GB : Les restitutions d’œuvres entravées par la loi et l’absence de volonté politique
Après un demi-siècle de discussions, le British Museum et le Victoria and Albert Museum ont récemment conclu un accord pour le prêt d'objets
Bronzes du Bénin, trésors royaux du Ghana, frises du Parthénon… comme partout en Europe, la pression monte sur les musées britanniques pour rendre les œuvres de leurs opulentes collections dérobées à l’époque coloniale. Mais ces restitutions sont limitées par un cadre juridique daté – qui ne semble pas près d’évoluer.
Après un demi-siècle de discussions, le British Museum et le Victoria and Albert Museum (V&A) ont récemment conclu un accord pour le prêt d’objets en or et en argent de la cour royale ashanti dérobés à l’époque coloniale. Selon le Palais Manhyia à Kumasi, siège du royaume ashanti, le prêt de ces 32 pièces accaparées en 1874 peut aller jusqu’à six ans.
Sur la BBC, Nana Oforiatta Ayim, conseillère spéciale du gouvernement ghanéen de la Culture, avait estimé qu’une telle démarche n’allait pas assez loin. Et a ainsi résumé la situation : « Quelqu’un rentre chez vous et vole quelque chose. Le garde chez lui, et ensuite X années plus tard vient vous dire : je viens vous prêter vos objets. » « Ça n’a aucun sens ! »
Pourtant, certains musées britanniques ont par le passé effectué des restitutions, à l’instar de 72 artefacts parmi lesquels douze bronze du Bénin rendus au Nigeria en 2022 par le musée Horniman de Londres.
Mais au Royaume-Uni, des lois datant des années 1960 et 1980 empêchent les musées nationaux, comme le British Museum et le V&A, d’effectuer des restitutions. Ceci bloque en l’état notamment un retour en Grèce des frises du Parthénon, au cœur d’une brouille de longue date, devenue très symbolique, entre Londres et Athènes.
Les autorités britanniques affirment que les sculptures, exposées au British Museum, ont été « acquises légalement » en 1802, tandis que la Grèce soutient qu’elles ont fait l’objet d’un « pillage » alors que le pays était sous domination ottomane.
Le « risque » du prêt
En proposant des prêts plutôt que des restitutions, les musées nationaux s’efforcent de répondre aux revendications sans « transférer la propriété » des objets, explique à l’AFP Tatiana Flessas, professeure associée de droit à la London Scool of Economics (LSE).
Mais selon elle, le British Museum ne prendrait pas le « risque » de prêter les marbres du Parthénon, « car il est absolument évident » à ses yeux « que les Grecs les garderaient ».
Elle relève qu’il serait en théorie possible de changer la loi : cela a été fait pour la restitution d’œuvres d’art pillées par les nazis. Mais le gouvernement conservateur s’y refuse catégoriquement.
Et ce à rebours de l’opinion publique, argumente-t-il. Un sondage YouGov en juin dernier, commandé par le Parthenon Project, groupe favorable au retour en Grèce des marbres exposés au British Museum, indiquait que 64 % des Britanniques étaient en faveur de leur restitution. Une étude en novembre dernier du même institut arrivait au chiffre de 49 % (15 % contre, le restant des sondés se montrant soit indifférent ou indécis).
« Le gouvernement est absolument déphasé par rapport à la population et reste fixé sur cette idée que tout ce qui peut retirer des objets des collections d’État est woke » car il estime que ces « trophées impériaux » doivent « rester en place », proteste Lewis McNaught, fondateur de Returning Heritage, qui milite pour la restitution.
Pas une priorité
Les opposants aux restitutions craignent un effet domino qui verrait les revendications se succéder au point de vider les musées britanniques.
Fin janvier, le conservateur Daily Telegraph affirmait après l’annonce du prêt des trésors ghanéens, que ce sont désormais les musées britanniques qui risquent d’être « pillés ».
Mais selon Lewis McNaught, le nombre d’objets potentiellement concernés est restreint : moins de 1 % sur les huit millions d’objets que compte par exemple le British Museum, avance-t-il. « Le problème vient plutôt de leur notoriété. »
En Europe, nombre de pays ont mis sur pied des commissions indépendantes sur la question, y compris la Suisse, « qui n’a jamais eu la moindre colonie ». Pas le Royaume-Uni, qui selon lui reste sur une position initiée au début du XIXe siècle.
Et en ce début d’année électorale au Royaume-Uni, aucun des principaux partis ne voient la question comme une priorité, déplore Lewis McNaught. « Mais les temps ont changé, la société a changé. »