Israël en guerre - Jour 366

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Netanyahu suspend la réforme en faveur du dialogue, promet qu’elle sera adoptée

Le Premier ministre a jugé qu'une "extrême minorité déchire Israël" ; l'opposition approuve mais reste sur ses gardes

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu s'adresse à la nation, le 27 mars 2023. (Crédit : Capture d'écran GPO)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu s'adresse à la nation, le 27 mars 2023. (Crédit : Capture d'écran GPO)

Lors d’une adresse à la nation lundi soir, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a annoncé qu’il reportait temporairement la réforme du système judiciaire tant controversée de son gouvernement, afin de laisser la place à un dialogue.

Après une intense pression publique qui s’est traduite par 12 semaines de manifestations de masse consécutives et, lundi, par l’annonce d’une grève générale par le principal syndicat du pays et les conseils locaux, le Premier ministre a déclaré qu’il autorisait « un délai » afin de fournir « une véritable occasion de dialoguer », mais a souligné que « de toute façon », une réforme serait adoptée pour « rétablir l’équilibre » qui, selon lui, a été perdu entre les différentes branches du gouvernement en Israël.

Le Premier ministre a indiqué que le « temps mort » durerait jusqu’au début de la session d’été de la Knesset, qui commencera le 30 avril.

Le président Isaac Herzog s’est félicité de cette pause et a déclaré qu’il était « temps d’avoir une discussion franche, sérieuse et responsable qui permettra de calmer les esprits et d’éteindre les braises ».

Netanyahu a expressément mentionné le chef du parti HaMahane HaMamlahti, Benny Gantz, comme partenaire potentiel de dialogue et a déclaré qu’il lui tendait la main, ainsi qu’à d’autres personnes désireuses d’entamer des discussions « de bonne foi ». Mais le chef de l’opposition est Yaïr Lapid.

Tout en déclarant qu’il cherchait à éviter de diviser la nation, Netanyahu a qualifié les éléments du mouvement de protestation « d’extrémistes » violents qui voulaient déchirer la nation et a insinué que les partisans de son gouvernement (droite, religieux et extrême-droite) étaient traités comme des citoyens de seconde zone.

Dans son discours, Netanyahu n’a fait aucune référence au ministre de la Défense Yoav Gallant, qu’il a limogé dimanche soir, après que ce dernier eut déclaré publiquement que l’adoption précipitée de la réforme tant controversée nuisait gravement à la cohésion des forces armées et représentait un danger tangible pour la sécurité nationale d’Israël.

Le ministre de la Défense Yoav Gallant arrivant pour une réunion, à la Knesset, le 27 mars 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Il n’était pas clair lundi soir si Netanyahu avait l’intention de revenir sur le renvoi de Gallant, qui n’avait pas encore reçu de lettre officielle l’informant de son licenciement.

C’est justement la décision de renvoyer Gallant qui a déclenché des manifestations spontanées sans précédent dans tout le pays dimanche soir, y compris la fermeture complète de l’autoroute Ayalon de Tel Aviv pendant de longues heures, et la grève générale de lundi, qui a vu l’aéroport Ben Gurion, les ports de Haïfa et d’Ashdod, et de grandes parties de l’économie fermées, les dirigeants syndicaux exigeant l’arrêt de la législation de refonte judiciaire.

Après le discours de Netanyahu lundi soir, la Fédération nationale du syndicat des travailleurs (Histadrout) et les dirigeants des conseils locaux se sont félicités de l’ouverture d’un dialogue et ont déclaré qu’ils mettaient fin à leur grève.

Voyageurs à l’aéroport Ben Gurion alors que les vols sont retardés en raison de la grève des travailleurs qui protestent contre la réforme du système judiciaire du gouvernement, le 27 mars 2023. (Crédit : Avshalom Sassoni/Flash90)

L’opposition accepte les pourparlers avec prudence, mais pas les leaders du mouvement de protestation

Gantz a salué la pause du processus législatif, déclarant qu’il entamerait « mieux vaut tard que jamais » des négociations à la résidence présidentielle « avec un cœur ouvert, non pas pour vaincre, mais pour se mettre d’accord ».

Gantz a promis d’écouter les préoccupations des partisans de la réforme et a déclaré qu’il visait à « améliorer la gouvernance et l’équilibre des pouvoirs » et qu’il ne transigerait pas sur les fondements démocratiques de base et sur une Loi fondamentale quasi-constitutionnelle complète établissant des pouvoirs et des limites clairs en matière de législation et la possibilité de l’annuler.

Gantz a dénoncé les politiciens cyniques qui tenteraient d’inciter à la violence entre les différentes composantes de la société. « Non à la guerre civile, non aux divisions, oui à l’accord et au dialogue. »

Le chef du parti HaMahane HaMamlahti, le député Benny Gantz, s’adressant aux médias, à la Knesset, le 27 mars 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Lapid a exprimé des doutes quant à l’authenticité de la suspension de la réforme annoncée par Netanyahu, affirmant que le dialogue pour une réforme consensuelle doit aboutir à la rédaction d’une constitution.

« Si le processus législatif s’arrête réellement et totalement, alors nous sommes prêts à entamer un véritable dialogue à la résidence présidentielle », a déclaré Lapid.

« Nous devons nous asseoir ensemble et rédiger la constitution israélienne sur la base des valeurs de la Déclaration d’Indépendance. Nous devons laisser le président déterminer un mécanisme pour le dialogue et lui faire confiance pour être un médiateur équitable. »

Le leader de l’opposition Yaïr Lapid, à gauche, et le chef du parti HaMahane HaMamlahti, Benny Gantz, à droite, à la Knesset, le 20 février 2003. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

« Nous avons eu une mauvaise expérience [avec Netanyahu] dans le passé et nous allons donc d’abord nous assurer qu’il n’y a ni ruse ni bluff. Hier, nous avons malheureusement eu ouï-dire que Netanyahu avait déclaré à ses proches qu’il ne s’arrêtait pas vraiment, qu’il essayait simplement de calmer la situation », a ajouté Lapid.

« S’il tente quoi que ce soit, il devra faire face à des centaines de milliers d’Israéliens patriotes qui sont déterminés à lutter pour notre démocratie et qui s’engagent à être le rempart qui protège le pays et sa démocratie. »

« D’un autre côté, si le gouvernement s’engage dans un dialogue réel et équitable, nous pourrons sortir de ce moment de crise plus forts et plus unis. »

D’autres se sont montrés encore plus sceptiques.

La cheffe du parti Avoda Merav Michaeli et le chef d’Yisrael Beytenu, Avigdor Liberman, ont tous deux accusé Netanyahu de chercher à apaiser le mouvement de protestation et à le priver d’oxygène avant de reprendre sa campagne législative.

« Nous avons toujours dit que nous n’accepterions qu’un retrait total des projets de loi dangereux de ce coup d’État. Netanyahu n’y renonce pas, il se contente de gagner du temps aux dépens de notre démocratie », a déclaré Michaeli.

La cheffe du parti Avoda Merav Michaeli lors d’une conférence de presse conjointe avec les chefs des partis d’opposition à la Knesset, à Jérusalem, le 13 février 2023. (Crédit: Yonatan Sindel/FLASH90)

Les dirigeants des mouvements de protestation se sont également montrés dédaigneux, affirmant qu’ils continueraient à se battre tant que la réforme ne serait pas abandonnée et que le gouvernement s’engagerait à ne pas légiférer unilatéralement.

« Les déclarations du Premier ministre et de ses partenaires extrémistes prouvent qu’ils ont l’intention de continuer à légiférer sur les lois dictatoriales lors de la prochaine session de la Knesset. »

« Il s’agit d’une nouvelle tentative d’affaiblir le mouvement de protestation. »

« Nous ne les laisserons pas gagner »

Malgré l’accord de Netanyahu pour suspendre la législation de refonte judiciaire, ses partenaires de coalition d’extrême-droite ont insisté sur le fait qu’elle passerait quand même.

Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a déclaré à un grand rassemblement de manifestants de droite devant la Knesset qu’ils représentaient la majorité du pays qui souhaitait une réforme du système judiciaire. Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a déclaré à ce même rassemblement que, plus tôt dans la journée, il avait brièvement décidé de démissionner en raison de la décision de suspendre la réforme, mais qu’il s’était ensuite ravisé – après avoir assisté aux manifestations anti-réforme.

« Je suis sorti, j’ai vu la manifestation des anarchistes et j’ai compris que si je démissionnais, cela leur donnerait une victoire. Ils ne gagneront pas », a déclaré Ben Gvir.

Le ministre des Finances Bezalel Smotrich participant à un rassemblement en faveur de la réforme du système judiciaire prévue par le gouvernement, à Jérusalem, le 27 mars 2023. (Crédit: Erik Marmor/Flash90)

Le ministre des Communications, Shlomo Karhi (Likud), a déclaré aux manifestants qu’ils donnaient à la coalition « un élan pour continuer à promouvoir ce que vous avez choisi ».

« Je vous dis que nous ne nous arrêterons pas. Avec l’aide de Dieu, la réforme sera adoptée. Même si elle est retardée, ne perdez pas espoir », a-t-il déclaré.

Selon la Douzième chaîne, lors des discussions entre les ministres plus tôt dans la journée de lundi, Ben Gvir a également déclaré que la décision de reporter la législation de refonte judiciaire revenait à « laisser les anarchistes gagner ».

« Nous ne les laisserons pas gagner. Nous ne ferons que suspendre la législation pendant quelques mois », aurait répondu Smotrich.

« Nous devons être intelligents. Nous adopterons la réforme plus tard, mais pas maintenant », aurait répondu le ministre de la Justice Yair Levin, ajoutant que certains députés du Likud s’opposaient à la réforme en l’état et qu’il n’était même pas sûr d’avoir, à l’heure actuelle, la majorité nécessaire pour son adoption à la Knesset.

« Les gens veulent des réformes et ils les obtiendront, mais nous devons aussi regarder ce qui se passe à l’extérieur. On ne peut pas l’ignorer », aurait ajouté Levin.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, à droite, et le ministre de la Justice Yariv Levin lors d’une discussion et d’un vote à la plénière de la Knesset, le 22 février 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Le bébé de Salomon

Netanyahu a commencé son discours en évoquant le récit biblique du jugement du roi Salomon, dans lequel deux femmes prétendaient être la véritable mère d’un nourrisson. Lorsque le roi a proposé de couper le bébé en deux et d’en offrir une moitié à chacune, l’une a accepté, tandis que l’autre a renoncé à sa revendication, afin de garder l’enfant en vie, prouvant ainsi qu’elle était la vraie mère.

« Aujourd’hui encore, les deux parties d’un désaccord national prétendent aimer le bébé – aimer notre pays », a-t-il déclaré. « Je suis attentif au désir de nombreuses personnes de mettre fin à cette tension. »

« Mais il y a une chose que je ne suis pas prêt à accepter. Il y a une minorité extrême qui est prête à déchirer notre pays en lambeaux. Elle utilise la violence, allume des incendies, menace de s’en prendre aux élus, incite à la guerre civile et appelle au refus de servir [dans l’armée], ce qui est un terrible crime. »

« Lorsqu’il est possible d’arrêter une guerre civile par le dialogue, je marque, en tant que Premier ministre, un temps d’arrêt pour dialoguer. Je donne une véritable place au dialogue », a déclaré Netanyahu, tout en précisant qu’il exigeait des chefs des forces de sécurité qu’ils éradiquent toute forme de refus.

« Nous sommes convaincus de la nécessité d’apporter des changements au système judiciaire et nous ferons en sorte qu’ils soient mis en œuvre par le biais d’un large consensus », a-t-il poursuivi.

Il a déclaré que « par responsabilité nationale et par volonté d’éviter de diviser la nation », il avait décidé de « retarder » les votes finaux sur le projet de loi visant à donner aux coalitions gouvernementales un large contrôle sur les nominations judiciaires en Israël.

« Quoi qu’il en soit, nous adopterons une réforme qui rétablira l’équilibre déchu entre les branches du gouvernement tout en préservant – et, j’ajouterai même, en renforçant – les droits individuels », a poursuivi le Premier ministre.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors de la séance plénière de la Knesset, à Jérusalem, le 27 mars 2023. (Crédit: Yonatan Sindel/ Flash90)

Il a fait l’éloge des partisans de son gouvernement qui sont venus à Jérusalem lundi soir pour exprimer leur approbation au programme de réforme judiciaire, se disant « fier » d’eux. Il leur a assuré qu’ils n’étaient pas des « citoyens de seconde zone », dans une allusion voilée aux affirmations du Likud selon lesquelles il serait le défenseur du public juif mizrahi.

« Notre voie est juste. La majorité de la nation comprend la nécessité de réformer le système judiciaire. Nous ne nous laisserons pas voler le libre choix du peuple, nous ne renoncerons pas à la mission pour laquelle nous avons été élus, mais nous nous efforcerons de parvenir à un large consensus », a conclu Netanyahu.

La décision du Premier ministre de limoger Gallant dans la nuit de dimanche à lundi a suscité des manifestations spontanées dans tout le pays et a été suivie par une déclaration de grève générale de la Histadrout, qui a été rapidement rejointe par d’autres, augmentant ainsi la pression sur Netanyahu.

La décision du Premier ministre de suspendre la réforme marque un revirement de sa part, quelques jours seulement après avoir promis de faire avancer le projet de loi et de promulguer son premier élément essentiel cette semaine.

Le projet de loi visant à prendre le contrôle de la commission de sélection des juges a été approuvé par la commission parlementaire

L’annonce de Netanyahu est intervenue peu après qu’un projet de loi politisant fortement la commission de sélection des juges et donnant à la coalition un contrôle presque total sur les nominations judiciaires a été approuvé par la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice pour ses dernières lectures au plénum de la Knesset.

Après le vote, le président d’extrême-droite de la commission a exhorté les partisans de la coalition à participer au rassemblement de la droite devant la Knesset.

« Ils ne voleront pas les élections ! », a écrit le député Simcha Rothman (HaTzionout HaDatit) sur Twitter. « Le peuple exige une correction radicale du système judiciaire. »

Des masses manifestant devant la Knesset contre le projet de réforme judiciaire du gouvernement, à Jérusalem, le 27 mars 2023. (Crédit: Gili Yaari/Flash90)

Tout au long des travaux de la commission, les députés de l’opposition ont décrié les méthodes drastiques de Rothman, hurlant et interrompant l’audience alors qu’il s’efforçait de mener à bien la procédure de vote face aux massives perturbations.

« Je me tourne vers les centaines de milliers de citoyens israéliens qui sont descendus dans la rue la nuit dernière et je vous dis que vous êtes nos frères et nos héros, merci », a déclaré le député Gilad Kariv (Avoda), membre de l’opposition, lors de sa déclaration sur la réforme.

Le président de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, le député Simcha Rothman, votant lors d’une audience de la commission, le 27 mars 2023. (Crédit: Yonatan Sindel/Flash90)

« Sachez que la lutte pour la démocratie israélienne et notre foyer est loin d’être décidée, et nous avons besoin d’une grande force pour garantir la résilience de la démocratie israélienne et l’avenir du sionisme », a poursuivi Kariv.

Il s’est également adressé à « certains » députés de la coalition et les a mis en garde contre ce qu’il a qualifié de « spirale dangereuse » dans laquelle se trouvait le pays. « Vous savez que le Premier ministre a un entourage toxique qui le conduit à prendre des décisions qui mettent en péril la résilience de l’État d’Israël. Arrêtez maintenant ! Ce train qui fonce vers l’abîme peut encore être arrêté », a-t-il ajouté.

Rothman a défendu le projet de loi, le décrivant comme « une loi équilibrée et bonne pour tout le peuple d’Israël ». Il a assuré que des dispositions similaires existaient dans d’autres pays démocratiques » et a déclaré que les opposants à la législation propageaient des « fake news » à propos de la mesure.

« Dans tous les pays démocratiques, le peuple élit les juges. Les juges n’ont pas de droit de veto sur les personnes qui franchissent les portes du tribunal et il existe des mécanismes d’équilibre conçus pour empêcher une petite majorité de s’emparer des institutions du pouvoir. Tout cela est inscrit dans la loi », a déclaré Rothman.

Des Israéliens de droite lors d’un rassemblement en soutien à la réforme du système judiciaire du gouvernement, à Jérusalem, le 27 mars 2023. (Crédit : Erik Marmor/Flash90)

Or, de très nombreux spécialistes et experts du droit – notamment l’ancien ministre irlandais de la Justice, Alan Shatter, qui s’est exprimé dimanche – ont rejeté ces arguments. Ils ont fait remarquer que même dans des pays comme l’Irlande ou au Canada, en Allemagne, en Suède et ailleurs où ce sont le ministre de la Justice ou d’autres responsables du cabinet qui font la sélection finale, les listes de candidats sont préparées par des conseils consultatifs, sans intervention ou presque des politiques.

Lundi également, une loi permettant au chef du Shas, le député Aryeh Deri, de reprendre ses fonctions ministérielles, qui devait recevoir l’approbation finale du plénum cette semaine, a été suspendue, apparemment à la demande de Deri lui-même, en raison des manifestations anti-gouvernement de masse organisées dimanche soir.

Le projet de loi éliminerait le contrôle de la Haute Cour sur les nominations ministérielles, permettant à Netanyahu de renommer Deri aux postes ministériels qu’il a été forcé de quitter en janvier, en raison d’une décision de la Haute Cour qui a cité ses condamnations pénales antérieures.

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