Après 500 ans, des haggadot de Catalogne rentrent à la maison
Tout est enluminé à la nouvelle exposition de manuscrits liturgiques juifs qui se tient à Barcelone
Au 14e siècle, la Catalogne hébergeait l’une des communautés juives les plus cultivées au monde. C’est ici que quelques-unes des plus célèbres hagadot enluminées ont été réalisées.
Cependant, quand, en 1492, les rois catholiques ont publié le décret d’Alhambra, les Juifs ont été officiellement expulsés des royaumes de Castille et d’Aragon et les Juifs n’avaient devant eux que deux choix : se convertir au catholicisme ou fuir.
Bien que les haggadot de Catalogne aient suivi leurs propriétaires juifs en 1492, certaines de ces célèbres œuvres liturgiques seront exposées « à la maison », du 26 mars au 5 juillet, dans le cadre d’une exposition au Musée d’Histoire de Barcelone.
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Les manuscrits enluminés sont des textes écrits à la main, et décorés avec des grandes lettres, des bordures ornementales et des illustrations miniatures. A l’origine, seuls les manuscrits qui étaient ornés d’or et d’argent étaient considérés comme « enluminés » ou « éclairés ».
Dans l’érudition moderne, tout manuscrit qui est embelli, qu’il provienne des traditions islamiques ou occidentales, est considéré comme enluminé.
Les plus anciens manuscrits enluminés sont originaires d’Italie et de l’Empire romain d’Orient dans les années 400 de l’ère chrétienne. Ils ont été conservés par les ordres monastiques, où des moines les recopiaient.
La plupart des manuscrits enluminés qui ont survécu sont du Moyen-Age et ces manuscrits ont été créés initialement à des fins religieuses.
Dans les années 1100, d’anciens textes classiques, ainsi que des textes scientifiques, ont également été produits dans la péninsule ibérique. Des illustrations précises étaient nécessaires pour accompagner ce matériel écrit alors que ces ouvrages étaient utilisés pour enseigner dans les premières universités d’Europe occidentale.
Dès le 13e siècle, des manuscrits profanes ont également été enluminés. De riches mécènes ont commandé des manuscrits pour leurs bibliothèques personnelles. Parmi eux, certains des Juifs les plus importants de Catalogne.
Les manuscrits enluminés médiévaux étaient écrits sur vélin et la page entière était planifiée à l’avance sur du parchemin coupé à la taille désirée. Des lignes étaient légèrement tracées, puis les mots ajoutés, écrits avec une plume d’oie ou de roseau taillé, et de l’encre. Un espace était laissé pour les illustrations et les décorations. Le design des dessins était délimité sur une tablette de cire, puis tracé sur le vélin, parfois à l’aide de piqûres d’épingle.
Il y avait un ordre dans la création des enluminures: le contour du dessin était d’abord déterminé avec un fil d’argent, puis une feuille d’or collée sur le parchemin. L’or était appliqué avant que le dessin ne soit peint parce que l’or risquait de coller à la peinture, ce qui aurait endommagé l’illustration.
Le processus de collage de la feuille d’or incluait une phase de polissage de l’or une fois que la colle avait séché. Cette action vigoureuse aurait fait baver la peinture si elle avait déjà été là. Une fois la feuille d’or en place, des pigments naturels, fabriqués à partir de plantes, d’insectes et de minéraux, étaient appliqués avec des brosses. Enfin, le contour décoratif était peint.
Jusque dans les années 1300, tant l’écriture que le dessin minutieux de chaque manuscrit étaient faits par des moines. Au 14ème siècle, le texte était écrit par un scribe, et les illustrations, l’œuvre d’artistes laïques. Des ateliers laïques ont été créés, avec des artisans tellement qualifiés qu’au 15ème siècle les monastères leur ont externalisé le travail. En France, une grande partie du travail artistique des manuscrits a été faite par des femmes dans ces ateliers .
Les manuscrits enluminés commandés par les Juifs catalans étaient de style gothique, un style qui s’est développé dans les années 1100.
C’était un style naturaliste, montrant des émotions dans les visages et les gestes, des feuilles en cascade le long des bords de la page, des croquis dans les marges et des grotesques (appelés maintenant drôleries). Les haggadot exposées à Barcelone sont les fruits de la collaboration entre des scribes juifs et des artistes chrétiens.
Lors de la reconquête de la Catalogne en 1150, des censeurs catholiques ont commencé à examiner les livres juifs. Habituellement, de récents convertis du judaïsme au catholicisme, ces censeurs savaient lire les livres et étaient chargés de trouver des passages blasphématoires.
Certaines des haggadot catalanes portent la marque des censeurs. Un exemple, qui n’est malheureusement pas inclus dans cette exposition, est la haggadah de Barcelone, actuellement détenue par la British Library. Luigi da Bologna, un Juif qui s’était converti au catholicisme, a travaillé comme censeur pour l’Inquisition. Sur le fond d’une page de la haggadah, il est écrit: « Vu par moi, Frère Luigi de l’ordre de Saint-Dominique en 1599. »
Cette exposition de Barcelone s’inscrit dans un mouvement appelée « la récupération de la mémoire », animé par des Catalans. Certains d’entre eux connaissent vaguement les origines juives de leurs familles, y compris parfois, un patronyme « juif ». D’autres ont découvert des preuves de pratique crypto-judaïque chez leurs ancêtres.
Il y a en Catalogne une énorme ignorance du judaïsme qui a été considéré par beaucoup comme un sujet tabou jusqu’à très récemment. De façon incroyable, il était techniquement illégal pour les Juifs de vivre en Espagne jusqu’en 1968, date à laquelle le décret d’Alhambra a été formellement révoqué.
A présent on assiste à un regain d’intérêt pour l’illustre passé juif de la Catalogne, comme le prouve l’illustration des haggadot enluminées. Cette exposition réunira la haggadah Rylands, actuellement à l’université de Manchester, la haggadah Graziano du Jewish Theological Center de New York, la haggadah Mocatta de l’University College London, la haggadah Bologna-Modena de l’Université de Bologne et de la Biblioteca Estense à Modène, la hagadah catalane de Cambridge de l’Université de Cambridge, la hagadah Kaufmann de l’Académie hongroise des sciences et la hagadah Poblet du monastère de Poblet en Catalogne.
La seule hagadah qui se trouve actuellement en Catalogne est la hagadah Poblet. L’histoire de son retour a été raconté au Times of Israel par Frai Xavier Guanter, bibliothécaire du monastère de Poblet.
La haggadah Poblet a été écrite au 14e siècle en Catalogne et emmenée en Italie par ses propriétaires juifs, en 1492. En 1672, elle a été achetée en Italie par Pedro Antonio de Aragón, le vice-roi de Catalogne, qui l’a ramenée en Catalogne et en a fait don au monastère de Poblet.
Tout au long de son histoire, le monastère de Poblet a toujours eu une bonne relation avec les Juifs vivant dans la région. Les moines, dont certains étaient des Juifs convertis, ont conservé le précieux manuscrit, parfois au péril de leur vie.
Lorsqu’en 1836 le gouvernement espagnol s’est engagé dans un programme de confiscation des terres de l’église pour se financer, les moines ont été forcés de fuir Poblet, et la bibliothèque de monastère a été dispersée. Finalement, la fameuse haggadah Poblet a été acquise par Jaume I Puigarnau Mans, un professeur de droit canonique à l’université de Barcelone. À sa mort, en 1983, il a demandé que la haggadah soit restituée au monastère ; il y a 20 ans, un prêtre l’a livrée là-bas.
Cette exposition est une expérience éphémère, elle s’arrêtera le 5 juillet. Cependant, plusieurs universitaires ont lancé un projet, dont l’objectif est de récupérer l’histoire juive des haggadot de Catalogne pour la postérité, et ont entrepris un documentaire qui fera remonter dans le temps jusqu’à la Barcelone du 14e siècle.
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