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Beyrouth : Un homme d’affaires russe, un navire décrépi et une étincelle

Dans la chronologie de la catastrophe : le navire MV Rhosus, son propriétaire douteux, une cargaison instable et le mépris flagrant du danger par les autorités

Une photo prise depuis la route côtière, dans la banlieue nord de Beyrouth, montre un nuage de fumée s'élever après une explosion dans la capitale libanaise, le 4 août 2020. (Crédit :  JOSEPH EID / AFP)
Une photo prise depuis la route côtière, dans la banlieue nord de Beyrouth, montre un nuage de fumée s'élever après une explosion dans la capitale libanaise, le 4 août 2020. (Crédit : JOSEPH EID / AFP)

Au mois d’octobre 2013, le MV Rhosus, un navire battant pavillon moldave, était parti de Géorgie vers le Mozambique en transportant une importante cargaison de nitrate d’ammonium – une substance chimique explosive communément utilisée pour fabriquer des fertilisants. Puis, de manière inattendue, le Rhosus s’était dirigé vers Beyrouth pour ce qui devait initialement être une courte escale.

Mais le navire a été immobilisé par les autorités portuaires pour différentes irrégularités, une situation qui avait donné lieu à des mois de saga juridique entre les responsables libanais et le propriétaire russe du vaisseau, et qui devait créer une chaîne d’événements qui aura finalement débouché sur l’explosion meurtrière qui a dévasté la capitale libanaise dans la journée de mardi.

Bien que le gouvernement libanais enquête encore sur les causes exactes de l’explosion et qu’aucune conclusion n’a encore été officiellement avancée par les autorités, de multiples informations parues dans les médias ont permis d’établir l’enchaînement présumé des événements jusqu’au désastre de mardi, soulignant une négligence à tous les niveaux, et qui aura persisté jusqu’à la catastrophe finale.

Les responsables libanais ont indiqué que 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées dans un entrepôt du port de Beyrouth étaient à l’origine de l’explosion qui a fait au moins 149 morts et approximativement 5 000 blessés, et qui a entraîné le déplacement d’environ 350 000 personnes dont les habitations ont été détruites par la déflagration et l’onde de choc qui a suivi.

Une photo de drone montre la scène de l’explosion qui a frappé la zone du port de Beyrouth, le mercredi 5 août 2020. (AP Photo/Hussein Malla)

Des sources officielles ont indiqué très rapidement que ces matériaux explosifs étaient stockés dans un entrepôt du port depuis des années, après avoir été saisis à bord d’un navire. Des informations ont permis de remonter l’origine du nitrate jusqu’au Rhosus et jusqu’à son détour malheureux à Beyrouth, il y a presque sept ans.

Un navire abandonné

Le Rhosus aurait appartenu à un homme d’affaires russe, Igor Gretchouchkine, lorsqu’il avait entrepris son voyage depuis le port géorgien de Batumi, dans la mer Noire, vers le Mozambique, transportant 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium. Les autorités portuaires du Mozambique ont néanmoins cette semaine officiellement nié avoir été informées à l’époque de l’arrivée éventuelle du navire et de sa cargaison.

Selon le New York Times, le Rhosus était un vieux bateau, peut-être âgé d’une quarantaine d’années, et médiocrement entretenu.

Pour sa part, selon certaines informations, il était déjà arrivé par le passé à Gretchouchkine de ne pas payer les membres de son équipage. Jeudi, le citoyen russe a été interrogé par la police chypriote – il vit à Limassol, important port de commerce de transit en Méditerranée, avec sa femme, une ressortissante russe détentrice d’un passeport chypriote. « Les autorités libanaises nous ont demandé de localiser cet individu et de lui poser des questions, ce que nous avons fait », a indiqué un porte-parole de la police à l’AFP. « Ses réponses ont été envoyées au Liban », a-t-il ajouté.

Des récits contradictoires expliquent la raison pour laquelle le Rhosus a subitement changé de direction à mi-parcours. Certains ont évoqué des problèmes techniques, d’autres ont déclaré que Gretchouchkine s’était trouvé à court de financement et qu’il avait donné pour instruction aux marins – qui étaient pour la plupart des ressortissants ukrainiens – de se rendre au Liban pour y prendre une cargaison supplémentaire, destinée à être envoyée en Jordanie, qui permettrait de financer le voyage.

Mais au moment de jeter l’ancre à Beyrouth, le Rhosus avait rencontré de nouvelles difficultés. Le syndicat des marins, en Russie, a expliqué à CNN qu’elles avaient été causées par l’aspect du bateau, qui n’avait pas paru en état de naviguer, en plus de plaintes qui auraient été déposées contre le propriétaire par l’équipage et par l’incapacité de Gretchouchkine d’honorer les frais portuaires, poussant la justice locale à saisir l’embarcation. Un communiqué du cabinet d’avocats libanais Baroudi & Associates, qui représente l’équipage du navire, a lui évoqué une interdiction de repartir par les autorités en raison de « défauts techniques et de non-respect des règles de sécurité maritime ».

Selon le Times , le Rhosus avait un trou dans sa coque qui nécessitait le pompage continu de l’eau qui s’y introduisait.

Le capitaine du bateau de l’époque, Boris Prokoshev, a raconté que Gretchouchkine avait alors abandonné le navire et l’équipage, ne leur offrant aucune aide, qu’elle soit financière ou autre. Il a évoqué son séjour au port sous la forme d’une sorte « d’incarcération ».

« J’ai écrit à Poutine tous les jours… Finalement, on a dû vendre le carburant et utiliser l’argent pour faire appel aux services d’un avocat parce qu’on n’avait aucune aide, le propriétaire ne nous avait même pas laissé de quoi nous acheter à manger ou seulement de l’eau », a commenté Prokoshev au micro de la radio Echo Moscou, mercredi.

Un site consacré à la navigation maritime, qui avait rapporté les événements à l’époque, avait écrit que les quatre membres de l’équipage avaient embarqué à bord « d’une bombe flottante ». Ce qu’a également évoqué Prokoshev auprès des journalistes : « Le propriétaire avait abandonné le bateau. La cargaison, c’était du nitrate d’ammonium. C’est un explosif. Et nous avons été abandonnés. Nous vivions depuis dix mois sur une poudrière. »

Les marins avaient finalement obtenu la permission de rentrer chez eux – mais le navire et sa cargaison sont restés au port de Beyrouth. Des informations indiquent que la cargaison de nitrate d’ammonium a été débarquée en 2014 et placée dans l’entrepôt numéro 12 du port, où elle était restée depuis, sans mesure de sécurité appropriée, jusqu’à l’incendie et l’explosion qui a suivi dans la journée de mardi. Des photos non-datées qui ont circulé sur internet prétendent montrer des sacs de nitrate entassés dans l’entrepôt.

https://twitter.com/FatimaS07269762/status/1290873128307118080

Le Rhosus, pour sa part, a été oublié au port et aurait sombré il y a deux ou trois ans. La station Radio Free Europe a fait savoir que les membres de l’équipage avaient affirmé que Gretchouchkine leur devait encore des dizaines de milliers de dollars en salaires non-payés.

Des mises en garde répétées

Suite à l’explosion, les autorités libanaises ont assigné à domicile des dirigeants actuels et passés du port et des autorités douanières et au moins seize d’entre eux ont été placés en détention dans le cadre de l’enquête.

Mais les responsables des douanes portuaires ont affirmé que, loin de se montrer complaisants, ils avaient à de multiples reprises mis en garde les autorités gouvernementales sur le grand danger représenté par des milliers de tonnes de substances explosives entreposées au port.

Des documents vont dans ce sens, montrant que les officiels des douanes, ces dernières années, avaient envoyé six requêtes aux responsables judiciaires réclamant le déplacement du nitrate d’ammonium, citant la sécurité du port.

Un courrier de ce type daté de 2016 et publié par Al Jazeera dit ainsi : « Au vu du grave danger représenté par le stockage de ces produits dans un hangar, dans des conditions climatiques inadaptées, nous réaffirmons notre requête de demander à l’agence marine de réexporter immédiatement ces produits pour maintenir la sécurité dans le port et la sécurité de ceux qui y travaillent, ou de chercher un accord qui permettrait de vendre ces matériaux à la Compagnie libanaise des explosifs. »

Dans une autre lettre qui a circulé sur Internet, le directeur des douanes du Liban depuis 2017, Badri Daher, avertit des « dangers si les matériaux restent là où ils se trouvent, affectant la sécurité des employés du port ». Il demande, dans la missive, des conseils au juge sur ce qu’il peut faire du nitrate d’ammonium.

« Nous avons demandé à ce qu’il soit réexporté mais cela ne s’est pas fait », a dit Daher à la chaîne libanaise LBCI mercredi. « Nous laissons aux experts et à tous ceux qui sont concernés le soin de trouver la raison de cette absence de réaction. »

Le manager du port, Hassan Koraytem, a déclaré au Times : « On nous a dit que la cargaison serait vendue aux enchères. Mais la vente n’a jamais été organisée et le système judiciaire n’est jamais passé à l’action. »

Citant une source proche du port, Reuters a fait savoir qu’il y a encore six mois, une équipe d’inspecteurs avait averti que le nitrate pourrait « faire exploser tout Beyrouth » – sans suite. Le cabinet d’avocat de l’équipage a lui aussi précisé avoir averti les autorités des « risques d’explosion de la cargaison à bord ».

Arrivent alors les soudeurs

Même s’il est potentiellement très destructeur, le nitrate d’ammonium n’explose habituellement pas facilement et il nécessite une source de mise à feu.

Et c’est, selon LCBI, ce qui a pu arriver mardi lorsque des soudeurs sont venus pour réparer un écartement dans l’entrepôt 9. Cet espace de stockage aurait été occupé, à ce moment-là, par des cargaisons de feux d’artifices. L’étincelle d’un poste à souder aurait entraîné l’allumage des feux d’artifices, l’incendie qui a suivi se propageant de l’entrepôt 9 à l’entrepôt 12 et mettant le feu au nitrate – entraînant l’explosion la plus destructrice et la plus catastrophique de toute l’histoire du pays.

L’explosion dans le port de Beyrouth, le 4 août 2020. (Capture d’écran : Twitter)

L’AFP a contribué à cet article.

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