Retour sur la nuit chaotique après l’adoption de la première loi de la refonte judiciaire
Des dizaines de manifestants ont été arrêtés à Jérusalem, Tel Aviv et ailleurs, nombre d'entre eux défiant les canons à eau et la brutalité de la police

Des militants en colère contre l’adoption par le gouvernement de la première partie de son plan de refonte du système judiciaire ont affronté la police, particulièrement brutale, pendant des heures à Tel Aviv et à Jérusalem lundi soir, bloquant les autoroutes et promettant d’intensifier les manifestations, alors que les députés se sont engagés à faire avancer le reste du programme largement controversé.
Utilisant la garde montée et des canons à eau, les autorités ont dégagé la principale artère de Tel Aviv qu’après 1h00 du matin, bien que des milliers de personnes aient continué à manifester à la jonction Kaplan, où quelque 15 000 personnes s’étaient massées quelques heures plus tôt en réaction à l’approbation par les deux derniers votes du projet de loi controversé de la coalition sur le « caractère raisonnable ».
À Jérusalem, la police a également eu recours à des membres de la garde montée et à de puissants canons à eau pour repousser les manifestants qui se sont d’abord rassemblés devant la Knesset, puis ont bloqué la Route Begin et ont manifesté près du bâtiment de la Cour suprême, une institution qui, selon les opposants au gouvernement, sera privée de tout pouvoir par la refonte judiciaire, ce qui rendrait la démocratie israélienne caduque.
« Les organisateurs de la manifestation ont déclaré dans un communiqué, peu après l’adoption de la loi, qu’ils allaient poursuivre leur lutte, qui ne fera que s’intensifier, et qu’au bout du compte, Israël redeviendrait une démocratie.
« Tout Israélien qui sort dans la rue pour protester est un héros. »
Selon la police, au moins 33 personnes ont été arrêtées au cours de la journée et de la nuit lors de manifestations dans les deux villes. Parmi les personnes arrêtées figure Moshe Radman, un entrepreneur du secteur high-tech qui est devenu l’un des leaders du mouvement de protestation.
Les militants et les médias israéliens ont accusé la police d’avoir fait preuve d’une violence excessive et de tactiques brutales, largement inédites au cours des 29 semaines consécutives de grandes manifestations contre la refonte. Il y a également eu un certain nombre d’incidents violents visant les manifestants ou commis par eux, notamment un conducteur qui a foncé sur un groupe bloquant une route au nord de Tel Aviv, blessant trois personnes.

Les manifestations se sont intensifiées en fin d’après-midi après l’adoption du projet de loi en dernière lecture. Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, a promis de saisir la Haute Cour le lendemain, alors que la coalition célébrait ce qu’ils ont appelé une victoire, qui intervient plus d’un mois après l’échec des pourparlers visant à trouver un compromis sur la refonte.
« C’est un jour triste », a déclaré Lapid après le vote. « Ce n’est pas une victoire pour la coalition. C’est la destruction de la démocratie israélienne. »
« Nous avons peut-être perdu une bataille, mais nous gagnerons la guerre », a déclaré Benny Gantz, chef du parti d’opposition HaMahane HaMamlahti.
Dans une allocution télévisée, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a rejeté ces critiques. « Aujourd’hui, nous avons accompli un acte démocratique nécessaire, un acte qui vise à rétablir un certain équilibre entre les branches du pouvoir », a-t-il déclaré.

Il a assuré qu’il renouerait le dialogue avec l’opposition politique et a appelé à l’unité nationale. « Parvenons à des accords », a-t-il déclaré. « Je tends la main pour appeler à la paix et au respect mutuel entre nous. »
Pendant qu’il parlait, la Treizième chaîne a montré un écran partagé avec un canon à eau de la police arrosant la foule de manifestants.
Si le chaos de la journée s’est achevé à Tel Aviv, il a commencé à Jérusalem, où des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées devant la Knesset dès lundi matin, alors que le gouvernement s’apprêtait à adopter le projet de loi sur le « caractère raisonnable ».

Dès le début de la matinée et tout au long de la journée et de la nuit, les manifestants se sont éparpillés sur les routes entourant le bâtiment du Parlement, se tenant par la main pour empêcher les agents de la police des frontières de les emmener.
La police a déployé des canons à eau pour évacuer les manifestants des routes menant à la Knesset, déclenchant de violents affrontements qui se sont intensifiés au fur et à mesure que l’activité parlementaire avançait, et qui se sont terminés avec au moins cinq manifestants et trois policiers nécessitant des soins médicaux.
À l’intérieur de la Knesset, les législateurs de la coalition Netanyahu ont qualifié les manifestations de « siège », allant jusqu’à se décrire comme les cibles d’une insurrection du type de celle du 6 janvier, au Capitole américain.

« C’est le Capitole », a tweeté le ministre des Finances Bezalel Smotrich, un législateur d’extrême-droite qui soutient fermement la refonte judiciaire et aspire à l’instauration d’une théocratie. « La gauche est devenue anti-démocratique depuis longtemps et la droite tente de rétablir la démocratie en Israël. »
Après le vote, les manifestants sont descendus dans les rues dans tout le pays, y compris à Jérusalem, où ils ont bloqué la Route Begin, l’artère principale de la capitale, pendant près de trois heures et se sont rassemblés devant la Cour suprême.
La police a utilisé de l’eau nauséabonde, pulvérisée par des canons à eau, pour faire évacuer les manifestants. Certains se sont bouchés le nez ou ont brandi des brins de romarin cueillis dans les buissons voisins pour tenter de supporter l’odeur nauséabonde.
« Cela nous met sur la voie de la dictature », a déclaré un manifestant, Danny Kimmel, un directeur de programme de 55 ans. « On ne fait pas ça à des gens qui manifestent. C’est leur droit. »
עשרות מפגינים מתיישבים על הנתיבים בכביש בגין pic.twitter.com/fCa5eYjunm
— Bar Peleg (@bar_peleg) July 24, 2023
« Ce ne sera pas une dictature », a déclaré l’ancien chef de l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet, Nadav Argaman, à la Douzième chaîne, alors qu’il menait, avec d’autres anciens officiers de la Défense, une marche vers le rassemblement anti-gouvernement de lundi soir.
À Tel Aviv, quelque 15 000 personnes se sont d’abord rassemblées rue Kaplan, devant le quartier général de Tsahal, avant que les manifestants ne se dirigent vers l’autoroute Ayalon pour bloquer la principale voie de circulation.
Les militants de la rue Kaplan et de l’autoroute Ayalon ont allumé des feux, brandi des drapeaux et scandé « nous n’abandonnerons pas », tandis que la police tentait de rouvrir l’autoroute. Ces fermetures sont devenues monnaie courante, les manifestations contre la refonte s’étant multipliées ces dernières semaines après l’échec des négociations.

La police n’a réussi à dégager la route qu’à 1h30 du matin, mais des centaines de personnes ont continué à se rassembler rue Kaplan pendant une heure de plus.
Des militants ont également bloqué des routes à Haïfa, Raanana et ailleurs.
Des violences policières ont été signalées à maintes reprises, les manifestants s’étant heurtés aux agents qui tentaient de les déloger de la chaussée. Des militants et des membres de la presse ont accusé la police d’avoir utilisé des canons à eau sans respecter les règles de son usage et d’avoir fait un usage excessif de la force.

Dans l’un des cas, des policiers se sont placés debout devant d’autres policiers pour qu’un de leur collègue puisse violemment arrêter un militant sur le bord de la route et pour empêcher une caméra de la Treizième chaîne de les filmer alors que le militant recevait des coups.
תיעוד מטורף של אלימות שוטרים: לוקחים הצידה מפגין. תופסים ברגליים. כשהוא שרוע על הרצפה וחסר אונים מתחילים להכות באגרופים. וכדי להסתיר מהמצלמות – השוטרים נעמדים בחומה שתסתיר את האלימות. הכל בשידור חי. @Meir_Marciano pic.twitter.com/p3FCRddVfa
— נריה קראוס Neria Kraus (@NeriaKraus) July 24, 2023
La police a déclaré que les manifestants se sont battus contre elle et ont jeté des bouteilles remplies de sable sur les agents, blessant au moins 13 policiers à Tel Aviv et à Jérusalem.
Pour la première fois, la police a été équipée de grenades incapacitantes et autorisée à les utiliser contre les manifestants, bien qu’aucune n’ait été déployée, a rapporté la Douzième chaîne.
L’utilisation de ces engins contre les manifestants anti-gouvernement marquerait une escalade significative dans les tactiques de la police, qui a subi des pressions croissantes de la part du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, un extrémiste de droite condamné à de multiples reprises pour terrorisme et qui n’a pas été autorisé par l’armée à faire son service militaire, pour intensifier les efforts contre les manifestants qui bloquent les routes.

Il y a également eu plusieurs épisodes de violence entre les manifestants et d’autres civils.
À Kfar Saba, trois personnes ont été légèrement blessées lorsqu’une camionnette a foncé sur un groupe de manifestants défilant sur la Route 531, une autoroute de la région. Dans une vidéo, on peut voir le véhicule se frayer un chemin à travers le groupe et heurter un certain nombre de personnes avant de repartir à vive allure.
La police a arrêté le conducteur pour l’interroger.
À Jérusalem, un manifestant anti-refonte a été arrêté, soupçonné d’avoir utilisé un mât de drapeau pour briser la vitre arrière d’une voiture alors qu’une femme conduisait avec ses enfants près d’un carrefour où les manifestants s’étaient rassemblés.
סרטון לא קל לצפייה. מפגינים נגד הרפורמה מנפצים שמשה לרכב. סתם.
שלושה ילדים קטנים שצורחים מפחד ואישה צעירה שמתחננת שיתנו לה לעבור. האנשים האלה איבדו את הבלמים pic.twitter.com/PdyWB1YYHq— kobi bornshtein | קובי בורנשטיין (@kobi_bornshtein) July 24, 2023
Dans le kibboutz Hatzerim, sept personnes ont été arrêtées lorsqu’une bagarre a éclaté entre des manifestants pro-refonte et des résidents du kibboutz du sud. Au cours de la bagarre, le chef de la brigade de sécurité de la ville a tiré des coups de semonce.
Lors du vote de lundi, les députés ont approuvé une mesure qui empêche les juges d’annuler les décisions du gouvernement au motif qu’elles sont « déraisonnables ».
Les détracteurs du gouvernement estiment que la suppression du critère de « raisonnabilité » ouvre la voie à la corruption et à la nomination abusive d’amis non qualifiés à des postes très importants. La Cour suprême, par exemple, a annulé cette année la nomination par Netanyahu du chef du Shas, Aryeh Deri, au poste de ministre de l’Intérieur et des Finances, estimant qu’elle n’était pas raisonnable en raison de son passé de fraudeur fiscal.

Le ministre de la Justice, Yariv Levin, l’architecte du plan, a déclaré que le Parlement avait fait le « premier pas dans un processus historique important ».
« Ce n’est que le début », a renchéri Ben Gvir.
En dehors d’Israël, l’adoption du projet de loi a suscité la consternation et le mécontentement de groupes de la Diaspora, d’élus démocrates ainsi que de la Maison Blanche.
« Il est regrettable que le vote d’aujourd’hui ait eu lieu avec la plus faible majorité possible », a déclaré Karine Jean-Pierre, secrétaire de presse de la Maison Blanche. Dans une déclaration ultérieure, le Conseil national de sécurité a demandé instamment que le droit à manifester soit protégé.

Alors que les activistes ont recouvert le centre de Tel Aviv de drapeaux bleus et blancs, l’emblème nord-coréen rouge et bleu de l’un d’entre eux contrastait fortement avec la situation, avertissant, selon lui, de la direction que prend Israël.
« Nous n’en sommes pas encore là », a déclaré Dean, 29 ans, originaire de Tel Aviv. « Ce qui s’est passé aujourd’hui n’est qu’un début. Demain, je me réveillerai et j’irai encore travailler, mais le gouvernement envoie de nombreux messages pour délégitimer les manifestations et ce que nous représentons. »
Naomi Lanzkron, Carrie Keller-Lynn, Jeremy Sharon ont contribué à cet article.