Après le « tsunami » du 7 octobre, la « solitude » des Juifs en France
"Je demande à tous de garder la kippa, la mézouza, on ne doit pas céder aux diktats", affirme Jacob Sananes
Après le tsunami du 7 octobre et la vague d’antisémitisme qui a suivi, un sentiment de « solitude » perdure chez beaucoup de Juifs de France, qui soulignent toutefois leur volonté de « ne pas céder » à la peur.
« Le 7 octobre a été vraiment un tsunami », affirme à l’AFP Yohanna Bouanich, mère de famille parisienne. Car après « le choc, la sidération » devant les images à la télévision, « petit à petit une haine décomplexée s’est manifestée à tous les niveaux ».
Pour ses enfants au collège, cela a été « des remarques, des phrases en classe », symptomatiques d’un « climat de tension » qui fait dire à cette mère de famille : « Mes enfants ont découvert l’antisémitisme l’année dernière ».
Dans le sillage de l’attaque du mouvement islamiste palestinien Hamas contre Israël, les actes antisémites ont bondi de 1 000 % au dernier trimestre 2023. Depuis le début de 2024, ils ont quasiment triplé, avec « 887 faits » recensés au premier semestre, selon les derniers chiffres des autorités (par rapport à la même période un an auparavant).
Une vague qui est « le révélateur et le catalyseur des crises françaises », déclare Yonathan Arfi, le président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), qui soulignait lors d’un colloque le 26 septembre le « sentiment de solitude républicaine » des Français juifs ces derniers mois.
Le 7 octobre 2023, une horde de terroristes du Hamas infiltrés, aidés de civils palestiniens, ont pénétré dans le sud d’Israël et tué 1 205 personnes, en majorité des civils.
« Le 7 octobre a été évidemment un séisme pour Israël, mais ça a été aussi un choc français », affirme M. Arfi à l’AFP, alors que la France abrite la plus importante communauté juive d’Europe, avec près d’un demi-million de personnes.
Ainsi beaucoup témoignent s’être retrouvés, après le 7 octobre, assignés à un conflit, une identité, une religion… malgré eux.
« Même des personnes pas forcément pratiquantes ont été cataloguées comme juives » voire « pointées du doigt, à devoir défendre ce qui se passe en Israël », dit Michaël Taïeb, 33 ans, devant le supermarché casher venu faire les courses avant Rosh Hashana.
Quant à la solidarité de la société dans son ensemble, « oui, au début, tout le monde était choqué, mais au fur et à mesure… le naturel a repris le dessus », soupire le jeune homme.
« On ne doit pas céder aux diktats »
Des manifestations contre l’antisémitisme ont rassemblé plusieurs milliers de personnes en France le 12 novembre 2023, et les mesures de sécurité ont été plusieurs fois renforcées autour des lieux communautaires. Mardi, le Premier ministre Michel Barnier a assuré qu’il n’y aurait « aucune tolérance » à l’égard de l’antisémitisme.
Mais Lino, 33 ans, est plus amer : « J’ai l’impression que la France ne veut pas de nous », affirme le Franco-Israélien revenu depuis deux ans à Paris.
Dans ce contexte, la tentation a été grande, un temps, de faire profil bas. « On a au démarrage retiré la mézouza de la porte, les chaînes à mes enfants. Et puis après… ben non, en fait. On n’a rien fait. On a le droit. On est là. On peut vivre notre judaïsme en France », juge Yohanna Bouanich.
Beaucoup apportent des témoignages similaires.
« Je ne veux pas céder à la folie de certaines personnes qui m’en veulent parce que je suis juif. Et je demande à tous de garder la kippa, la mézouza, on ne doit pas céder aux diktats », affirme Jacob Sananes, 56 ans.
Dans cette vague hostile « la période avant les élections a été assez lourde », même si les Jeux olympiques « ont apporté un peu plus d’apaisement », estime Yohanna Bouanich, qui en veut à LFI pour « sa volonté d’exporter un conflit dramatique ».
LFI a plusieurs fois été accusée depuis un an de nourrir un « nouvel » antisémitisme, alors que le Rassemblement national, engagé dans une stratégie de normalisation, se posait en « meilleur rempart » contre l’antisémitisme.
L’historien Tal Bruttmann met toutefois en garde contre l’idée de « nouvelles formes d’antisémitisme ». « L’antisémitisme se recycle en permanence, il s’adapte aux modes du moment, mais c’est tristement répétitif », affirmait-il lors du colloque du Crif.