50 ans après la guerre de Kippour, des vétérans font le parallèle avec la crise en Israël
Ils se souviennent de la manière dont la bataille d'Israël pour sa survie a divisé la société et ébranlé la diaspora, à l'instar de la refonte judiciaire aujourd'hui
JTA — Les Israéliens n’étaient pas sûrs que leur pays survivrait. Les Juifs américains ne savaient pas trop comment réagir.
Cinquante ans après la guerre de Kippour – qui a éclaté lors du jour le plus solennel du calendrier juif en 1973 et duré près de trois semaines –, certains vétérans voient une nouvelle crise se produire en Israël où les Israéliens s’opposent sur les mesures du gouvernement pour affaiblir la Cour suprême.
Ceux qui ont connu la guerre de 1973 disent qu’il y a deux différences majeures entre aujourd’hui et hier : la menace qui plane sur Israël, aujourd’hui, n’est pas de l’ordre de la survie, disent-ils, et elle ne vient pas de l’extérieur. De nos jours, les Israéliens s’affrontent les uns les autres.
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Dans des interviews, quatre vétérans de la guerre et un responsable juif américain très impliqué dans l’action de sa communauté au moment des événements sont revenus sur leurs souvenirs, bien vivaces, évoquant les échos de la guerre que la situation actuelle réveille, avec ces Israéliens qui, en nombre, craignent pour la démocratie israélienne au crible de la refonte judiciaire proposée par le gouvernement. Les Israéliens favorables à cette refonte estiment qu’elle permettra de réfréner les ardeurs d’un système judiciaire jugé trop activiste et donnera au gouvernement élu les coudées franches pour mieux représenter sa base de droite.
L’échec d’un gouvernement
Les Israéliens ont été pris au dépourvu par la guerre, notamment parce que leurs dirigeants n’ont pas tenu compte des avertissements de certains responsables du renseignement qui voyaient pourtant les armées égyptienne et syrienne se préparer à l’attaque. Les armées étaient positionnées aux frontières du désert du Sinaï et du plateau du Golan, territoires qu’Israël avait conquis lors de la guerre des Six Jours en 1967.
« Israël n’était pas préparé et à bien des égards, nous n’avions pas de tactique militaire », confie Itzhak Brook, médecin israélien qui a servi dans l’armée, dans un bataillon d’approvisionnement du Sinaï. « Je pense que, pour beaucoup, c’était de l’arrogance de la part d’une société qui se sentait invincible, dans l’euphorie post-guerre des Six Jours. »
Hillel Schenker, déployé lui sur le plateau du Golan pour poser des mines, se rappelle que la colère contre les dirigeants du pays s’était rapidement exprimée dans la rue, sorte de présage de l’Israël de 2023.
« Rapidement, des milliers de personnes ont manifesté contre le ministre de la Défense Moshe Dayan ». « Tout aussi rapidement, des milliers de personnes ont manifesté contre Dayan et, dans une certaine mesure, aussi contre Golda Meir », qui était Première ministre à ce moment-là. Les manifestations ont fait tomber le gouvernement Meir, auquel a succédé celui d’Yitzhak Rabin.
Des échos aux États-Unis
Les trois vétérans américains interrogés par la Jewish Telegraphic Agency se souviennent combien il était difficile de communiquer en Israël, et aussi de rester en contact avec leurs proches aux États-Unis, pendant la guerre. Ce n’est qu’après-guerre qu’ils ont pris conscience du traumatisme de la communauté juive américaine.
Allan Feldman, qui était alors démineur, se rappelle que sa mère, à Baltimore, était parvenue à le joindre à un moment où les appels téléphoniques supposaient de se déplacer, parfois de très loin.
« Je suis un enfant unique et ma mère était hystérique », se souvient-il. « Nous étions en contact. »
Abe Foxman, alors haut responsable de l’Anti-Defamation League (ADL), qu’il dirigera plus tard pendant plus de trente ans, explique que la communauté juive américaine était furieuse à l’époque.
« Après 67, il y a eu une vraie euphorie, et après 73, une incroyable tristesse ». « Ce fut un moment traumatisant : Dieu nous en préserve, mais nous aurions pu perdre Israël. »
Né en Israël, Brook, qui est parti huit mois après la guerre pour étudier la médecine aux États-Unis, dit avoir été surpris à son arrivée aux États-Unis : les Juifs américains étaient traumatisés, mais au fil du temps, moins que les Israéliens.
« Les Juifs américains sont nombreux à ne pas avoir compris ce qu’Israël avait traversé, ce que j’ai moi vécu ». Il a écrit un livre sur ses expériences, intitulé « Dans les sables du Sinaï: récit d’un médecin de la guerre de Kippour ». Il a donné plus de 200 conférences, en ligne et en personne, pour que la mémoire de la guerre demeure.
Une guerre qui a changé à tout jamais des vies entières et un pays dans son entier
« Trois semaines avant la guerre, j’ai effectué une période de réserve des plus agréables à Dahab, dans le Sinaï, pendant un mois », se souvient Schenker, évoquant la station balnéaire de la mer Rouge qui était, alors sous domination israélienne, un haut lieu des aficionados des modes de vie alternatifs. « Nous n’avions aucune idée que la guerre allait arriver si vite. »
Originaire de New York, Schenker avait des liens avec la scène folk de sa ville et voulait tenter une carrière de chanteur en Israël, ou étudier à l’université.
« La guerre de Kippour a rebattu toutes les cartes et m’a privé de ces opportunités. Aujourd’hui, le principal défi de ma génération est de parvenir à la paix pour empêcher que ça recommence ». Il est devenu un militant de la paix, a contribué à la création de La Paix maintenant, aujourd’hui l’une des principales ONG de gauche d’Israël.
Feldman s’estime heureux de ne pas avoir eu à faire la guerre dans les rangs de l’armée américaine au Vietnam et d’avoir ainsi pu servir dans l’armée israélienne. Mais il était loin de se douter à quel point le pays changerait après cette guerre, selon lui dans un sens plus militariste, plus religieux et plus engagé dans la colonisation de la Cisjordanie. Il dit retrouver toutes ces tendances dans la situation actuelle.
« Ce n’est pas le rêve sioniste que j’avais ». « Que se passe-t-il avec ce gouvernement d’extrême droite ? Je suis très inquiet : quand Israël va-t-il se rendre compte de ce qui se passe vraiment ? »
Dave Holtzer, qui a servi pendant la guerre, trouve lui aussi des échos inquiétants dans la situation d’aujourd’hui.
« Les Syriens allaient nous tuer », dit Holtzer. « Aujourd’hui, on ne va pas nous tuer, on va juste nous enlever notre démocratie. »
Dans ses présentations aux communautés juives, Brook parle du moment où il a su qu’Israël avait changé pour de bon.
« Nous avons évacué des soldats vers un hôpital de campagne et en sortant, j’ai vu cette tente avec toutes ces civières », a-t-il dit en 2020 à la JTA. « Chacune était recouverte d’un drap. On ne voyait que les chaussures. Certaines marrons — celles des parachutistes -, d’autres noires, celles des membres des corps blindés ou de l’artillerie. »
Il se souvient avoir pensé : « Les familles de ces hommes ne le savent pas encore, mais dans quelques heures, quelqu’un frappera à leur porte et leur vie va prendre un tout autre cours. »
Bien que la commémoration de la guerre de Kippour l’ait préoccupé, Brook dit percevoir une menace différente et, à certains égards, plus grave aujourd’hui.
« La menace pour Israël ne vient pas tant des armées des grands pays arabes, c’est plutôt celle du nucléaire iranien, du terrorisme de Gaza et du Liban et des conflits internes à Israël en raison de la controverse sur le système judiciaire ». « Cette menace est plus grande encore que celle de la guerre car, dans la guerre, tout le monde est uni, alors qu’en ce moment, les Israéliens sont divisés. »
Les Juifs américains sont plus investis de nos jours
La communication, aujourd’hui totalement instantanée, a pour conséquence que les Juifs américains sont plus susceptibles de prendre parti dans la crise actuelle, estime Holtzer.
« Les gens se demandent ce qui se passe, ils suivent l’actualité au jour le jour ».
Feldman s’émerveille de la façon dont il est en contact chaque jour avec son fils, élevé en Israël et qui vit aujourd’hui aux États-Unis. « Nous parlons presque tous les jours depuis mon portable, on se voit, lui et moi, avec les petits enfants aussi ».
Pour Schenker, ses proches et amis américains sont totalement connectés à la crise. « Nous, nous n’avions ni WhatsApp ni Zoom, rien de ce genre ». « Alors que ma fille, à New York, m’envoie des photos d’elle, quand elle manifeste contre Netanyahu. »
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