C’est dans un Israël dont les lignes de combat internes ont été tracées, un Israël qui pourrait être en guerre contre lui-même, un Israël dont le gouvernement est indubitablement en guerre avec une grande partie, voire la majorité, de la population, que nous nous réveillons, au lendemain de l’adoption d’une mesure clé du programme de refonte judiciaire controversé de l’actuelle coalition.
C’est alors que nous comprenons que pas un seul des 64 membres de cette coalition ne s’est abstenu ; et certainement pas un seul n’a voté contre la législation orwellienne en vertu de laquelle les décisions du cabinet et celles des ministres, aussi déraisonnables soient-elles, ne pourront plus être annulées par nos juges au motif qu’elles sont précisément déraisonnables.
Nous avons également conscience que la « loi sur le caractère raisonnable » n’est que la partie visible de l’iceberg – « la première étape d’un processus historique visant à corriger le système judiciaire », selon les propres termes de Yariv Levin, notre bien mal nommé ministre de la Justice. Les lois qu’il promet depuis janvier pour rendre le système judiciaire totalement impuissant face à tous les abus du gouvernement sont désormais imminentes. Ces lois seront imposées par le biais d’une législation qui est prête et attend, ayant déjà passé sa première lecture en mars, et qui détruira le mécanisme calibré par lequel nos juges sont choisis, pour les remplacer par des personnes directement nommées par les membres de la coalition. Et cette législation, à son tour, sera renforcée par une clause dérogatoire, une sorte de législation « d’annulation », qui garantira que même ces juges politisés ne seront plus en mesure d’annuler une législation anti-démocratique – une législation que notre Premier ministre semblait avoir promis d’avoir « jetée » aux oubliettes, mais qui affirme maintenant le contraire.
Nous nous rendons compte qu’une fois les juges mis aux fers, les lois qu’ils auraient bloquées, dont une grande partie est écrite ou sous-entendue dans les accords de coalition, suivront, y compris : la légalisation de la discrimination sur la base des croyances religieuses, l’annexion d’une partie ou de la totalité de la Cisjordanie sans égalité de droits pour les Palestiniens, la restriction de la liberté de la presse, la limitation des droits des femmes, l’exclusion générale du service militaire et national du secteur de la population qui connaît la croissance la plus rapide, les ultra-orthodoxes.
Un projet de loi pour officialiser l’exemption militaire des haredim a été soumis à la Knesset par le parti Yahadout HaTorah de la coalition mardi matin (et aussitôt rejeté par le Likud de Netanyahu). Cela se ferait par le biais d’un autre mécanisme de double langage, selon lequel l’étude approfondie à plein temps de la Torah (qui, dans la tradition juive orthodoxe, est censée être poursuivie par les meilleurs et les plus brillants éléments bénéficiant de subventions ou tout en travaillant selon le principe de ein kemah, ein Torah) serait considérée comme une forme de service national et financée par le reste de la population active.
Ce projet de loi a été présenté quelques heures seulement après les critiques hypocrites du Premier ministre à l’encontre des milliers de réservistes de l’armée, y compris des héros de guerre âgés de 30, 40 et 50 ans, qui préfèrent ou menacent de ne pas continuer à se présenter au service de réserve en les appelant des « draft dodgers » (réfractaires à l’appel sous les drapeaux). (Il est inutile de préciser que cette coalition ne fait pas dans l’ironie).
Une fois les juges mis aux fers, les lois qu’ils auraient bloquées, dont une grande partie est écrite ou sous-entendue dans les accords de coalition, suivront
Nous devons nous préparer à voir d’autres « gardiens » de notre démocratie pris pour cible, et la première pourrait être la procureure-générale Gali Baharav-Miara, qui a tellement irrité la coalition en lui conseillant de ne pas adopter ses lois anti-démocratiques, en défendant le droit du public à manifester et en s’opposant aux pressions constantes (et de plus en plus fructueuses) du ministre de la Sécurité intérieure Itamar Ben Gvir en faveur d’une répression plus agressive contre les manifestants. Peu après la décision de la Knesset de considérer toutes les décisions du gouvernement comme « raisonnables », le ministre délégué à la Justice David Amsalem est monté à la tribune pour exiger la comparution en justice de Baharav-Miara.
Nous sommes forcés de conclure que Netanyahu n’a ni la volonté ni la capacité de résister au puissant groupe de suprématistes juifs qu’il a lui-même introduit dans son gouvernement. Levin a insisté sur le fait que la législation de lundi devait être adoptée « telle quelle ». Lui et Ben Gvir auraient menacé de détruire la coalition si cela n’était pas acté. Nous avons vu un ministre de la Défense, Yoav Gallant, désespéré, et qui suppliait Levin lors de la plénière de la Knesset, dans les minutes précédant le vote fatidique, de lui « donner quelque chose » pour adoucir le coup, pour apaiser les nombreuses inquiétudes des réservistes. En vain. Netanyahu était assis entre les deux, a donné l’avantage à Levin.

Le chef d’état-major de Tsahal, Herzi Halevi, aurait essayé depuis jeudi de rencontrer Netanyahu, pour l’informer en personne des dangers que le désaccord national sur la loi Levin fait peser sur l’unité dans les rangs de l’armée. Dimanche, Halevi s’est résolu à lancer un avertissement public indiquant que sans une armée israélienne unifiée comprenant les « meilleurs » soldats, l’État d’Israël courrait un danger existentiel, rien de moins. « Si notre armée n’est pas forte et unie, et si les meilleurs soldats ne servent pas dans Tsahal, nous ne pourrons pas continuer à exister en tant qu’État dans la région », a-t-il déclaré. Le Premier ministre n’a daigné le rencontrer qu’après le vote. Un avertissement qu’il a réitéré ce mardi.
Dimanche, Halevi s’est résolu à avertir publiquement qu’Israël serait en péril existentiel, rien de moins, sans une Tsahal unifiée
Certes, l’agenda de Netanyahu a été compliqué par ses ennuis de santé : la veille de Tisha BeAv, alors qu’il était en train de faire adopter une législation si destructrice pour l’État d’Israël, il a souffert d’un problème cardiaque. En quittant l’hôpital, après qu’on lui a implanté un pacemaker, pour se rendre à la Knesset quelques heures avant le vote, l’idée d’un châtiment biblique ne lui a manifestement fait aucun effet.
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Avec le déplacement du centre israélien vers la droite depuis la vague d’attentats suicides de la seconde Intifada, sans grand espoir d’un compromis réaliste avec les Palestiniens, face à l’augmentation du nombre de résidents d’implantations et à la montée en flèche du secteur ultra-orthodoxe, cela fait déjà vingt ans qu’Israël se dirige inexorablement vers un gouvernement dans lequel l’extrême-droite et les Haredim auront nécessairement une plus grande emprise.
Toutefois, ce processus a été accéléré par l’insistance de nombreux membres de la droite plus modérée, tels que Gideon Saar, Naftali Bennett, Avigdor Liberman, Zeev Elkin, etc., à préférer « tout sauf Bibi », créant ainsi les conditions dans lesquelles, l’année dernière, le seul moyen pour Netanyahu de revenir au pouvoir était de s’allier avec tous les membres de la droite religieuse qui étaient prêts à s’asseoir avec lui, quel que soit leur programme, ce qui a abouti à une coalition qui ne reflète pas le principal courant dominant en Israël : du centre-droit au centre-gauche.
Ce que le vote de lundi a mis en évidence, comme jamais auparavant, c’est que Netanyahu ne se contente pas de chevaucher le tigre Levin-Smotrich-Ben Gvir, mais qu’il conduirait Israël vers une guerre civile potentielle plutôt que de descendre de sa monture
Faisant preuve d’un attribut peu familier – la faiblesse – il a confié à Ben Gvir et à Bezalel Smotrich des postes ministériels extrêmement puissants lors des négociations de sa coalition, tout en sachant que Smotrich est un théocrate et Ben Gvir un provocateur raciste, visiblement déterminé à maintenir son alliance avec ces prédateurs politiques à presque n’importe quel prix. Ce que le vote de lundi a mis en évidence, comme jamais auparavant, c’est que Netanyahu ne se contente pas de chevaucher le tigre Levin-Smotrich-Ben Gvir, mais qu’il conduirait Israël vers une guerre civile potentielle plutôt que de descendre de sa monture.

Dans son discours à la nation de lundi soir, que certains espéraient et que d’autres ont même perçu comme étant conciliant, il a ouvertement invité les dirigeants de l’opposition à négocier des conditions consensuelles pour les prochaines étapes de la révolution judiciaire. Il leur a en réalité donné une date butoir en novembre pour se soumettre à des conditions acceptables à ses yeux, « un délai plus que suffisant », a-t-il estimé en connaissance de cause, avec l’implication tacite que, s’ils ne se pliaient pas, lui et le tigre procéderaient comme ils l’ont fait lundi, de manière unilatérale.
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La question fatidique pour Israël, la question qui déterminera son avenir, est de savoir si les débordements de la coalition violente mise en place par Netanyahu, la combinaison de la tentative de Levin de conférer un pouvoir quasi-absolu à l’exécutif et des divers plans des partenaires visant à éloigner Israël de son éthique juive démocratique et libérale, se révéleront être la cause de sa ruine.
Ses politiques sont en train de se mettre à dos de vastes pans de l’électorat, essentiellement en raison de leur impact direct sur de vastes pans de l’électorat : les entreprises high-tech qui voient les investisseurs se retirer, les réservistes qui craignent que l’on abuse de leur volonté de servir le pays, l’ensemble de la main-d’œuvre nationale qui doit faire face à l’augmentation du coût de la vie et à qui l’on demandera bientôt de subventionner un secteur ultra-orthodoxe qui ne travaille pas et qui ne doit même pas participer au fardeau du service national. Si des élections avaient lieu aujourd’hui, même une opposition politiquement inepte parviendrait à le renverser.
Seulement, les élections n’auront lieu que dans quatre ans, si tant est que le gouvernement ne modifie pas le système. Netanyahu a choisi l’unité de la coalition plutôt que l’unité nationale. Et Levin, Smotrich et Ben Gvir ne seraient que trop heureux de prendre les choses en main en cas d’incapacité de Netanyahu.
Malgré toutes les remontrances des États-Unis, d’autres gouvernements amis et de certains Juifs de la diaspora, malgré la joie inquiétante de nos ennemis, il semblerait que le principal espoir pour les patriotes sionistes réside dans les manifestations nationales de grande ampleur. Elles doivent se poursuivre sans relâche, sans devenir violentes ni être poussées à la violence, en s’efforçant d’être inclusives pour protéger la démocratie, encourager l’unité et protéger notre maison commune.

Si ces mots sont faciles à écrire, il est extrêmement difficile de les faire respecter, car un grand nombre de manifestants ont des motivations, des agendas et des tempéraments très divers. Mais, n’oublions pas que le mouvement unifié de protestation de masse a fait réfléchir Netanyahu en mars, lorsqu’il a suspendu le projet de loi visant à politiser la sélection des juges, et qu’il a compliqué l’adoption de la loi de lundi. Tous les membres du Likud ont voté en faveur de cette loi, mais feraient-ils de même si le climat national se faisait de plus en plus lourd et que l’effondrement de l’économie conduisait à l’adoption du reste de la législation plus radicale de Levin, prévue pour la fin de l’année ?
Les fanatiques qui dominent ce gouvernement ne représentent pas du tout la majorité des Israéliens
Peut-être que oui.
Et peut-être que les choses vont empirer avant de s’améliorer.
Mais les fanatiques qui dominent ce gouvernement ne représentent pas du tout la majorité des Israéliens. Et un Israël sioniste résistant – un Israël attaché aux valeurs de sa Déclaration d’indépendance – peut et doit l’emporter.
Parce que lundi soir, un des messages délivrés par Netanyahu était indéniablement juste et crucial, même s’il n’en tient pas compte, lui : « Nous avons une nation, une maison, un peuple… Nous devons les préserver par-dessus tout ».