Raisonnabilité : La Knesset adopte la première étape de la refonte judiciaire
Les 64 députés de la coalition ont voté "pour" la loi sur le "caractère raisonnable" lors du vote final après 30 heures de discussion en plénum ; toute l'opposition a quitté la salle
Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.

Après 29 semaines de manifestations et d’opposition publique de masse qui ont ébranlé le pays et divisé ses citoyens, la Knesset a donné son approbation finale lundi à une loi qui empêche les tribunaux de réexaminer le « caractère raisonnable » des décisions gouvernementales et ministérielles, le premier projet de loi majeur de la refonte judiciaire du gouvernement à être adopté.
Le projet de loi a été adopté en troisième et dernière lecture par 64 voix pour et 0 contre, l’ensemble des 56 membres de l’opposition ayant boycotté le vote en signe de protestation.
Le vote a conclu 30 heures de débats continus en plénière, qui ont débuté dimanche matin. Au cours de ce laps de temps, des centaines de milliers de manifestants sont descendus dans les rues, pour ou contre la limitation des contrôles judiciaires sur le pouvoir politique. De plus, le président américain Joe Biden a envoyé son cinquième message en un peu plus d’une semaine, appelant le gouvernement à ne pas précipiter les changements constitutionnels.
À la Knesset, les tentatives de dernière minute pour amender le projet de loi ou pour parvenir à un accord plus large avec l’opposition ont échoué, après le rejet de deux propositions de compromis présentées dimanche par un dirigeant syndical et par le président Isaac Herzog.
Immédiatement après le vote, le ministre de la Justice, Yariv Levin, a salué la loi comme « la première étape d’un processus historique visant à corriger le système judiciaire ». Les dirigeants de la coalition se sont publiquement engagés à poursuivre le processus, la prochaine étape étant un projet de loi visant à remanier le groupe chargé de sélectionner les nouveaux juges, attendu lors de la session d’hiver de la Knesset.
Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, a promis de déposer rapidement un recours auprès de la Haute Cour de justice contre la loi fraîchement adoptée. L’ONG Mouvement pour un gouvernement de qualité en Israël en a déjà déposé un.

« Il s’agit d’une rupture totale des règles du jeu », a déclaré Lapid, quelques minutes après l’adoption de la loi. « Le gouvernement et la coalition peuvent choisir la direction que prend l’État, mais ils ne peuvent pas décider du caractère de l’État. »
La session plénière a été tendue et chaotique avant le vote décisif, avec des débordements ponctuant le discours de Lapid, dans lequel il a affirmé qu’Israël se dirigeait vers la destruction, et celui de Levin, dans lequel il a rejeté l’examen du critère de la « raisonnabilité » de la Cour comme étant entièrement dépendant d’une « vision du monde » subjective.
Présentant la position du gouvernement sur le projet de loi avant les deuxième et troisième lectures, Levin a fait valoir que le « caractère raisonnable » est un concept juridique nébuleux qui relève de l’opinion personnelle.
« Le caractère raisonnable est une vision du monde. Ce n’est pas le droit des contrats, ce n’est pas le droit de la preuve, ce n’est pas une question juridique », a déclaré le ministre de la Justice à propos de l’examen de la notion juridique du « caractère raisonnable », utilisé comme l’un des principaux outils de contrôle des nominations et des actions des gouvernements en période électorale, et de manière générale.
« Vous [les juges] voulez décider de ce qui est raisonnable et de ce qui ne l’est pas, à la place des personnes choisies par la nation ? Ça c’est raisonnable ? », a demandé Levin.
« Je voudrais dire plus que cela : qui a dit que ce qui est raisonnable aux yeux des juges serait même la chose logique à faire ? Qui a décidé que ses positions personnelles étaient meilleures que celles des ministres ? »

Un amendement à la Loi fondamentale : Le pouvoir judiciaire pour empêcher les tribunaux d’évaluer le « caractère raisonnable » des décisions administratives prises par le cabinet ou ses ministres, notamment les nominations et le choix de ne pas exercer des pouvoirs acquis.
Les partisans de cette loi affirment qu’il s’agit d’une correction nécessaire contre les abus de pouvoir judiciaire, tandis que les critiques affirment que le critère du « caractère raisonnable » est un frein important – et dans certaines situations, même le principal – contre l’utilisation inappropriée du pouvoir public.
Maintenant qu’elle a été adoptée, la coalition dispose d’une plus grande couverture juridique si elle choisit de poursuivre trois objectifs politiques que ses membres ont soutenus et qui auraient autrement été bloqués par l’examen du « caractère raisonnable » : licencier le procureur général ou d’autres gardiens de l’État de droit ; ne pas convoquer la commission de sélection des juges tant que sa composition n’a pas été modifiée ; et réintégrer le chef du parti le Shas, Aryeh Deri, démis de ses fonctions par la Cour, au sein du cabinet. Toutefois, les tribunaux disposent d’autres outils pour examiner et éventuellement annuler ces mesures.
Avant le vote, Lapid a déclaré au plénum que plusieurs membres de la coalition étaient opposés au projet de loi de la « raisonnabilité » et les a exhortés à arrêter le processus législatif au moment où les derniers votes du plénum allaient avoir lieu.
« Au cours des dernières semaines, j’ai parlé des centaines d’heures avec des membres de la coalition. Ne vous inquiétez pas, je ne citerai pas de noms, mais vous savez qui vous êtes et vous connaissez la vérité. Vous savez qu’il se passe quelque chose de terrible ici », a déclaré Lapid.

Le chef du parti HaMahane HaMamlahti, Benny Gantz, s’est fait l’écho de Lapid et a également affirmé devant le plénum de la Knesset « qu’il y a une majorité dans cet auditorium, et je le sais pertinemment, qui ne veut pas de ce résultat ».
Lapid a dénoncé la législation comme une « prise de contrôle hostile de la majorité israélienne par une minorité extrémiste, et aussi une prise de contrôle hostile du parti [Likud] ».
« Vous savez que ce qui se passe ici est un désastre qui peut être évité. Une tragédie que nous devons arrêter », a-t-il déclaré.
« Vous pouvez l’arrêter. Ce n’est peut-être pas ce que vous aviez prévu. Ce n’est peut-être pas ce pour quoi vous êtes venu en politique, mais si vous ne l’arrêtez pas maintenant, vous vous réveillerez les nuits de ces trente prochaines années et vous vous demanderez pourquoi vous n’avez pas agi alors que vous saviez que c’était la bonne chose à faire », a ajouté Lapid.
Peu avant le vote, Lapid a annoncé, lors d’une interview télévisée, que les négociations étaient terminées, déclarant que la coalition voulait « démolir l’État, démolir la démocratie, démolir la sécurité d’Israël, l’unité du peuple d’Israël et nos relations internationales ».
Par conséquent, a-t-il conclu, « il est impossible de continuer à travailler avec eux – parce que c’est le gouvernement le plus irresponsable qu’il y ait jamais eu ici ».

Gantz a affirmé que la loi, si elle était adoptée, porterait atteinte aux fondements démocratiques, à l’économie et à la sécurité d’Israël.
« Je suis très préoccupé par la situation en matière de sécurité et par ce que nous montrons à nos ennemis », a déclaré l’ancien ministre de la Défense et chef militaire.
Dimanche, Gantz a reçu un briefing spécial du chef d’état-major de Tsahal, Herzi Halevi, sur l’état de préparation de l’armée, compte tenu du grand nombre de réservistes qui ont déclaré qu’ils ne participeraient pas au service volontaire pour protester contre la réforme du système judiciaire.
On s’attend à ce que les manifestations s’intensifient à Jérusalem et dans le pays après le vote de lundi. Les partisans de la refonte ont déjà annoncé qu’un rassemblement se tiendrait lundi soir devant la Knesset.