Contraintes de signer une décharge au mikvé, les femmes de Jérusalem craignent la coercition
La Cour Suprême a statué que l’immersion sous supervision est une atteinte à la vie privée, alors pourquoi doivent-elles remplir des « formulaires » pour s’immerger ?

Lea se tenait, enveloppée dans une serviette, quand l’intendant du bain rituel lui bloquait le chemin, lui indiquant qu’elle devait d’abord remplir un formulaire avant d’entrer seule dans l’eau. Se sentant vulnérable et incapable de rester sereine, Lea a attendu que la femme sorte et lui rapporte le formulaire, toujours enveloppée dans sa serviette, puis elle a inscrit ses coordonnées et informations personnelles et a signé le papier.
« Dans d’autres circonstances, la féministe religieuse que je suis aurait pris le dessus et aurait protesté », a déclaré Lea, 32 ans. « Mais sur le moment, vous acceptez tout ce qu’ils vous disent. »
C’est un problème auquel sont confrontées de nombreuses femmes dans la région de Jérusalem, depuis que la Cour suprême a accordé l’an dernier aux femmes le droit de refuser la supervision d’une intendante, appelée balanit, durant l’immersion dans le mikvé, le bain rituel. Avant cette décision, la présence d’une balanit durant l’immersion était obligatoire pour les femmes.
La question de l’immersion féminine est de l’ordre de l’intime. Elle tourne autour du cycle menstruel et influe directement sur le droit qu’auront un mari et sa femme à avoir des relations sexuelles dans le cadre de la halakha, la loi juive. C’est pour cela que c’est un sujet considéré comme délicat dans les cercles religieux. (Bien que certains hommes choisissent de se purifier rituellement, l’immersion masculine dans un mikvé n’a pas de caractère halakhique comme l’immersion féminine.)
Les bains rituels gérés par les conseils religieux locaux à travers le pays, ont pour la plupart, appliqué la décision de la Cour suprême. Mais le conseil religieux de Jérusalem, qui a une tendance à pencher vers la rigueur, impose aux femmes qui souhaitent se tremper seules de remplir un formulaire avec leur nom et le numéro de leur carte d’identité.
Selon le conseil de Jérusalem, ce formulaire l’absout de ses responsabilités, dans le cas où quelque chose se produirait quand la femme est seule dans l’eau. Les conseils d’autres municipalités n’imposent pas un tel formulaire.

Bien qu’il soit techniquement autorisé, dans les règles de la halakha, qu’une femme s’immerge seule, les opinions plus strictes recommandent qu’elle le fasse en présence d’une balanit, qui peut garantir que la femme est entièrement immergée. Cela a conduit certains à penser que le formulaire véhicule une forme de coercition religieuse.
« J’ai dit à la balanit ‘Je comprends que vous ne soyez pas d’accord avec le fait que je fasse ça sans vous, et je voudrais le faire, alors comment on s’arrange ?’ », a raconté Lea.
« Et elle m’a dit ‘non, pourquoi avez-vous besoin de faire cela, vous savez qu’il est mieux de se tremper avec une balanit, ce n’est pas halakhiquement correct de le faire autrement’. Ce à quoi j’ai répondu, ‘En fait, je connais la halakha et c’est comme cela que je veux le faire’. Donc elle m’a dit que c’était bon, mais que je devais signer un formulaire. »
Une poursuite en instance, lancée par ITIM, une organisation à but non-lucratif, qui aide et défend les personnes naviguant à travers la bureaucratie religieuse en Israël, affirme que ces formulaires ne vont pas seulement à l’encontre de la décision de la Cour Suprême, mais n’ont aucune valeur juridique.
« Ils ne comprennent pas qu’ils doivent respecter la dignité des femmes qui viennent s’immerger. »
« Les principes religieux de la pudeur et du kavod habriyot [le respect des besoins d’autrui) s’applique à tous les domaines de la société israélienne, et cela ne semble pas être clair pour le conseil religieux de Jérusalem », a déclaré le rabbin Dr Seth Farber, directeur d’ITIM.
« Ils ne comprennent pas qu’ils doivent respecter la dignité des femmes qui viennent s’immerger, leur pudeur, leur intimité et leur tranquillité. L’immersion dans un mikvé ne doit pas être associée à des tensions, mais doit être une expérience positive et personnelle. C’est ainsi qu’elle est caractérisée dans la tradition halakhique. »
« Malheureusement », poursuit Farber, « dans certains mikvés en Israël, les gens se sentent indésirables. Cela devra changer. Nous continuerons à soutenir les droits des femmes dans les mikvés et, le cas échéant, nous invitons le système juridique à affronter le problème. »
Asher Axelrod, un avocat qui représente le Conseil religieux de Jérusalem, affirme que les renonciations mettent en cause la seule responsabilité individuelle.
« Comment pensez-vous que quelqu’un puisse insister pour entrer dans l’eau sans surveillance et que dans ce cas, le conseil puisse être toujours responsable ? », questionne t-il. « C’est une simple question de responsabilité pour les dommages potentiels, et pas du tout une question halakhique ».
Un porte-parole du ministère des Services religieux commente les avis des deux
parties :
« Le ministère comprend pourquoi le Conseil religieux de Jérusalem ressent le besoin de ces formalités », explique Shlomi Naki. « Mais compte tenu de la décision de la Cour suprême, il est légalement problématique. Le ministère souhaiterait une solution pouvant accueillir les deux parties. »
La Dr Naomi Marmon Grumet, fondatrice du Eden Center à Jérusalem et qui forme les assistantes des mikvés pour la population féminine, est plus audacieuse dans son opposition claire aux renonciations.
« C’est évidemment quelque chose qui fait que les femmes se sentent très mal à l’aise. Elles viennent sur place avec leur libre-arbitre pour utiliser le mikvé, et comme elles ont la protection légale pour en disposer sans préposé, il ne devrait pas y avoir de raisons pour une femme de signer une renonciation », affirme-t-elle.
« Je n’ai jamais vu de renonciation pour un homme qui se serait rendu dans un mikvé où il n’y aurait pas de préposé masculin. »
« De plus, » poursuit Marmon Grumet, il ne devrait y avoir aucune différence entre une femme utilisant un mikvé et un homme utilisant aussi un bain rituel sans préposé. »
C’est une revendication contre toute discrimination, que Axelrod était prêt à défendre de manière préventive.
« [La décision de la Cour suprême] crée un problème qui n’existe pas pour les hommes – parce que le balan [l’agent masculin] est toujours là et il est responsable. Si une femme entre sans surveillance, elle prend ses responsabilités au cas où quelque chose se produirait. Mais les hommes ne demandent jamais cela. Si un homme devait demander une telle chose, il serait obligé de signer le formulaire – hors, il n’y a pas de scénario dans lequel un homme pourrait entrer dans le mikvé et s’immerger seul », dit-il.
« Je ne pense pas que ce soit le cas », explique Marmon Grumet. « Je ne fréquente pas les mikvés masculins. Il y a un balan – il n’est généralement pas là quand les hommes entrent. Je ne sais pas s’il y a des heures pour le mikvé masculin, je crois que vous pouvez venir à tout moment. Je n’ai jamais vu ni entendu dire qu’il y a un balan. Je suis curieux de me rendre maintenant dans un mikvé pour hommes et voir s’il y a un balan. »
Plusieurs usagers de mikvés masculins contactés à ce sujet disent qu’ils ne rencontrent presque jamais de balan avant d’aller s’immerger – bien qu’il y ait presque toujours d’autres hommes là-bas et qu’il ne soit pas clair que les mikvés fréquentés soient sous la juridiction du Conseil religieux de Jérusalem.
Il existe de nombreux mikvés privés utilisés par des hommes, mais aussi des femmes et qui ne sont pas soumis à la réglementation imposée au public, bien qu’ils soient plus coûteux.
« Les femmes ont le choix, explique Axelrod. Soit, elles peuvent plonger avec une préposée ou bien elles remplissent le formulaire. C’est l’un ou l’autre. Personne ne les oblige à venir au mikvé en premier lieu. »
Le mariage en Israël se fait exclusivement via le Rabbinat. Et donc, les cérémonies pour les Juifs de toutes tendances doivent être conformes à la halakha orthodoxe. L’une des conditions préalables est que les jeunes mariées doivent se rendre au mikvé et fournir un certificat en ce sens, attestant qu’elles se sont bien immergées et sont maintenant rituellement permises à leurs futurs maris.
Le Eden Center estime que 30 000 femmes se rendent régulièrement au mikvé dans la région de Jérusalem et que 750 000 d’entre elles y vont dans tout le pays.
La plupart de celles qui s’immergent chaque mois sont religieuses, bien que certaines femmes soient moins observantes et apprécient ce rituel aussi parce qu’il reste un symbole reliant les familles à la tradition juive. Pour certaines, c’est un choix qu’elles font pour se conformer au désir de leurs partenaires plus religieux.
Pour beaucoup de personnes, les exigences halakhiques exactes liées à l’immersion demeurent un peu obscures, quelles que soient leurs raisons de se rendre au bain rituel.
Unr réceptionniste téléphonique du ministère des Services religieux s’est révélée surprise qu’on puisse faire le choix d’une immersion en privé : « Pourquoi quelqu’un voudrait-il faire cela ? Cela me semble étrange », a-t-elle commenté, lorsqu’elle a été informée du but de l’appel. « La femme a besoin d’une balanit pour s’assurer que son immersion soit casher ! ».
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