Brooklyn : Une firme revient sur sa décision de refuser un client lié à Israël
Big Duck Studio explique que sa décision était fondée sur un malentendu et qu'il est ouvert à toute collaboration avec des organisations ayant des liens avec Israël
JTA – Une société de marketing accusée d’avoir refusé de travailler avec un groupe juif ayant des liens avec Israël met la controverse sur le compte d’un malentendu.
Big Duck Studio, basée à Brooklyn, affirme qu’elle ne soutient pas le boycott d’Israël incarné notamment par le mouvement du BDS et qu’elle continuera à travailler avec des organisations ayant des liens avec l’État hébreu.
L’entreprise ajoute que son personnel, y compris sa directrice juive, a été confronté à des messages de haine et antisémites suite à la publication d’informations qui l’accusaient d’avoir refusé de travailler avec le Shalom Hartman Institute en raison de l’attachement de ce groupe à Israël. Une motivation niée par Big Duck Studio.
Le Shalom Hartman Institute, qui dispose de bureaux à Jérusalem et à New York, œuvre à promouvoir l’éducation juive, le dialogue entre les Juifs et le dialogue entre les membres de la communauté juive et les fidèles des autres religions.
La semaine dernière, une conversation entre Farah Trompeter, co-directrice de Big Duck, et un responsable du Shalom Hartman Institute a conduit Big Duck à penser, – « à tort » -, que le Shalom Hartman Institute ne travaillerait pas avec un groupe de marketing dont certains membres remettraient en question la politique israélienne, a déclaré Big Duck Studio dans un communiqué publié sur son site Internet jeudi dernier.
« La décision de Big Duck de refuser de travailler avec le Shalom Hartman Institute était due à de multiples raisons, dont l’une était notre perception, à l’époque, qu’ils ne seraient pas ouverts à l’idée de travailler avec une entreprise dont les employés et les clients ont des opinions diverses sur les politiques et les pratiques du gouvernement israélien », indiquait le communiqué de Big Duck. « Nous avons depuis appris que notre perception de la position du Shalom Hartman Institute était erronée, et nous regrettons que la façon dont nous avons abordé le sujet ait causé du tort. »
Le Shalom Hartman Institute a quant à lui maintenu sa version de la conversation, dans laquelle il avait déclaré que Big Duck avait refusé de travailler avec l’institut parce que ce dernier est ouvertement sioniste et s’oppose au mouvement de boycott à l’encontre d’Israël.
La controverse survient à un moment où de nombreux membres de la communauté pro-israélienne ont exprimé leur inquiétude quant à la teneur de la critique d’Israël parmi les progressistes, y compris les tentatives croissantes d’étendre les efforts de boycott aux Juifs et aux groupes juifs qui soutiennent Israël.
La dernière déclaration de Big Duck – qui insiste sur le fait qu’il s’agissait simplement d’alerter un client potentiel sur les opinions de certains de ses employés sur Israël – semble refléter une autre préoccupation, à savoir la tolérance des groupes juifs pro-israéliens à l’égard des critiques d’Israël.
La déclaration de Big Duck a été signée par les co-directrices de la société de marketing, Farra Trompeter et Elizabeth Ricca.
Farra Trompeter a rendu son compte Twitter privé cette semaine ; un compte important, Stop Antisemitism, a notamment publié sa photo en la taguant et en qualifiant sa position de « comportement vraiment écoeurant ».
Ces messages ont été envoyés après que la Jewish Telegraphic Agency (JTA) a rapporté que Dorit Rabbani, une responsable au sein du Shalom Hartman Institute, avait déclaré que Trompeter lui avait demandé, lors d’une conversation la semaine dernière, si Hartman était sioniste et s’il s’opposait au BDS. Lorsque Rabbani a répondu par l’affirmative aux deux questions, Trompeter a décliné l’offre de Hartman de faire des affaires avec la société de marketing, selon Rabbani.
Invité à commenter le dernier compte-rendu de Big Duck sur la conversation, Yehuda Kurtzer, président du Shalom Hartman Institute, a déclaré : « Nous ne sommes pas d’accord avec cette version. »
La version de l’échange émise par Big Duck, selon laquelle l’agence de marketing avait pour politique de révéler aux clients pro-Israël potentiels que certains de ses employés étaient critiques à l’égard d’Israël, correspond à l’expérience récente d’un autre groupe juif, Women of Reform Judaism.
Elisa Heisman, responsable du marketing pour Women of Reform Judaism a déclaré à la JTA que son groupe avait contacté Big Duck il y a un an pour s’occuper d’un changement de branding. Mme Heisman a déclaré que
M. Trompeter lui avait dit qu’ « il y avait un risque que des membres de l’équipe [de M. Trompeter] expriment publiquement « une position en faveur du BDS ».
Par conséquent, selon Mme Heisman, Women of Reform Judaism a « choisi de ne pas poursuivre sa relation » avec Big Duck. La décision s’est faite « à l’amiable », a précisé Mme Heisman, et c’était la décision de son groupe.
Dans sa déclaration initiale adressée à JTA, Mme Trompeter avait déclaré que la décision de ne pas travailler avec M. Hartman était mutuelle, ce que les responsables du Shalom Hartman Institute ont démenti.
« Le fait de se faire entendre et de s’engager davantage dans la lutte contre l’oppression nous a amenés à remettre en question notre collaboration avec des organisations ayant un programme important en Israël, entre autres, et dans ces cas-là, nous avons décidé d’un commun accord qu’il n’était pas logique de travailler ensemble », avait ainsi déclaré en premier lieu Mme Trompeter.
Vendredi, Mme Trompeter a déclaré à la JTA qu’au mieux de ses souvenirs, le récit de la Heisman était exact. Elle n’a pas voulu dire ce qu’elle entendait par « remise en question plus active de la collaboration avec des organisations ayant un programme important en Israël ».
Quant à savoir si Big Duck allait travailler avec le Shalom Hartman Institute, elle a déclaré : « Nous aurions aimé que la conversation avec Hartman se déroule différemment et nous restons ouverts à un dialogue productif. Cette semaine a été incroyablement douloureuse pour moi et mes collègues, ainsi que pour beaucoup d’autres personnes, et je suis impatiente de trouver des solutions pour aller de l’avant. »
Dans leur déclaration, Trompeter et Ricca ont estimé que l’article initial de la JTA avait mal décrit leurs points de vue, mais ont ajouté que « les commentaires que nous avons fournis, écrits à la hâte, ne représentaient pas fidèlement nos politiques et nos pratiques et ont causé des inquiétudes. »
« Big Duck, en tant qu’entreprise, ne soutient pas le BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions). Nous n’effectuons pas de test décisif en ce qui concerne le sionisme et/ou le travail en Israël. Nous sommes engagés dans nos partenariats avec des organisations juives, y compris celles qui travaillent en Israël. » À l’époque, Trompeter avait déclaré que Big Duck n’effectuait pas de tests décisifs en matière de sionisme ou de BDS.
Au moins une grande organisation, l’Anti-Defamation League (ADL), a déclaré qu’elle ne travaillerait plus avec Big Duck suite à la publication de l’article initial. Dans une interview, le PDG de l’ADL, Jonathan Greenblatt, a en effet déclaré que la décision de l’ADL a été influencée par l’intensité récente de la rancœur à l’égard des Juifs américains en ce qui concerne leurs liens avec Israël.
« Cela se produit dans un environnement où les juifs, de nombreux juifs, se sentent assiégés à propos d’Israël et de leur position sur Israël », faisant référence aux attaques contre des Juifs américains pendant le conflit entre Israël et les groupes terroristes de la Bande de Gaza en mai dernier, et aux appels lancés l’année dernière par une section d’un groupe environnemental pour boycotter les organisations juives ayant des liens avec Israël.
Jonathan Greenblatt, qui s’est entretenu avec la JTA avant que Big Duck ne publie sa dernière déclaration, a déclaré que l’ADL reconsidérerait sa position en fonction de la manière dont Big Duck expliquerait l’échange qui s’est déroulé avec Dorit Rabbani.
« Je ne crois pas à la cancel culture », a-t-il dit. « Nous devons donner aux gens la possibilité de reconnaître qu’ils ont fait une erreur ».
Il y a un grand nombre de clients d’organisations juives sur le site Web de Big Duck. Au moins l’un d’entre eux, Keshet, un groupe juif LGBTQ, a indiqué la semaine dernière qu’il continuerait à travailler avec Big Duck.
Le mouvement reconstructionniste a déclaré qu’il ne travaillait pas actuellement avec Big Duck sans faire d’autres commentaires.
« Nous sommes en conversation avec les nouvelles propriétaires de Big Duck et nous discutons des prochaines étapes, » a pour sa part déclaré le Jewish Theological Seminary du mouvement conservateur.
Un certain nombre de sources ont lié la controverse à un récent changement de propriétaire de l’agence de marketing, la firme se décrivant désormais comme une « coopérative appartenant aux travailleurs. »
Kurtzer a déclaré à la JTA que Hartman était opposé aux tentatives de stigmatiser ou d’isoler Big Duck.
« Si Big Duck a fait une erreur ici, s’il s’agit d’ignorance, s’il s’agit de mauvaise communication, nous ne croyons pas que les organisations doivent être annulées », a-t-il dit aussi en référence à la cancel culture. « Donnez aux gens la possibilité de grandir, de changer et d’apprendre ».
« Big Duck a été accusé d’antisémitisme et nos politiques ont été publiquement dénaturées », ont-elles déclaré. « Nous sommes toutes les deux fières d’avoir travaillé en étroite collaboration avec de nombreuses organisations juives à but non-lucratif, dont beaucoup sont présentes en Israël. Pour Farra en particulier en tant que femme juive queer, ainsi qu’en tant que stratège, formatrice, donatrice et amie personnelle de tant d’organisations juives, ces allégations d’antisémitisme sont profondément bouleversantes, » ont écrit Trompeter et Ricca.