Blinken à Jeddah pour rétablir les liens et promouvoir la normalisation avec Israël
Le diplomate américain a discuté de l'élargissement des accords d'Abraham avec le prince héritier saoudien et se rendra à Ryad pour une réunion du Conseil de coopération du Golfe

JEDDAH, Arabie saoudite — Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken s’est entretenu dans la nuit de mardi à mercredi à Jeddah avec le prince héritier Mohammed ben Salmane au premier jour de sa visite en Arabie saoudite, et a évoqué les droits humains ainsi qu’une potentielle normalisation des relations entre Ryad et Israël.
MM. Blinken et ben Salmane ont réaffirmé leur « engagement envers la stabilité, la sécurité et la prospérité à travers le Moyen-Orient et au-delà », y compris pour mettre fin au conflit au Yémen, a précisé dans un communiqué le porte-parole du département d’Etat Matthew Miller.
« Le secrétaire d’État a également souligné que nos relations bilatérales sont renforcées par les progrès réalisés en matière de droits de l’homme », ajoute le communiqué.
Les deux hommes ont eu une « conversation ouverte et sincère » et M. Blinken a soulevé auprès de Mohammed ben Salmane la question des droits de l’homme « d’une manière générale et concernant des problèmes spécifiques », a dit un responsable américain sous le couvert de l’anonymat.
La rencontre, qui a débuté vers minuit heure locale au palais royal et duré une heure et 40 minutes, a permis de trouver un certain nombre de points « de convergence (…) tout en reconnaissant là où nous avons des différences », a-t-il ajouté.
« Ils ont discuté d’une potentielle normalisation des relations avec Israël et se sont mis d’accord pour poursuivre le dialogue à cet égard », a confirmé un responsable américain au Times of Israel. Il a précisé que les deux parties avaient convenu de poursuivre le dialogue sur le sujet.
Le communiqué saoudien a fait état de la rencontre mais n’a fourni aucun détail.
Après Jeddah, M. Blinken se rend mercredi à Ryad, pour participer à une réunion des ministres des Affaires étrangères du Conseil de coopération du Golfe.
Jeudi, toujours dans la capitale saoudienne, il coprésidera avec son homologue saoudien une réunion de la coalition des pays luttant contre le groupe jihadiste Etat islamique (EI), créée en 2014 et qui regroupe des dizaines de pays.
Cette visite de trois jours survient sur fond de rapprochement historique entre l’Arabie saoudite et deux ennemis des Etats-Unis, l’Iran et la Syrie, amorçant un changement de la donne géopolitique dans la région. L’Occident considère la république islamique comme un paria en raison de ses activités nucléaires contestées et de son implication dans des conflits régionaux.
Les États-Unis ont apporté un soutien prudent à l’accord qui a été scellé en Chine, puissance montante qui fait des incursions au Moyen-Orient.

Le mois dernier, le dirigeant syrien Bashar el-Assad a été invité à réintégrer la Ligue arabe pour la première fois depuis le début de la guerre civile qui dure depuis 12 ans et au cours de laquelle son gouvernement a été soutenu par la Russie et l’Iran.
La République islamique, ennemi juré des Etats-Unis et d’Israël depuis des décennies, a d’ailleurs rouvert son ambassade en Arabie saoudite mardi, après une rupture de sept ans.
L’allié saoudien, à qui Washington a fourni quantité d’armes, joue un rôle clé dans la région et les responsables américains ne cachent pas leur volonté de maintenir des liens forts.
« Il y a une énorme quantité de travail que nous essayons d’abattre », a déclaré Daniel Benaim, un haut fonctionnaire du département d’État américain chargé des affaires de la péninsule arabique, avant le voyage de M. Blinken.
« Nous nous concentrons sur un programme positif et sur le travail considérable que nos pays peuvent accomplir ensemble », a-t-il ajouté.
Droits de l’Homme
Les relations américano-saoudiennes, centrées depuis des décennies sur l’énergie et la défense, ont été mises à rude épreuve par le meurtre, en 2018, du journaliste saoudien dissident Jamal Khashoggi par des agents saoudiens au consulat du royaume à Istanbul.
Les relations entre Washington et Ryad se sont davantage compliquées alors que l’administration de Joe Biden a accusé le riche Etat du Golfe de violations des droits humains et d’influencer les prix du brut.
Des militants des droits de l’homme avaient appelé mardi le chef de la diplomatie américaine à soulever cette question avec les autorités saoudiennes.

Parmi eux, Abdallah Al-Qahtani, un citoyen américain sans nouvelles de son père, Mohammad Al-Qahtani, qui a purgé une peine de 10 ans de prison en Arabie saoudite pour avoir fondé un groupe de défense des droits civiques.
M. Blinken « doit évoquer la situation de mon père. Est-il en vie ? Est-il torturé ? Nous ne savons pas », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse virtuelle.
Bin Salman, 37 ans, qui a mené une politique étrangère indépendante, a également accueilli le président vénézuélien Nicolas Maduro lundi.
Conflit au Soudan
Les discussions ont également porté sur le conflit au Soudan où les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, médiateurs, ne parviennent pas à faire respecter plusieurs trêves entre les généraux belligérants.
Les Etats-Unis se sont dits prêts à reprendre les discussions à Jeddah avec les émissaires des deux camps s’ils sont « sérieux » dans leur volonté de respecter le cessez-le-feu, qui permettrait d’aider à acheminer l’aide humanitaire.
Depuis le 15 avril, la guerre au Soudan entre l’armée, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo a fait plus de 1 800 morts et plus d’un million et demi de déplacés et réfugiés.
Les deux alliés sont également engagés dans la lutte contre le groupe Etat islamique, le groupe djihadiste qui a perdu tous ses territoires au Moyen-Orient mais qui est de plus en plus actif dans certaines parties de l’Afrique.
Ils discutent également des efforts à déployer pour mettre fin au conflit au Yémen, où une coalition dirigée par l’Arabie saoudite apporte depuis longtemps un soutien militaire au gouvernement dans sa lutte contre les rebelles houthis soutenus par l’Iran.
Vers une normalisation avec Israël ?
Quant à la normalisation avec Israël, le sujet est ultra-sensible et constituerait un nouveau chamboulement dans la région après le récent rapprochement entre Ryad et Téhéran, sous l’égide de la Chine, mais aussi entre Ryad et Damas, après des années de froid.
Dans un discours devant le lobby pro-Israël AIPAC lundi à Washington, M. Blinken a affirmé que son pays avait « un vrai intérêt de sécurité nationale à promouvoir une normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite ».
Ces dernières années, les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc ont normalisé leurs relations avec Israël, rompant avec des décennies de consensus arabe conditionnant l’établissement de relations avec Israël avec la résolution de la question palestinienne.
Il a déclaré que Washington ne se faisait « aucune illusion » quant à la possibilité d’y parvenir rapidement ou facilement, mais il a souligné que « nous restons déterminés à œuvrer en ce sens ».
Dans son discours devant l’AIPAC, M. Blinken a fait l’éloge des solides relations entre les États-Unis et Israël et a déclaré que Washington faisait progresser la sécurité d’Israël et la sienne « en s’efforçant d’approfondir les relations d’Israël avec ses voisins, afin de faire avancer notre objectif d’intégration régionale et de désescalade ».

« La poursuite de l’intégration d’Israël dans la région contribue à une région plus stable, plus sûre et plus prospère – et à un Israël plus sûr », a déclaré M. Blinken.
On pense que l’Arabie saoudite cherche à obtenir plusieurs concessions importantes de la part des États-Unis en échange d’une normalisation avec Israël.
Un haut diplomate du Moyen-Orient a déclaré au Times of Israel en mars que Ryad avait demandé aux États-Unis de donner leur feu vert au développement d’un programme nucléaire civil et d’approuver une expansion significative des liens en matière de défense, y compris un système de garanties empêchant les administrations futures de se retirer des accords déjà signés en matière d’armement.
Les responsables saoudiens ont également fait comprendre à l’administration Biden que tout accord avec Israël devra également inclure un geste significatif en faveur des Palestiniens, a déclaré un haut fonctionnaire américain au Times of Israel en mai.