AUSTIN, Texas – Si le nouveau gouvernement de droite radicale, dirigé par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, poursuit ses efforts considérés comme fragilisant la démocratie israélienne, il risque de perdre le soutien de la communauté juive américaine et peut-être même celui d’autres démocraties, a averti Abe Foxman, ancien dirigeant de longue date de l’Anti-Defamation League (ADL).
Si ne serait-ce que la moitié des accords de coalition entre le parti de Netanyahu, le Likud, et ses partenaires d’extrême-droite et ultra-orthodoxes sont respectés, « cela sapera ce soutien parce que l’Amérique et Israël ont des intérêts communs, mais ces intérêts sont cimentés par des valeurs et par le fait que nous considérons Israël comme la seule démocratie du Moyen-Orient », a déclaré Foxman vendredi, s’adressant au Times of Israel en marge d’une conférence de 3 000 personnes organisée par l’Israeli American Council (IAC). « Combien de temps pourrons-nous continuer à dire qu’Israël est la seule démocratie ? »
En plus de citer les projets très controversés du 37e gouvernement d’Israël de remanier le système judiciaire et de limiter strictement les pouvoirs de la Cour suprême, Foxman s’est demandé combien de temps l’État juif pourrait être considéré comme une démocratie « si une nouvelle loi autorise des membres racistes au sein du gouvernement, si le ministre des Communications supprime la chaîne publique, et si le ministre de la Culture et des Sports punit les gens qui critiquent Israël dans les films et les films eux-mêmes ».
« Voilà un type qui dit qu’il veut interdire la Gay Pride« , a déclaré Foxman au Times of Israel, faisant référence au vice-ministre et député Avi Maoz, chef de Noam, un parti marginal, ultra-conservateur et anti-LGBT, qui veut indéniablement voir les femmes exclues de l’armée.
Israël est une destination de choix pour le tourisme LGBTQ, a poursuivi Foxman. « C’est une carte de visite » pour Israël. Mais « vous avez ensuite un autre ministre qui se dit ‘fier d’être un fasciste homophobe' », un clin d’œil au ministre des Finances, Bezalel Smotrich, du parti HaTzionout HaDatit, qui a fait les gros titres en 2015 pour avoir dit qu’il était un « homophobe fier. » On a entendu Smotrich déclarer, dans un enregistrement diffusé lundi dernier, être convaincu de pouvoir prendre des mesures actives contre la communauté LGBTQ sans subir de répercussions de la part de sa base politique, car ses électeurs « se fichent complètement des homosexuels et qu’il soit fasciste ».
« De quel genre de démocratie parle-t-on là ? » a demandé Foxman, s’adressant au Times of Israel lors du 8e sommet annuel de l’IAC, une organisation de défense fondée en 2007 avec des programmes nationaux à travers les États-Unis pour quelque 130 000 Israélo-Américains, sa mission étant de « garantir une identité juive et israélienne forte pour les prochaines générations ».
« On ne touchera pas à ce que je suis en tant que Juif »
Le sommet de trois jours a débuté jeudi soir à Austin, au Texas, et comprenait une interview principale du ministre des Affaires de la Diaspora, Amichaï Chikli, qui a déclaré au public que le nouveau gouvernement israélien était « à l’écoute » des préoccupations des Juifs de la Diaspora sur des questions telles que les demandes des partenaires de la coalition d’abolir la « clause des petits-enfants » de la Loi du retour, qui renforcerait les conditions d’obtention automatique de la citoyenneté.
Mais Chikli n’a pas exclu de modifier la Loi du retour, notant qu’Israël « a eu des élections, dont le résultat a été très clair ».
« Nous avons été très honnêtes sur notre programme, et il en va de notre responsabilité de le mettre en place », a-t-il déclaré.
La clause relative aux petits-enfants permet à toute personne ayant au moins un grand-parent juif d’immigrer librement en Israël tant qu’elle ne pratique aucune autre religion, et les changements proposés ont inquiété les dirigeants juifs de la Diaspora.
De nombreux immigrants en Israël, en particulier mais pas seulement de l’ancienne Union soviétique, obtiennent la citoyenneté en vertu de cette clause de la Loi du retour.
Foxman a déclaré qu’il a entendu Chikli parler jeudi, et « si c’est ça le nouveau gouvernement israélien, alors oï vavoï ! », utilisant l’expression en hébreu signifiant « prenons garde ».
« Il a dit ‘nous vous entendons’ mais… en gros, ‘nous allons le faire’ mais… ‘à notre rythme. Nous ne nous précipitons pas, nous écoutons, mais nous le ferons' », a déclaré Foxman.
« Dans la mesure où Israël altèrera sa démocratie, il altérera du même coup le soutien des Juifs américains », a-t-il déclaré au Times of Israel. « J’ai toujours dit qu’Israël ne perdra jamais le soutien de la communauté juive américaine sur les questions de sécurité et de défense. Parce qu’en fin de compte, même si je suis en désaccord sur des questions existentielles, ce n’est pas important. En revanche, l’Iran, la sécurité et les frontières sont des questions primordiales pour la survie d’Israël. Donc je peux ne pas être d’accord, d’autres peuvent ne pas être d’accord, mais nous ne nous éloignerons jamais d’Israël. »
« Mais lorsque vous commencez à toucher à ce que je suis en tant que Juif, à mon droit au retour en vertu du sionisme, vous touchez à mon ‘être juif’ existentiel », a-t-il averti.
Israël peut prendre des décisions sur ses questions existentielles, mais « si vous comptez décider de qui je suis, ce que je suis et de quelle partie du peuple juif je fais partie, vous allez me perdre, et ma descendance compris », a déclaré Foxman, ajoutant toutefois qu’il restait optimiste quant au fait que cette question n’ira pas de l’avant.
Si vous ne nous estimez pas en tant que Juifs, pourquoi devrions-nous nous prendre position ?
« Je veux que vous sachiez que si vous continuez dans cette direction, vous allez nous perdre, nous vous aimons et nous vous chérissons, mais vous allez nous perdre », a-t-il dit. « Si vous ne nous estimez pas en tant que Juifs, pourquoi devrions-nous prendre position ? », a-t-il demandé, dirigeant la question vers le Premier ministre israélien.
Les partenaires de la coalition de Netanyahu ont également exigé des limitations de l’influence des courants juifs réformés et la fin de la reconnaissance officielle par l’État des conversions effectuées en dehors du Grand-Rabbinat en Israël, ce qui a attisé les tensions avec les communautés juives réformé et massorti (conservateur), auxquelles appartiennent la majorité des Juifs américains et dont les membres défendent largement des valeurs progressistes.
Le mois dernier, les dirigeants des principales organisations juives américaines ont exprimé leur inquiétude face au nouveau gouvernement et aux politiques radicales promues par les membres de la coalition.
« Israël, ensemble »
Foxman était l’un des nombreux orateurs du sommet de l’IAC, où des milliers de personnes se sont rassemblées sous le thème « Israël, ensemble » pour un événement qui « rassemble des milliers d’Israélo-américains, de Juifs américains et d’Israéliens de tous les âges », selon les organisateurs.
Le colloque a combiné des performances musicales et artistiques, un hall d’exposition sur plusieurs étages, ainsi que des panels, des discussions et des interviews avec des leaders du gouvernement, du monde des affaires et de la high-tech en Israël et aux États-Unis.
Adam Neumann, le co-fondateur d’origine israélienne de WeWork, a fait une apparition spéciale lors de la soirée d’ouverture jeudi, conversant dans un hébreu rudimentaire accompagné de manières « à l’israélienne » avec le journaliste, Danny Cushmaro, de la Douzième chaîne israélienne.
« Vous pouvez faire sortir l’Israélien d’Israël, mais vous ne pouvez pas faire sortir Israël de l’Israélien », a plaisanté Neumann, qui a levé en août environ 350 millions de dollars auprès d’Andreessen Horowitz (a16z) pour Flow, une start-up immobilière de New York qui n’a pas encore été lancée et dont les détails sont encore vagues. Cette acquisition intervient environ trois ans après l’effondrement de WeWork, à l’automne 2019.
Des dizaines d’entrepreneurs du secteur israélien de la high-tech étaient également présents pour siéger à plusieurs tables rondes liées aux affaires et pour participer à la première « aire de jeu de l’innovation israélienne » afin d’aider les start-ups et les entreprises israéliennes à nouer des liens sur les marchés américains.
Parmi les stands d’exposition figuraient ceux d’El Al, du service de secours du Magen David Adom, de Tzofim (les scouts israéliens) et de divers autres programmes et organisations travaillant en Israël et aux États-Unis. Le Café Landwer était également sur place pour offrir un petit goût d’Israël.
L’IAC a également organisé, pour ses invités, un repas de Shabbat le vendredi soir, des panels fermés et une soirée pour célibataires pour les membres du club des donateurs âgés de 21 ans et plus. Des services consulaires aux citoyens israéliens ont été proposés lors de l’événement.
Le sommet s’est terminé samedi soir avec un spectacle de la pop star israélienne, Noa Kirel.
L’antisémitisme aux États-Unis
Foxman était l’un des trois experts de la conférence « L’antisémitisme aux États-Unis ». L’ancien chef de l’ADL a déclaré que si le défi de la lutte contre l’antisémitisme était différent à l’ère des réseaux sociaux, le « virus » était le même.
« L’antisémitisme est un virus sans antidote ni vaccin et nous devons développer des stratégies pour le maîtriser », a-t-il déclaré.
« Les États-Unis n’ont pas été immunisés contre l’antisémitisme, mais il était différent de celui des autres pays », a déclaré Foxman lors du sommet, « jusqu’à ce qu’un tireur abatte onze fidèles juifs et en blesse sept autres à la synagogue Tree of Life de Pittsburgh », en Pennsylvanie, en 2018.
Il s’agit de l’attaque antisémite la plus meurtrière de l’Histoire des États-Unis. Elle a marqué un « changement majeur » pour les Juifs américains, a-t-il déclaré.
« Les Juifs peuvent désormais être tués en Amérique simplement parce qu’ils sont juifs. »
« Les smartphones ont également contribué à la montée de l’antisémitisme », a déclaré Foxman, déplorant que les réseaux sociaux soient « une super-autoroute de contenu antisémite posté anonymement sans aucune difficulté ».
« Il était autrefois inacceptable d’être antisémite, mais les tabous ont été brisés ces dernières années » – il en va de même pour les propos dénigrant les femmes, les immigrants et les personnes LGBTQ, a-t-il déclaré au public.
« Maintenant, tous ces discours sont acceptés et cela a donné du pouvoir aux antisémites ».
Foxman a cité un récent sondage de l’ADL selon lequel le nombre d’Américains qui croient aux préjugés antisémites a doublé depuis 2019 pour atteindre le niveau le plus élevé depuis des dizaines d’années et que près de 40 % des personnes interrogées pensent que les Juifs sont plus loyaux envers Israël qu’envers les États-Unis.
« C’est très grave », a-t-il averti. L’ADL a qualifié les résultats de « stupéfiants et qui donnent à réfléchir ».
Un autre expert, David Brog, président de la Maccabee Task Force, un programme qui lutte contre l’antisémitisme sur les campus universitaires, a déclaré qu’il y avait une campagne de délégitimation en cours contre Israël, soutenue par le « wokisme » de gauche et qu’un antisémitisme déguisé en anti-sionisme était très présent dans les cercles progressistes.
Foxman a toutefois exhorté les experts et les membres du public, qui lui ont posé des questions sensibles, à ne pas « exagérer » le problème de l’antisémitisme. « ‘Est-ce que les trains arrivent, comme dans les années 30 en Allemagne ?’ Soyons plus prudents », a-t-il proposé, notant qu’historiquement, les Démocrates et les Républicains ont trouvé des moyens de travailler ensemble pour soutenir les Juifs américains et Israël.
« Le wokisme n’a pas encore envahi les États-Unis. Mais c’est un réel problème, et quelles forces ont apporté un réel changement ? La gauche ! » a-t-il déclaré sous de faibles applaudissements.
Juifs américains et Juifs américano-israéliens
Lors de son intervention, Foxman a également reproché à l’IAC et aux communautés israélo-américaines qu’il représente de « faire une croix sur la communauté juive [américaine] » et de ne pas travailler plus étroitement avec les institutions juives américaines pour atteindre des objectifs communs tels que la lutte contre l’antisémitisme, le soutien à Israël et le rapprochement des Juifs américains et israélo-américains.
« Israël a deux alliés : l’Amérique et les Juifs américains », a déclaré Foxman. « Mais vous avez fait une croix sur la communauté juive américaine… qui s’est levée, s’est battue, a pris position et a marqué des points contre l’antisémitisme », a-t-il dit au public.
« Rejoignez-les, vous pouvez faire la différence. Nous sommes dans un monde différent où les jeunes se posent moins de questions, ou ne savent pas autant de choses. Nous devons nous rassembler, sans pour autant exagérer les menaces », a-t-il insisté.
Après le débat, Foxman a déclaré au Times of Israel qu’il pensait que l’IAC se positionnait inutilement comme un lobby pro-Israël et qu’il pourrait avoir plus d’impact en travaillant conjointement avec la communauté juive américaine.
« L’IAC se tient comme une unité indépendante en Amérique pour lutter pour Israël et c’est une erreur. Il n’a pas besoin de rivaliser avec l’AIPAC. Il ignore les fédérations [juives], il ignore les centres communautaires juifs, il croit qu’il peut, à lui seul, devenir une force pour changer l’Amérique au nom d’Israël mais la vérité est, qu’il ne le peut pas. »
« Il ne le peut pas parce que lorsqu’il s’agit d’Israël, si 40 % des Américains pensent que les Juifs américains sont plus loyaux envers les États-Unis, et encore plus chez les anciens Israéliens, l’IAC n’est donc pas le messager, il ne l’est pas », a-t-il déclaré au Times of Israel.
Les immigrants israéliens aux États-Unis tendent à aller plus à droite politiquement parlant et en viennent à soutenir les politiciens et les mouvements conservateurs, « mais ce n’est pas si simple », a poursuivi Foxman.
L’ancien président américain, Donald Trump, « à leurs yeux est probablement le président le plus pro-Israël – et c’est certainement vrai – mais Trump parle aussi de loyauté et il a accusé les Juifs de ne pas être loyaux envers Israël parce qu’ils ne votent pas républicain. C’est tout simplement de l’antisémitisme ! », a-t-il expliqué.
Trump a fait plusieurs remarques en ce sens pendant son mandat présidentiel et après sa défaite, en 2020. Plus récemment, en octobre, l’ancien président a fustigé les Juifs américains, dont la majorité vote démocrate, leur disant de « se ressaisir » et les accusant de ne pas apprécier suffisamment son soutien à Israël, tout en affirmant qu’il était si populaire parmi les Israéliens qu’il pourrait « facilement » être élu Premier ministre.
Israël était l’un des rares pays au monde où Trump était populaire en tant que président et son administration avait mis en œuvre des politiques qui ont été acclamées en Israël. Il s’agit notamment de la décision de 2017 de déplacer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem et de reconnaître la ville comme capitale d’Israël, de la reconnaissance en 2019 de la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan et de la mise en œuvre, par l’administration Trump, des Accords d’Abraham de 2020 qui ont normalisé les liens d’Israël avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc.
Foxman a déclaré qu’il pense que les Israélo-américains devraient « rejoindre la communauté juive américaine et la renforcer ». « De mon point de vue, ils peuvent la prendre en charge. »
« Nous sommes tous des Juifs américains – je viens de Pologne, ils viennent d’Israël, a-t-il souligné.
« Il y a encore beaucoup de travail à faire », a noté Foxman, notamment en établissant des liens plus étroits avec les communautés hispano-américaines, en faisant participer des enfants israélo-américains au programme populaire Taglit-Birthright et en travaillant ensemble pour renforcer la communauté commune.
« Il n’y a pas besoin d’un autre lobby ; la solution est de s’intéger et de combler les lacunes. » Les Juifs américains « aiment Israël » autant que les Israéliens et les Israélo-américains, a-t-il fait valoir.
Le Times of Israel a contacté un porte-parole de l’IAC pour obtenir des commentaires sur les efforts de l’organisation mais n’a pas reçu de réponse.
Netanyahu pourrait se réveiller un jour et se dire ‘ça n’en vaut pas la peine. Je ne peux pas me permettre de perdre mon héritage, de perdre le soutien du judaïsme mondial, de perdre le soutien des démocraties’
En ce qui concerne l’orientation d’Israël, Foxman a déclaré au Times of Israel qu’il était « un optimiste » qui croit que Netanyahu pourrait se réveiller un jour et se dire « ça n’en vaut pas la peine. Je ne peux pas me permettre de perdre mon héritage, de perdre le soutien du judaïsme mondial, de perdre le soutien des démocraties ».
« Les pays démocratiques qui disent qu’Israël est une démocratie vont venir et dire ‘Hey ho’. Et nous le voyons, nous le voyons déjà », a-t-il conclu. « J’espère que Netanyahu va se réveiller et faire volte-face. »