Lorsque l’ambassadeur américain, Tom Nides, s’est assis pour une interview avec le Times of Israel peu après son arrivée à Jérusalem il y a un an, il avait expliqué que son rôle serait de « maintenir le calme » face aux « casse-pieds » qui risquent de bouleverser les relations entre les États-Unis et Israël.
Tout au long de l’année 2022, Nides a semblé remplir sa mission. Cette année-là a constitué l’essentiel du mandat de l’éphémère gouvernement d’union, dirigé par les anciens Premiers ministres Naftali Bennett et Yaïr Lapid, au cours duquel les liens entre Jérusalem et Washington ont continué à s’épanouir, malgré l’absence de percée sur le front palestinien. Les États-Unis ont adressé plusieurs reproches sévères à l’égard des annonces d’expansion de la présence juive en Cisjordanie, mais il n’y a pas eu les explosions à grande échelle qui ont mis à mal les relations la dernière fois qu’un Démocrate était à la Maison Blanche. Washington a même trouvé, dans le gouvernement israélien plus modéré, un partenaire pour faire avancer plusieurs mesures relativement inédites visant à améliorer les conditions de vie des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza.
Au printemps dernier, les États-Unis ont aidé Israël à lancer le Forum du Néguev afin de promouvoir la coopération entre les anciens et les nouveaux alliés de l’État juif dans le monde arabe. Quelques mois plus tard, Joe Biden a effectué sa première visite en tant que président en Israël, où de nouveaux partenariats bilatéraux dans les domaines de la sécurité et de la technologie ont été annoncés. Il s’est ensuite rendu en Arabie saoudite, qu’il a réussi à amadouer en autorisant pour la première fois des avions de ligne israéliens à voler dans son ciel, dans ce que Washington a qualifié de « premier pas » vers une normalisation entre Ryad et Jérusalem.
Ayant repris le pouvoir le mois dernier, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a l’intention de conclure cet accord insaisissable. Mais un tel accord semble, une fois de plus, s’éloigner, étant donné les partis d’extrême-droite qui accompagnent Netanyahu pour son sixième mandat.
Les responsables de l’administration Biden n’ont pas hésité à souligner l’insistance du chef du Likud sur le fait que c’est lui qui contrôle la situation, mais ses partenaires de coalition essaieront probablement d’amener Israël à prendre des mesures qui contrarieraient les Palestiniens, voire le monde arabe dans son ensemble. Les principes directeurs du gouvernement expriment l’intention d’étendre considérablement la présence d’Israël en Cisjordanie et déclarent que le peuple juif a un « droit exclusif et inaliénable à toutes les parties de la Terre d’Israël », bien au-delà de la Ligne verte.
S’adressant cette fois au Times of Israel, Nides a semblé reconnaître les défis posés par le 37e gouvernement, tout en insistant sur le fait qu’il serait encore possible de faire progresser les liens entre Israël et les États-Unis. L’ambassadeur a toutefois précisé que les progrès seraient subordonnés au calme qu’il s’efforce de maintenir depuis son arrivée.
« Le Premier ministre nous a dit qu’il voulait faire de grandes choses. Et nous voulons, nous aussi, faire de grandes choses. Mais si nous voulons réaliser ces choses, nous ne pouvons pas nous réveiller et avoir notre arrière-cour en feu. Il va donc devoir gérer les choses qui nous tiennent à cœur… de manière efficace », a déclaré Nides, soulignant l’engagement de l’administration américaine à préserver les perspectives d’une solution à deux États.

Tensions en Cisjordanie
Parallèlement, l’administration Biden semble déterminée à maintenir le statu quo, même avec ce qui est largement considéré comme le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël.
Le président a envoyé le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, pour des réunions « marathon » avec les hauts responsables israéliens la semaine dernière. Le secrétaire d’État, Antony Blinken, devrait bientôt effectuer une visite similaire.
À la question de savoir si l’administration se sentait plus à l’aise avec le nouveau gouvernement suite au voyage de Sullivan, Nides a répondu qu’il était encore trop tôt pour le déterminer.
« Nous allons juger cela sur des actions, pas seulement sur des accords de coalition ou des commentaires dans la presse », a-t-il déclaré. « Netanyahu nous a dit qu’il avait les mains sur le volant, alors maintenant il doit conduire son véhicule. »
« Il a beaucoup de choses qu’il doit gérer pour réaliser tout ce qu’il veut faire. »
Outre un accord de normalisation avec l’Arabie saoudite – que Ryad a de nouveau exclu dans les circonstances actuelles la semaine dernière – Netanyahu cherche à renforcer la coopération avec les États-Unis face à l’Iran, en poussant une approche plus agressive pour empêcher la République islamique d’obtenir l’arme nucléaire.
Nides a précisé que l’administration Biden ne conditionnerait pas son effort sur l’Iran à la volonté d’Israël de coopérer sur la question palestinienne. « Nous allons travailler sur l’Iran parce qu’en fin de compte, c’est une question à laquelle le président Biden tient profondément, tant pour la sécurité d’Israël que pour notre propre sécurité. »
« Mais il n’y a qu’un nombre d’heures limité dans une journée, et il serait extrêmement utile de ne pas avoir à traiter chaque jour de choses auxquelles nous sommes fondamentalement opposés, car cela ne fait que nous distraire des questions plus importantes que nous essayons de résoudre », a déclaré l’ambassadeur. Il a ajouté que Netanyahu a « fait le tour de la question plusieurs fois et comprend cela mieux que quiconque ». « Nous n’avons pas à apprendre à cet homme ce qui nous tient à cœur. »

« Nous nous soucions profondément de préserver les perspectives d’une solution à deux États. Et il comprend que l’annexion – ou la pseudo-annexion en alignant tous les avant-postes – n’est pas une chose que nous pouvons soutenir », a poursuivi Nides.
En effet, quelques heures avant cette interview, Netanyahu a publiquement soutenu le ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui avait ordonné le démantèlement d’un avant-poste illégal installé du jour au lendemain en Cisjordanie – ce qui a constitué un premier test pour le gouvernement naissant, au sein duquel les partisans de ces constructions illégales occupent des rôles importants. Avant toutefois de sembler revenir sur ses propos et en donnant raison à Bezalel Smotrich qui avait ordonné la fin de l’évacuation d’Or Hachaïm – en vertu des accords de coalition qui donnent l’autorité à Smotrich sur la question.
L’ambassadeur américain s’est dit confiant que le nouveau gouvernement serait également disposé à suivre les mesures que Biden a promues avec la dernière coalition pour stimuler l’économie palestinienne, comme l’extension du réseau 4G aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Le président avait annoncé cette dernière initiative lors de son voyage dans la région en juillet, mais aucun progrès n’a été signalé quant à sa mise en œuvre depuis, et les responsables de l’Autorité palestinienne (AP) ont exprimé leur scepticisme quant à la probabilité qu’Israël donne un jour son feu vert au projet.
Néanmoins, Nides a déclaré qu’il ne voyait « aucune indication » que le nouveau gouvernement revienne sur les engagements pris par son prédécesseur sur cette question. « Netanyahu nous a dit qu’il avait supprimé un grand nombre de checkpoints. Je pense qu’il croit en une économie forte pour les Palestiniens. »
« Nous verrons ce que cela signifie dans la pratique », a poursuivi l’ambassadeur. « Je suis sûr qu’il y a d’autres personnes, dans son gouvernement, qui pensent autrement. »
Tensions sur le mont du Temple
En plus d’apaiser les flammes dans « l’arrière-cour » d’Israël en Cisjordanie, Nides a souligné que faire de même sur le mont du Temple, point ultra-sensible de Jérusalem, était également une priorité absolue pour l’administration Biden.
Jusqu’à présent, ce front n’a pas connu un succès fulgurant, après la visite du ministre d’extrême-droite de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, au début du mois, qui a suscité un tollé international et même une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations unies.
L’ambassade des États-Unis en Israël avait alors publié une déclaration, indiquant que « l’ambassadeur Nides a été très clair dans ses conversations avec le gouvernement israélien sur la question de la préservation du statu quo dans les lieux saints de Jérusalem. Les actions qui empêchent cela sont inacceptables ».
Pressé de préciser s’il considérait la visite de Ben Gvir comme une violation du statu quo – en vertu duquel les musulmans sont autorisés à prier sur le site qu’ils appellent le Noble Sanctuaire, tandis que les non-musulmans ne peuvent que le visiter – Nides a rechigné. « Je ne suis pas ici pour définir si le simple fait de monter et descendre est, ou non, une violation du statu quo. Mon objectif ici est de maintenir le calme. »

« Nous n’étions pas favorables à cette visite, étant donné le contexte », a-t-il ajouté, notant comment Ben Gvir avait précédemment fait campagne sur le renversement du statu quo sur le mont du Temple pour permettre aux Juifs d’y prier. Le ministre de la Sécurité nationale n’a pas appelé à donner suite à cet effort depuis son entrée en fonction, bien qu’il ait dénoncé ce qu’il qualifie de politiques « racistes » régissant le site.
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Nides a déclaré avoir reçu l’assurance que Netanyahu préserverait le statu quo sur le mont du Temple, mais l’ambassadeur a reconnu que ces assurances ne comprenaient pas l’engagement que les visites de Ben Gvir cesseraient à l’avenir.
Critique discrète de la réforme du système judiciaire
Alors que les responsables de l’administration Biden avaient peut-être prévu de limiter leurs conversations avec le gouvernement Netanyahu à des questions plus larges de politique étrangère, les medias israéliens semblent avoir eu d’autres projets.
Lors de sa rencontre avec Netanyahu, Sullivan a également évoqué le projet très controversé de la nouvelle coalition visant à réduire considérablement le pouvoir du pouvoir judiciaire.
« Une démocratie israélienne forte nous donne la capacité de défendre Israël à l’ONU »
Une semaine plus tôt, Nides avait indiqué que les États-Unis ne pèseraient pas sur la question, déclarant à la chaîne publique israélienne Kan que « le peuple israélien ne veut pas recevoir de leçons de la part de l’Amérique ». « Notre travail n’est pas d’imposer notre volonté sur chaque décision que prend ce gouvernement vis-à-vis de questions telles que la réforme judiciaire. »

L’ambassadeur a précisé lors de l’interview avec le Times of Israel que les responsables américains continueraient à parler avec leurs homologues israéliens des « valeurs partagées et de l’importance d’institutions démocratiques fortes ».
« Une démocratie israélienne forte nous donne la capacité de défendre Israël à l’ONU », a-t-il déclaré, soulignant un point utilisé par les détracteurs de la refonte judiciaire du gouvernement, qui préviennent que le fait de cibler la Haute Cour de justice entravera la capacité de Jérusalem à se défendre devant les tribunaux internationaux.
« Ce que nous ne ferons pas – et certainement pas à ce stade – c’est leur dire comment construire leur système judiciaire », a ajouté Nides.
La réciprocité ou l’échec
Nides s’est entretenu avec le Times of Israel quelques jours avant que le département d’État ne publie les chiffres relatifs aux taux de rejet des demandes de visa dans les pays du monde entier. Si le taux d’Israël tombe en dessous de 3 %, il pourra pour la première fois bénéficier du programme américain d’exemption de visa (VWP).
Israël devra encore faire passer trois textes de loi nécessaires dans un court laps de temps, mais le gouvernement Netanyahu sera probablement déterminé à travailler rapidement étant donné le large soutien dont bénéficient les déplacements sans visa vers les États-Unis.
Obtenir un rendez-vous à l’ambassade des États-Unis n’est pas devenu beaucoup plus facile, même si le retard dû à la pandémie se résorbe peu à peu. Certains Israéliens ont eu recours à des intermédiaires payants afin d’attendre moins longtemps pour les rendez-vous consulaires.

Nides n’a pas été en mesure de commenter ce phénomène, mais a déclaré que c’était une autre raison pour laquelle il œuvrait pour qu’Israël devienne le 41e pays du VWP.
Toutefois, a-t-il ajouté, Israël devra également assurer la « réciprocité » pour les Américano-palestiniens, qui sont actuellement confrontés à de nombreux obstacles pour passer par l’aéroport Ben Gurion et qui ont été largement contraints d’utiliser le passage Allenby entre la Cisjordanie et la Jordanie avant de prendre l’avion à Amman.
« La réciprocité signifie qu’un Américano-palestinien vivant à Détroit pourra prendre l’avion pour Ben Gurion et se rendre à Ramallah. Et si vous êtes à Ramallah et que vous êtes un Américano-palestinien, vous pourrez aller de Ramallah à Ben Gurion et prendre un vol pour Détroit », a expliqué Nides.
« Si les Israéliens veulent faire partie du programme d’exemption de visa, ils vont se conformer à la réciprocité. C’est la bonne chose à faire, et cela doit être fait, sinon l’exemption de visa n’aura pas lieu », a-t-il ajouté.
Lorsque Netanyahu menait l’opposition, il avait ordonné de voter contre l’exemption de visa…
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