A Vienne, le dialogue judéo-musulman prend le conflit à bras-le-corps
Les participants abordent les questions conflictuelles tout en découvrant que l’ « autre » n’est pas si différent

Loin des conflits orientaux de cet été, 99 personnes se sont retrouvées à Vienne, la semaine dernière, pour le cinquième rassemblement annuel de la Conférence musulmano-juive (MJC) qui compte, cette année, un nombre record de participants.
Ils arrivaient du Pakistan, de l’Iran ou même de Gaza. Seul un participant sur les 50 inscrits a renoncé à venir à la dernière minute, selon le fondateur et secrétaire-général du MJC, Ilja Sichrovsky.
« On devrait s’inspirer de la bravoure des participants », affirme Sichrovsky au Times of Israel lors d’un entretien téléphonique.
Malgré l’unique annulation, les évènements à Gaza, en Irak et ailleurs ont affecté quasiment tous les aspects du rassemblement de la semaine dernière, selon Sichrovsky.
Initialement créé pour être ce qu’il appelle « un petit projet de dialogue modeste et aisé », le MJC de Sichrovsky a depuis accordé une place importante aux questions politiques épineuses, raconte le militant de 31 ans.
« Ce n’est plus une option maintenant, les Musulmans et les Juifs doivent se rencontrer et échanger », affirme Sichrovsky.
« En pleine guerre de Gaza, on a eu 99 Juifs et Musulmans qui débattaient de ces questions sans filtre, sans violence et en étant d’accord de ne pas être d’accord », a-t-il indiqué.
Pour aborder les tensions politiques frontalement, le MJC a fait venir Combatants for Peace [Combattants pour la Paix], une coalition d’anciens soldats israéliens et de militants palestiniens qui défendent la non-violence. La mission de ce groupe est de pousser les Israéliens et les Palestiniens au « dialogue et à la réconciliation » en partageant leurs histoires personnelles.
Pour donner le point de vue palestinien, le MJC avait invité Suliman al-Khatib qui à 12 ans avait rejoint le Fatah, le mouvement de Yasser Arafat. Après avoir agressé deux soldats israéliens, Al-Khatib a passé plus d’une décennie en prison. Quand il a fini de purger sa peine en 1997, Al-Khatib a cofondé Combatants for Peace, dont les projets sont menés dans l’arène politique en Cisjordanie, y compris des activités pour « renforcer la capacité de résistance ».
Affirmer que le groupe d’Al-Khatib est formé de terroristes avec des soldats israéliens serait les rabaisser. Sichrovsy explique que ce groupe est bien plus qu’il n’y paraît.
« Sulliman a passé plus d’une décennie dans les prisons israéliennes. Il a appris l’hébreu, étudié l’Holocauste et participé à des grèves de la faim », raconte Sichrovsky.
« Malgré tout cela, il est sorti de la prison en étant contre la violence », continue-t-il. « C’est le message que nous recherchions et la chose qui nous a impressionnés – le fait qu’il soit ressorti de cette expérience et s’est trouvé une nouvelle voie ».
Lorsque les agitations au Moyen-Orient n’étaient pas au centre des débats, les activités du MJC se concentraient sur les relations judéo-musulmanes. Ils ont abordé des sujets comme l’islamophobie et l’antisémitisme dans les médias, l’évolution du conflit et la question du genre dans la religion.

Les participants ont visité la mosquée et la synagogue de Vienne. Ils ont aussi rencontré des leaders politiques et d’ONG. L’apogée émotionnelle est restée la visite de Mauthausen, un camp de travaux forcés nazi tristement célèbre. Là, les participants ont entonné des chants de deuil juifs et musulmans pour honorer les victimes des camps dans toute l’Europe.
« Quand on visite plusieurs fois des lieux comme Mauthausen, cela devient plus difficile d’être touché et de ressentir quelque chose », explique Sichrovsky.
« Avec le MJC, nous avons visité Mauthausen la semaine dernière. Un participant qui est un imam à Mosul [Irak] a guidé les prières musulmanes. Lorsqu’on s’est rendu compte que nous honorions autant de vies [perdues] de différents endroits, moi et les autres avons pleuré pendant la cérémonie », raconte Sichrovsky.
Dans le passé, les participants à d’anciens rassemblements du MJC ont visité Babi Yar – le ravin à Kiev où les nazis et leurs collaborateurs ont tué au moins 34 000 Juifs en une semaine – et, l’année dernière, Srebrenica, où 8 000 Bosniaques ont été tués pendant la guerre de Bosnie. Le procédé de faire visiter des lieux où des génocides ont été perpétrés est devenu la marque du MJC.
La plupart des participants étudient des domaines liés au développement international ou aux droits de l’Homme. Beaucoup expliquent leur présence par la simple curiosité ancestrale au sujet de « l’autre ».
Un volontaire du MJC qui vient du Pakistan, Osama Mahmood Khan, a participé au rassemblement de l’année dernière à Sarajevo. Il a depuis rendu visite à ses amis juifs du MJC en Afrique du Sud. Khan est l’un des 40 volontaires du MJC qui a des branches dans 25 pays.
« Je m’attendais du MJC qu’il me donne l’occasion d’interagir avec d’autres participants juifs pour que nous puissions apprendre comment l’autre vit », a expliqué le participant de 24 ans au Times of Israel.
Comme il a fait ses études d’ingénieur aux Etats-Unis, Khan avait déjà rencontré beaucoup de Juifs avant sa participation au MJC. Mais c’est la première fois qu’il en rencontre dans un contexte de dialogue sur des questions épineuses.
« Quand j’ai rencontré les participants juifs à Sarajevo, cela ne m’a pas pris beaucoup de temps pour me rendre compte que nos ressemblances étaient bien plus importantes que nos différences », explique Khan, qui a pris la fonction de chef de personnel depuis février.
« Je dois admettre que c’est un honneur de travailler avec des gens présents sur les cinq continents », ajoute-t-il.
« L’idée qui définit le mieux notre but est que nous devons parler à l’un et l’autre, et ne pas juste parler des autres », explique Khan.
Une Autrichienne musulmane née de parents soudanais, Nura Siddgi, a passé la grande majorité de sa vie isolée de la communauté musulmane de Vienne – où comme elle le décrit dans une interview : « J’ai grandi en étant une musulmane noire dans un pays avec une grande majorité de chrétiens blancs, ce qui a assurément façonné ma vision du monde et m’a façonnée aussi ».
Ayant adhéré au MJC en 2012, Siddgi – qui a écrit le mémoire de son master sur la condition des femmes soudanaises – était à la tête du comité d’adhésion de cette année.
« Dans l’ensemble, je vois mon travail avec le MJC comme du travail contre le racisme », explique Siddgi. « La leçon primordiale est que nous ne pouvons pas avoir une autre génération qui grandit avec des idées fausses et des stéréotypes qui définiront la manière dont elle traitera les autres », ajoute la militante de 26 ans.
Pour sa sixième conférence l’année prochaine, le MJC a pour projet de se réunir à Berlin, où les communautés juives et musulmanes grandissent rapidement. Dans l’esprit du séminaire Combatants for Peace de la semaine dernière, le MJC doit accueillir un forum des cercles des familles et des parents en Israël. Il a été créé pour les familles israéliennes et palestiniennes qui ont perdu un de leur proche pendant le conflit, explique Sichrovsky.
D’ici la prochaine conférence en août 2015, Sichrovsky doit recueillir des fonds de donateurs privés, pour rester « politiquement indépendant », explique-t-il. Les participants au rassemblement de la semaine dernière vont étendre les projets du réseau du MJC à leur pays d’origine. Ces projets incluent des films courts, des blogs et des initiatives pour imiter le MJC à un niveau local.
« Nous refusons d’écouter les voix du monde qui nous affirment que nous n’avons pas notre mot à dire sur le futur, et qu’il est impossible de vivre en harmonie », affirme Sichorvsky. « Nous refusons de les écouter car chaque année le MJC se réunit et nous vivons les choses différemment », ajoute-t-il.
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