A Haïfa, les abris antiaériens renforcent un partenariat improbable entre Juifs et Arabes
Le travail de préparation des abris, en amont de possibles tirs de roquette du Hezbollah, a créé des espaces de rencontre pour des centaines de personnes des deux communautés
Comme la majorité des résidents de Haïfa, Narjis Shafoot ne dispose pas d’un abri antiaérien dans son immeuble. Mais contrairement à la plus grande partie des 200 000 personnes qui vivent dans ce qui est la troisième plus grande ville d’Israël, il n’y a pas non plus d’abri antiaérien dans son quartier.
Dans le « quartier oriental », comme l’appellent les habitants, où elle vit – c’est un secteur résidentiel à majorité arabe qui jouxte la zone portuaire de Haïfa – c’est légitiment une source d’inquiétude. En effet, les hostilités entre le Hezbollah et l’État juif menacent à tout moment de se transformer en guerre ouverte.
Le mois dernier, Shafoot, infirmière et mère de trois enfants, a lancé un appel sur les réseaux sociaux. Objectif : trouver des volontaires désireux d’arpenter le quartier pour y trouver des espaces potentiellement sûrs. Plus d’une dizaines de personnes se sont manifestées en réponse dont – à la grande surprise de Shafoot – quatre Juifs israéliens.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
« J’ai été très émue. Je ne pensais pas que des Juifs viendraient », s’exclame Shafoot, 43 ans, lors d’un entretien accordé au Times of Israel. Elle ajoute que les volontaires ont trouvé un parking partiellement rabaissé et deux larges alcôves qui protègent assurément davantage que de rester dans la rue ou à l’intérieur d’une habitation non-fortifiée pendant un tir de barrage de roquettes.
Cette initiative prise, sur le terrain, pour préparer au mieux Haïfa à la guerre – la municipalité est insuffisamment prête à faire face à l’éventualité d’un conflit – est emblématique d’une ville qui, selon de nombreux Israéliens, est un symbole de la coexistence et de l’activisme entre Juifs et Arabes et ce même si le gouvernement a, semble-t-il, toujours affiché une certaine négligence à l’égard de la localité et malgré des écarts socioéconomiques profonds entre ses résidents.
Tous les habitants de Haïfa trouvent leurs incitations propres pour se préparer à la guerre – Juifs et Arabes de la même façon.
Le Hezbollah a la capacité de tirer quotidiennement environ 4 000 roquettes en direction de Haïfa, selon une évaluation faite au début de l’année par le Commandement intérieur – un chiffre que l’armée a considéré comme « probable ». Dans un tel scénario, des centaines de personnes pourraient trouver la mort dans le secteur de la baie de Haïfa, avec des milliers de blessés. De plus, des infrastructures déterminantes pourraient être endommagées, paralysant l’économie du pays tout entier.
En comparaison, pendant la Seconde guerre du Liban, en 2006 – elle avait duré un mois – le Hezbollah avait tiré moins de 4 000 roquettes prenant pour cible tout le territoire israélien et seulement quelques centaines avaient été lancées en direction de Haïfa. Elles avaient tué 14 personnes dans la localité et dans ses environs.
Jusqu’à présent, le Hezbollah n’a pas visé Haïfa dans le cadre des hostilités actuelles – ce qui serait une ligne rouge qui pourrait probablement entraîner une contre-attaque dévastatrice de l’armée israélienne au Liban. Une perspective susceptible de dissuader le Hezbollah – groupe chiite défendu par de nombreux Libanais mais honni par de nombreux autres – d’exposer le Liban à toute la fureur de la machine de guerre israélienne.
L’état de préparation à l’éventualité d’une guerre varie énormément d’un quartier à l’autre, à Haïfa. C’est dans le quartier oriental, petite enclave résidentielle dont les immeubles relativement bas sont éparpillés autour des ateliers de carrosserie et des entrepôts, que ce manque de préparation est le plus visible. Peu éclairé la nuit, l’endroit compte de nombreuses maisons inhabitées qui datent de l’époque ottomane, dont les murs délabrés offrent un refuge à d’occasionnels sans abri et aux chats errants.
« Le niveau affiché de négligence est tout simplement ahurissant », commente Noam Levy, un résident de Haïfa âgé de 46 ans, père de trois enfants et employé dans le secteur high-tech en évoquant le quartier oriental, qu’il a visité le mois dernier pour la toute première fois. Il a été l’un des quatre Juifs à avoir répondu à l’appel lancé par Shafoot, qu’il connaît parce que ses enfants et les enfants de la quadragénaire fréquentent la même école bilingue à Haïfa, l’école Yad B’Yad.
Pour Levy, trouver des abris potentiels dans le quartier oriental est une démarche à la fois « purement sociale, pour aider les secteurs les plus vulnérables de la population, mais c’est également quelque chose qui aide à la coexistence entre Arabes et Juifs », dit-il.
Cet effort livré par Levy entre dans le cadre d’une initiative plus large visant à préparer la ville, une initiative qui a été prise à la fois par les Juifs et par les Arabes et qui implique des centaines de bénévoles. Objectif : cartographier les abris et les préparer. Haïfa, dont la minorité arabe est constituée d’environ 70 000 habitants dont la présence se concentre largement dans quelques quartiers situés à l’Est de la ville, est peut-être la plus pacifique de toutes les villes dites « mixtes » en Israël. Mais il n’y a que peu d’interactions entre les communautés.
Ce que le travail de recherche d’abri est en train de changer, affirme un autre activiste arabe, Naser Odat, jeune réalisateur de film âgé de 20 ans.
« Nous devons passer de la coexistence au partenariat. Et ce qui se passe actuellement avec les abris antiaériens est en train de cimenter ce partenariat », dit Odat au Times of Israel lors d’une réunion récente à Haïfa où lui et les autres activistes arabes ont rencontré leurs partenaires juifs.
Ce partenariat, selon Odat, aide à éviter des violences similaires à celles qui avaient éclaté entre Juifs et Arabes en 2021, pendant le dernier conflit qui avait opposé Israël et le Hamas.
« Je suis un Arabe, un Israélien palestinien. Quand cette guerre est arrivée, j’ai eu le sentiment que j’étais réduit au silence par la peur qui ne quitte pas les Arabes en ce moment », explique Odat, qui cite de multiples cas de harcèlement d’Arabes de la part de citoyens juifs israéliens depuis que la guerre a éclaté, le 7 octobre. Mais pouvoir échanger avec des partenaires juifs, dans le cadre de l’initiative sur les abris antiaériens, « m’a rappelé qu’il y a une place pour le dialogue – un espace partagé pour s’exprimer ».
Sali Abed, leader du mouvement « Rov Hair » de gauche, un groupe qui rassemble Juifs et Arabes, déclare pour sa part : « Il n’y a pas de sentiment politique en ce moment. Seulement une solidarité communautaire ».
Et pourtant, même dans ce climat de dialogue entre Arabes et Juifs, le nationalisme n’est jamais loin.
Un participant est ainsi venu en arborant un pendentif sur lequel le drapeau palestinien couvrait tout le territoire d’Israël. Il a expliqué au Times of Israel qu’il le portait parce qu’il était « un Palestinien fier de l’être et que ça me rappelle qui je suis ». Il a demandé à ne pas être identifié par crainte pour sa sécurité, évoquant « les ultranationalistes juifs ».
Un autre a indiqué qu’il souhaitait voir un plus grand nombre de manifestations des Arabes israéliens en opposition aux actions israéliennes à Gaza – où, selon les autorités responsables de la santé du Hamas, plus de 12 000 personnes auraient été tuées (un chiffre qui ne peut être vérifié et le Hamas ne fait par ailleurs aucune distinction entre les civils et les terroristes dans le décompte des défunts). Il est possible qu’ils soient nombreux à craindre un retour d’hostilités similaires à celles qui avaient eu lieu en 2021.
Il y a deux catégories d’abris antiaériens à Haïfa : les abris municipaux – il y en a environ 110 – et des centaines d’abris privés qui, dans leur majorité, sont installés à l’intérieur des immeubles résidentiels.
Les quartiers juifs et arabes ont à peu-près le même nombre d’abris publics. Mais les abris privés, dans les quartiers arabes, sont beaucoup moins nombreux « en particulier à cause d’une architecture différente », commente Yuval Schlisel, activiste communautaire âgé de 28 ans au sein de Rov Hair.
Si les quartiers juifs ont tendance à offrir des immeubles d’habitation avec de très nombreux étages – la loi oblige les entrepreneurs, depuis quelques décennies, à construire des abris anti-aériens dans les bâtiments – les rues arabes ont des immeubles plus bas, avec des maisons indépendantes qui ont souvent été construites il y a plus d’un siècle.
Dans le cadre de son initiative, Rov Hair cartographie tous les abris existants, privés et publics, et le groupe a créé une carte interactive – la première en son genre à Haïfa. Mais en préparant la carte, les 500 bénévoles environ de Rov Hair ont découvert de nombreux abris antiaériens privés qui étaient inutilisables parce qu’ils avaient été inondés, qu’ils n’avaient pas été entretenus, qu’ils n’avaient pas de système de ventilation ou qu’ils avaient été simplement transformés en entrepôts.
Ce travail de cartographie s’est transformé en nettoyage des lieux – plus laborieux. Un ménage qui est encore en cours et qui a permis de réhabiliter environ 200 abris antiaériens qui peuvent donc reprendre leur fonction première, dit Schlisel.
Rov Hair n’est pas le seul groupe à s’adonner à cette tâche exigeante. Osim Shchuna, une plateforme qui regroupe des activistes sionistes et le groupe pro-israélien JNF-UK, dont le siège est à Londres, ont envoyé des centaines de bénévoles dans le cadre d’une opération similaire de nettoyage et de remise en état des abris antiaériens dans les quartiers juifs et arabes de Haïfa.
« J’ai eu un choc quand j’ai vu l’état de certains abris et ce qui en est finalement sorti », commente Miri Tzadik, porte-parole pour la campagne à la mairie de David Etzioni, qui a aidé à coordonner le travail d’Osim Schuna.
« Des cadavres d’animaux – je ne sais même pas de quels animaux il s’agissait – flottant dans les eaux usées », explique Tzadik, se souvenant de l’un d’entre eux. « Dans un autre, nous avons trouvé une montagne de journaux pornographiques en russe. Nous avons déplacé une si grande quantité d’ordures de l’abri que le trottoir en était rempli », ajoute Tzadik.
Mais ce travail difficile a payé, se réjouit Shafoot.
« Nous ne savons pas si cette guerre se saisira de Haïfa, de la société toute entière ou du Moyen-Orient », dit-elle au Times of Israel. « Mais aujourd’hui, nous savons au moins qu’il y a des endroits sûrs où nous pourrons nous réfugier pour être en sécurité. Et ça, on ne le savait pas encore le mois dernier ».
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel