La modification de la Loi du retour s’avère plus délicate que prévu
Un groupe de pression des Israéliens russophones a organisé un vif débat sur la "clause des petits-enfants" ; tous reconnaissent que cela ne se fera pas si rapidement
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.

Des députés, des rabbins et des activistes ont débattu de la Loi du retour et des projets du gouvernement visant à la restreindre mercredi soir. Même les partisans du changement proposé ont reconnu que la question était compliquée et qu’elle nécessitait une discussion plus approfondie avant qu’un amendement puisse être apporté.
Les partis religieux de la coalition gouvernementale ont fait pression pour l’annulation de la « clause des petits-enfants » de la Loi du retour, qui accorde la citoyenneté à toute personne ayant au moins un grand-parent juif, à condition qu’elle ne pratique aucune autre religion. Les partis ultra-orthodoxes Yahadout HaTorah et le Shas, et les factions nationalistes religieuses Otzma Yehudit, Noam et HaTzionout HaDatit – affirment qu’étant donné que de nombreuses personnes immigrant en Israël en vertu de cette clause ne sont pas juives selon la plupart des interprétations de la loi juive orthodoxe – ou halakha – cette clause affaiblit le « caractère juif » de l’État.
Les députés de l’opposition, y compris les orthodoxes, se sont farouchement opposés à la modification de la Loi du retour, et le Likud a résisté à l’initiative, poussant plutôt à un amendement plus nuancé.
Pour débattre de ce sujet, One Million Lobby, un groupe de défense qui représente environ un million d’Israéliens russophones, a organisé une conférence au College of Law and Business de Ramat Gan, réunissant des chercheurs, des activistes, des rabbins et des politiciens du gouvernement et de l’opposition.
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En vertu des accords de coalition (pourtant non-contraignants), le gouvernement est tenu de former une commission chargée d’élaborer un projet de loi visant à modifier la Loi du retour dans un délai de 60 jours et de le faire adopter avant l’approbation du budget à la fin du mois de mars.
Pourtant, le ministre de la Culture et du Sport, Miki Zohar, un membre influent du Likud, a déclaré aux participants de la conférence qu’au vu de la complexité du sujet, le gouvernement ne respectera certainement pas ce calendrier.
« Ne vous inquiétez pas, nous ne respecterons pas cette clause [pour les accords de coalition] tout du moins. Nous prendrons beaucoup plus de temps que 60 jours », a déclaré Zohar.
La suppression de la « clause des petits-enfants » affecterait principalement, et de manière disproportionnée, les candidats à l’immigration originaires de l’ex-Union soviétique, qui sont plus susceptibles de faire usage de cette disposition, en grande partie en raison des normes culturelles de ces pays, selon lesquelles l’ethnicité est transmise de manière patrilinéaire, bien que la judéité soit traditionnellement transmise par la mère. (Cela explique probablement pourquoi le Likud hésite à modifier la loi, car nombre de ses électeurs sont originaires de l’ex-Union soviétique et soutiennent la Loi du retour sous sa forme actuelle).

Pourtant, la Loi du retour et sa « clause des petits-enfants » ont une profonde signification symbolique au-delà des implications pratiques. Comme la loi est la base de la citoyenneté israélienne, elle est également considérée par beaucoup comme une porte d’entrée dans le peuple juif, un concept qui va au-delà des définitions religieuses de la judéité. C’est aussi une sorte d’image miroir des lois nazies de Nuremberg, qui déterminaient que toute personne ayant au moins un grand-parent juif serait considérée comme juive même si elle pratiquait une autre religion (en cela, elles diffèrent de la Loi du retour). Ces lois ont suscité une forte opposition de la part des groupes juifs américains et internationaux, y compris ceux qui sont normalement muets sur les questions de politique intérieure israélienne.
Néanmoins, les participants à la conférence – partisans et opposants à la modification de la Loi du retour – ont tous reconnu que la situation actuelle est intenable.
Près de 500 000 Israéliens sont officiellement répertoriés comme étant « sans religion », c’est-à-dire ceux qui ont immigré en Israël en vertu de la Loi du retour mais ne sont pas Juifs selon la halakha, ainsi que leurs descendants.
Les Israéliens qui ne sont pas considérés comme Juifs par le Grand-Rabbinat sont confrontés à des défis importants en Israël, tant sur le plan logistique que social. Parce qu’il n’y a pas de mariage civil en Israël, les Israéliens « sans religion » ne peuvent pas épouser leur partenaire juif dans le pays et sont contraints de célébrer leur mariage à l’étranger. Ils ne peuvent pas non plus être enterrés aux côtés de leur conjoint juif.
Mais de nombreux Israéliens « sans religion » n’arriveront jamais à cette situation, car la majorité des Israéliens juifs s’opposent au mariage inter-confessionnel, selon une récente enquête.
Là où les deux camps divergent, c’est sur ce qu’il faut faire de cette situation.
Les opposants à la modification de la Loi du retour – Zeev Elkin (HaMahane HaMamlahti), Yulia Malinovsky, députée du parti Yisrael Beytenu, Alex Rif, fondateur et directeur-général de One Million Lobby, et Yaël Belenky, directrice du programme de conversions orthodoxes non-gouvernemental Giyur Kahalacha – ont affirmé qu’en agissant ainsi, ils aliéneraient davantage non seulement le demi-million d’Israéliens « sans religion », mais aussi les Israéliens de l’ex-Union soviétique, qu’il s’agirait d’une violation d’un compromis vieux de plus de 50 ans entre Israël et les Juifs de la Diaspora, que cela ouvrirait la porte à de nouvelles modifications de la Loi du retour, autrefois sacrée, et que cela ne changerait finalement pas grand-chose à la situation.
Après 70 ans, c’est un miracle – un vrai miracle – que 94 % des Israéliens russophones disent se sentir juifs …
Elkin, Malinovsky, Rif et Belenky ont tous noté que si les Israéliens « sans religion » peuvent ne pas être juifs selon la halakha, ils se considèrent néanmoins comme Juifs. En effet, une enquête menée par One Million Lobby a révélé que 94 % des Israéliens russophones ont déclaré s’identifier comme Juifs, même si seulement 74 % d’entre eux ont déclaré être considérés comme Juifs par le Grand-Rabbinat.
Ils ont tous préconisé de changer la façon dont les conversions sont effectuées en Israël – tout en les maintenant en conformité avec les interprétations orthodoxes de la loi juive – en les adaptant aux modes de vie et aux mentalités des Israéliens russophones.
Rif a noté qu’une enquête menée par son groupe a révélé qu’un pourcentage important d’Israéliens « sans religion » – 45 % – ont déclaré qu’ils seraient intéressés par une conversion si le processus était quelque peu assoupli, tout en restant conforme aux normes orthodoxes. Elle a déclaré qu’il y avait un profond manque d’appréciation en Israël pour le fait que l’Union soviétique a opprimé les Juifs et supprimé le judaïsme pendant près de trois quarts de siècle.
« Après 70 ans, c’est un miracle – un vrai miracle – que 94 % des Israéliens russophones disent se sentir juifs », a-t-elle déclaré.
Malinovsky, peut-être la plus ardente défenseure du maintien de la Loi du retour telle quelle, a déclaré que modifier la loi, « même en ne changeant qu’une virgule, saperait les fondements de l’État d’Israël », car cela limiterait l’immigration, ou alyah, en Israël.
« Peut-être que quelqu’un qui fait son alyah par le biais de la Loi du retour n’est pas juif selon la halakha. C’est tout à fait normal. Il en a toujours été ainsi », a-t-elle déclaré. « Israël n’est pas un État religieux. Je ne veux pas vivre en Israël selon la loi juive. Peut-être que d’autres le font, mais ce n’est pas mon cas. »
Malinovsky a ajouté que les craintes exprimées par les partisans de la modification de la Loi du retour – que les Israéliens qui ne sont pas juifs selon la halakha affaiblissent le « caractère juif » de l’État – n’étaient pas fondées.
« Nous devons renoncer à cette mentalité du ‘Juif errant’. Nous avons maintenant notre propre pays. Nous sommes suffisamment forts pour que notre identité ne fasse pas l’objet d’un débat », a déclaré Malinovsky, suscitant les applaudissements des quelques dizaines de personnes qui ont assisté à la conférence, dont beaucoup semblaient venir de l’ex-Union soviétique.
Elkin, autrefois membre d’exception du Likud, a souligné que de nombreuses personnes originaires de Russie, d’Ukraine et d’autres pays de l’ex-Union soviétique se considéraient comme juives même si elles ne l’étaient pas selon la halakha.
Elkin, qui a immigré en Israël depuis l’actuelle Ukraine, en 1990, a déclaré que cela incluait de nombreux membres du mouvement clandestin des Juifs soviétiques, qui se sont battus pour les droits des Juifs à immigrer en Israël et à pratiquer leur foi librement.

Il a vigoureusement mis en garde contre la modification de la Loi du retour, affirmant que cela ouvrirait la porte à d’autres modifications, y compris celles auxquelles le gouvernement actuel pourrait s’opposer.
« Toucher à la Loi du retour serait une erreur. Il y a une raison pour laquelle cette loi n’a pas été modifiée depuis 50 ans », a-t-il dit. « Si vous la touchez une fois, quelqu’un d’autre la retouchera. »
La Loi du retour a été adoptée pour la première fois en 1950, stipulant simplement que tout Juif avait le droit d’immigrer en Israël, mais laissant délibérément la définition de ce qu’est un Juif ouverte à l’interprétation. En 1970, sous la pression des sionistes religieux, la loi a été modifiée pour définir un Juif comme toute personne née d’une mère juive ou qui s’est convertie. Toutefois, en guise de compromis, elle a laissé la nature de ces conversions vague, n’exigeant pas qu’elles soient orthodoxes, et a également permis aux enfants et petits-enfants de Juifs – ainsi qu’à leurs conjoints et enfants – d’immigrer en Israël.
« La modifier serait une violation de ce compromis », a déclaré Elkin.
Il a également averti que la modification de la Loi du retour enverrait un message dur aux communautés de la Diaspora.
« Les personnes que vous considérez comme faisant partie de votre communauté, dans notre esprit, n’auraient même pas le droit d’être ici », a-t-il déclaré. « Ce serait une grave rupture ».
Ce que je veux, c’est la loi qui soit la plus juste pour 2023. Ce qui était correct en 1970 était correct à l’époque. Les choses ont changé. Peut-être que la chose la plus juste aujourd’hui est de ne pas y toucher, mais nous ne le saurons qu’après un vrai débat, une vraie discussion, et des efforts pour se comprendre mutuellement
Le plus fervent partisan de la modification de la Loi du retour était le ministre du Patrimoine, le rabbin Amichaï Eliyahu, du parti d’extrême-droite Otzma Yehudit.
Eliyahu a déclaré qu’il voulait « qu’Israël reste juif » et que, bien qu’il compatisse avec ceux qui se considèrent comme Juifs et qui veulent sincèrement faire partie du peuple juif, il pense que de nombreux immigrants viennent en Israël pour des raisons économiques.
« Ceux qui veulent venir ici pour les avantages fiscaux, je ne les veux pas », a-t-il dit.
Il a reconnu la nécessité de poursuivre le débat sur le sujet afin de permettre aux personnes, qui ont un véritable lien avec Israël et le peuple juif, d’immigrer même si elles ne sont pas juives selon la halakha.
Belenky a quelque peu réfuté l’argument d’Eliyahu et d’autres partisans de l’annulation de la « clause des petits-enfants », qui affirment que de nombreux immigrants le font pour des raisons économiques.
« Je me demande si nous vivons dans le même pays que les personnes qui soutiennent la modification de la Loi du retour, qui disent qu’il y a des immigrants qui viennent ici uniquement pour des avantages fiscaux. Israël est un pays où il est difficile de vivre, un pays où le coût de la vie est élevé. C’est un pays où de nombreux immigrants de l’ex-Union soviétique ont le sentiment d’être des citoyens de seconde zone », a déclaré Belenky.
Le rabbin Shmuel David, le grand rabbin de la ville d’Afula, qui s’est dit, a priori, favorable à la modification de la Loi du retour, a déploré le fait que le débat soit devenu « un désastre » et qu’il soit particulièrement blessant pour les Israéliens de l’ex-Union soviétique.
« C’est un discours blessant. On tend vers ‘nous et eux’ ou ‘eux et moi’. Cela ne doit pas se produire », a-t-il déclaré.
David a déclaré qu’il était initialement beaucoup plus favorable à la révocation de la « clause des petits-enfants », mais qu’il reconnaissait maintenant que la question était beaucoup, beaucoup plus complexe. Il l’a démontré en énumérant divers scénarii qui, collectivement, ne correspondent pas à un ensemble de critères précis pour une nouvelle loi.
« S’il s’agit d’une personne qui veut immigrer et que son grand-père vit en Israël, alors je suis en faveur de cette mesure parce qu’il s’agit d’un regroupement familial. Mais qu’en est-il si le grand-père est mort ? Et si le grand-père vit toujours en Russie ? Alors quoi ? Juste à cause de ça, le petit-fils ne devrait pas pouvoir immigrer ? Mais attendez, et si c’est quelqu’un qui s’est battu pour sa judéité – comme le membre de la Knesset Elkin l’a mentionné. Même s’ils ne sont pas juifs selon la halakha, mais qu’ils se sont battus pour leur judéité et ont peut-être même été opprimés pour cela, cette personne devrait évidemment être autorisée à entrer, non ? Mais qu’en est-il de quelqu’un qui se sent juif, qui n’a peut-être pas été opprimé pour cela, mais qui s’est senti juif toute sa vie ? », a questionné David.
« Même si je comprends les défis de la ‘clause des petits-enfants’, je ne pense pas que l’on puisse l’annuler. Peut-être la modifier. Nous devons réfléchir à tous les différents aspects de la question. Je n’en ai énuméré que quelques-uns », a-t-il déclaré.
« Ce que je veux, c’est la loi qui soit la plus juste pour 2023. Ce qui était correct en 1970 était correct à l’époque. Les choses ont changé. Peut-être que la chose la plus juste aujourd’hui est de ne pas y toucher, mais nous ne le saurons qu’après un vrai débat, une vraie discussion, et des efforts pour se comprendre mutuellement. »