiques israéliens de connaître la position des Juifs américains sur ces questions. Je pense qu’il est important pour nous de savoir où en sont les décideurs politiques israéliens. Je suis très réticent à l’idée de m’engager d’une manière qui placerait la Conférence au milieu d’un débat interne de politique partisane. Cependant, nombre de nos organisations membres sont profondément engagées sur ces questions.

Autour de notre propre table, nous avons des discussions sur ces questions, tout comme les Israéliens et les Juifs américains le font à la table du Shabbat. Et nous trouvons qu’il est probablement beaucoup plus efficace de parler en privé que de parler en public. Lorsque je m’adresse à des élus, ils savent que je viens en toute transparence, sans être suivi par des journalistes, sans être suivi par des caméras, sans faire d’avant-première la veille et sans parler le lendemain. Cela donne à la Conférence beaucoup plus de crédibilité pour s’engager réellement et avoir un impact – le public étant le décideur politique qui peut réellement apporter des changements et non, par exemple, les lecteurs de journaux.

Laissez-nous vous interroger sur les changements ostensiblement internes – en particulier sur la refonte du système judiciaire, qui touche à l’essence même de ce qu’est Israël, ce qui est une question d’intérêt immense pour vous et pour toutes les personnes que vous représentez. C’est la patrie du peuple juif et c’est un pays dont les principes fondateurs étaient qu’il serait à la fois démocratique et juif, dans un sens riche et tolérant, certainement pas dans un sens suprémaciste. Pour de nombreux Israéliens, ces deux aspects fondamentaux d’Israël semblent aujourd’hui en danger. Avez-vous des préoccupations, si oui dans quels domaines, et comment pensez-vous pouvoir aider ?

C’est une question qui suscite également des opinions diverses au sein de la Conférence, à l’instar de la société civile israélienne.

Nous sommes certainement soucieux de veiller à ce que l’idéal d’Israël tel qu’il est énoncé dans la Déclaration d’Indépendance, la qualité des droits des minorités, soit respecté. Il est important qu’Israël continue d’être considéré comme un phare de liberté et de démocratie dans cette région. Les discussions que j’ai eues ont porté sur la perception en Amérique, parmi les Juifs américains et au sein du gouvernement américain, de la manière dont ces changements affecteront Israël. C’est là que l’accent a été mis – parler de la façon dont la perception de ces changements est problématique, et s’assurer, comme je l’ai dit, que les politiques sont expliquées d’une manière qui aidera à faire la lumière sur ces changements.

Nous sommes certainement soucieux de veiller à ce que l’idéal d’Israël tel qu’énoncé dans la Déclaration d’indépendance, la qualité des droits des minorités, soit respecté

Je suis un avocat, pas un avocat israélien, mais un avocat quand même. Et je peux attester qu’en examinant le projet de réforme judiciaire – et en comprenant que votre système est complexe – je ne pense pas que les choses soient aussi binaires, qu’on puisse dire que tout est génial ou que tout est terrible dedans. Et c’est à cause de ce caractère quelque peu obscur que nous encourageons à donner davantage d’explications.

L’essentiel est que, pour nous engager sur cette question critique qui divise et crée sa propre crise politique et constitutionnelle ici, la meilleure façon de le faire n’est pas dans les pages du Times of Israel, mais elle est plutôt de nous engager en privé avec les parties – pour les aider à les guider dans une direction plus productive.

Vous parlez de la perception plutôt que de la substance.

Je ne veux pas vraiment me prononcer sur ce sujet, mais les arguments que j’ai entendus des deux côtés me montrent clairement que ce n’est pas binaire. Je pense qu’un argument raisonnable a été avancé, celui de dire que le système n’est pas parfait. La question est de savoir si les réformes qui ont été proposées sont les bonnes pour aider à perfectionner le système.

Vous parlez d’écouter différentes personnes et d’être capable de les guider. Qui voulez-vous guider ?

Je cherche à orienter les décideurs politiques israéliens pour qu’ils intègrent les points de vue des Juifs américains dans leurs décisions politiques.

Vous vous considérez donc comme un ambassadeur des Juifs américains, qui s’exprime dans un rôle non-partisan et non-religieux – une voix saine et objective ?

Absolument. Je vois le rôle de la Conférence comme celui d’un interlocuteur, d’un ambassadeur, entre le judaïsme américain et le gouvernement israélien, la société civile israélienne, le gouvernement américain, la société civile américaine, ainsi que d’autres gouvernements à travers le monde où nous nous engageons au nom des intérêts de la communauté juive américaine. S’engager avec un pays au nom de ses propres Juifs, par exemple. Il y a certains pays où nos relations avec les dirigeants politiques sont meilleures que celles de la communauté juive locale avec leurs dirigeants politiques, où nous sommes en mesure d’utiliser le poids de la communauté juive américaine afin d’attirer l’attention d’une manière que la communauté locale ne peut pas, ainsi que de s’engager avec des pays. Comme dans le Golfe et ailleurs, où cela sert les intérêts américains, les intérêts de la communauté juive américaine.

Êtes-vous préoccupé par le fait qu’il s’agit d’un moment inquiétant pour Israël, que nous avons un gouvernement de droite radicale dont le programme comprend officiellement, outre la refonte du système judiciaire, un projet de loi qui permettrait de refuser de fournir un service au motif qu’il va à l’encontre de croyances religieuses ? Il a été question de lever l’interdiction faite aux racistes de se présenter à la Knesset. Ce sont des positions qui ne semblent pas correspondre à l’éthique et aux valeurs de la Déclaration d’Indépendance. Est-ce un sujet autour de votre table de conférence ?

Au sein de la Conférence, nous travaillons par consensus. Nous ne procédons généralement pas à des votes. Nous cherchons à voir où se trouve le consensus entre les groupes, d’une manière qui rassemble les 53 organisations plutôt que de les diviser et de les séparer.

Les pouvoirs en place ici devraient rechercher un consensus, devraient trouver des moyens de faire avancer des propositions politiques qui rassemblent le peuple israélien au lieu de le diviser

Il y a certainement une préoccupation, l’idée que – alors qu’Israël cherche à s’engager dans ces changements majeurs – le pouvoir en place devrait rechercher un consensus, devrait trouver des moyens de faire avancer des propositions politiques qui rassemblent le peuple israélien plutôt que de le diviser.

Je suis donc encouragé, par exemple, par les efforts du président Herzog qui veut rassembler les gens afin de trouver un consensus. Sans me prononcer sur le fond des problèmes sous-jacents, je pense que rassembler les gens, trouver un consensus et chercher des moyens de réduire la division de la société serait une noble quête.

Êtes-vous préoccupé par le fait qu’Israël s’éloigne de plus en plus de certaines parties de la Diaspora ? Ou ne voyez-vous pas cela se produire ? Entendez-vous des inquiétudes dans la communauté juive américaine sur ce qui arrive à Israël ?

D’aussi loin que je me souvienne, la communauté juive américaine s’est toujours inquiétée d’Israël, de ses différentes composantes, de ses différentes initiatives, de la façon dont Israël se conduit sur un large éventail de questions. Et cela continue bien évidemment aujourd’hui.

Je pense que la rancœur qui règne ici favorise la rancœur en Amérique au sein de la communauté juive américaine, et que cette division est très probablement une source de préoccupation.

Que pensez-vous du fait que le secrétaire d’État, lors de sa visite, se soit exprimé publiquement avec une longue liste de « hé, rappelez-vous ce qu’est la démocratie » ?

L’endroit où la Conférence peut avoir le plus d’impact est dans la relation bilatérale entre les deux gouvernements, entre la Maison Blanche et le Bureau du Premier ministre, entre le Congrès et la Knesset. Notre objectif est de faire en sorte que, malgré le brouhaha, malgré les informations, malgré la crise du moment, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse d’une attaque terroriste ou d’une opération de Tsahal à Jénine, il y ait des lignes de communication ouvertes entre les deux gouvernements, qu’il y ait un langage commun et qu’un processus soit mis en place pour éviter que la relation ne déraille.

Ce que nous voyons de la part des États-Unis et d’Israël, c’est un processus de décompression et d’engagement commun. Tom Nides a été spectaculaire dans son engagement avec les dirigeants politiques ici. Et cela s’est poursuivi avec la venue de Jake Sullivan, [conseiller à la sécurité nationale des États-Unis], qui a travaillé sur certains aspects spécifiques, puis du secrétaire [Antony] Blinken, qui a mis la cerise sur le gâteau. La prochaine étape consistera vraisemblablement en une rencontre entre le Premier ministre et le président au cours des deux prochains mois.

Il est remarquable et louable qu’ils travaillent sur ces questions et qu’ils cherchent intentionnellement à faire en sorte que les discussions se déroulent en privé, à huis clos.

Avez-vous déjà rencontré Amichai Chikli, le nouveau ministre des Affaires de la Diaspora ?

Via Zoom. Nous nous étions déjà rencontrés, mais les discussions par Zoom et WhatsApp que j’ai eues avec lui depuis qu’il a pris ses fonctions ont été plus intenses. J’ai développé une relation plus profonde avec lui au cours du dernier mois.

Le considérez-vous comme un intermédiaire important pour les Juifs américains qui s’adressent à Israël ?

Je crois savoir que Chikli a eu de nombreuses réunions. J’ai cru comprendre qu’il avait eu deux conversations avec le rabbin Rick Jacobs [leader réformé américain], par exemple. Jusqu’à présent, il m’a impressionné. Il cherche à s’engager auprès de toute la mosaïque des Juifs américains et à être un vecteur d’engagement ici, tout en assumant [la responsabilité de s’attaquer] à la délégitimation et à l’antisémitisme. Avec une telle approche, il y aura certainement des résultats. Tous les signes sont donc positifs. Nous avons une bonne interaction. Il semble très engagé et il s’est efforcé de travailler avec nous et d’apprendre à connaître la communauté juive américaine.

Le ministre des Affaires de la Diaspora, Amichaï Chikli, prenant la parole lors de la conférence annuelle du Conseil israélo-américain à Austin, au Texas, le 19 janvier 2023. (Crédit : Shahar Azran)

En ce qui concerne l’orientation déclarée de ce gouvernement, dans le contexte de la bataille contre BDS, est-ce que cela rend la bataille plus difficile si vous avez un gouvernement qui semble s’être engagé dans une voie particulièrement difficile ? Lorsque certains Israéliens de la majorité utilisent le mot « fasciste » contre le gouvernement israélien ? 

Je pense qu’il est important pour toutes les parties d’utiliser un langage approprié, respectueux et proportionné aux problèmes posés. Traiter d’antisémite toute personne qui critique Israël est une erreur. Il est certain que les antisémites critiquent beaucoup Israël, mais tous ceux qui critiquent Israël sur un sujet donné ne sont certainement pas des antisémites. Il suffit de regarder à nouveau autour de vos tables de Shabbat et des nôtres. J’encourage un ton qui rassemble les gens, qui essaie de couper à travers la division et qui mènera à un consensus. Il est évident qu’un langage qui diabolise ses adversaires, qu’ils soient de gauche ou de droite, est contreproductif.

La dernière fois que nous avons parlé, c’était un peu après que le Board of Deputies britannique a dit à Bezalel Smotrich de remonter dans son avion. Vous et [le vice-président exécutif de longue date de la Conférence] Malcolm [Hoenlein] étiez généralement déférents et cherchiez à garder de telles attitudes privées. Dans les jours qui ont suivi l’élection, certaines de vos organisations membres ont ouvertement qualifié les membres de ce gouvernement de racistes, d’homophobes, et de fanatiques, entre autres. La politique de déférence des Juifs américains va-t-elle durer ?

Il existe des éléments de la communauté juive américaine qui soutiennent chaque élément du système politique israélien. Il existe des éléments de la communauté juive américaine qui ont une affinité avec le parti Avoda. Il y a des éléments de la communauté juive américaine qui ont une affinité avec le parti HaTzionout HaDatit. Je ne serais pas surpris que ces différents éléments accueillent les membres de la Knesset avec lesquels ils ont des affinités lors d’événements en Amérique.

Il y a probablement beaucoup plus de Juifs américains qui soutiennent le parti Avoda que HaTzionout HaDatit. Si vous dites que la Conférence recherche le consensus, cela suggère que de petites minorités ont un contrôle disproportionné sur ce que la Conférence dit ou ne dit pas. Alors comment voyez-vous votre rôle en termes de représentation des Juifs américains, en tant qu’entité ?

Nous recherchons un consensus au sein de la Conférence. L’unité ne signifie pas l’unanimité. Il y a donc une variété de points de vue différents qui sont représentés. Nous avons des discussions internes qui nous aident à rechercher un consensus et à évaluer comment aborder ces questions. Smotrich sera-t-il persona non grata en Amérique ? Il y a certains groupes juifs américains qui ont une affinité avec lui et son parti et qui, à mon avis, en feront une persona grata.

Vous choisissez très soigneusement quand parler et quand garder le silence, en évitant minutieusement les faux pas… Lorsque vous êtes assis autour de la table de la Conférence et que les éléments orthodoxes les plus conservateurs savent que vous n’allez pas faire de vagues sur la conversion ou des choses de ce genre, est-ce que l’élément le plus à gauche s’en sert pour dire « hé, laissez-nous, oui, prendre position sur cette question particulière » ? Est-ce que cela est possible ?

Notre table n’est pas vraiment une table où il y a du maquignonnage en soi, où il y a ce genre de négociation. Notre position est ancrée dans l’ADN de l’organisation, après 30 ans. Nous discutons de ces questions, mais nous ne nous prononçons pas sur ces dernières. Il y a un dialogue entre les organisations à notre table, à la recherche d’un terrain d’entente, d’un consensus, d’un moyen de rassembler des parties disparates de la communauté. La doctrine Schindler nous empêche de parler publiquement de ces questions afin d’encourager ce dialogue interne et de créer un lieu où les gens, quelle que soit la taille de leur kippa, peuvent s’asseoir et discuter librement.

Vous dites qu’il y a des parties du public juif américain où Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir sont persona non grata. Puisque vous recherchez un consensus, cela signifie-t-il qu’ils ne vont pas se présenter devant la Conférence des présidents ?

Je voulais dire qu’ils n’apparaîtront probablement pas au banquet d’Americans for Peace Now, c’est certain.

Le vice-ministre Avi Maoz lors d’un vote dans la salle de réunion de la Knesset, le 28 décembre 2022. (Crédit : Olivier Fitoussi/Flash90)

Mais si Americans for Peace Now s’y oppose, cela signifie-t-il qu’ils ne vont pas apparaître à la Conférence des présidents ? Prenons l’exemple d’Avi Maoz, qui chercherait à limiter la capacité des organisations et fondations américaines à financer des initiatives dans le système éducatif israélien…

Sur bon nombre de ces questions, nous suivrons les conseils du Premier ministre, qui a déclaré que la responsabilité lui incombait et qu’il était responsable des actions de son gouvernement. C’est ce qu’il a dit au gouvernement américain. C’est ce qu’il a dit à Bari Weiss. Et à Jake Tapper également me semble-t-il …

En ce qui concerne les questions de ce genre, il reviendra au Premier ministre de s’assurer que sur les questions LGBT, par exemple, le gouvernement ne dérape pas.

Une dernière question, pour revenir à ce que vous disiez au début, à savoir que vous vous inquiétez du flou et de la manière dont les choses sont présentées, par opposition à l’idée qu’Israël est sur une voie dangereuse et fait face à un moment de crise. Pensez-vous qu’il s’agit d’un moment de crise, mais que vous êtes contraint de le dire, ou pensez-vous que les critiques sont hystériques et exagèrent ? Pensez-vous que la meilleure façon de répondre à ces préoccupations est d’adopter une approche discrète, en coulisses ?

Il est certain qu’une approche en coulisses est, à mon avis, plus efficace. Cinq élections ont illustré cette division. Et tout comme en Amérique – où nous traversons une ère qui se caractérise par de forts clivages – ce climat se perpétue ici.

Il y a dans les deux pays une crise de la division, avec l’impossibilité de trouver un consensus, avec l’instrumentalisation des questions politiques pour leur donner une dimension qu’elles ne devraient pas avoir. C’est très préoccupant.

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