Des ados en difficulté privés de leur animal de thérapie par le manque d’abris anti-aériens
Les jeunes qui fréquentent Beit Daniella, près de Jérusalem, sont contraints de se retrouver dans une école, loin des chevaux et des chiens qui les aident à aller mieux
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
Depuis le début de la guerre, le 7 octobre dernier, le centre de réadaptation pour adolescents atteints de maladie mentale, qui utilise les soins aux animaux et la nature comme leviers thérapeutiques ne peut plus accueillir ses patients, faute d’abri anti-aérien.
Portant le nom de Daniella Pardes, décédée des suites d’une anorexie sévère à l’âge de 14 ans, Beit Daniella offre aux jeunes les conditions nécessaires pour réintégrer la société, tout en soutenant et guidant les parents.
Il est situé dans le Centre équestre Harei Yehudaet, qui abrite aussi un chenil, à Tzur Hadassah, au sud-ouest de Jérusalem, dans une vallée verdoyante que jouxte une réserve naturelle.
En temps normal, Beit Daniella accueille environ 16 jeunes, âgés de 13 à 18 ans, qui souffrent d’anxiété, dépression, traumatismes ou troubles alimentaires.
La guerre et l’absence d’installations adéquates à Beit Daniella nuit gravement à la santé mentale des adolescents, explique Sarah Malka Eisen, directrice du développement stratégique et des projets du centre.
Faire une demande de fonds publics pour construire un abri anti-aérien prendrait beaucoup trop de temps, dit-elle, raison pour laquelle elle a lancé une campagne pour collecter 86 330 dollars en trois semaines. À ce jour, elle a collecté 30 000 dollars.
Le programme Beit Daniella, cofinancé sur fonds publics et privés, mêle cours et soins aux chevaux et aux chiens. Les jeunes disposent également d’une cuisine où ils préparent des repas ensemble, en utilisant les produits sains qu’ils ont cultivés.
« À Beit Daniella, nous sensibilisons les adolescents à leurs émotions et leur apprenons qu’ils ont la liberté de choisir d’apaiser leurs douleurs les plus profondes de façon plus saine, en renonçant à l’auto-mutilation », explique Eisen. « Pour nombre de nos adolescents, l’une de ces alternatives passe par la relation à l’animal, qui lui, les aime inconditionnellement. »
Citons l’exemple d’une jeune fille nommée C – pour protéger sa vie privée – qui s’est liée d’amitié avec la jument Lily Rose, maltraitée par ses anciens propriétaires et donc anxieuse avec les humains et les autres chevaux. Elle est la seule de toute l’écurie à avoir suffisamment gagné la confiance de Lily Rose pour pourvoir la monter.
Quand C se sentait dépassée par les événements de la vie, elle se rendait dans le box de Lily Rose. Les deux avaient en effet un secret en commun : ils s’automutilaient lorsqu’ils étaient en détresse. C éloignait donc la tête de Lily Rose de la balustrade lorsque le cheval donnait des signes de vouloir ronger le métal pour se couper. Un jour, désespérée et ressentant le besoin de se couper avec un couteau, C a couru vers le box. Lily Rose a baissé la tête et fait tomber le couteau au sol.
De nombreux protégés de Beit Daniella ont vu leurs problèmes de santé mentale prendre de l’ampleur pendant la pandémie de COVID-19. Une analyse des diagnostics psychiatriques et de la prescription de médicaments chez les adolescents âgés de 12 à 17 ans entre 2019 et 2021 – avant et pendant la période du coronavirus, donc – a révélé que les diagnostics de dépression majeure avaient augmenté de 39 %, l’anxiété de 33 %, le stress de 20 % et les troubles alimentaires de 56 %.
Les auteurs de l’étude, faite à la demande des Maccabi Healthcare Services, évoquent comme principales causes la peur de cette maladie inconnue, l’isolement social prolongé causé par les confinements à répétition et les fermetures d’écoles et la privation d’activité physique.
L’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre dernier, dans le sud d’Israël, qui a tué 1 200 personnes, essentiellement des civils, a exacerbé les problèmes de santé mentale, estime Eisen.
La décision prise par les autorités de ne pas permettre le retour des adolescents tant qu’un abri anti-aérien n’aura pas été construit a eu pour première conséquence de les confiner à domicile, ce qui leur a rappelé la période du coronavirus et a ravivé la tentation de l’automutilation, de l’alimentation excessive ou inadéquate et de journées passées à dormir après des nuits blanches.
Dès le surlendemain du 7 octobre, le personnel du Centre créait un programme sur Zoom. Les élèves ont été contactés chaque jour pour des séances avec des thérapeutes et des psychiatres, sans oublier les conseils aux parents.
Malgré tout, estime Eisen, les programmes Zoom ne compensent pas l’isolement ressenti par ses élèves.
Trois élèves ont abandonné le programme depuis le début de la guerre, regrette-t-elle. L’une d’entre elles a été tellement traumatisée par les alertes aux roquettes de Gaza qu’elle a dû être hospitalisée pour trouble alimentaire grave.
Lorsque le ministère de l’Éducation a autorisé la reprise des cours d’éducation spécialisée, l’équipe de Beit Daniella s’est vu attribuer un auditorium dans une école de Tzur Hadassah, afin que les participants puissent se rencontrer.
Mais ils ne peuvent toujours pas se rendre à l’écurie ou au chenil, qui font pourtant partie intégrante de leur traitement.
« La magie de Beit Daniella, c’est que, jusqu’à la guerre, les enfants qui ne pouvaient littéralement rien faire se levaient le matin et venaient ici, à l’écurie », conclut Eisen. « S’ils ne peuvent pas y aller, c’est très difficile pour nous de faire notre travail. »