Israël en guerre - Jour 373

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Éric Zemmour, candidat à l’élection présidentielle, au JT de TF1 dans les studios de la chaine à Boulogne-Billancourt, en région parisienne, le 30 novembre 2021. (Crédit : Thomas Coex/POOL/AFP)
Éric Zemmour, candidat à l’élection présidentielle, au JT de TF1 dans les studios de la chaine à Boulogne-Billancourt, en région parisienne, le 30 novembre 2021. (Crédit : Thomas COEX / POOL / AFP)

Eric Zemmour : « son » judaïsme, « son » identité française et toutes ses polémiques

Issu d’une modeste famille juive berbère, rien ne prédestinait le polémiste autant honni qu’adulé à se présenter à la magistrature suprême

Journaliste

Éric Zemmour, candidat à l’élection présidentielle, au JT de TF1 dans les studios de la chaine à Boulogne-Billancourt, en région parisienne, le 30 novembre 2021. (Crédit : Thomas COEX / POOL / AFP)

Éric Zemmour, « antisémite certainement, raciste évidemment », affirmait en octobre le grand rabbin de France Haïm Korsia, s’interrogeant également sur le fait de savoir si sa cible était Juive. Quelques jours plus tard, l’ancien journaliste désormais officiellement candidat à la présidentielle de 2022 réagissait, estimant les propos du responsable religieux de « grotesques », dignes d’un « comportement de Juif de cour ».

Bien sûr, le grand rabbin de France a conscience et connaissance de la judéité de l’homme – qui en parle peu, se considérant Juif (berbère) en privé, toujours Français partout ailleurs. Par son jugement, Haïm Korsia réagissait plutôt là aux deux condamnations pour incitation à la haine contre l’éditorialiste et à plusieurs récentes polémiques, qui ont pu froisser ou même révulser les Juifs de France et les éloigner d’un éventuel vote Zemmour en avril prochain (le CRIF et son président Francis Kalifat ont appelé à ce qu’il n’y ait « pas une voix juive » pour lui). Par ses mots, le rabbin a également pu considérer que l’essayiste défendait au quotidien des valeurs allant à l’encontre de celles de la religion.

Dans son dernier livre, La France n’a pas dit son dernier mot, longtemps en tête des ventes et toujours dans le haut du classement depuis sa sortie mi-septembre, Éric Zemmour tirait un parallèle entre l’enterrement en Algérie du terroriste de l’attentat de Toulouse en 2012 et celui de ses victimes, en Israël. Interrogé à ce sujet sur France 2, il avait dénoncé une « défrancisation de la France », estimant que, comme le tueur, les victimes « n’appartenaient pas à la France » – des propos pour lesquels il s’est depuis excusé auprès de Samuel Sandler, père et grand-père de trois victimes, qui estime aujourd’hui que le débat lancé par le polémiste est clos.

Autre question et polémique auxquelles réagissait par ses propos le grand rabbin de France, valant à Éric Zemmour d’être qualifié d’ « antisémite » : depuis des années, surtout depuis la publication de son livre Le Suicide français en 2014, le journaliste défend bec et ongles une position controversée selon laquelle le régime de Vichy – tout en reconnaissant et en condamnant son caractère xénophobe et antisémite – aurait sauvé une majorité de Juifs français en sacrifiant et en livrant aux nazis les Juifs étrangers présents en France. Par cette soi-disante thèse, il a été accusé de réhabiliter Philippe Pétain, qui gouverna la France et collabora avec l’occupant nazi de 1940 à 1944, et son régime.

L’entrevue de Montoire, le 3 octobre 1940, entre le maréchal Pétain et Adolf Hitler. (Crédit : Wikimedia Commons)

Si cette idée a été présentée et défendue notamment par le rabbin et historien franco-israélien Alain Michel, qui estime lui aussi que le gouvernement de Vichy serait parvenu à éviter la mort à 90 à 92 % de Juifs français, elle est vivement rejetée par d’autres historiens – Robert Paxton, Jacques Semelin, André Kaspi, Denis Peschanski, Laurent Joly… – qui ont notamment rappelé les mesures antisémites mises en place dès l’instauration du régime de Vichy et appliquées à l’égard de tous les Juifs de France, qu’ils soient Français ou étrangers. Éric Zemmour avait comparu en décembre 2020 devant la justice pour ces propos pour « contestation de crime contre l’humanité ». Il a été relaxé en février dernier.

Invité en 2016 à débattre au sujet de son livre à la synagogue de la Victoire, à Paris, aux côtés de Gilles Bernheim, ancien grand rabbin de France, il avait prononcé ces mots, suscitant de vives condamnations : « À l’époque, on estime que les Juifs ont pris trop de pouvoir, qu’ils ont trop de puissance, qu’ils dominent excessivement l’économie, les médias, la culture française comme d’ailleurs en Allemagne et en Europe. Et d’ailleurs c’est en partie vrai […] Il y avait des Français qui trouvaient que les Juifs se comportaient avec une arrogance de colonisateur. Et arrive encore l’immigration des Juifs d’Europe de l’Est et de l’Allemagne. La France est le pays qui a reçu le plus de réfugiés. Et c’est la France qui a subi le plus de conséquences. Les médecins français se plaignaient que les médecins juifs leur volent leur clientèle. Il y avait des concurrences terribles. Il y avait des trafics. Il y avait l’affaire Stavisky. Tout ça n’a pas été inventé par les antisémites. Et les Juifs français étaient les premiers à se plaindre des problèmes que causaient les Juifs ashkénazes. »

Dans Le Suicide français, le polémiste a aussi défendu l’attitude de Maurice Papon pendant la Seconde Guerre mondiale, estimant que son procès n’aurait pas dû avoir lieu, car il n’aurait fait qu’obéir aux ordres. Décédé en 2007, l’ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde a été condamné en 1998 à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité concernant des actes d’arrestation et de séquestration, lors de l’organisation de la déportation des Juifs de la région bordelaise vers le camp de Drancy, d’où ils ont ensuite été acheminés vers Auschwitz pour y trouver la mort – il a néanmoins été acquitté pour toutes les charges de « complicité d’assassinat » et des « tentatives de complicité d’assassinat », le tribunal ayant estimé qu’il n’existait pas de preuve que Papon avait connaissance de l’extermination des Juifs à l’époque des faits.

« Les fonctionnaires de Vichy n’étaient pas coupables, ils devaient obéir à l’État. Sinon, il n’y a plus d’autorité, plus d’obéissance », s’exclamait-il sur CNews en septembre dernier.

D’autres polémiques concernant les Juifs de France, leur histoire et leur identité ont jalonné la carrière médiatique d’Éric Zemmour – qui, bien qu’il rejette ouvertement toute appartenance communautaire, n’hésite pas à utiliser le « nous » en évoquant les Juifs de France, comme l’explique le journaliste Étienne Girard dans Le Radicalisé (éditions du Seuil). Dans cet ouvrage brillant, éclairant et très documenté sorti fin octobre, le rédacteur en chef société de L’Express narre les origines, l’ascension – un phénomène rare pour un journaliste politique – et la radicalisation de l’homme.

Sébastien Selam. (Crédit : affaireselam / Dailymotion)

La première polémique qui lui a valu un procès concerne un meurtre antisémite qui a ébranlé la communauté juive : celui de Sébastien Selam, en 2003 – dont le meurtrier, ami de la victime, a été reconnu irresponsable pénalement en 2010 en raison de l’abolition de son discernement.

Cinq ans après le crime, Éric Zemmour publiait son troisième roman, Petit frère, inspiré des faits. Suite à cet ouvrage, l’auteur et son éditeur, Denoël, ont été poursuivis par la famille Selam pour atteinte à la dignité d’un mort, à la vie privée et violation du secret de l’instruction. La famille, qui estimait que la mémoire de la victime était salie et qui demandait l’interdiction du livre, a finalement été déboutée.

Éric Zemmour arrive entouré de gardes du corps au salon « Made in France » à la Porte de Versailles à Paris, le 14 novembre 2021. (Crédit : Thomas Samson/AFP)

Autre polémique, cette fois à nouveau sur un point historique : récemment, Éric Zemmour a jeté le soupçon sur l’innocence d’Alfred Dreyfus et insinué le trouble dans l’action d’Émile Zola. Pour ces propos, il a été accusé – notamment par Élie Korchia, nouveau président du Consistoire central – de défendre des thèses soutenues par le passé par Maurice Barrès, écrivain, et Charles Maurras, père de l’Action française (AF), tous deux anti-dreyfusards et férocement antisémites. Autrefois important mouvement nationaliste et royaliste d’extrême droite, traditionaliste et xénophobe, l’AF est présentée par Éric Zemmour – qui a voté Mitterrand en 1981 et 1988 – comme ayant été le courant majoritaire au sein de la Résistance – une thèse elle aussi rejetée par les historiens.

Groupuscule toujours fidèle à ses idées d’origine, certains membres de l’AF soutiennent aujourd’hui Éric Zemmour, parmi d’autres sympathisants d’ultra droite – dont l’écrivain antisémite Hervé Ryssen –, aux côtés de militants de la droite plus classique. « Nous sommes patriotes avant d’être monarchistes. Si le bien commun passe par avoir un président comme Zemmour, alors très bien », assurait récemment l’ancien porte-parole de l’Action française, Antoine Berth.

Dans ses derniers livres et sur les plateaux télé, le polémiste a également été critique de la loi Gayssot, qui pénalise le négationnisme de la Shoah (« qui enserre dans un corset toujours plus serré la liberté de pensée » selon l’homme), et de la loi Pleven, qui condamne le racisme et l’antisémitisme – il souhaite l’abolition des deux lois. Il a aussi déploré le discours du Vel’ d’Hiv’ de Jacques Chirac, qui a reconnu en 1995 la responsabilité de l’État français dans la déportation des Juifs, ou encore remis en cause la lutte contre l’antisémitisme et le racisme en France, ainsi que l’héritage de ces combats. Après avoir publié Le Suicide français, il a aussi été accusé d’avoir « réhabilité » Jean-Marie Le Pen et ses propos sur la Shoah – il aurait d’ailleurs déjeuné avec le fondateur du Front national et Ursula Painvin, née von Ribbentrop, la fille du ministre des Affaires étrangères d’Hitler, qui l’encourage aujourd’hui, en 2020. Toujours dans Le Suicide français, il avait aussi salué la « talentueuse truculence désacralisatrice » du « comique » Dieudonné, condamné à maintes reprises pour antisémitisme, et écrit que les Juifs français étaient devenus une
« caste d’intouchables ».

Par tous ses propos, ses autres prises de position et les nombreuses réactions à son sujet, Éric Zemmour a été omniprésent dans les médias ces dernières années et surtout depuis la rentrée, alors même qu’il n’était pas encore officiellement candidat à la présidence et qu’il s’était mis en retrait de ses principaux postes d’éditorialiste et de chroniqueur au Figaro et à CNews – pour se consacrer à plein temps à la promotion de son dernier ouvrage.

Rares ont été les journées sans polémique et nombreux commentaires publiques à son sujet. Cette semaine, il aurait insulté le présentateur du JT de TF1 auquel il était invité. Il lui a aussi été reproché d’avoir utilisé de nombreuses images ne respectant pas les droits d’auteur dans son clip annonçant sa candidature et singeant l’appel du 18 juin du général de Gaulle. De nombreux responsables politiques ont dans la foulée critiqué la vidéo, qui cumule déjà 2,3 millions de vues : Dominique Bussereau, ancien ministre de droite, a par exemple estimé qu’elle « ressemblait aux discours de Nuremberg : il a simplement remplacé Wagner par Beethoven » ; « Le micro de De Gaulle mais le discours de Pétain […] La France ne mérite pas cette sinistre mise en scène », a lui écrit Olivier Faure, premier secrétaire du PS ; Sébastien Chenu, porte-parole du Rassemblement national, a lui critiqué « une mise en scène lugubre », un discours « sur le fond, ‘tout est foutu’, pas porteur d’espoir », et un candidat qui « témoigne d’une épopée française revisitée ». Dans le même temps, une plateforme a été lancée contre le candidat et ses idées, et une manifestation a été organisée ce dimanche, alors qu’Éric Zemmour donnait son premier vrai meeting politique au Parc des expositions de Villepinte – il est ainsi le seul candidat à mobiliser à ce point, que ce soit pour ou contre lui.

Un important dispositif de sécurité a été déployé aux abords du lieu du meeting, et plus d’une centaine de manifestants anti-Zemmour, protestant contre « le racisme, le négationnisme, l’homophobie » du candidat ont été dispersés par les forces de l’ordre. Quelques minutes avant le discours du candidat, toutes les chaises des quelque 12 000 installées dans l’immense hall n’étaient pas occupées.

Une capture d’écran de la vidéo d’Éric Zemmour dans laquelle il a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle de 2022, le 30 novembre 2021. (Crédit : YOUTUBE / AFP)

Un temps donné au second tour de la présidentielle par les sondages, Zemmour aurait perdu de son élan depuis quelques jours, alors qu’il n’a pas tout à fait réussi à se donner une allure de présidentiable depuis qu’il fait miroiter le projet, enchaînant plutôt les propos polémiques et controversés, souvent au sujet de l’islam, de « l’islamisation », de l’immigration ou du soi-disant « grand remplacement » – sa marque de fabrique depuis son arrivée fracassante sur les plateaux télés dans la seconde moitié des années 2000.

Issu d’une modeste famille juive berbère originaire d’Algérie qui a reçu la citoyenneté française en 1870 après le décret Crémieux (avant d’en être déchue pendant la guerre par Vichy), rien ne prédestinait Éric Zemmour à une telle ascension médiatique et intellectuelle et au poste auquel il prétend désormais : celui de futur président de la République, avec le soutien de la frange la plus radicale de l’extrême droite.

Né le 31 août 1958 à Montreuil, Éric Zemmour a été élevé avec une idée haute et grande de la nation française, dans des valeurs juives des plus traditionnelles, transmises par ses parents très pratiquants – Roger Zemmour (dont le nom d’origine berbère signifie « olivier »), préparateur en pharmacie puis ambulancier, et Lucette, née Lévy, mère au foyer. Elle est décédée en 2010, le père en 2013.

S’il décrit la figure paternelle comme un passionné de littérature française et comme un homme très sévère, il n’a gardé aucune sorte de rancœur au sujet de ce second point : « Quand on affronte son père, on devient un homme. Aujourd’hui, les jeunes n’ont plus de père à tuer. En me confrontant au mien, je me suis endurci, c’est pour cela que j’aime la bagarre », affirmait-il à Libération en 2006. Sa mère, ultra-protectrice, voyait elle son fils comme un « demi-Dieu », selon L’Express.

La famille a quitté l’Algérie pour la région parisienne, avec les grands-parents et toute la fratrie, peu avant le début de la guerre, en 1952. Les grands-parents paternels, Liaou et Messouka, ont tenu à adopter des noms français à leur arrivée en métropole : Justin et Rachel, rapporte Étienne Girard dans Le Radicalisé. La grand-mère maternelle se prénomme elle Ourida, mais privilégie son second prénom : Claire. Son mari s’appelle Léon. Ces éléments permettent ainsi de mieux comprendre la polémique qui a éclaté à la rentrée, quand Éric Zemmour – qui a Moïse comme prénom hébraïque, utilisé à la synagogue – a proposé d’inscrire dans la loi l’obligation de donner à son enfant un prénom dit « français ».

Le jeune Éric a ainsi grandi entre Montreuil, Drancy et Château-Rouge dans le 18e arrondissement de Paris. En 2018, le journaliste était retourné pour la première fois sur les terres de son enfance pour l’émission « Les Terriens du dimanche » sur Canal +. Il s’était alors remémoré avec beaucoup de nostalgie ces moments, regrettant par la même occasion ce que ces quartiers sont devenus depuis.

Avec son frère Jean-Luc, cadet de trois années, Éric a fait sa scolarité dans des établissements juifs parisiens. (Parmi les amis de lycée de ce frère discret, qui a exercé plusieurs métiers : un certain Meyer Habib, futur député – savoir qu’Éric et Meyer ont pu se côtoyer plus jeunes par l’intermédiaire du frère du premier semble ironique tant les deux hommes sont aujourd’hui éloignés idéologiquement.)

Éric est d’abord passé par Lucien-de-Hirsch, dans le 19e arrondissement, école mêlant fils de familles orthodoxes comme moins religieuses – les deux directeurs, 11 maîtres et 71 enfants de l’école ont été arrêtés et déportés à Auschwitz pendant la Shoah, comme le rappelle une large plaque placée sur l’établissement en 1954 ; la majorité d’entre eux étaient Français.

Dans Le Destin français (2018), il avait expliqué que, tout en apprenant la Marseillaise, les Fables de La Fontaine et en étudiant les hauts faits des héros français, « la Torah nous était contée et commentée d’abondance. La lecture de Rachi, le grand rabbin de Troyes au XIIIe siècle, et sa langue si particulière, farcie d’innombrables mots français écrits en graphie hébraïque, n’avait guère de secrets pour moi ».

Là-bas, son meilleur copain s’appelait Éric Eisenberg (qu’il a perdu de vue après le collège), fils du rabbin Josy Eisenberg, qui présentait alors l’émission « La source de vie » sur l’ORTF, rapporte Étienne Girard. Les deux enfants, studieux et joviaux, étaient les chouchous de leurs professeurs. Toute la classe, non-mixte, devait porter la kippa et réciter une prière avant le début des cours.

« Dans l’enceinte de l’école, nous portions une calotte, que nous ne nommions pas alors ‘kippa’ ; mais le surveillant général de l’établissement nous enjoignait de l’ôter dès notre sortie. Ma mère n’était pas la dernière à me gourmander si j’oubliais cette consigne. Ce n’était, en ce temps-là, pas la peur qui l’animait, mais le respect instinctif d’une conception stricte de la laïcité qui séparait l’espace public du domaine privé. L’école, comme la maison ou la synagogue, relevaient du privé ; la rue ne devait pas souffrir la moindre affirmation d’une identité religieuse », a écrit l’essayiste dans Le Destin français.

Si elle est défendue dans le cadre privé, l’idée du port de la kippa en public reste ainsi vivement rejetée par celui devenu homme politique, défenseur d’une laïcité et d’une assimilation ultra-radicales, au détriment de la liberté totale (« Tout aux Juifs en tant qu’individus, rien en tant que nation », aime-t-il citer, une phrase du révolutionnaire Stanislas de Clermont-Tonnerre qu’il souhaite aujourd’hui imposer aux musulmans). En 2016, dans une chronique sur RTL, il qualifiait ainsi la kippa de « selfie-religieux, la vulgarité contemporaine du narcissisme et du
consumérisme ».

Il assimilait également le port de la kippa aujourd’hui au port de l’étoile jaune pendant la Seconde Guerre mondiale, concluant que la kippa était devenue une revendication. « Aujourd’hui, des représentants éminents du judaïsme français exigent leur signe distinctif […], comme s’ils nous disaient désormais : ‘Je veux mon étoile jaune !’ », expliquait-il.

Après Lucien-de-Hirsch, l’adolescent Éric a pris le chemin du collège-lycée Yabné, dans le 13e arrondissement (où il sera un ailier gauche remarqué du club de football du Yabné Olympique Club). Sciences Po Paris lui ouvrira ses portes après le lycée.

Bien qu’Éric Zemmour ait été imprégné de la religion et des rites juifs dès le plus jeune âge et que son éducation se soit faite dans des écoles juives privées, il a toujours embrassé la culture catholique de la France. Il expliquait ainsi en 2018 au magazine France Catholique que « pour devenir Français, il faut s’imprégner du catholicisme ».

« Jadis, quand la nation reposait sur la religion, on se convertissait à la foi catholique, de gré ou de force. Aujourd’hui cela repose sur la culture, l’histoire, le passé – ce sont les mots de [Ernest] Renan [philosophe]. On s’imprègne donc de ces valeurs chrétiennes. Par exemple, de la beauté des églises. C’est concret. De l’universalisme chrétien aussi, de la pompe de l’Église, de la laïcité née dans l’Église, de cette histoire, de cette compassion pour les faibles. Même si je m’en méfie… », disait-il.

Il ajoutait être « un homme de l’Ancien Testament qui a reçu une culture du Nouveau ». « Je sens bien que toute ma culture, c’est le christianisme, j’en suis imprégné », affirmait-il.

Pratiquant, comme ses parents, Éric Zemmour est néanmoins décrit dans Le Radicalisé par son avocat Olivier Pardo comme « très traditionaliste », qui respecte le Shabbat, et dont les enfants ont célébré leur bar-mitsva. Il fréquente une synagogue du 9e arrondissement.

« Le vendredi soir, il fait la prière de Shabbat avec son épouse et ses enfants, lit un passage de la Torah en début de repas. Ce jour-là, l’émission de CNews est enregistrée à l’avance. La plupart du temps, il ne répond pas non plus aux SMS le vendredi à la nuit tombée, car il respecte l’interdit de l’utilisation des appareils électroniques. Chez lui, il existe deux jeux de vaisselles, deux éviers, afin que le lait et la viande ne se mélangent jamais, conformément aux préceptes du Livre saint », écrit Étienne Girard – ce qui peut paraître surprenant, alors même que le producteur Georges-Marc Benamou affirme avoir l’habitude d’aller dans des « restaurants bien français » avec lui, où il commande généralement une « andouillette ». « Éric Zemmour porte la barbe en cas de deuil. Le samedi, jusqu’au décès de son père, en 2013, il le rejoint régulièrement [à la synagogue] rue Vauquelin », poursuit Girard.

Celui-ci explique également que l’essayiste a insisté pour que tous les rituels traditionnels juifs soient bien respectés au moment de l’enterrement de son père.

Malgré sa pratique religieuse présumée, Éric Zemmour semble avoir un rapport à Dieu qui peut paraître particulier, tel celui d’un agnostique. « Sur l’existence de Dieu je suis dubitatif, je n’en sais rien », a-t-il déclaré au magazine France Catholique, rappelant que « chez les Juifs, on dit ‘pratiquant’, on ne parle pas d’avoir la foi ». « Je n’ai pas une foi vibrante, il y a toujours un conflit entre mon enfance […] et ma rationalité occidentale, française, qui est plus agnostique. Ce conflit en moi est permanent », disait-il en octobre au média Thinkerview, le poussant à expliquer qu’il croyait en Dieu selon les jours.

Si la plupart des « pratiquants » comme lui pourraient se sentir un minimum concernés par Israël ou montrer un certain attachement à la ville de Jérusalem, il n’en est rien pour Éric Zemmour, qui cite régulièrement Napoléon et sa phrase à l’adresse de la communauté juive : « Vous devez considérer Paris comme Jérusalem. »

La Jérusalem d’Éric Zemmour, c’est la France. Ainsi, malgré ses nombreuses interviews, interventions, chroniques, articles, livres et autre, il s’est relativement peu exprimé sur Israël outre que par le prisme de l’analyse politique ou géopolitique et entretient un rapport on ne peut plus éloigné avec l’État hébreu – sans pour autant jamais s’être opposé frontalement au pays ou à ses politiques. Il y a une dizaine d’années, après avoir utilisé « Tel Aviv » pour désigner Israël dans une chronique sur RTL, niant par cet usage lexical l’identité de Jérusalem comme capitale d’Israël, il aurait été engueulé par son père, militant sioniste de toujours, raconte Étienne Girard. (« Jusqu’à sa mort, mon père me répéterait que la gloire militaire d’Israël avait restauré la dignité du peuple juif et contenu définitivement l’antisémitisme ! », écrivait Zemmour dans Le Destin français.)

« Ce pays ne m’évoque rien », aurait-il avancé auprès d’Olivier Rubinstein, ex-directeur général de chez Denoël et ancien conseiller culturel à l’ambassade de France à Tel Aviv. Ainsi, il n’y va jamais et n’accompagne pas son épouse, Mylène Chichportich – avocate d’origine juive tunisienne avec laquelle il a eu trois enfants – quand elle se rend en voyage dans le pays, explique Girard.

Cette prise de distance peut sembler étonnante, alors même que les écoles juives par lesquelles il est passé ont toujours fait preuve d’un certain attachement à Israël (notamment en 1973, pendant la guerre du Kippour, alors qu’il étudiait encore à Yabné), et qu’une partie de la famille, dont des cousines, a effectué son alyah.

Selon Étienne Girard, à son arrivée à Sciences Po, le jeune Zemmour portait encore une étoile de David autour du cou, et l’hymne israélien a retenti à l’anniversaire de ses 20 ans. Il a finalement pris une certaine indépendance identitaire au fil des années, alors que son identité de Français en public et d’Israélite (terme quelque peu désuet qu’il privilégie toujours régulièrement) en privé s’est forgée.

« Au fil des années, ma famille, comme beaucoup de familles juives, se divisa entre ceux qui, revenant à une application rigoriste des préceptes de la Torah, avaient la tête à Jérusalem ou Tel Aviv, et ceux qui restaient les deux pieds à Paris sur la terre de France », écrivait-il dans Le Destin français. Lui est bien sûr des seconds.

Il poursuivait en citant Raymond Aron : « Les Juifs ont la liberté de se choisir juifs dans la diaspora. Ils peuvent se choisir juifs en Israël. Mais s’ils se choisissent juifs en France et citoyens français, alors ils doivent respecter que leur patrie soit la France et non pas Israël. » Une position qui est « demeurée évidente » pour l’écrivain.

« On ne m’a pas parlé quand j’étais enfant en tant que descendant de Juifs d’Algérie, on m’a parlé en tant que Français. Napoléon n’était pas Juif d’Algérie, Louis XIV n’était pas Juif d’Algérie, et moi je me sens proche de ces gens-là […] Voit-on l’histoire en fonction des intérêts de la France, ou voit-on l’histoire en fonction des intérêts de sa communauté d’origine ? Moi j’estime que quand on vit en France et qu’on est Français on doit changer son point de vue », renchérissait-il en octobre 2019 sur CNews.

Quelques jours après ces propos, le polémiste a été accusé d’avoir défendu les actes du général Bugeaud pendant la guerre d’Algérie – qui a, « quand il est arrivé en Algérie, commencé à massacrer les musulmans, et même certains Juifs ». Il s’en était expliqué le lendemain, assumant son propos, renouvelant cette idée de s’approprier l’histoire d’un pays quand on devient citoyen de celui-ci. « Il faut remettre [ces propos] dans le contexte de la discussion. On disait ‘qu’est-ce qu’être Français ?’, ‘qu’est-ce que c’est l’assimilation ?’ J’essayais d’expliquer que l’assimilation à la France, c’est s’approprier l’histoire de France. C’est-à-dire que, même si l’on vient d’ailleurs, même si la France a eu des conflits avec vos ancêtres, quand on devient Français on regarde l’histoire de France du point de vue de la France. »

Aujourd’hui, alors qu’il semble avoir poussé son assimilation à son extrême, Éric Zemmour estime que se référer à sa religion, comme l’a fait Bernard-Henri Lévy dans sa tribune intitulée « Ce que Zemmour fait au nom juif » parue dans Le Point le 12 octobre dernier, est « digne de la presse antisémite d’avant-guerre », cela « l’assignant à résidence ethnique et religieuse ». Contre-attaquant, Zemmour n’a pas hésité à utiliser un vocable quelque peu douteux, « digne de la presse antisémite d’avant-guerre », à base de « figure absolue du traître » et de « cosmopolite » pour décrire BHL.

Éric Zemmour et sa conseillère Sarah Knafo avant le JT de TF1 dans les studios de la chaine à Boulogne-Billancourt, en région parisienne, le 30 novembre 2021. (Crédit : Thomas COEX / POOL / AFP)

Ces idées, ces phrases, certaines ont pu lui être inspirées, soufflées ou transmises par Sarah Knafo, sa première conseillère, devenue la directrice de sa campagne – et sa compagne. Les deux se connaissent depuis 2007, alors qu’elle avait 13 ans – son père était un ami du polémiste. En 2016, dans l’ouvrage Les Nouveaux enfants du siècle d’Alexandre Devecchio, elle déclarait : « Je suis de confession juive, mais je me sens de culture chrétienne. Chez moi, Charles Péguy est aussi important que la Torah » – une position on ne peut plus similaire à celles d’Éric Zemmour.

Au départ, l’homme et Sarah Knafo entretenaient une relation de mentor et d’apprentie – Henri Guaino, plume de Nicolas Sarkozy, l’a aussi formée. Ancienne élève talentueuse et ambitieuse du lycée de l’Alliance aux Pavillons-sous-Bois (en Seine-Saint-Denis, là où a aussi grandi Éric Zemmour), elle a réussi le concours d’entrée de l’ENA – là où lui a échoué. Devenue magistrate à la Cour des comptes, les deux ont pu profiter des relations et de la puissance de l’autre pour arriver là où ils en sont aujourd’hui. Entretemps, elle a pu le conseiller avant ses émissions et l’orienter sur ses choix de carrière. Et c’est ainsi qu’en cette veille d’élections, une jeune magistrate de 28 ans est devenue l’une des femmes les plus médiatisées de France.

Éric Zemmour doit énormément aux femmes – à commencer par sa mère et sa grand-mère –, dans son éducation comme tout au long de sa carrière. Un comble, alors que celui désormais homme politique est accusé d’agressions sexuelles par plusieurs, et qu’il a écrit un essai férocement anti-féministe et misogyne.

Alors qu’une enquête de Mediapart datée d’avril dernier évoquait des SMS grivois et salaces et des gestes déplacés, le polémiste justifiait ce genre d’attitudes dans Le Premier sexe, ouvrage qui l’a fait connaître, en 2006. « Le poil est une trace, un marqueur, un symbole. De notre passé d’homme des cavernes, de notre bestialité, de notre virilité, il nous rappelle que la virilité va de pair avec la violence, que l’homme est un prédateur sexuel, un conquérant », écrivait-il.

Présentant son livre comme « un traité de savoir vivre viril à l’usage de jeunes générations féminisées », il justifiait par la même occasion et par ces mots les violences sexuelles : « Un garçon, ça va, ça vient, ça entreprend, ça assaille et ça conquiert, ça n’a pas de forteresses imprenables, mais seulement mal assiégées. »

Par ces positions, il s’alignait sur les idées défendues par l’extrémiste de droite antisémite Alain Soral dans son best-seller Sociologie du dragueur, publié en 1996. Au moment de la sortie de l’opuscule d’Éric Zemmour, l’ancien acolyte de Dieudonné, proche du FN par le passé, fondateur d’Égalité et Réconciliation et condamné à plusieurs reprises pour antisémitisme, l’a d’ailleurs accusé de l’avoir plagié. Depuis, les deux hommes ont néanmoins entretenu une correspondance, comme le journaliste du Figaro l’expliquait dans Le Point en 2014 : « Il nous arrive d’échanger des idées et de confronter nos désaccords. » Sur LCI, Zemmour avait néanmoins précisé que leur seul « point d’accord » concernait la « féminisation de la société ». Aujourd’hui, Alain Soral s’oppose néanmoins de manière irréductible au chroniqueur juif – contrairement à d’autres extrémistes, tels ceux cités auparavant.

Éric Zemmour lors de sa visite à Marseille, dans le sud de la France, le 27 novembre 2021. (Crédit : Nicolas TUCAT / AFP)

L’écho dont bénéficie Éric Zemmour auprès des Juifs de France est impossible à mesurer. Si ses récentes sorties sur les victimes de Toulouse ont été vivement condamnées, notamment sur les réseaux sociaux, et que ses soutiens les plus extrémistes pourraient bien éloigner nombre de potentiels sympathisants juifs, son message anti-islam et anti-immigration bénéficie d’une certaine résonance, alors que les Juifs ont abandonné de nombreux quartiers et que les questions d’insécurité et de délinquance se posent quotidiennement.

Alors que les responsables communautaires rejettent tout de go les idées du polémiste et l’accusent d’instrumentaliser les peurs, la base semble elle moins catégorique, et se retrouve divisée – comme le reste de la population.

« C’est terrifiant que la figure raciste aujourd’hui soit Juive. Il se présente avec sa part juive et il en joue. Il s’autorise des choses grâce à cela », affirmait le mois dernier Noémie Madar, présidente de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), dans Le Monde. Comme de nombreux autres, l’avocat Patrick Klugman exprimait les mêmes préoccupations dans une récente chronique sur RCJ – ainsi que Ariel Weil, maire parisien, pour ne citer qu’eux.

« La communauté juive française a énormément évolué », estime quant à lui l’avocat Gilles-William Goldnadel, situé plutôt à droite sur l’échiquier politique et pro-Zemmour. « Elle serait largement zemmourienne s’il ne faisait pas montre d’un manque de sensibilité vis-à-vis de la question juive. »

La campagne, qui ne fait que démarrer, permettra peut-être d’éclairer ce point – toujours entre deux polémiques ou autres outrances, devenues quasi quotidiennes et tellement moins surprenantes.

L’AFP a contribué à cet article.

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