La première maternelle en extérieur d’Israël : couteaux et scorpions au programme
La ‘maternelle en forêt’ innovante de Mitzpe Ramon vise à enseigner aux enfants l’indépendance, l’interaction avec la nature et la créativité. Les parents – et les éducateurs – s’y pressent
MITZPE RAMON (JTA) – Cela a tout l’air du pire cauchemar d’une mère juive : une classe maternelle qui a lieu en extérieur, dans le désert.
Pourtant, les parents de cette ville israélienne reculée déposent leurs enfants à Gan Keshet chaque jour de la semaine durant l’année scolaire, pour les laisser libre de cuisiner sur un feu de camp, tailler des bouts de bois avec des couteaux et partir à la recherche de scorpions. Qu’il pleuve, ce qui est rare, ou que le soleil brille, la classe aura lieu.
« Les enfants découvrent la vraie vie lorsqu’ils arrivent ici », dit d’une voix douce Ron Meltzer, directeur et fondateur visionnaire de l’école.
Gan Keshet, qui signifie « maternelle de l’arc en ciel » en hébreu, est la première « maternelle en forêt » du pays, et c’est une école publique. Grâce à une couverture médiatique locale et au bouche-à-oreille, les parents se sont pressés pour inscrire leurs enfants, et les éducateurs à travers tout Israël ont cherché à imiter le modèle.
Un jour de juin, l’école a commencé, comme d’habitude, à 7h30. Sous la supervision détendue de Meltzer et de deux autres enseignants, les enfants, âgés de trois à six ans, ont joué dans un bosquet de pins le long d’une route à une seule voie en bordure de la ville. Un groupe de garçons a taillé des bâtons pour en faire des arcs et de flèches, et une petite fille a construit une échelle en cordage entre les branches d’un arbre. D’autres se sont assis sur des tapis de pique-nique pour dessiner, lire des livres et empiler des morceaux de bois.
Plusieurs enfants ont aidé Meltzer à cuisiner, pour le petit-déjeuner, de la pita druze sur une pierre à feu ; ils ajoutent des petits pois au feu et mettent de la pâte sur la plaque de cuisson.
Malgré le manque apparent de limites, il existe des rituels et des règles dans la structure. Quand il commence à faire chaud, les enfants restent dans les limites d’une zone en grande partie à l’ombre, de la taille d’un terrain de football. Cette zone est délimitée à ses quatre coins par des arbres et des pierres pour qu’ils puissent tous facilement l’identifier.
A environ 9h30, après le cérémonial du lavage de mains et avoir bu de l’eau en rang, tout le monde se rassemble autour d’un large anneau de pierres qui représente la « ronde du matin ». Ils chantent des chansons et écoutent une histoire avant le petit-déjeuner, des légumes enveloppés dans de la pita.
Quand l’histoire, au sujet d’un gentil géant, est interrompue par l’annonce d’un exercice pour un tremblement de terre dans un haut-parleur d’une école primaire à proximité, Meltzer a expliqué que l’extérieur serait l’endroit le plus sûr si la terre commençait à trembler.
« Mais nous sommes déjà dehors ! » s’est exclamée Nomi, une petite blonde de six ans, avec un air triomphant.
Alors que la ronde du matin touche à sa fin vers 10h, un groupe d’environ 30 instructeurs de la région du Néguev arrivent en bus pour observer le fonctionnement de la maternelle. L’idée est d’intégrer certains principes dans leurs salles de classe. Meltzer, avec ses cheveux hirsutes, en short et en sandales, a donné une présentation générale et a répondu aux questions. Sa chienne, Laurie, était tranquillement allongée à côté, dans l’ombre.
Des centaines d’éducateurs, d’élèves et de parents sont venus à Gan Keshet rien que cette année. L’école est devenue célèbre en Israël depuis que la Première chaîne y a consacré un reportage en avril. La vidéo a été vue un million de fois sur Facebook.
Yoav Donyets, directeur éducatif de Mitzpe Ramon et militant engagé pour Gan Keshet, a déclaré qu’une demi-douzaine de familles avait emménagé en ville pour inscrire leurs enfants dans l’école. Pour la première fois ce semestre, a déclaré Donyets, il n’a pas pu pas répondre à toutes les demandes des nouveaux élèves. Et il s’attend à ce que la demande augmente encore l’année prochaine.
« C’est fou qu’une maternelle à Mitzpe Ramon intéresse autant les gens », a déclaré Donyets au cours d’un entretien accordé dans son bureau. « Les gens se disent que si on peut le faire ici, alors, bien sûr, ils peuvent aussi le faire. »
Les instructeurs en visite ont reconnu que les parents de leurs écoles voulaient un programme qui se rapproche de celui de Gan Keshet. Quelques éducateurs d’écoles rurales ont dit qu’ils avaient commencé à emmener leurs enfants à l’extérieur une ou deux fois par semaine pour leur apprendre à vivre dans la nature, au moins pour quelques heures.
Pourtant, Mitzpe Ramon est une ville très éloignée, à la lisière de Makhtesh Ramon, grand cratère, à 65 kilomètres de la principale ville du sud, Beer Sheva. La plupart des éducateurs viennent de Beer Sheva, et ils ont évoqué la difficulté d’adapter le modèle à l’environnement urbain.
Idit Harel, professeure et instructeur dans 18 maternelles dans la ville, ne pensait pas trouver du soutien pour faire plus qu’une simple visite de parc à proximité.
« Nos parents sont inquiets que les enfants rentrent à la maison avec du sable dans leurs chaussures, leurs habits ou les cheveux. Je reçois des appels de parents qui disent qu’ils veulent que leurs enfants rentrent propres, a-t-elle expliqué. Il y a aussi beaucoup de préoccupations pour la sécurité. »
Pendant ce temps, les enfants ont largement ignoré les instructeurs en visite. Un groupe d’enfants s’est mis à l’écart de l’agitation sous la tente pour montrer leur technique de recherche de scorpions et autres insectes sous les rochers.
Carmi, une petite fille de six ans couverte de saleté de la tête au pied, a proposé une visite des toilettes, une zone désignée au bout de la clairière de la maternelle, et elle a expliqué comment creuser un trou pour « faire popo » et ensuite marquer l’endroit avec un bout de bois.
« Nous le mettons ici, pour que personne n’aille au même endroit », a-t-elle dit en riant.
Meirav Perry, un enseignant d’école primaire, a emmené sa classe de CP visiter Gan Keshet un mardi après-midi, comme elle le fait chaque semaine. Elle a vu les résultats de cette démarche : deux de ses filles sont allées dans cette maternelle, et sa plus jeune fille ira dans quelques années.
« Les enfants n’aiment pas toujours, au début. Comme leurs parents, ils pensent qu’ils préféreraient être à l’intérieur avec la climatisation, a-t-il expliqué. Mais regardez comme ils sont heureux et indépendants. Ils savent comment jouer seuls. Ils n’ont pas toujours besoin de quelqu’un pour leur dire ce qu’ils doivent faire. Ils sont créatifs, ils sont forts. »
Meltzer, 33 ans, est venu s’installer à Mitzpe Ramon en 2011. Auparavant, il avait vécu dans des caves au sud de l’Espagne et dans une yourte dans un village au nord d’Israël. Lui et sa femme cherchaient quelque chose de simple à proximité de la nature. Avec leur fille d’un an et demi, ils dorment dans une yourte installée à côté de leur maison.
Même s’il n’a pas suivi de formation d’éducateur, Meltzer a rapidement été embauché en tant qu’enseignant à Gan Keshet. L’année scolaire suivante, il a repris le poste de directeur et a commencé à faire sortir des classes en extérieur. Il y a bien eu de la réticence de la part des parents et des responsables locaux, tout particulièrement pendant les mois d’hiver, mais il s’est rapidement fait des alliés, comme Donyets et Perry
A la fin de l’année scolaire 2012-13, Meltzer et ses alliés ont convaincu le ministère de l’Education d’Israël de désigner Gan Keshet comme « école expérimentale » et de les laisser emmener leur classe à l’extérieur. En 2015, le ministère a fait passer Gan Keshet au statut d’ « école modèle », ce qui signifiait qu’il allait inciter d’autres écoles à adopter cette approche.
Une porte-parole du ministère a déclaré que « beaucoup de municipalités locales » exprimaient un intérêt pour les jardins d’enfants en forêt et qu’une nouvelle école expérimentale a été approuvée dans le nord d’Israël. Donyets et Meltzer ont déclaré que plusieurs jardins d’enfants en forêt privés ont ouvert durant l’année scolaire écoulée, et de nombreux programmes pilotes publics sont prévus pour la prochaine rentrée.
Meltzer a visité deux fois les jardins d’enfants en forêt en Allemagne pour s’en inspirer. L’Allemagne compte plus de 1 500 écoles de ce type, dont l’une a récemment fait l’objet d’un article dans les colonnes du New York Times. Les jardins d’enfants en forêt ont d’abord été développés en Scandinavie et existent maintenant aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Australie, au Japon et en Corée du Sud.
Comme l’a noté le Times, une étude réalisée par un doctorant allemand a révélé que les diplômés des jardins d’enfants en forêt de ce pays avaient un « avantage clair » par rapport à leurs pairs fréquentant des jardins d’enfants ordinaires, les surpassant dans les capacités cognitives et physiques et dans la créativité ainsi que dans le développement social.
Les jardins d’enfants en forêt peuvent susciter un attrait émotionnel chez certains Israéliens. Vivre près de la terre est un des fondements centraux dans le sionisme, l’idéologie fondatrice du pays. Mais Meltzer a déclaré qu’il envisageait une vision plus large.
« Je n’avais jamais l’intention d’être enseignant. Je savais juste que je voulais emmener des gens du cercle urbain et les relier à la nature « , a déclaré Meltzer, qui étudie l’éducation à temps partiel dans un collège local. « Maintenant, je vois le potentiel d’avoir une grande influence sur Israël et le monde en aidant les enfants à construire des bases solides, physiquement et émotionnellement ».
À 13h30, avec les instructeurs du bus de Beer Sheva, Meltzer a rassemblé les enfants pour « le cercle de l’après-midi », où ils ont mangé des pommes de terre rôties et des fruits fraîchement coupés. Environ un tiers sont retournés chez eux avec leurs parents, et le reste s’est promené pendant 30 minutes dans leur école située dans le centre de Mitzpe Ramon, où ils sont restés jusqu’à 16h. Presque tout le monde est resté les dernières heures dans la cour, à jouer dans la saleté.
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