Israël en guerre - Jour 475

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Des juristes polonais et hongrois préviennent des menaces pesant sur la démocratie

"Tout démantèlement de l'indépendance judiciaire" commence par une "conquête constitutionnelle" ; un ex-ministre de la Justice irlandais exhorte à arrêter cette "régression"

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Le professeur Gábor Halmai, constitutionnaliste du Centre Robert Schuman d'études avancées de l'Institut universitaire européen, s'exprime lors d'une conférence organisée par l'Institut israélien de la démocratie à Jérusalem, le 26 mars 2023. (Crédit : Oded Karni)
Le professeur Gábor Halmai, constitutionnaliste du Centre Robert Schuman d'études avancées de l'Institut universitaire européen, s'exprime lors d'une conférence organisée par l'Institut israélien de la démocratie à Jérusalem, le 26 mars 2023. (Crédit : Oded Karni)

Des constitutionnalistes polonais et hongrois, deux pays considérés comme ayant connu un recul démocratique ces dernières années, ont averti qu’Israël se trouvait confronté au même danger, alors que le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu continue de faire avancer ses projets visant à politiser la plupart des nominations judiciaires et à neutraliser la Cour Suprême de Justice.

S’exprimant lors d’une conférence de l’Institut israélien de la démocratie (IDI) dimanche, les académiciens ont indiqué que l’affaiblissement de l’indépendance du pouvoir judiciaire dans leur pays avait été le premier objectif des partis au pouvoir dès qu’ils ont pris la tête du pays.

« Tout a commencé avec la Cour constitutionnelle polonaise. Et c’est une des principales leçons à retenir pour Israël », a déclaré le professeur Tomasz Tadeusz Koncewicz, directeur du département de droit européen, décrivant ce qui, selon lui, s’apparente à un processus de « conquête constitutionnelle » dans son pays dès l’arrivée à la tête du pays, en 2015, du parti Droit et Justice, actuellement au pouvoir.

« Si votre objectif est de prendre le contrôle d’une démocratie, il faut, en premier lieu, s’en prendre au garde-fou le plus important, à savoir le contrôle juridictionnel », a déclaré Koncewicz. « La majorité au pouvoir a vite compris qu’avec une Cour indépendante, la conquête constitutionnelle ne fonctionnerait jamais, car la Cour constitutionnelle se mettrait toujours en travers du chemin.

Le professeur Gábor Halmai, expert en droit constitutionnel de l’Institut universitaire européen, a également fait remarquer que le parti Fidesz en Hongrie, à l’instar du parti Droit et Justice en Pologne, avait ciblé la Cour constitutionnelle du pays dans le cadre de ses efforts visant à saper les garanties démocratiques après avoir été élu au pouvoir en 2010.

« La Pologne a suivi les instructions élaborées par Viktor Orban, le Premier ministre hongrois », a déclaré Halmai.

« La toute première chose qu’ils ont faite après les élections de 2010 a été de modifier la procédure de nomination et d’élection des juges de la Cour constitutionnelle », explique-t-il, notant que le gouvernement Orban a ensuite modifié la composition de cette Cour, ainsi que d’autres.

S’exprimant également lors de ce que l’IDI a qualifié de « conférence d’urgence », l’ancien ministre irlandais de la Justice Alan Shatter a décrit la législation israélienne sur la réforme judiciaire comme étant « politisée, opportuniste, inconséquente [et] régressive », et a déclaré que l’ensemble des mesures devraient « être immédiatement gelées ».

L’ancien ministre de la Justice irlandais Alan Shatter s’exprime lors d’une conférence organisée par l’Institut israélien de la démocratie à Jérusalem, le 26 mars 2023. (Crédit : Oded Karni)

Alan Shatter a rejeté les comparaisons faites par les partisans de la législation controversée du gouvernement, selon lesquelles la coalition aurait le contrôle des nominations judiciaires, avec le processus de sélection des juges irlandais, arguant que le système irlandais était presque totalement apolitique.

Le député Simcha Rothman, qui a élaboré la législation gouvernementale, a affirmé à plusieurs reprises que dans des pays comme l’Irlande et d’autres, les hommes politiques contrôlaient les nominations judiciaires et qu’un tel système était donc également approprié pour Israël.

Pas comme en Irlande

S’entretenant avec la professeure Suzie Navot, constitutionnaliste à l’IDI, Shatter, qui a été ministre de la Justice de l’Irlande de 2011 à 2014, a décrit la procédure de sélection des juges dans les différentes juridictions du pays, y compris au sein de la Cour suprême.

Il a noté qu’en Irlande, la grande majorité des membres de son conseil consultatif pour les nominations judiciaires sont soit des juges, soit des juristes, et qu’il n’y a aucun politicien au sein du panel, même si trois des membres sont nommés par le ministre de la Justice. Cette commission soumet une liste de candidats recommandés pour un poste juridique au ministre de la Justice, qui soumet ensuite sa propre recommandation à partir de cette liste au cabinet pour approbation, a-t-il expliqué.

Shatter a souligné que même si, en théorie, le gouvernement pouvait nommer une personne autre qu’un des candidats recommandés par la commission pour le poste en question, une telle nomination n’avait jamais eu lieu.

La législation que le gouvernement israélien s’apprête à approuver donnerait en revanche une majorité automatique à la coalition gouvernementale au sein de la commission de nomination des juges et lui permettrait vraisemblablement de contrôler toutes les nominations des juridictions inférieures et la grande majorité des nominations à la Cour suprême.

Selon Shatter, les propositions du gouvernement « attisent la division et bouleversent les partisans et les alliés d’Israël dans le monde entier ». Selon lui, la coalition devrait plutôt s’engager dans un processus consultatif afin de rédiger une constitution écrite pour l’État juif.

Des Israéliens protestent contre la refonte judiciaire prévue par le gouvernement israélien, à Tel Aviv, le 26 mars 2023. (Crédit : Avshalom Sassoni/Flash90)

« Cet assortiment de réformes judiciaires et juridiques politisées, opportunistes, irréfléchies et régressives devrait être immédiatement gelé » a déclaré Shatter, ajoutant qu’il convenait d’adopter « des mesures transparentes prises par le biais d’une assemblée consultative afin de créer une constitution exhaustive qui respecte l’État de droit, incorpore des mécanismes de contre-pouvoir, adopte les valeurs proclamées dans la Déclaration d’indépendance, garantit l’indépendance du pouvoir judiciaire, protège les droits de l’Homme et prescrit les pouvoirs et les relations juridiques entre le gouvernement, la Knesset et les tribunaux, ainsi que les limites de ces pouvoirs ».

Il a appelé le gouvernement à « embrasser » la démocratie, à prendre le temps de s’engager dans le processus d’élaboration d’une nouvelle constitution et à soumettre ce document à un référendum national lorsqu’il sera finalisé.

« Créer et proposer à la population israélienne, dans le cadre d’un référendum, ce qui devrait être une constitution pour tous les Israéliens, quelle que soit leur origine, qui garantisse l’égalité de traitement pour tous et respecte la diversité, tout en reconnaissant également Israël comme l’État-nation démocratique du peuple juif », a déclaré l’ancien ministre irlandais de la Justice.

Les leçons de la Pologne et de la Hongrie

Pour Koncewicz, le parti au pouvoir en Pologne, Droit et Justice, a « arraché » le cœur de la Cour constitutionnelle polonaise en nommant des alliés politiques du parti à la magistrature, de sorte que la Cour se considère désormais comme « un allié du parlement » et « un facilitateur du pouvoir politique » au lieu d’être une institution conçue pour contrôler le pouvoir législatif.

« Une fois que vous n’avez plus de Cour suprême indépendante de l’exécutif, c’est là que la mainmise constitutionnelle qui a eu lieu en Pologne prend effet », a-t-il déclaré.

Le professeur Tomasz Tadeusz Koncewicz, directeur du département de droit européen et comparé de l’université de Gdansk, s’exprime lors d’une conférence organisée par l’Institut israélien de la démocratie à Jérusalem, le 26 mars 2023. (Crédit : Oded Karni)

En ce qui concerna la Hongrie, Halmai a précisé que depuis 2010, Orban et son parti Fidesz ont substantiellement modifié la constitution hongroise, notamment en y incluant des dispositions qui limitent la capacité de la Cour constitutionnelle du pays à invalider les lois inconstitutionnelles, et en abaissant l’âge de la retraite des juges, ce qui permet au gouvernement de nommer des alliés politiques au sein du pouvoir judiciaire, y compris à la Cour constitutionnelle.

Les nouveaux juges de la Cour constitutionnelle ne travaillent pas de manière indépendante, a déclaré Halmai, « parce que le processus de sélection n’est pas seulement politique, il est dépourvu de toute forme de mérite », et les juges nommés par le gouvernement Orban « ne sont pas des experts en droit constitutionnel » ou des juges respectés et professionnels connaissant bien le droit constitutionnel.

« Aujourd’hui, il n’y a pas en Hongrie d’élections libres et équitables, ni de liberté de la presse, ni de liberté des organisations de la société civile », a conclu Halmai.

« Pour préserver la démocratie en Israël, il est indispensable de cesser d’utiliser le manuel de jeu des autocrates comme Orban ou d’autres, qui commence toujours par le démantèlement de l’indépendance de la justice. Si vous arrêtez ce processus dès le premier chapitre, la démocratie prévaudra en Israël », a-t-il déclaré.

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