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Opinion

Netanyahu veut être « le roi Bibi »: Nous devons l’en empêcher dans le respect de la loi

Sourd aux avertissements, convaincu que ses intérêts sont ceux de l'État, flanqué de criminels, d'extrémistes, de théocrates, il s'acharne à obtenir un pouvoir quasi-illimité

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d'une réunion du parti Shas à la Knesset, le parlement israélien de Jérusalem, le 23 janvier 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d'une réunion du parti Shas à la Knesset, le parlement israélien de Jérusalem, le 23 janvier 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Pendant des décennies, ses partisans ont encensé Benjamin Netanyahu, resté Premier ministre pendant plus d’un cinquième de la durée de vie totale du pays, en scandant « Bibi, le roi d’Israël ».

Un titre qui n’a jamais eu plus de pertinence qu’aujourd’hui. De retour sur son trône après un bref interrègne, Netanyahu jouit dorénavant d’un pouvoir extraordinaire à la tête d’une coalition la plus à droite de l’histoire du pays qui partage largement son état d’esprit et il a bien l’intention de raffermir encore sa mainmise sur le pays en neutralisant la seule instance à même de contrer ses excès ou les abus de son gouvernement, la Haute cour de justice. Et s’il est capable de priver la Cour de son indépendance et de ses capacités, alors oui, Israël deviendra son royaume.

Comme cela a été le cas de tous les monarques à travers les millénaires, l’accumulation du pouvoir absolu a néanmoins coïncidé avec l’incapacité de la part du dirigeant à faire la distinction entre ses intérêts personnels propres et ceux de l’État. Il a, au fil du temps, eu la conviction croissante que lui seul était en mesure de guider Israël ; il a pris soin d’éliminer les voix dissidentes en prenant goût à la culture de flatterie de sa cour (composée d’hommes et d’un tout petit nombre de femmes). Il a surtout acquis la certitude que tous les moyens sont légitimes et nécessaires pour maintenir son règne, quel qu’en soit le prix.

La tragédie, pour le royaume, est que Netanyahu est en train de placer le pays sur la pente de la destruction. Citons le résumé de la situation qui a été fait avec réticence, mardi, par notre président habituellement discret, Isaac Herzog, qui a déclaré que la révolution judiciaire que Netanyahu se prépare à lancer au cours d’une campagne coup de poing au parlement menace « de nous détruire tous ».

Mais pourquoi « le roi Bibi » agirait-il de manière si outrageusement dangereuse – ne se contentant pas de démolir le système judiciaire mais accueillant également avec détachement, à la table de son cabinet, des criminels, des homophobes, des messianistes et des théocrates ?

L’une des raisons s’impose : c’est parce que ses intérêts propres exigent qu’il puisse s’extraire de son procès et, ce faisant, qu’il puisse vaincre les élites ashkénazes si ostensiblement de gauche – au sein de la police, du parquet, des médias et de la politique – qui auraient uni leurs forces pour qu’une enquête soit ouverte à son encontre, pour qu’il soit mis en examen et traduit sur le banc des accusés pour des crimes qu’il n’a pas pas commis, assure-t-il catégoriquement sans avancer de preuves, et pour des actions qui ne sont pas pénalement répréhensibles, insiste-t-il.

Il considère que les successeurs des mêmes élites qui avaient conspiré contre son père, dans le milieu académique, ont cherché à le saboter dans le cadre d’un « coup d’État politique, » comme il l’a souvent répété. Mais il est dorénavant revenu au pouvoir, il a bien l’intention d’avoir le dernier mot et il s’est persuadé – avec l’aide non négligeable de ses proches – que ses succès seront les succès d’Israël.

Un plan par étapes

Son principal émissaire est un geek obsessionnel que lui-même avait poussé à la marge pendant des années et qui est devenu son ministre de la Justice, Yariv Levin. Six jours seulement après l’arrivée au pouvoir de la coalition, Levin a été envoyé pour présenter ses propositions de « réformes » (qui portent si mal leur nom que cela en est risible), des propositions réfléchies depuis longtemps – soit un plan en quatre points qui garantira que les juges ne pourront plus protéger les Israéliens des abus d’une coalition au pouvoir – et ce, peu importe sa couleur politique. Loin d’être une initiative légitime, de bonne foi, qui viserait à rajuster avec soin, de façon consensuelle, l’équilibre délicat entre les systèmes exécutif et judiciaire, ce projet est en lui-même une révolution imposée, décrétée à la hâte, qui bouleversera la gouvernance en Israël, accordant des pouvoirs presque illimités à la majorité politique.

Comme l’a noté Levin, ces propositions ne représentent néanmoins que « la première phase » de l’entreprise de restructuration de la gouvernance en Israël. Les phases qui doivent suivre – on peut aisément le deviner – comprendront la scission des deux rôles tenus par le procureur-général en tant que conseiller du gouvernement et en tant que numéro un du parquet, une division des responsabilités qui a déjà fait l’objet de maintes débats dans le passé.

Le ministre de la Justice, Yariv Levin, lors d’une conférence de presse à la Knesset, à Jérusalem, le 4 janvier 2023. (Crédit : Olivier Fitoussi/Flash90)

Tandis que la première phase du bouleversement envisagé par Levin est dévastateur dans les conséquences qu’elle aura pour la démocratie israélienne, l’idée de diviser les responsabilités du procureur-général en les confiant à deux officiels distincts mérite d’être examinée. Mais pour Netanyahu, déterminé à échapper à son procès, il est évident que cette initiative offrira, de surcroît, une porte de sortie parfaite. Parce qu’un procureur principal choisi avec soin aurait le droit de réexaminer les charges contre le Premier ministre et que les personnalités qui l’ont nommé seraient aussi en droit d’attendre qu’il tire la conclusion que les dossiers sur Netanyahu n’offrent raisonnablement aucune justification à des poursuites judiciaires. Une Haute-cour indépendante, dotée de ses capacités, pourrait en juger autrement mais la « première phase » de Levin, si elle se concrétise sur le terrain, aura garanti qu’une Cour indépendante et dotée de capacités appartient dorénavant au passé.

Des alliés plus jeunes, dynamisés et malhonnêtes

Les partenaires du Likud au sein du gouvernement ont tout intérêt à aider Netanyahu – parce qu’il leur donne du pouvoir, parce qu’il sert leurs intérêts et parce qu’ils ont par ailleurs leurs propres rancœurs à l’égard de l’interventionnisme des magistrats. La Cour ne laissera pas les partis ultra-orthodoxes inscrire pleinement dans le marbre leur large exemption – discriminatoire – du service militaire. Elle ne laissera pas l’extrême-droite légaliser les implantations construites sur des terrains privés appartenant à des Palestiniens. Elle protègera les Arabes contre le racisme et les membres de la communauté LGBTQ contre les discriminations homophobes. Elle interdira aux criminels récidivistes de prendre la tête d’un ministère (de deux ministères).

Netanyahu n’est pas un aventurier. Il n’est pas un théocrate. Il reconnaît l’importance d’entretenir des relations étroites avec les États-Unis, des relations qui, il le sait, reposent sur l’intimité que deux démocraties seulement peuvent partager. Il a servi pendant des années au sein de la chaîne de commandement de Tsahal et il sait quelle est la signification de cette chaîne, – qu’elle est d’une importance littéralement vitale. Il ne souscrit pas personnellement à l’idéologie d’un judaïsme suprématiste. Juif laïc, il ne nourrit pas de mépris à l’égard du judaïsme non-orthodoxe et il ne cherche pas à aliéner gratuitement la diaspora. Il a été immensément fier, une fierté justifiée, de constater qu’Israël était capable d’être un refuge digne de confiance pour tous ceux qui sont persécutés parce que Juifs, indépendamment de la désignation halakhique de la judéité. Il a nourri le secteur technologique remarquable d’Israël et il comprend mieux que quiconque son caractère crucial pour l’économie et, a fortiori, pour la capacité du pays à se protéger contre ses ennemis. Et il apprécie la valeur d’une Haute cour indépendante – qui protège les droits au sein du territoire et qui sert de rempart contre les puissants critiques étrangers de l’État juif, en particulier en ce qui concerne les politiques mises en œuvre par Israël à l’égard des Palestiniens.

D’une manière ou d’une autre, à un degré ou à un autre, ses alliés de coalition variés ont des positionnements radicalement différents sur une ou sur plusieurs de ces problématiques. Ils ne sont pas tolérants dans leur judaïsme. Ils ne sont pas tous, loin s’en faut, des démocrates. Ils ne sont pas tous sionistes.

Mais il a désespèrement besoin d’eux pour « réformer » le système judiciaire, pour « rééquilibrer » les branches du gouvernement en sa faveur et pour mettre le point final à son procès.

Et en fin de compte – alors même qu’il finance le système scolaire ultra-orthodoxe et les yeshivot qui portent atteinte à la main-d’œuvre ; alors même que des décisions et des projets de loi pro-théocratie se multiplient sur tous les sujets, depuis la limitation des travaux d’infrastructure vitaux à Shabbat au financement des événements publics non-mixtes en passant par l’interdiction du hametz , le pain au levain, dans les hôpitaux à Pessah ; alors même que ses accords de coalition autorisent les discriminations contre les Arabes et les membres de la communauté LGBTQ – il affirme pouvoir contenir leurs penchants les plus indignes. Après tout, il est le roi.

Et pourtant, vous pouvez être certains que les Aryeh Deri, Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir — dynamisés, infatigables, plus jeunes – ont la certitude, tout en embrassant son sceau royal métaphorique, qu’ils auront le dernier mot.

Le dirigeant d’Otzma Yehudit, Itamar Ben Gvir (à gauche), s’entretient avec le chef de HaTzionout HaDatit Bezalel Smotrich à la Knesset le 29 décembre 2022 (Crédit : Yonatan Sindel / Flash90)

Une opposition moins complaisante, moins arrogante et moins inefficace aurait pu empêcher ce résultat des élections du 1er novembre qui a accordé à Netanyahu et à ses alliés une majorité si décisive, alors qu’en fait le vote frôlait les 50-50.

A LIRE : Malgré une quasi-parité des votes bruts, Netanyahu a 8 sièges de plus que l’opposition

Une version antérieure du Likud aurait résisté aux trahisons des principes libéraux et démocratiques qui étaient défendus par le leader qui avait amené le parti au pouvoir pour la toute première fois, Menachem Begin. Mais les Begin, père et fils, sont partis et c’est le cas aussi des Meridor et même des Steinitz, ce qui ne laisse aujourd’hui que les Dichter et autres Barkat, qui devraient faire preuve de plus de sagesse, avec une collection de visages plus récents, plus ambitieux, qu’il est souvent difficile de distinguer de leurs alliés situés plus à droite de l’échiquier politique, un Likud où toute dissension interne est facilement réduite au silence par la promesse d’un ministère sans importance ou d’une présidence au sein d’une commission marginale.

Que faire ?

Il revient donc à la majorité du public israélien – à ceux qui ont voté contre ces partis de coalition et à ceux qui les ont soutenus mais qui s’opposent dorénavant à des aspects majeurs de leur ordre du jour – de tenter de déjouer cette monarchie, d’utiliser tous les moyens légaux pour empêcher la tragédie qui se déroule sous nos yeux. Pour protéger la Haute-cour qui, jusqu’à présent, n’a pas montré le moindre signe de volonté de se taire et de battre en retraite. Il ne faut plus manifester par dizaines de milliers, mais par centaines de milliers.

Des Israéliens protestent contre le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu et ses projets de réformes judiciaires qui, selon ses opposants, menacent la démocratie et les libertés, à Tel Aviv, Israël, le 21 janvier 2023. (Crédit : Tomer Neuberg/Flash90)

Ce combat bat déjà son plein. Les avocats transmettent leurs courriers d’avertissement comme le font également les directeurs des universités, les banquiers, les économistes. Le milieu hi-tech descend dans les rues, mettant en garde contre une fuite des cerveaux.

Les leaders de la Diaspora juive, qui rechignent souvent, et c’est à leur honneur, à l’idée d’intervenir dans les affaires israéliennes, doivent bien comprendre que – en citant Herzog encore une fois – la destinée de notre pays remarquable, le foyer des Juifs du monde entier, est en jeu. Et ils doivent utiliser toute leur influence pour relayer au mieux leurs inquiétudes.

Et nos alliés internationaux, avec à leur tête les États-Unis, doivent aussi nous témoigner leur amitié et protéger leurs intérêts en soulignant les conséquences, pour nos alliance réciproques et intimes, d’un abandon de nos valeurs, ces valeurs partagées qui sont le socle de nos liens.

Le président Isaac Herzog s’adresse à la conférence sur l’éducation Ashmoret à Tel Aviv, le 24 janvier 2023. (Crédit : Avshalom Sassoni/Flash90)

« Les fondations démocratiques d’Israël – avec notamment le système judiciaire, les droits de l’Homme et les libertés – sont sacrées et nous devons les protéger et protéger les valeurs exprimées dans la Déclaration d’indépendance », a exhorté le président, élu en 2021 sur la base d’un consensus sans précédent de 87 députés sur 120 – précisément ce genre de consensus qui aurait dû orienter tout effort responsable de « réforme » authentique des composantes qui sont au cœur de notre démocratie.

« Je crains que nous ne nous trouvions au bord d’une crise interne qui pourrait nous détruire tous », a mis en garde Herzog. « L’absence de dialogue nous déchire de l’intérieur et je vous le dis à voix haute et claire : la poudrière est sur le point d’exploser. C’est une urgence ».

« Durant les règnes de la Maison de David et des Hasmonéens, des États juifs ont été établis en terre d’Israël, et par deux fois ils se sont effondrés avant d’atteindre leur 80e anniversaire », a rappelé Herzog.

Un tel effondrement ne saurait être cautionné à l’ère du roi Bibi.

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