Deborah Lipstadt : les répressions de Trump sur les campus vont trop loin
Tout en saluant l'administration, l'ex-envoyée chargée de la lutte contre l'antisémitisme a accusé le président américain "d'instrumentaliser" la haine anti-juive

JTA – Deborah Lipstadt, qui était l’envoyée chargée de la lutte contre l’antisémitisme sous l’administration du président américain Joe Biden, a estimé que certaines mesures de répression mises en place par l’administration Trump dans son combat contre la haine antijuive qui sévit sur les campus « sont allées beaucoup trop loin ».
Dans un entretien, elle a refusé de commenter certaines controverses spécifiques qui ont fait leur apparition depuis que la Maison Blanche a commencé à réprimer les étudiants pro-palestiniens. Elle a toutefois dénoncé les conditions et les circonstances qui ont été celles de certaines arrestations.
« Je pense que c’est une erreur, je pense que c’est une erreur totale et qu’il est contraire aux procédures américaines de simplement arrêter un individu dans la rue sans lui accorder tout ce à quoi il a droit au niveau juridique », a-t-elle déclaré (une description qui correspond parfaitement au cas de Rumesya Ozturk, une étudiante diplômée qui avait co-écrit une tribune critique d’Israël dans un journal universitaire et qui a été arrêtée alors qu’elle marchait dans la rue, à proximité du campus de l’université de Tufts).
Lipstadt, une spécialiste de la Shoah de premier plan, a pu faire l’éloge de certaines des mesures prises par Trump en matière de lutte contre l’antisémitisme dans d’autres interviews. Des propos qui ont été particulièrement significatifs à la fois en raison de sa carrière d’experte du génocide commis pendant la Seconde Guerre mondiale et parce qu’elle a été l’une des principales voix de la Maison Blanche de Biden concernant le combat contre la haine anti-juive. Elle a aussi été une critique sans pitié de Trump – cela avait été le cas en particulier en 2020, lorsqu’elle avait soutenu une campagne comparant l’ascension politique de ce dernier à celle du nazisme.
S’exprimant auprès de la Jewish Telegraphic Agency cette semaine, elle a répété certains de ces éloges. Mais elle a également accusé Trump de gravement « instrumentaliser » l’antisémitisme à des fins politiques.
« Je vois à la fois une volonté de prendre l’antisémitisme au sérieux, comme l’avait fait l’administration Biden-Harris, mais je vois aussi un risque d’instrumentalisation, de politisation de l’antisémitisme », a-t-elle commenté. » Ce que je crains, c’est qu’on fasse de l’antisémitisme une question partisane, qu’on l’utilise dans certains cas, pas partout, mais dans certains cas, pour servir de faire-valoir à d’autres objectifs ».
Dans de récents entretiens qui avaient été publiés dans The Forward et The New Yorker, Lipstadt avait parlé des actions de l’administration Trump sur les campus de manière positive – des actions qui avaient été présentées par les responsables comme entrant dans le cadre de la lutte contre la haine anti-juive. Parmi les mesures prises par l’administration, une série de réductions de financement de plusieurs milliards de dollars et une vague d’arrestations d’étudiants pro-palestiniens. L’administration a également révoqué plus de 1 200 visas d’étudiants.
« Je ne suis pas opposée à ce que l’administration annule les visas de certains qui sont venus faire leurs études aux États-Unis », avait-elle déclaré au journal The Forward. « Dire que certains de ces individus sont des martyrs et des héros est ridicule ».
Elle avait ajouté que « je ne m’oppose pas à un certain nombre de choses qui sont faites aujourd’hui. Ce que je voudrais simplement, c’est qu’elles soient faites avec plus de finesse ».

Elle avait tenu des propos similaires auprès du New Yorker, déclarant que « beaucoup de gens ont ressenti du soulagement en voyant cette approche énergique ». Elle s’est interrogée en se demandant si le pouvoir de l’administration « est utilisé ou non de manière correcte » – ce qui, selon elle, « soulève certaines questions sur ce qui est en train de se passer ».
Des paroles qui ont été prononcées après les déclarations qui ont été faites par de nombreux responsables juifs, qui ont critiqué ou condamné les coupes budgétaires décidées par l’administration et les arrestations sur les campus. Des inquiétudes qui ont aussi été exprimées par des groupes juifs pro-israéliens, comme Hillel International et l’American Jewish Committee, qui avaient également souligné la menace de l’antisémitisme sur les campus dans le passé.
Lipstadt a établi clairement auprès de la JTA que, si elle pense que les établissements d’enseignement supérieur auraient dû faire davantage pour lutter contre l’antisémitisme avant les mesures de répression adoptées par Trump, elle estime dorénavant qu’il y a eu une « réaction excessive » de la part de la Maison Blanche.
« Je pense que les universités ont souvent été délétères, et c’est le message que j’ai essayé de faire passer », a-t-elle déclaré au New Yorker. « Je ne me lancerai pas dans une condamnation généralisée de l’administration Trump, car je pense que certaines des premières mesures qu’elle a prises étaient justes en ce qui concerne les campus, et pas seulement. Mais je crains maintenant qu’elle ne soit allée beaucoup trop loin ».
En tant qu’envoyée du département d’État dans la lutte contre l’antisémitisme sous la présidence de Joe Biden, Lipstadt s’était fréquemment exprimée sur la problématique de la haine anti-juive dans le monde et aux États-Unis. Elle avait travaillé sur la stratégie nationale de lutte contre l’antisémitisme de l’administration. Au cours des dernières semaines de son mandat, Lipstadt avait exprimé des doutes concernant la capacité de l’administration Trump à lutter efficacement contre l’antisémitisme.
Au début du mois, Trump a nommé Yehuda Kaploun, un homme d’affaires de Miami qui fait partie de son cercle proche, au poste d’envoyé spécial. Lipstadt a indiqué dans le New Yorker qu’elle s’était entretenue avec Kaploun et qu’elle avait trouvé qu’il semblait « se soucier profondément et sincèrement de ce problème ».

Les groupes juifs qui ont critiqué les actions entreprises par Trump sur les campus ont affirmé que le fait de prendre pour cible les libertés civiles et de chercher à expulser les étudiants qui manifestent contre Israël pourrait nuire à la sécurité des étudiants juifs. Les détracteurs juifs du président américain ont également souligné d’autres événements survenus au cours des trois premiers mois de son mandat, faisant notamment remarquer son partenariat avec Elon Musk, qui a soutenu un parti allemand d’extrême droite et qui a été accusé d’avoir fait un salut nazi.
L’administration s’est également attaquée aux programmes de diversité – et certaines actions fédérales ont mis les questions juives en ligne de mire. Le ministère de la Justice, ces dernières semaines, a supprimé ses pages consacrées à la commémoration de la Shoah sur internet, ainsi qu’une exposition qui rendait hommage aux femmes juives diplômées de l’académie navale.
Lipstadt a fait savoir qu’elle s’inquiétait de voir l’antisémitisme devenir un combat partisan.
« L’antisémitisme est une menace », a-t-elle rappelé. « C’est une menace pour les Juifs. C’est une menace pour la démocratie. C’est une menace pour l’État de droit. C’est une menace pour la sécurité et pour la stabilité, que ce soit au niveau national et au niveau international. On ne peut pas l’utiliser – c’est trop important, c’est une question qui est trop déterminante pour servir d’arme politique ».
Mais elle a reconnu qu’il y avait un risque que cela devienne le cas, du moins dans certaines sphères.
« Je pense qu’il y a des gens qui prennent ce problème très au sérieux, qui le comprennent et qui veulent l’aborder, et il y a très clairement des gens qui le considèrent comme un outil politique très utile », a-t-elle confié à la JTA. « Pour ma part, j’encourage le premier groupe mais pas le second. »